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Chapitre 4 : Discussion

4.3 Différences entre les filles et les garçons concernant les formes de victimisation

Il a été constaté que peu d’études longitudinales portant sur des échantillons de jeunes manifestant des CSP ont examiné les différences entre les sexes concernant l’histoire de victimisation et de polyvictimisation (Lussier et coll., 2018). Effectivement, un nombre limité de recherches s’est concentré sur les impacts différentiels de la polyvictimisation des filles et des garçons (Finkelhor et coll., 2007a). À vrai dire, la plupart des écrits scientifiques antérieurs portant sur la victimisation vont comparer les jeunes entre eux, et ce, sans distinguer le sexe du jeune. Également, un bon nombre d’études empiriques en lien avec la victimisation sexuelle à l’enfance reposent sur des échantillons de filles, ayant pour conséquence de rendre moins précises les mesures rattachées à l’abus sexuel chez les garçons (Maikovich-Fong & Jaffee, 2010).

Dans ce contexte, il importe de connaître s’il existe des différences entre les filles et les garçons concernant cette polyvictimisation afin de mieux comprendre cette influence sur le développement de CSP selon le sexe. Le présent mémoire permet donc de préciser les différences entre les filles et les garçons abusés sexuellement à l’enfance sur la base des différentes trajectoires de victimisation vécues tant à l’enfance qu’à l’adolescence. Pour ce

faire, des comparaisons furent réalisées entre les filles abusées sexuellement à l’enfance et celles n’ayant pas vécu d’abus sexuel au cours de cette période, puis entre les garçons abusés sexuellement à l’enfance et ceux n’ayant pas été abusés sexuellement au cours de cette période. Ces comparaisons ont permis de mieux voir les répercussions de la victimisation et de la polyvictimisation chez les filles, puis chez les garçons (voir Papalia et coll., 2017).

Quelques études empiriques antérieures ont montré qu’il y avait plus de similitudes que de différences entre les sexes concernant leur motif de référence en service de protection de la jeunesse tout au long de leur vie (p.ex., Carpentier et coll., 2006). Similairement à ces travaux de recherche, aucune distinction significative n’est observée entre ces groupes en ce qui a trait aux trajectoires de victimisation vécues au cours des deux périodes développementales. Néanmoins, sans être significatives, dans le présent projet de mémoire, certaines distinctions peuvent être soulignées.

4.3.1 Victimisation et polyvictimisation à l’enfance selon le sexe

Tout d’abord, parmi les jeunes qui présentent des CSP avant l’âge de 18 ans, une proportion plus grande de garçons abusés sexuellement à l’enfance vit une autre forme de victimisation ou même deux autres formes de victimisation durant l’enfance. Ainsi, il est possible de soulever l’hypothèse selon laquelle les garçons vivraient davantage dans un contexte de polyvictimisation au cours de l’enfance comparativement aux jeunes filles. À vrai dire, près de 90 % des garçons abusés sexuellement vivent dans un contexte de polyvictimisation au cours de l’enfance. Pour ce qui est des filles, près de 80 % de celles-ci vivent de la polyvictimisation au cours de l’enfance. Ainsi, malgré le fait que les études empiriques passées aient mis l’accent sur des échantillons de filles abusés sexuellement, la présente étude permet d’apporter un certain bémol en soulignant que les garçons abusés sexuellement vivent également de la victimisation et de la polyvictimisation. D’ailleurs, ce dernier résultat est appuyé par des études scientifiques passées qui démontrent que les garçons abusés sexuellement sont plus susceptibles d’accumuler plusieurs expériences d’adversité, dont des histoires de victimisation au cours de leur vie comparativement aux jeunes filles abusées sexuellement (voir également, Papalia et coll., 2017). De ce fait, la polyvictimisation au cours de l’enfance vécue davantage chez les garçons peut expliquer, en

quelque sorte, que ceux-ci soient plus nombreux à présenter des CSP (Gray et coll., 1999 ; Lussier et coll., 2018 ; Vizard, Hickey, French, & McCrory, 2007).

