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Les bases de données à grande échelle

Depuis quelques années, le partage de données ouvertes (open-data sharing) est de plus en plus utilisé pour rassembler rapidement des données à grande échelle, et ce dans différents domaines de recherche. L'objectif est de faire face à l’hétérogénéité des résultats rapportés par les études en neuroscience (Kapur et al., 2012; Milham, 2012; Button et al., 2013; Gorgolewski et al., 2013) et plus particulièrement les études sur la connectivité fonctionnelle (Kelly et al., 2012; Craddock et al., 2013).

Lancé en 2012, ABIDE (Autism Brain Imaging Data Exchange), aujourd'hui appelé ABIDE I (Di Martino et al., 2014), a été le premier référentiel de partage de données ouvertes dans les TSA. Cette base de données contient des images de connectivité fonctionnelle au repos en IRMf - resting state (rs-IRMf) ainsi que des images anatomiques de 539 individus avec TSA et 573 témoins, réunies des bases de données de plusieurs institutions internationales. Ce regroupement de données a conduit à la publication de plusieurs dizaines d’études au cours des quatre ans qui ont suivi sa création.

129 Pour ce qui est des anomalies anatomiques, très peu de résultats obtenus par les études effectuées à partir des données d'ABIDE ont été publiés. Dans l'une des seules études portant sur les données anatomiques de cette base, Haar et al. 2016 ont effectué des analyses d’épaisseur corticale et de volume cortical et ont mis en évidence une augmentation du volume des ventricules, une diminution du volume du corps calleux ainsi qu’une augmentation de l’épaisseur corticale dans plusieurs régions, y compris le GTS et STS gauches chez les individus avec TSA. Les anomalies anatomiques classiquement rapportées antérieurement dans les TSA, y compris un volume intracrânien plus important, une diminution du volume du cervelet et une diminution du volume de l'amygdale, n'ont pas été confirmées par cette étude (Haar et al., 2016). En outre, les analyses de classification multivariées ont révélé un taux de bonne classification relativement bas (<60%), ce qui a conduit les auteurs à suggérer que les mesures anatomiques auraient une utilité diagnostique limitée pour les TSA. Cependant, ces résultats doivent être pris avec précaution. En effet, les grands regroupements de données multisites visent à augmenter de la puissance statistique des analyses mais ils ont pour inconvénient la grande hétérogénéité à la fois des protocoles d'acquisition IRM (types d’IRM et de séquence), les instructions données aux participants (yeux fermés ou ouverts) et les stratégies de recrutement (groupe d'âge, intervalle de QI, niveau de déficience, antécédents de traitement et comorbidités acceptables). Finalement, la question se pose des avantages d'une potentielle augmentation de la puissance statistique au détriment de la qualité et de l’homogénéité des données acquises.

En ce qui concerne la connectivité fonctionnelle, les résultats issus de la base de données ABIDE semblent plus cohérents avec les anomalies mises en évidence antérieurement. Une diminution de la connectivité du thalamus au cortex préfrontal gauche, au cortex pariétal

130 postérieur droit et au cortex temporal bilatéral a été observée chez des participants avec TSA par rapport à des témoins (Chen et al., 2016; Glerean et al., 2016; Long et al., 2016). Une autre étude a rapporté une diminution de la connectivité fonctionnelle au niveau des réseaux impliquant le cortex orbitofrontal, le cortex cingulaire antérieur, le gyrus temporal moyen et le précunéus. Ces diminutions étaient corrélées avec la gravité des symptômes (Cheng et al., 2017). Enfin, une diminution significative de la connectivité fonctionnelle a été rapportée entre la jonction temporo-pariétale droite et la région Crus II du cervelet gauche (Igelström et

al., 2017). En 2017, ABIDE II, un nouveau référentiel de partage de données ouvertes multi-

site a été introduit pour l’étude des TSA (Di Martino et al., 2017). Ce nouveau référentiel contient des images de 487 individus avec TSA et 557 témoins. En combinant les données d’ABIDE I et II, les auteurs espèrent améliorer la puissance statistique des résultats concernant les corrélats neuronaux des TSA.

