• Aucun résultat trouvé

Un des défis majeurs dans l’étude des TSA est d’identifier les symptômes les plus précoces dans la cascade de dérégulation du processus de développement typique, notamment du fait que la dimension développementale des TSA ajoute des facteurs confondants liés à la trajectoire de ce trouble (van Heijst and Geurts, 2015). En effet, contrairement aux troubles psychiatriques qui se manifestent à l’âge adulte avec un tableau clinique plus ou moins stable (par exemple la schizophrénie ou les troubles bipolaires), les troubles neuro- développementaux présentent cette particularité que les symptômes évoluent avec le temps, avec des acquisitions qui peuvent être repoussées, absentes ou dysfonctionnelles. Cette évolution de la manifestation des symptômes au cours de la vie semble être sous-tendue par une trajectoire atypique de la maturation du cerveau (Courchesne et al., 2011a; Szatmari et

al., 2015). De ce fait, l'étude du tableau clinique ponctuel à un âge donné peut négliger la

dimension développementale de ce trouble. Des approches de plus en plus sophistiquées se sont développées, qui permettent l’évaluation de l’évolution symptomatique. Cependant, il est importent de signaler que les études actuelles sur les trajectoires des enfants avec TSA reflètent le devenir des individus diagnostiqués il y a 20-30 ans. En effet, une grande partie des recherches sur des interventions précoces basées sur l’épreuve dans les TSA a été menée

54 au cours des dix dernières années (Rogers and Vismara, 2008). De ce fait, il est important de garder à l’esprit que les résultats rapportés ci-dessous concernent des adultes qui n’ont probablement pas bénéficié de thérapies adaptées.

Malgré le fait que le diagnostic de TSA persiste au cours de la vie, peu de littérature existe sur le devenir des personnes avec TSA (Nordin and Gillberg, 1998; Howlin, 2000; Eaves and Ho, 2008). Actuellement, la plupart des personnes diagnostiquées avec TSA dans l’enfance ne deviennent pas des individus indépendants à l’âge adulte (Howlin and Moss, 2012; Howlin et

al., 2013, 2014). De plus, il a été montré que deux groupes peuvent être identifiés : un groupe high functioning (présentant un QI normal ou haut) avec des symptômes qui tendent vers une

amélioration au cours du temps (Stevens et al., 2000; Szatmari et al., 2003) et un groupe low

functioning (présentant une déficience intellectuelle) avec des symptômes qui présentent peu

ou pas d’évolution.

Des études longitudinales plus récentes ont été réalisées sur l’évolution des TSA au cours de l'enfance et de l'adolescence (Anderson et al., 2011; Baghdadli et al., 2012; Fountain et al., 2012). En effet, chez la plupart des individus avec TSA, les symptômes sont relativement stables entre l'âge de 2 ans et l'adolescence. Environ 20 % des enfants qui sont diagnostiqués avec TSA présentent un développement vraisemblablement typique au cours des 2 premières années de vie, puis une régression (Ozonoff et al., 2008; Stefanatos, 2008). De plus, environ 10 % des individus présentent des trajectoires d'amélioration (Fountain et al., 2012; Gotham

et al., 2012). Une étude récente a confirmé l'indépendance de la sévérité des symptômes et

des anomalies du comportement adaptatif (Szatmari et al., 2015). Dans cette étude, les auteurs ont mesuré la sévérité des TSA par l’ADOS et le fonctionnement adaptatif par l’échelle

55 de Vineland chez des enfants âgés de 2 à

4 ans, et ont montré qu’il existe des trajectoires distinctes en fonction de ces domaines. En effet, l’amélioration du fonctionnement adaptatif a été signalée pour environ 20 % des enfants, alors que la sévérité des symptômes autistiques semblait être plus stable, avec environ

11 % des enfants présentant une diminution marquée de la sévérité des symptômes (Szatmari

et al., 2015) (Figure 5).

