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Chapitre 1 : Recension des écrits scientifiques

1.5 Lien entre la polyvictimisation et les comportements sexuels problématiques

Au travers les écrits scientifiques, il est possible de constater que la maltraitance envers les enfants peut mener à des problèmes de comportement chez ceux-ci, dont des comportements de délinquance (Pereda, Abad, & Guilera, 2015). De ce fait, cela suggère que les jeunes ayant des comportements sexuels illégaux auraient également connu de la victimisation (Harrelson, Alexander, Morais, & Burkhart, 2017). Toutefois, à ce jour, la plupart des études portant sur les jeunes ayant commis un délit à caractère sexuel se sont centrées sur le rôle et l’importance des expériences de victimisation sexuelle sur le développement de la conduite sexuelle. Alors que des recherches ont démontré que les enfants avec des CSP ont vécu l’abus sexuel, d’autres études ont plutôt souligné le fait qu’une proportion importante d’entre eux ne présentent pas seulement qu’une histoire de victimisation sexuelle (p.ex., Silovsky & Niec, 2002). À titre d’exemple, dans une méta- analyse, Seto et Lalumière (2010) ont trouvé une prévalence plus élevée de violence physique et de négligence parmi les adolescents délinquants sexuels, comparativement aux jeunes ayant commis un autre délit et aux adolescents non délinquants. Également, des écrits scientifiques menés auprès de jeunes ayant des CSP montrent que les trajectoires développementales conduisant à de tels comportements sont plus complexes et caractérisées par des adversités distinctes (p.ex., Gray et coll., 1999). Ces expériences d’adversité se traduiraient sous différentes formes, comme la maltraitance, les conflits familiaux, de même qu’une mauvaise surveillance parentale envers l’enfant (p.ex., Gray et coll., 1999 ; Grossi, Brereton, Lee, Schuler, & Prentky, 2017 ; Pithers, Gray, Busconi, & Houchens, 1998a, b). Ainsi, certains chercheurs travaillant sur le phénomène des CSP ou de la délinquance sexuelle

des mineurs ont voulu montrer un lien entre les multiples formes de victimisation vécues et ces comportements chez les jeunes (Coutu et coll., 2015 ; Hall et coll., 1998 ; 2002 ; Lussier et coll., 2018 ; Tarren-Sweeney, 2008).

Notamment, Gray et coll. (1999) ont examiné les caractéristiques démographiques, l’adaptation psychologique et l’histoire de maltraitance chez les enfants ayant des CSP. Aux fins de cette étude, un échantillon (n = 127) d’enfants âgés entre six et 12 ans et ayant des comportements sexuels inappropriés est utilisé. Les enfants à l’étude ainsi que leurs parents ont été référés par un professionnel en santé mentale, des services de protection de la jeunesse ou l’école de l’enfant. Afin de recueillir les données, ces jeunes et leurs parents ont passé une batterie de tests psychométriques. Les résultats obtenus indiquent que plus de la moitié (56 %) de l’échantillon a vécu de multiples formes de victimisation. Également, l’âge moyen pour lequel les enfants ont vécu leur première expérience de victimisation est de quatre ans. De plus, les enfants ayant des CSP vivraient davantage de difficultés d’attachement envers leur parent. Enfin, parmi les jeunes de l’échantillon, un grand nombre d’entre eux ont des problèmes de comportement et un déficit de l’attention et de l’hyperactivité.

Dans le même d’ordre d’idée, Hall, Stinson et Moser (2018), ont étudié l’association entre les expériences d’adversités (p.ex., abus physique, abus sexuel, violence familiale), les placements en famille d’accueil et l’apparition de comportements sexuels abusifs chez les jeunes. Pour ce faire, ils ont examiné les dossiers archivés d’adolescents (n = 120) ayant été traités dans un établissement privé pour comportements sexuels abusifs entre 2003 et 2014. Les jeunes de l’échantillon sont tous âgés entre 11 et 17 ans. De manière générale, les résultats obtenus indiquent que les jeunes présentant des comportements sexuels abusifs ont vécu davantage d’expériences d’adversité comparativement à des échantillons provenant des écrits empiriques antérieurs, tels que des échantillons d’hommes de la population générale, d’hommes ayant commis une infraction sexuelle et d’adolescents impliqués dans le système de justice pour mineur. Ainsi, ces chercheurs concluent que les multiples expériences d’adversité semblent être associées au risque d’apparition de comportements dysfonctionnels, dont ceux de nature sexuelle. Cette constatation souligne donc l’importance

d’investiguer les influences des multiples formes de victimisation vécues à l’enfance liées au développement des comportements sexuels abusifs à l’adolescence.

