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Chapitre 4 : Discussion

4.1 Prévalence et nature des expériences de victimisation chez les jeunes avec des

Le premier objectif de cette étude est de mieux contextualiser l’expérience de victimisation sexuelle chez les jeunes qui présentent des CSP avant l’âge de 18 ans. Afin de répondre à cet objectif, l’histoire de victimisation au cours des périodes développementales de l’enfance et de l’adolescence parmi ceux qui ont, plus spécifiquement, été abusés sexuellement à l’enfance est abordée.

La plupart des travaux antérieurs incluent des enfants d’âges variés en ne distinguant pas les périodes développementales de l’enfance et de l’adolescence pour examiner la victimisation et la polyvictimisation de ceux-ci (p.ex., Crea et coll., 2018). Toutefois, dans le présent projet de mémoire, ces deux périodes sont étudiées de manière distincte afin d’examiner les différences potentielles quant aux profils développementaux de victimisation (Dierkhising et coll., 2019) et ainsi, obtenir une compréhension plus fine relative à l’apparition des CSP. Effectivement, il importe d’examiner les facteurs de risque à chaque période au cours de la vie du jeune (Smallbone, 2006). Des comparaisons ont donc été effectuées parmi les jeunes de l’échantillon, selon s’ils ont vécu l’abus sexuel à l’enfance ou non. Ainsi, parmi les jeunes manifestant des CSP, les résultats obtenus permettent de noter des différences significatives entre ceux abusés sexuellement à l’enfance et ceux n’ayant pas été abusés sexuellement au cours de cette période en ce qui concerne leur histoire de victimisation vécue à l’enfance, puis à l’adolescence.

D’abord, au cours de l’enfance, les jeunes abusés sexuellement sont plus susceptibles d’être polyvictimisés en comparaison à ceux n’ayant pas été abusés sexuellement. Plus particulièrement, une proportion significativement plus importante d’enfants ayant subi de la victimisation sexuelle, à savoir près de 80 %, vit également de la négligence parentale. Alors que la plupart des écrits scientifiques antérieurs soutiennent l’hypothèse selon laquelle la victimisation sexuelle vécue durant la période de l’enfance est un précurseur développemental notable pour les CSP (Burton, 2003 ; Hershkowitz, 2014 ; Papalia et coll., 2018 ; Szanto et coll., 2012 ; Tarren-Sweeney, 2008), la présente étude montre que la polyvictimisation caractérisée par de la négligence parentale et de l’abus sexuel semble

également être un élément important dans l’émergence de CSP. De plus, ces enfants victimes d’abus sexuel sont plus enclins à vivre de l’abus physique et de l’abandon comparativement à ceux qui n’ont pas été abusés sexuellement au cours de l’enfance. Par conséquent, ces résultats sont corroborés par certains travaux scientifiques récents qui soutiennent que l’expérience d’abus sexuel durant l’enfance se vivrait dans un contexte où il y a d’autres types de victimisation (Crea et coll., 2018 ; Finkelhor et coll., 2007b). À titre d’illustration, dans l’étude de Finkelhor et coll. (2007b) les auteurs mentionnent, entre autres, que les jeunes victimisés sexuellement semblent plus vulnérables à la victimisation multiple. De ce fait, dans la présente étude, il est possible de conclure que parmi les jeunes qui présentent des CSP, ceux abusés sexuellement à l’enfance sont plus susceptibles à vivre d’autres formes de victimisation, et plus spécifiquement, de la polyvictimisation. D’ailleurs, cette observation permet de supposer que l’expérience de victimisation sexuelle vécue à l’enfance semble être un facteur de risque important à la polyvictimisation. Afin de faire un lien avec la propension de présenter des CSP, une piste explicative est formulée. Celle-ci est que les enfants victimes d’abus sexuel sont plus vulnérables à la polyvictimisation. Or, cette accumulation de traumatismes ayant des répercussions plus importantes sur ces derniers (p.ex., Finkelhor et coll., 2014 ; Lewis et coll., 2016) les rend davantage à risque de développer des CSP.