Les études mentionnées ci-dessus rapportent les trajectoires des enfants ayant un diagnostic de TSA. Cependant, un nouveau champ d’étude s’est développé au cours des dernières années sur les trajectoires développementales des enfants à risque familial de développer des TSA. En effet, dans le groupe à risque, c’est-à-dire dans le groupe d'enfants ayant un frère ou une sœur diagnostiqué(e) TSA, environ 20 % des enfants auront un diagnostic de TSA à l’âge de 3 ans (Ozonoff et al., 2011; Jones and Klin, 2013a). Dans ce cadre, ces études ont pour but d’investiguer la présence d’anomalies qui seraient présentes avant l’installation d’un tableau clinique permettant d’établir le diagnostic. Dans une étude prospective longitudinale, Ozonoff et al en 2010 ont comparé le comportement de socialisation (par exemple la fréquence du regard vers les visages, les sourires sociaux etc.) à l’âge de 6, 12, 18, 24 et 36 mois chez 25 enfants à risque plus tard diagnostiqués avec TSA et 25 enfants à risque ayant finalement présenté un développement typique. Les auteurs ont observé des comportements sociaux équivalents entre les deux groupes à l’âge de 6 mois mais des trajectoires de diminution Figure 5. Trajectoires développementales de la sévérité des symptômes mesurée par l’ADOS (Szatmari et al., 2015)

56 significative de comportement de socialisation sont apparues dans le groupe qui a ensuite été diagnostiqué avec TSA, avec des différences significatives entre les groupes à l'âge de 12 mois (Ozonoff et al., 2010). Dans une étude similaire de la même équipe, ces résultats ont été confirmés, cette fois-ci fondés sur des échelles standardisées (ADOS) : les groupes qui auraient plus tard un développement typique ou un diagnostic de TSA ne pouvaient pas être distingués à l'âge de 6 mois mais différaient significativement à l’âge de 12 mois (Ozonoff et al., 2014). Une autre étude réalisée par Landa et al. a examiné les trajectoires des capacités sociales, linguistiques et motrices chez 235 enfants âgés de 6 à 36 mois. Elle observe, comme l’équipe d’Ozonoff, que les enfants plus tard diagnostiqués avec TSA ne peuvent pas être distingués des enfants ayant un développement typique à l’âge de 6 mois (Landa et al., 2013). De façon intéressante, elle rapporte que les enfants qui seront diagnostiqués avec TSA peuvent être divisés en deux sous-groupes : un groupe qui diffère des enfants avec développement typique très tôt, avant l’âge de 14 mois, et un autre qui diffère plus tard, à 24 mois (Landa et al., 2013). Ces études présentent néanmoins des limites importantes : elles portent sur des comportements complexes et se fondent sur des méthodes d’évaluation dépendant de l’examinateur, ce qui les rend subjectives et peu reproductibles.

Au-delà des comportements complexes, des anomalies sont détectées très tôt dans le développement dans les TSA au niveau du regard. En effet, des techniques récentes d’« eye-

tracking » permettent d’étudier le comportement du regard de façon objective (voir ci-

dessous le chapitre « L’eye-tracking : un outil pour étudier le comportement du regard »). Grâce à l’eye-tracking, nous savons que des anomalies du regard sont déjà présentes chez les très jeunes enfants qui auront plus tard un diagnostic de TSA, et cela bien avant le tableau qui mène au diagnostic et bien avant les comportements évalués par les études exposées ci-

57 dessus (Jones and Klin, 2013b; Pierce et al., 2016). Ainsi, les anomalies du regard ont été proposées en tant que bio-marqueur précoce de l’autisme (Pierce et al., 2016). Ces anomalies jouent certainement un rôle important dans la cascade de dysfonctionnements observés dans les TSA et sont ainsi centrales dans sa trajectoire développementale. Vu l’importance de ce comportement, le chapitre suivant y sera consacré.