Par ailleurs, Merrick, Litrownik, Everson et Cox (2008) ont, pour leur part, réalisé une étude dans le but d’approfondir les connaissances entourant le lien entre la maltraitance, autre que l’abus sexuel, et les CSP chez les jeunes. Ces chercheurs ont également examiné les expériences de victimisation lors des différentes périodes développementales chez les jeunes, soit la maltraitance précoce (c.-à-d., avant l’âge de quatre ans) et la maltraitance tardive (c.-à-d., entre l’âge de quatre et huit ans). Dans leur étude, les différentes formes de maltraitance explorées sont l’abus physique, l’abus émotionnel et la négligence. Pour se faire, ils ont eu recours à un échantillon (n = 690) de jeunes sans antécédent d’abus sexuel ayant participé à une étude prospective, soit Longitudinal Studies of Child Abuse and Neglect. Tous les dossiers des services de protection à l’enfance avant l’âge de huit ans ont été utilisés, de même que le score obtenu au questionnaire Child Sexual Behavior Inventory (CSBI ; Friedrich et coll., 1992) alors que le jeune était âgé de huit ans. Les résultats indiquent qu’autant les signalements précoces (c.-à-d., avant l’âge de quatre ans) que les signalements tardifs (c.-à-d., entre l’âge de quatre ans et huit ans) concernant l’abus physique augmentent de manière significative les probabilités qu’un enfant manifeste des CSP. Il en est de même pour les signalements tardifs concernant l’abus émotionnel. Enfin la violence physique était la forme de maltraitance la plus associée aux CSP autant chez les garçons que chez les filles. Les résultats de cette étude suggèrent donc que les mauvais traitements, autres que l’abus sexuel, ainsi que les périodes de développement au cours desquelles la maltraitance a eu lieu, sont d’une grande importance dans le développement de comportements sexuels inappropriés chez les jeunes.

Par ailleurs, quelques recherches scientifiques ont plutôt porté une attention particulière au lien entre la victimisation, les délits d’ordre sexuel commis par un jeune et l’âge auquel ce dernier a manifesté ces comportements. C’est le cas, notamment, de l’étude de Burton (2000) réalisée à partir d’un échantillon (n = 263) de jeunes ayant commis des délits sexuels et recevant des services dans trois établissements du Michigan. Les données utilisées concernant la victimisation ont toutes été autorapportées à l’aide de questionnaires.

Aux fins de cette étude, l’échantillon fut divisé en trois groupes, soit un premier groupe (n = 48) comprenant des jeunes ayant rapporté des CSP avant l’âge de 12 ans, un deuxième groupe (n = 130) comprenant des jeunes ayant rapporté avoir commis un délit à caractère sexuel après l’âge de 12 ans et un troisième groupe (n = 65) composé de jeunes ayant rapporté avoir commis une infraction sexuelle en continuité, à savoir avant et après l’âge de 12 ans. Tout d’abord, les résultats révèlent que les jeunes de l’échantillon total ont des niveaux plus élevés de traumatisme comparativement à ceux de la population générale. D’autre part, cette étude n’est pas parvenue à obtenir de différences significatives entre les trois groupes de jeunes ayant commis un délit sexuel concernant le niveau de complexité de la victimisation antérieure vécue. Néanmoins, des distinctions peuvent tout de même être soulevées. En fait, les résultats montrent que les jeunes dont les comportements sexuels abusifs étaient en continuité ont obtenu des niveaux plus élevés sur les échelles d’abus sexuel et émotionnel comparativement aux deux autres groupes d’adolescents à l’étude. Ainsi, les jeunes ayant commis une infraction sexuelle en continuité présenteraient des expériences d’abus sexuels et émotionnels plus sévères et complexes. Malgré les résultats de ces études, le lien entre la victimisation et la délinquance sexuelle demeure nébuleux. Cela peut s’expliquer par le fait que la plupart des études sur le sujet ont misé sur un devis transversal ne permettant pas de bien comprendre les facteurs associés aux différentes périodes développementales.