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V Cerveau social

L'expertise de notre espèce pour extraire et traiter des informations sociales pertinentes pour l’interaction a très probablement été sélectionnée naturellement par un processus d'évolution (Adolphs, 2009). Les interactions sociales, essentielles pour la survie du groupe, reposent sur la capacité à inférer l’état d’esprit de notre d’un interlocuteur et à anticiper ses réactions (Frith and Frith, 2005). Dans le domaine des neurosciences, le terme de « cognition sociale » désigne l’ensemble des capacités fondamentales de l'homme à percevoir, catégoriser, mémoriser, analyser, raisonner et se comporter envers autrui (Frith, 2008). Ces dernières années, la recherche dans le domaine de la cognition sociale a connu une croissance rapide.

Même si de nombreuses hypothèses ont été formulées au sujet des processus complexes qui permettent l'existence de comportements sociaux extrêmement diversifiés et flexibles (Apperly, 2008), un consensus existe sur les étapes initiales de ce processus. En effet, le traitement de l'information qui permet l'analyse précise des intentions d’autrui commence par la perception visuelle et auditive d'indices sociaux tels que sa voix, les mouvements de ses yeux, son visage, de ses mains et de son corps. La perception des indices qui fournissent des informations sur les actions et les intentions d’autrui est appelée la perception sociale et joue un rôle clé dans l’adaptation du comportement de l’individu au groupe (Allison et al., 2000).

Comme rapporté dans le chapitre précédent, des études ont depuis le début des années 2000 mis en évidence que très tôt dans le développement humain, un traitement préférentiel de l’information sociale existait déjà (Klin et al., 2009b; Bardi et al., 2011). En effet, dès les

132 premières heures de sa vie, le nouveau-né montre une tendance à regarder des stimuli sociaux (Simion et al., 2008b) et cette tendance persiste au cours du développement, avec une préférence pour les visages et les yeux des personnes (Farroni et al., 2002; Klin et al.,2003; Senju et al.,2008).

Ainsi, une approche évolutive de la cognition sociale prévoit le développement d’un réseau cérébral spécialisé, capable de sous-tendre les divers aspects du comportement social. Grâce aux avancées récentes dans la recherche en neurosciences, il est reconnu que les capacités de cognition sociale dépendent de systèmes cérébraux spécialisés dans la reconnaissance des visages, l'interprétation des actions d'autrui par une analyse de ses mouvements biologiques et de son état émotionnel par analyse de ses expressions faciales (Pelphrey and Carter, 2008). Diverses propositions ont été faites pour décrire les régions du cerveau impliquées dans la cognition sociale mais le modèle qui a largement influencé la recherche dans ce domaine a été décrit par Brothers (1990). Ce modèle propose l'implication de l’amygdale, du cortex orbito-frontal (OFC), des régions inféro-temporales et du sillon temporal supérieur (STS) comme régions clés du « cerveau social ». Depuis, un vif intérêt scientifique pour les bases neurales de la cognition sociale s’est

développé, ce que reflète le nombre croissant d'articles scientifiques portant sur le cerveau social (Adolphs, 1999, 2001, 2009; Ochsner and Lieberman, 2001; Blakemore and Frith, 2004; Saxe and Powell, 2006; Frith, 2007, 2008; Lieberman, 2007; Bickart et al., 2014;

Figure 38. Régions clés du cerveau social : le sillon temporal supérieur (STS), la jonction temporo-pariétale (JTP), l’amygdale, et le cortex préfrontal (CPF)

133 Hari et al., 2015; Parkinson and Wheatley, 2015; Tremblay et al., 2017). La grande majorité de ces études a confirmé le modèle de cerveau social de Brothers 1990 (Figure 38).