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La troisième partie de la thèse questionne l’infertilité féminine liée à l’âge à partir d’une seconde enquête réalisée auprès de femmes de plus de 40 ans inscrites en parcours d’AMP. Lors de la première enquête conduite auprès des professionnels de l’AMP, un discours dominant était formulé à propos de ces femmes : elles n’auraient pas fait les « bons choix » aux « bons moments » dans leur vie, elles auraient « trop » attendu avant de se décider à faire un enfant, autrement dit, elles auraient « pu » ou « du » faire autrement. Ce discours rejoint un propos largement diffusé dans le milieu médical, et dans d’autres strates de la société, considérant que ces femmes sont avant tout des « carriéristes » qui réclament sur le tard un « droit à l’enfant ».

Toutefois, nous avons observé un écart entre discours et pratiques médicales sur ce point. Les médecins sont soumis à une tension entre, d’une part, la norme médicale édictée par le cadre légal à laquelle ils tentent de se conformer et, d’autre part, leur mission de prise en charge de l’infertilité, à la frontière, parfois, du cadre légal. Nous avons ainsi constaté un décalage entre d’un côté, les discours sur les femmes infertiles en raison de leur âge – expliquant que les limites temporelles biologiques s’imposent et que les femmes devraient s’y conformer – et d’un autre côté, les discours sur les pratiques, qui s’avèrent très pragmatiques, et ayant pour but de trouver coûte que coûte des solutions pour parer à l’infertilité de ces femmes. Afin de questionner cette tension, il m’est apparu essentiel de recueillir la parole des femmes en parcours d’AMP. Qu’en est-il de leur côté ? Quels parcours biographiques les ont amenés à envisager la maternité après 40 ans ? Quelles représentations se font-elles de la maternité, dite « tardive », dans le cadre d’une AMP ? Quelles connaissances ont-elles eu et ont-elles de l’infertilité féminine liée à l’âge ? Font-elles un lien entre leur démarche et une quelconque volonté de s’affranchir des limites « naturelles » de la

fertilité ? Voici quelques-unes des questions qui m’animaient lorsque j’ai entamé cette seconde enquête de terrain. Ces questions sont d’autant plus pertinentes que le nombre de prise en charge pour infertilité féminine liée à l’âge ne cesse d’augmenter.

À cela, d’autres interrogations sont venues s’ajouter à la suite des résultats de l’enquête auprès des professionnels. Nous avons vu que les médecins ont des marges de manœuvre concernant le tracé de la frontière temporelle de l’infertilité féminine, et agissent dans une zone grise au sein de laquelle ils mènent une « course contre la montre ». Comment les femmes se saisissent-elles de la course contre l’altération de leur réserve ovarienne ?

En outre, la vision « naturaliste » de l’infertilité féminine est centrale dans le discours social sur l’horloge biologique, mais aussi au cœur du modèle bioéthique délimitant les conditions d’accès et les limites d’âge de l’AMP. Nous avons pu constater que les professionnels justifient ainsi les limites de prises en charge des femmes et des hommes en mobilisant des arguments qui relèvent distinctement du biologique et du naturel pour les unes et du social pour les uns. Pour autant, l’enquête nous a également montré que les discours sur leurs pratiques témoignent d’une prise en compte de la dimension sociale de l’infertilité : la temporalité procréative n’est pas qu’une donnée « naturelle », elle est un enjeu d’action. Comment, alors, les femmes de plus de 40 ans en AMP aperçoivent-elles ces référents biologiques ou sociaux visant à limiter la procréation féminine et masculine ?

Les chapitres de cette partie, portant sur l’étude des trajectoires biographiques des femmes confrontées à une infertilité liée à l’âge, aborderont ces différents questionnements.

Le chapitre 8 est tout d’abord consacré aux questions et choix méthodologiques qui se sont posés en amont de cette deuxième enquête, ainsi qu’à la présentation des profils des enquêtées.

Le chapitre 9 explore les histoires biographiques des femmes rencontrées et les raisons pour lesquelles elles tentent d’avoir un enfant à plus de 40 ans. Nous verrons qu’elles ont fait face au cours de leur vie d’adulte à un sentiment d’indisponibilité

psychosociale à la maternité généré par des situations variées. Un premier décalage

avec le discours social sera constaté, concernant les profils et les parcours de ces femmes, ainsi que leur conception de la temporalité procréative.

Le chapitre 10 présente les interprétations que les femmes ont données de leur propre parcours biographique. Elles expliquent leurs choix de vie en lien avec la connaissance et la conscience qu’elles ont de leur corps et de la baisse de la fertilité avec l’âge. Elles témoignent de parcours de vie perçus comme adéquats avec les normes de société.