Dès lors, afin de mieux comprendre l’influence de cette polyvictimisation sur le développement de CSP, un parallèle peut être fait avec la théorie de l’attachement telle que suggérée par Marshall et coll. (1993). Selon cette théorie, les difficultés émergeant des faibles liens d’attachement parent-enfant jouent un rôle central dans le développement des CSP. De manière plus précise, cette vulnérabilité présentée sous la forme d’un attachement insécure provient essentiellement de perturbations de la qualité des liens d’attachement entre l’enfant et son parent, résultant d’expériences difficiles au sein de la famille au cours de la période de l’enfance. À cet effet, les jeunes qui commettent un délit à caractère sexuel ont souvent été victimes, à l’enfance, de maltraitance et de négligence parentale, menant à un attachement insécure, et plus particulièrement, de type désorganisé. Ce processus d’attachement développé à l’enfance sert de modèle pour les relations futures et l’intimité (Marshall, 1993). Les enfants ayant un attachement insécure ne grandissent pas sans avoir besoin d’amour et d’intimité, ils n’ont tout simplement pas la possibilité de répondre à ces besoins. Selon

Marshall (1989 ; 1993), les comportements parentaux menant à un attachement insécure peuvent avoir pour conséquence d’amener le jeune à manquer de confiance en soi. Celui-ci n’aura donc pas les habiletés nécessaires afin de créer des relations intimes avec ses pairs du même groupe d’âge.

Autrement dit, selon cette théorie, les épisodes de victimisation vécus tôt à l’enfance perturberaient le développement des liens d’attachement, ce qui peut entraîner des difficultés sur le plan interpersonnel. Ces difficultés peuvent s’exprimer notamment par la présence de comportements agressifs et de CSP (p.ex., Lussier & Healey, 2010). Plus spécifiquement, les liens d’attachement perturbés facilitent l’apparition de CSP par le fait que ces jeunes tenteront de répondre aux besoins d’intimité principalement par l’activité sexuelle (Marshall et coll., 1993). Dans ce cas, les CSP peuvent être considérés comme étant la conséquence d’une carence affective et de mauvaises habiletés sur le plan interpersonnel dans la formation de relations intimes avec les pairs. À ce propos, des travaux scientifiques suggèrent que les comportements sexualisés des jeunes peuvent représenter un effort pour gagner en proximité physique et en intimité (Merrick et coll., 2008). Par contre, afin de faire face aux traumatismes engendrés par la victimisation, ces enfants présentent plutôt des comportements sexualisés de nature agressive qui ne sont pas adaptatifs pour ceux-ci (Gilgun, 2006). Également, au plan clinique et développemental, il est possible que les comportements sexualisés puissent avoir pour but de diminuer l’anxiété ressentie par les enfants. Toutefois, dans le cas où l’enfant a développé un attachement désorganisé et dont les représentations de soi et des autres sont très perturbées (Rholes et coll., 2016), le tout exacerbé par l’abus sexuel et la polyvictimisation, peut faire en sorte que le jeune ait des problèmes d’empathie, d’agressivité et d’hostilité (p.ex., Smallbone, 2005). Ceci peut créer un contexte favorable à la manifestation de CSP chez l’enfant par la suite (p. ex., Lussier & Healey, 2010).

Il est également possible de supposer que les jeunes qui vivent de la polyvictimisation à l’enfance font partie de la trajectoire étiologique de la délinquance sexuelle des mineurs élaborée par Marshall et Marshall (2000). En fait, selon cette trajectoire, il y a une perturbation dans la qualité des liens d’attachement entre un enfant et son parent à la suite