Certains chercheurs ont, quant à eux, examiné les expériences d’adversité des jeunes ayant des CSP, dans une perspective développementale. C’est le cas de l’étude longitudinale de Lussier et coll. (2018) ayant permis d’identifier des trajectoires qui mettent en lumière, entre autres, l’histoire d’adversité vécue par les jeunes avec des CSP. De manière plus précise, ces chercheurs ont voulu décrire, contextualiser et examiner l’histoire d’adversité des enfants et des jeunes référés pour des CSP aux services de protection de la jeunesse. Pour ce faire, un échantillon (n = 957) de jeunes référés aux services de protection de la jeunesse du Centre universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale est utilisé. Plus précisément, les jeunes de l’échantillon présentaient tous des CSP selon l’article 38 f) de la Loi de la protection de la jeunesse (LPJ) et étaient tous âgés de 17 ans au moment de la collecte de données. Les résultats obtenus révèlent quatre trajectoires développementales distinctes de jeunes manifestant des CSP. Tout d’abord, il y a les jeunes

qui présentent un taux élevé et chronique de références en protection de la jeunesse (High rate chronic) où ces jeunes ont généralement eu leur premier contact avec la DPJ en bas âge et généralement dû à de la négligence parentale. Ce groupe de jeunes avait le nombre le plus élevé de références en protection de la jeunesse jusqu’à l’âge de 17 ans. Également, alors que la négligence parentale et les problèmes de comportement caractérisaient ce groupe, d’autres types de maltraitance étaient fréquents chez ces jeunes, tels que l’abus physique, l’abus sexuel, l’abandon, de même que la violence psychologique. Ensuite, un deuxième groupe de jeunes ayant un taux stable et faible de références en protection de la jeunesse est identifié (Stable low). Ce groupe est caractérisé par des signalements à la DPJ pour différents types d’abus et de problèmes de comportement plus tard au cours de la vie du jeune. Une troisième trajectoire à progression lente est identifiée (Slow rinsing chronic), où le premier contact avec la DPJ se présente vers la fin de l’enfance et par la suite, avec un nombre de plus en plus élevé de références en protection de la jeunesse. Le premier contact avec la DPJ était plus diversifié pour les jeunes de ce groupe comparativement aux autres groupes. En outre, plus de la moitié des jeunes de ce groupe, à savoir 54 % ont eu un signalement lié à la victimisation sexuelle. Enfin, le quatrième groupe suggère qu’un premier contact avec la DPJ a eu lieu à l’adolescence (Adolescence onset) et de manière générale concernant des problèmes de comportement. Les résultats ont démontré que seulement 16,5 % des jeunes de ce groupe ont eu au moins un signalement antérieur à la DPJ avant le premier signalement pour CSP. En comparaison, respectivement 61,8 % et 51,2 % des jeunes des groupes Slow rinsing chronic et High rate chronic ont eu au moins une référence avant la première occurrence de CSP. Ainsi, ces résultats indiquent que les jeunes de ces deux groupes ont vécu des expériences d’adversité et ont présenté des problèmes sérieux de comportement avant l’apparition des CSP. Ces chercheurs mettent en lumière le fait que différents patrons de CSP chez les jeunes apparaîtraient dans un contexte d’abus et de maltraitance qui ne se limite pas qu’à la victimisation sexuelle.

Ainsi, peu de travaux de recherche ont été conduits en portant une attention particulière à la polyvictimisation chez les jeunes manifestant des CSP, alors que ceux-ci se sont plutôt intéressés à un seul type de victimisation et essentiellement, à la victimisation sexuelle. De même, le peu de recherche longitudinale réalisée sur la victimisation et la

délinquance sexuelle chez les mineurs empêche de statuer sur la séquence réelle d’apparition des différents facteurs en cause, laissant un lien nébuleux entre la victimisation et la délinquance. Pour ces raisons, le présent projet de mémoire insiste sur la problématique de la polyvictimisation chez une clientèle de jeunes qui présentent des CSP, et ce, dans un cadre longitudinal, afin de mieux comprendre l’effet cumulé de ces différentes formes de victimisation ou de maltraitance.

1.6 Caractéristiques spécifiques des victimisations et comportements sexuels