Le chapitre 11 présente les réactions des enquêtées lorsqu’elles ont appris avoir une infertilité liée à leur âge. Nous verrons qu’elles ont à ce moment-là ressenti une forme de discordance au sein même de leur corps. Nous proposerons alors une hypothèse interprétative de ce « ressenti » : il repose sur une distinction souvent méconnue, vécue au sein même de leur corps, entre leur capacité ovarienne et leur

capacité gestationnelle. À partir de la théorie de la hiérarchie de Louis Dumont

(1966), nous montrerons comment les deux parties du corps reproducteur que sont la

capacité ovarienne et la capacité gestationnelle sont prises dans un rapport

hiérarchique. Les retournements au sein même de ce rapport permettent aux femmes de s’engager avec détermination dans le parcours d’AMP. Pour résoudre cette infertilité partielle, elles se lancent alors dans une « course contre la montre ».

Les données de l’enquête présentées au fil de ces différents chapitres permettront d’approfondir l’analyse de la notion d’infertilité. Nous verrons en effet que l’infertilité féminine ne saurait être réduite au phénomène physiologique d’altération de la réserve ovarienne. La distinction entre capacité ovarienne et

capacité gestationnelle permettra de montrer que les femmes confrontées à une

infertilité liée à leur âge ne font pas face à une stricte infertilité physiologique mais à une infertilité partielle de leur capacité reproductive. De ce fait, elles se sentent légitime à se tourner vers l’AMP, afin de résoudre l’altération d’une partie de leur corps reproducteur, après quoi, elles savent qu’elles seront en capacité de porter, accoucher et élever l’enfant à venir. En outre, à travers l’étude des trajectoires biographiques des femmes, nous montrerons l’importance accordée à la dimension temporelle et relationnelle de l’engendrement, pour appréhender leur temporalité

Chapitre 8 : Présentation de

l’enquête « Patientes »

Avant de présenter les résultats de l’enquête dans les chapitres suivants, quelques éléments de contextualisation sont nécessaires. Nous allons tout d’abord présenter la méthodologie de l’enquête menée pour expliciter le contexte de recueil des données. Puis, nous exposerons les profils sociodémographiques des femmes interrogées.

1. M

ETHODOLOGIE

Afin de rencontrer des femmes en parcours d’AMP, je me suis adressée aux mêmes centres au sein desquels l’enquête auprès des professionnels a eu lieu. Il m’importait en effet de mettre en perspective le discours des professionnels avec ceux des patientes en gardant à l’esprit les spécificités d’organisation et les pratiques médicales propres à chacun de ces deux centres.

Pour y parvenir, je me suis adressée par mail aux chefs de service de ces deux centres d’AMP et leur ai présenté cette nouvelle enquête comme étant la suite logique de celle réalisée auparavant. Après m’avoir reçu pour que j’expose et développe mon projet de recherche, les deux centres m’ont accepté sous diverses conditions. Les médecins du centre A m’ont d’abord demandé de réaliser un compte-rendu des résultats de l’enquête collective lors d’une réunion rassemblant tous les personnels du centre (réunion de staff). Au sein du centre B, il a été nécessaire de présenter mon projet devant chacun des responsables de service (biologie, gynécologie, administration), puis une convention de stage a été requise, ainsi que la signature de divers documents administratifs tels qu’une charte de confidentialité. Après avoir réalisé ces objectifs, j’ai alors pu commencer le recrutement des patientes.

Au sein du centre A, ce sont les médecins qui recrutaient pour moi les patientes, en particulier une d’entre eux. En effet, une médecin gynécologue et une psychologue

m’ont mise chacune une fois en relation avec une patiente. Mais toutes les autres inclusions ont été permises par une seule autre médecin gynécologue-obstétricienne, enthousiaste par la recherche proposée et ayant plusieurs fois appuyé mes démarches pour mener à bien mon enquête. Ces recrutements se déroulaient ainsi : lorsque la médecin recevait en rendez-vous un couple dont la femme avait 40 ans ou plus (cet âge étant mon critère de recrutement), dans ce cas, elle lui expliquait qu’une doctorante en sciences humaines et sociales réalisait une enquête auprès des femmes quadragénaires inscrites en parcours d’AMP. Elle lui demandait si elle acceptait que je la contacte pour lui présenter l’enquête. Après quoi (toutes acceptaient), la médecin m’envoyait leur nom et numéro de téléphone.

Ce mode d’inclusion interroge. Les patientes n’allaient-elles pas se sentir contraintes de répondre à la demande du médecin dans un souci de la satisfaire, de ne pas être mal vues et de ne pas risquer de compromettre le bon déroulé de leur démarche médicale ? Ceci sans ignorer les rapports de domination qui se jouent entre médecins et patients et qui ont déjà fait l’objet de nombreuses recherches (Memmi, 2003 ; Bataille et Virole, 2013 ; Compagnon et Ghadi, 2009 ; Doron et al., 2011). Les médecins ne risquaient-ils pas d’opérer eux-mêmes une sélection, choisissant les patientes à m’adresser ou à ne pas m’adresser ? Mais dans ce moment de négociation ou le jeune chercheur tente avant toute chose d’avoir une réponse favorable à sa demande d’accès à un terrain de recherche, la négociation des conditions d’accès au terrain peut être relativement délicate. Le placement du curseur parmi les degrés de négociation possibles n’est pas toujours évident à définir : entre le sentiment d’avoir déjà beaucoup obtenu de son informateur qui permet l’accès au terrain (en l’occurrence l’accès aux patientes d’une institution hospitalière dont l’autorisation d’accès est incontournable) ; la crainte d’exagérer en négociant en plus ses propres règles dans la façon de recruter les enquêtées et de recueillir les informations souhaitées (appuyé par la volonté de ne pas trop déranger l’informateur sur son temps et lieu de travail) ; et le souhait de ne pas se laisser dicter des règles d’enquête qui affecteraient le recueil des informations. Sans avoir moi-même directement accès aux informations des patientes depuis leurs dossiers, le mode de recrutement qui m’était proposé via les médecins m’a alors convenu. De plus, il m’a semblé que j’évitais dans une certaine mesure que les patientes ne se sentent contraintes de participer à l’enquête car la médecin-gynécologue ne les recrutait pas directement mais leur