4.3.2 Victimisation et polyvictimisation à l’adolescence selon le sexe

À l’inverse, à l’adolescence, les résultats montrent que les filles abusées sexuellement durant l’enfance sont plus nombreuses à vivre dans un contexte de polyvictimisation comparativement aux garçons abusés sexuellement à l’enfance. Également, plus de la moitié des filles abusées sexuellement à l’enfance sont victimisées sexuellement à nouveau au cours de l’adolescence. En conformité avec certaines études précédentes, ce résultat peut s’expliquer par le fait que certains types de victimisations semblent augmenter avec l’âge, comme l’abus sexuel (Finkelhor et coll., 2005c) et que les filles sont plus à risque de victimisation sexuelle à l’adolescence (Chaplo et coll., 2017 ; Cyr et coll., 2017). Cela les rendrait d’ailleurs plus vulnérables à vivre dans un contexte de polyvictimisation durant cette période (Cyr et coll., 2012 ; Finkelhor et coll., 2007b ; Finkelhor et coll., 2005c ; Papalia et coll., 2017). Il est donc possible d’émettre l’hypothèse que pour ces jeunes filles, la victimisation sexuelle précoce est un facteur de risque de la victimisation sexuelle à l’adolescence. Toutefois, les résultats permettent d’y amener un certain bémol. En effet, une grande proportion des jeunes qui sont abusés sexuellement à l’enfance vivent dans un contexte de polyvictimisation. Cette polyvictimisation peut ainsi mieux expliquer la revictimisation sexuelle au cours de l’adolescence chez ces filles. De surcroît, la présente étude apporte un autre élément important. À vrai dire, les filles abusées sexuellement à l’enfance sont plus enclines de subir des mauvais traitements psychologiques (p.ex., indifférence, attitude hostile des parents) à l’adolescence.

Par ailleurs, bien que la majorité des études empiriques aient porté sur des échantillons de filles abusées sexuellement (Maikovich-Fong & Jaffee, 2010), les résultats de la présente étude mettent en lumière que la revictimisation sexuelle est également présente chez les garçons et qu’il s’agit d’une problématique importante chez ceux-ci. En effet, 35 % des jeunes garçons abusés sexuellement vivent à nouveau une expérience d’abus sexuel au cours de l’adolescence. Néanmoins, ce résultat est similaire à certaines études réalisées auprès d’hommes provenant de la population générale. Par exemple, Aosved, Long et Voller

(2011) ont trouvé qu’une plus grande proportion d’hommes ayant vécu une agression sexuelle mentionnent revivre l’abus sexuel au cours de leur vie. De même, à l’adolescence, les jeunes garçons abusés sexuellement à l’enfance sont plus susceptibles à vivre de l’abus physique. Le fait que ces jeunes garçons soient plus enclins à vivre de l’abus physique durant la période de l’adolescence concorde avec quelques études antérieures qui soutiennent que ceux-ci sont plus souvent victimes d’abus physique que les filles (Clément, Chamberland, Côté, Dubeau, & Beauvais, 2005 ; Lee & Kim, 2011). Ce faisant, ces résultats permettent de soulever l’hypothèse selon laquelle pour ces garçons, la victimisation sexuelle à l’enfance est un facteur de risque important à la revictimisation sexuelle à l’adolescence, mais également, à l’abus physique.

À la lumière de ces résultats, une autre hypothèse peut être soulevée concernant le lien entre la victimisation, la revictimisation et les CSP. En fait, les jeunes qui présentent des CSP seraient plus vulnérables à la victimisation (voir Letourneau et coll., 2018). À cet effet, la présente étude permet de préciser que les jeunes filles qui présentent des CSP et qui ont été abusées sexuellement à l’enfance sont plus susceptibles de vivre à nouveau de l’abus sexuel à l’adolescence, mais également, elles sont plus à risque de subir des mauvais traitements psychologiques. Pour ce qui est des jeunes garçons qui présentent des CSP et qui ont été abusés sexuellement à l’enfance, ceux-ci sont également plus enclins de vivre à nouveau une expérience d’abus sexuel à l’adolescence, en plus de l’abus physique. Il se peut donc que les CSP développés à la suite de victimisation à l’enfance accroissent le risque de victimisation supplémentaire à l’adolescence chez ces filles et ces garçons, en causant davantage d’exigences auprès de leurs parents (Finkelhor, 2008).

4.4 Abus sexuel, polyvictimisation et continuité des comportements sexuels