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Étude de la perception du regard en eye-tracking dans le développement

II.10 Le regard dans les TSA

II.10.2 L’eye-tracking : un outil pour étudier le comportement du regard

II.10.2.1 Étude de la perception du regard en eye-tracking dans le développement

Un des grands avantages de l’eye-tracking dans l’étude de la perception du regard repose sur sa faisabilité, notamment chez l’enfant. En effet il s’agit d’une méthode non-invasive, sans

61 contrainte physique pour la réalisation des tests, pouvant être utilisée chez des enfants typiques ou chez des enfants présentant des troubles du développement, quel que soit leur âge ou leur niveau. De plus, l’eye-tracking fournit des données précises et objectives sur le comportement du regard.

L’eye-tracking a permis de confirmer l’importance du comportement du regard très tôt dans le développement typique. Par exemple, il a été montré que des nouveau-nés avec un développement typique préféraient regarder des visages pour lesquels les yeux étaient visibles (Farroni et al., 2002). D’autres études en eye-tracking ont également rapporté une préférence pour des stimuli à caractère social chez les nouveau-nés (Klin et al., 2009a; Pierce

et al., 2011; Jones and Klin, 2013b).

De plus, un pattern de regard spécifique a pu être identifié chez des enfants et des adultes pour la perception des stimuli sociaux. En effet, lors de la visualisation de scènes sociales, le regard porte principalement vers les visages et notamment les yeux au détriment des éléments physiques non-sociaux (Klin et al., 2002b; Jones and Klin, 2013b). Dans une étude récente en eye-tracking, il a été montré que les différents patterns de regard des individus lors de la visualisation de scènes sociales étaient fortement influencés par des facteurs génétiques (Constantino et al., 2017). En effet, dans une série d'expériences en eye-tracking chez 41 paires de jumeaux monozygotes, 42 paires de jumeaux dizygotiques et 42 paires aléatoires, les auteurs ont rapporté une concordance élevée du comportement de regard pour

62 les jumeaux monozygotes (0,91), une

concordance relativement faible pour les jumeaux dizygotes (0,35) et une concordance nulle pour les paires aléatoires (Figure 8). Par ailleurs, les caractéristiques les plus hautement

héritées étaient la préférence pour les yeux et les visages des personnages. Or, un manque de préférence pour les yeux et les visages est largement observée chez des enfants avec TSA, comme nous le discuterons plus loin. Ces résultats suggèrent que des patterns de perception sociale pourraient être considérés comme un endophénotype neurodéveloppemental non seulement pour les TSA mais aussi pour la variation du comportement du regard dans la population générale.

II.10.2.2 Étude de la perception du regard en eye-tracking dans les TSA

Le rôle critique des anomalies du regard dans les TSA ont incité l’adaptation et l’utilisation de techniques sophistiquées telles que l’eye-tracking afin d’étudier ces anomalies. Depuis une quinzaine d’années, la technique de l’eye-tracking est employée pour étudier le comportement du regard des personnes avec TSA. Ces études se fondent notamment sur la présentation de scènes sociales sous forme statique ou dynamique.

Une des premières études en eye-tracking dans les TSA a évalué la reconnaissance d'émotions à partir d’images montrant des expressions faciales (Pelphrey et al., 2002). Les sujets avec TSA Figure 8. L’influence génétique sur les patterns de regard. (Constantino et al. 2017)

63 présentaient à la fois un temps et un nombre réduit de

fixations vers les yeux et le nez des visages (Figure 9). Des résultats similaires ont été rapportés dans une étude de discrimination entre des expressions émotionnelles et neutres et entre des visages familiers et inconnus. Le groupe avec TSA a montré moins de fixations dans les yeux dans les deux conditions (Dalton et al., 2005).