d’expériences d’abus et de négligence précoce. Ces expériences traumatiques établissent une certaine vulnérabilité chez le jeune et peuvent créer un contexte propice, le rendant plus enclin à vivre une expérience d’abus sexuel par la suite. Cette expérience de victimisation sexuelle amène alors le jeune à développer une sexualité inappropriée qui peut devenir, entre autres, normalisée par l’utilisation de distorsions cognitives. À cet effet, la victimisation vécue tôt à l’enfance peut contribuer au développement de croyances qui mènent le jeune à interpréter faussement certaines situations. Cela le prédisposerait ainsi au développement de comportements sexuels abusifs ou illégaux (Marshall & Marshall, 2000). Dans cette optique, les jeunes du présent échantillon avec des CSP vivent de la victimisation de façon précoce, mais plus précisément, ils subissent de la polyvictimisation. Il est donc possible que cette victimisation multiple favorise le développement de représentations de soi et de figures parentales perturbuées au cours de l’enfance et crée ainsi une vulnérabilité à la victimisation sexuelle. Ensuite, cette expérience d’abus sexuel deviendrait normalisée chez le jeune, alors que ses représentations de soi et des autres sont très perturbées (Rholes et coll., 2016). Cette trajectoire de polyvictimisation vécue tôt dans le développement semble donc avoir des répercussions importantes sur le plan interpersonnel du jeune, le rendant plus susceptible au développement de CSP par la suite.

D’autre part, les résultats de la présente étude indiquent que les jeunes abusés sexuellement à l’enfance sont plus enclins à la revictimisation sexuelle comparativement à ceux n’ayant pas vécu d’expérience d’abus sexuel à l’enfance. Effectivement, près de la moitié des enfants victimes d’abus sexuel vit à nouveau au moins une expérience de victimisation sexuelle au cours de l’adolescence. Ce résultat concorde avec des recherches scientifiques antérieures, réalisées sur une plus courte période, qui montrent la revictimisation des jeunes abusés sexuellement. À ce propos, l’étude de Finkelhor et coll. (2014) a notamment permis de souligner l’importance de considérer l’exposition à la victimisation multiple en lien avec la victimisation sexuelle passée et ultérieure. Effectivement, dans leur étude, les auteurs ont regardé la victimisation des jeunes au cours de deux années consécutives et ils mentionnent que la revictimisation sexuelle n’est pas forcément liée à une seule expérience d’abus sexuel antérieure, mais plutôt au fait d’avoir été exposé à plusieurs formes de victimisation (Finkelhor et coll., 2014). La conclusion selon

laquelle les jeunes victimisés sexuellement sont plus enclins de vivre à nouveau une expérience d’abus sexuel au cours de leur vie est courante dans les écrits scientifiques. Néanmoins, cette hypothèse peut être vraie étant donné qu’une grande proportion de jeunes abusés sexuellement vivent de la polyvictimisation. À cet effet, dans la présente étude, les jeunes abusés sexuellement à l’enfance vivent d’autres types de victimisation au cours de cette période. Plus exactement, ils vivent de la polyvictimisation à l’enfance, ce qui peut expliquer le fait qu’ils soient plus vulnérables à une revictimisation sexuelle au cours de l’adolescence. Certes, l’abus sexuel vécu à l’enfance n’influencerait pas de manière spécifique le fait de vivre à nouveau de la victimisation sexuelle au cours de l’adolescence (Finkelhor et coll., 2014). Il s’agit plutôt du fait que les jeunes abusés sexuellement soient polyvictimisés qui les rend plus vulnérables à la revictimisation sexuelle au cours de l’adolescence. De ce fait, les données de la présente étude permettent d’avancer la piste explicative que les CSP d’un jeune jouent un rôle modérateur entre la polyvictimisation à l’enfance et la revictimisation sexuelle au cours de l’adolescence. Afin d’appuyer ce propos, certains chercheurs ont par le passé examiné certains mécanismes pouvant expliquer les risques de revictimisation sexuelle. De ces facteurs, les liens d’attachement perturbés et les comportements de délinquance ont été soulevés (p.ex., Gold, Sinclair, & Balge, 1999). En ce sens, la polyvictimisation à l’enfance a des répercussions négatives sur le comportement du jeune, dont le développement de CSP. Durant la période de l’adolescence, ces conséquences (p.ex., la manifestation de CSP) engendrées par le lourd fardeau de cette polyvictimisation précoce peuvent accroître le risque de réaction violente et ainsi d’être victimisé à nouveau (Finkelhor, 2008 ; Hosser et coll., 2007). Les problèmes comportementaux d’un jeune, dont ceux de nature sexuelle, émergeant d’une polyvictimisation précoce peuvent ainsi créer une vulnérabilité à une victimisation supplémentaire (Turner et coll., 2010).