Dans leur étude princeps, Klin et al. 2002 ont utilisé l’eye-

tracking pour étudier le comportement du regard chez 15

adultes et adolescents avec TSA, pendant qu'ils

regardaient des stimuli dynamiques (vidéo) contenant des personnages en interaction sociale, sans tâche spécifique. En effet, des scènes du film « Qui a peur de Virginia Woolf » ont été présentées aux participants afin étudier les différences de pattern de regard entre les deux groupes. Les résultats ont mis en évidence une particularité du pattern de regard de participants avec TSA lorsqu’ils sont face à des stimuli sociaux : une diminution du regard vers les yeux chez le groupe avec TSA ainsi qu’une augmentation du regard vers la bouche et les détails physiques d’arrière-plan dans la scène par rapport au groupe contrôle. Enfin, la fixation de la bouche était un prédicteur fort de la compétence sociale chez les individus avec TSA (Klin

et al., 2002b) (Figure 10). Les points forts de cette étude par rapport aux études précédentes

sont d’une part l’utilisation de stimuli dynamiques et d’autre part l’exploration visuelle passive, sans tâche associée. En effet, les vidéos sont des stimuli plus écologiques que les images statiques. De la même façon, l’exploration visuelle passive pourrait potentiellement révéler de façon plus fidèle les anomalies du regard spontané dans les TSA que le regard lors

Figure 9. Exemples de patterns de regard de deux participants avec un développement typique et deux participants avec TSA (Pelphrey et al., 2002).

64 d’une tâche cognitive. Les études cognitives portant sur les TSA ont rarement été en mesure de démontrer un lien entre les scores des tests standard et les mesures des capacités sociales. Ces résultats suggèrent que l’eye-tracking pourrait être un moyen de faire le lien entre la performance sur les tests standards et la capacité sociale quotidienne des personnes avec TSA.

La question de savoir quel type de stimuli serait le plus approprié pour étudier la perception sociale chez les enfants atteints de TSA a fait l’objet d’une étude menée dans notre laboratoire (Saitovitch et al. 2013). Les résultats de cette étude montraient que les enfants avec TSA regardaient significativement moins les

yeux dans les films réels que dans les dessins animés. De plus, les enfants avec TSA regardaient significativement moins les yeux lorsque les stimuli étaient sous format dynamique (vidéo) que lorsqu'ils étaient sous format statique (images) (Figure 11). Ainsi, ces

Figure 10. Anomalies de la perception sociale chez des adultes avec TSA (Klin et al. 2002). Une diminution du regard vers les yeux, ainsi qu’une augmentation du regard vers la bouche et les détails physiques d’arrière- plan, ont été montrés chez le groupe avec TSA (en vert) par rapport au groupe contrôle (en jaune).

Figure 11. Anomalies de la perception sociale chez des enfants avec TSA en fonction du type de stimuli (Saitovitch et al., 2013).

65 résultats suggèrent que la mesure des anomalies du regard observées dans les TSA dépend fortement du type de stimuli utilisés et que les stimuli les plus appropriés pour discriminer les enfants avec TSA des enfants DT seraient des stimuli écologiques, c’est-à-dire des stimuli dynamiques présentant des personnages réels. Ces résultats pourraient expliquer l'hétérogénéité des résultats des études de la perception sociale dans les TSA utilisant l’eye-

tracking.

Actuellement, la majorité des études récentes en eye-tracking dans les TSA utilisent des

stimuli écologiques et les résultats de ces études montrent de façon très cohérente des

anomalies de la perception sociale dans les TSA (Constantino et al., 2017; Klin et al., 2009a; Pierce et al., 2011, 2016; Jones and Klin, 2013c; Saitovitch et al., 2013; Jones et al., 2008; Annaz

et al., 2012; Fujisawa et al., 2014; Nakano et al., 2010). Certaines études plus anciennes

utilisant des stimuli statiques n'ont pas trouvé d'anomalies du regard chez les individus avec TSA (van der Geest, Kemner, Camfferman, et al., 2002; van der Geest, Kemner, Verbaten, et

al., 2002; Speer et al., 2007), ce qui semble être lié au choix de stimuli (Falck-Ytter et al., 2013).

Des anomalies de perception sociale chez les individus avec TSA ont été détectées non seulement lorsqu'ils observaient des scènes sociales (Jones and Klin, 2013c; Saitovitch et al., 2013; Constantino et al., 2017), mais aussi des mouvements biologiques (Pierce et al., 2011, 2016; Shi et al., 2015). Dans ce cadre, Klin et al 2009 ont utilisé des animations présentant des mouvements sous forme de points lumineux, projetées simultanément côte à côte. Les figures présentant des mouvements biologiques étaient identiques sur les deux côtés de l’écran, sauf

66 que pour l'un des côtés, la figure était inversée de 180 degrés (Figure 12) (Klin et al., 2009a). Lorsque des groupes d'enfants âgés de deux ans ont regardé ces stimuli, le groupe d’enfants avec TSA a montré une moindre préférence pour la vidéo affichant des mouvements biologiques que le groupe d’enfants typiques ou le groupe d’enfants ayant un retard de développement de type non-autistique (Klin et al., 2009a). Par la suite, Pierce et al ont utilisé un paradigme de préférence visuelle pour déterminer si des enfants d’un an à risque d’autisme regarderaient davantage des vidéos présentant des mouvements géométriques que des vidéos présentant des mouvements biologiques (Pierce et al., 2011, 2016). Les résultats ont mis en évidence que les enfants à risque d’autisme, à partir de l’âge de 14 mois, passaient plus de temps à regarder les mouvements géométriques que les mouvements biologiques, ce qui n'était pas le cas pour les groupes contrôles à développement typique ou ayant un retard de développement de type non-autistique (Figure 13). Par ailleurs, même si ce pattern n’a pas été observé chez tous les enfants au niveau individuel, lorsque le temps

67 passé sur le mouvement géométrique était

supérieur à 69 %, l’enfant avait 100 % d'être diagnostiqué plus tard avec TSA (Pierce et

al., 2011).

La mise en évidence des anomalies précoces de la perception sociale par l’eye-tracking

dans les TSA a soulevé la question de la présence de ces patterns atypiques de comportement d’exploration visuelle des stimuli sociaux dans les groupes d’enfants à risque. En effet, l’identification de ces anomalies chez des groupes à risque pourrait soutenir des stratégies d’intervention précoces, ainsi que constituer un bio marqueur comportemental important dans l’évaluation de stratégies thérapeutiques. Les résultats issus d’études en eye-tracking chez les enfants à risque ont montré qu’une diminution du regard vers des indices sociaux peut être observée dès l’âge de 6 mois chez des bébés qui seront plus tard diagnostiqués avec TSA (Elsabbagh et al., 2012; Chawarska et al., 2013).

Jones et Klin 2013 ont utilisé cette méthodologie dans un paradigme d’étude d’enfants à risque et ont rapporté des résultats remarquables : les nouveau-nés diagnostiqués plus tard avec TSA présentent déjà une diminution de regard vers les yeux entre 2 et 6 mois de vie, une trajectoire non observée chez les nourrissons qui ne développent pas de TSA (Figure 14). Ces résultats marquent la détection la plus précoce d’anomalies sociales dans les TSA, mesurés par une méthode objective. Les auteurs suggèrent que le moment de la détérioration du regard révèle le déraillement précoce des processus qui joueraient autrement un rôle clé dans le développement social typique. Les auteurs ont souligné que le fait qu’il y ait une Figure 13. Manque de préférence pour le mouvement biologique chez des enfants qui auront plus tard un diagnostic de TSA (Pierce et al., 2011, 2016)

68 détérioration du regard plutôt qu’une

absence absolue offrait une possibilité prometteuse d'intervention précoce, qui pourrait s'appuyer sur la préservation du mécanisme de regard vers les yeux (Jones and Klin, 2013).

Des anomalies du regard présentes très tôt dans le développement, telles qu’elles peuvent être mesurées par l’eye-tracking, ont permis de mieux comprendre les

premières étapes des dysfonctionnements subséquents qui mèneront à un tableau clinique de TSA. Par ailleurs, la précocité de ces anomalies pourrait avoir un impact déterminant sur la spécialisation des réseaux du cerveau social et l'émergence de l'interaction sociale.

L’ensemble de ces résultats soutient largement l’intérêt de l’utilisation de cette méthode dans l’étude de la perception sociale dans les TSA. En effet, l’aspect objectif des mesures dans les études en eye-tracking les a rendues particulièrement solides pour la consolidation du consensus scientifique concernant les anomalies de perception sociale dans les TSA.

Figure 14. Diminution du regard vers les yeux chez les nouveau-nés diagnostiqués plus tard avec TSA (Jones and Klin, 2013)

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III De l’imagerie nucléaire à l’imagerie par résonance

magnétique : brève histoire de l’imagerie cérébrale

fonctionnelle

L'organisation fonctionnelle du cerveau intéresse l'homme depuis des siècles. Afin de mettre mon travail de thèse en perspective, je présenterai un bref aperçu historique des concepts et des méthodes qui ont constitué l'imagerie cérébrale telle que nous la connaissons aujourd'hui. Jusqu’à l’avènement de l’imagerie cérébrale, les liens entre la cognition et les zones cérébrales spécifiques provenaient d'études réalisées sur des adultes cérébrolésés, appelées « études lésionnelles ». En effet, dans la deuxième partie du XIXe siècle, des milliers d’observations anatomo-cliniques ont permis de relier des déficits moteurs ainsi que des troubles du langage, de la mémoire et du comportement sur ou dans des zones plus ou moins bien localisées du cerveau (Cowan et al., 2000).

En 1861, le neurochirurgien français Paul Broca fait pour la première fois l’association entre une région du cerveau – plus tard appelée « aire de Broca » – et une fonction précise. En examinant les cerveaux post-mortem de patients aphasiques, Broca avait observé des lésions au niveau de l’hémisphère frontal gauche pour la totalité d'entre eux. En conséquence, cette région a été associée au traitement du langage. À la fin du XIXe siècle, avec la même méthode, Wernicke, Lichtheim et d’autres ont également rapporté des lésions du cortex associées à des troubles cognitifs, permettant ainsi d’établir, bien que de façon indirecte, les premières localisations de fonctions cognitives dans le cerveau (Graves, 1997).

70 Jusqu'aux années 1980, l’approche lésionnelle a été la méthode prédominante pour l'étude des liens entre structures et fonctions cérébrales. Cependant, elle présente des limites importantes. En effet, ces études se font nécessairement post-mortem, le lien entre structure et fonction s'établissant donc toujours de façon indirecte. Aujourd’hui, grâce à l’évolution des méthodes d’imagerie cérébrale, de plus en plus fondées sur des techniques très sophistiquées, nous pouvons étudier le cerveau en état de fonctionnement in vivo.

Le champ de l'imagerie fonctionnelle a commencé en 1973 avec les techniques de « tomographie par émission de positons » (TEP) et de « tomographie par émission monophotonique » (SPECT). Ces techniques se fondent sur l’utilisation de molécules marquées par un isotope radioactif, administrées par voie intraveineuse, appelées radio- ligands. La désintégration radioactive des radio-ligands, émetteurs de positons, aboutit à l’émission de rayons gamma (Kevles, 1998) détectables par les scanners TEP. Ensuite, des algorithmes mathématiques permettent de reconstruire des images des coupes de cerveau, et de mettre en évidence des

mesures du fonctionnement cérébral tels que le métabolisme du glucose et le débit sanguin cérébral (DSC) (Figure 15) (Kevles, 1998; Raichle and Mintun, 2006; Raichle, 2009).

Figure 15. Tomographie par émission de positons (TEP). (A) Représentation schématique de l’acquisition des images TEP dans les années 1990. (B) Exemple d’une image TEP-FDG récente obtenue chez un patient avec Alzheimer qui révèle une faible absorption du 18F-FDG, reflétant des déficits dans le métabolisme du glucose, dans les cortex pariéto- temporaux (en particulier dans l'hémisphère droit).

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III.1 Premiers résultats de localisations de fonctions cérébrales