demandait simplement si elles acceptaient que je les contacte. En outre, lorsque je les appelais, le soir même ou le lendemain, je leur expliquais avoir eu leur numéro de téléphone par la médecin en question mais ne pas être moi-même affiliée à l’institution hospitalière.

Je me présentais en tant que doctorante de l’EHESS menant une recherche dans le cadre de sa thèse, puis j’exposais le sujet de l’enquête. J’expliquais que cette enquête constituait le 2ème et dernier volet de mon travail de thèse et qu’elle portait sur l’expérience de l’AMP, le vécu du temps et la confrontation aux limites d’âge de prise en charge en AMP. J’expliquais que du fait que les femmes sont davantage concernées que les hommes par la confrontation aux limites d’âge pour accéder à l’AMP et par la confrontation à une infertilité liée à l’âge, mon enquête s’adressait uniquement à elles. Je leur expliquais également à ce moment-là que l’entretien d’une durée d’environ 1h30 se décomposait en 3 parties : l’histoire personnelle, le vécu du parcours d’AMP, et des questions d’opinions sur la législation française encadrant l’AMP. À l’issue de cette présentation, je leur proposais à ce moment-là de participer ou non à l’enquête. Si elles répondaient favorablement, dans ce cas, nous convenions d’un rendez-vous ultérieur à leur domicile, sur leur lieu de travail, au centre d’AMP à l’hôpital, ou à mon laboratoire de recherche, selon leur convenance. Tous les entretiens proposés ont abouti. Les femmes acceptaient volontiers de participer à mon enquête, formulant souvent qu’elles seraient ravies que leur expérience puisse être utile pour la recherche et les générations futures. Cet enthousiasme et ce volontarisme à participer à l’enquête se sont souvent retrouvés lors des entretiens. J’ai en effet peu eu à intervenir face à des femmes loquaces, dépassant largement le temps annoncé d’entretien et prodiguant des conseils à transmettre, tant sur la période précédant le projet parental, que sur le parcours d’AMP à propos duquel elles conseillaient plusieurs améliorations. Dans leurs situations, les choses ne se sont pas passées comme elles l’auraient voulues (dans le sens où personne ne souhaite passer par l’AMP pour avoir un enfant si elle peut l’éviter), et elles ont tiré des leçons de cette expérience qu’elles souhaitaient partager. Elles ont donc souvent saisi l’entretien comme une occasion de partager leurs expériences. Notons à ce propos que ma position d’enquêtrice, jeune femme alors de 29 ans, sans enfant (elles posaient parfois la question), a sans doute contribué à cette attitude de leurs parts. Elles estimaient en effet que je pouvais moi-même profiter de leurs expériences, à savoir notamment de

ne pas trop attendre avant de faire des enfants et de prendre garde à la vitesse du temps qui passe.

Ces observations valent tout autant pour le centre B, même si j’ai eu quelques refus de participation à l’enquête. Le mode de recrutement au sein de ce centre a été différent, pour deux raisons principales : l’organisation interne du lieu et la spécialité du médecin m’ayant introduit. Concernant l’organisation interne, je fais ici référence au rôle des secrétaires. Elles sont beaucoup plus nombreuses qu’au sein du centre A et ont un rôle plus important dans le suivi des dossiers et l’organisation du parcours médical avec les patientes. Au sein du centre A ce rôle est celui des sages-femmes. Concernant mon introduction sur place, alors que dans le centre A, mon contact principal était une gynécologue, dans le centre B, il s’agissait d’un biologiste. Ce dernier a proposé d’emblée que le recrutement des patientes se fasse avec l’aide des secrétaires. Il a été convenu que je m’informerai auprès des secrétaires du service de gynécologie des horaires de rendez-vous des femmes de 40 ans ou plus afin de leur présenter l’enquête lorsqu’elles seraient en salle d’attente. Dans ce centre d’AMP, tous les matins, de 8h à 12h, ont lieu les prises de sang et les échographies pour le suivi du traitement hormonal. C’est au cours de ce laps de temps, entre les deux rendez-vous médicaux que je leur présentais l’enquête et leur proposais d’y participer. Dans quelques cas, l’entretien avait lieu immédiatement dans une salle de consultation vide, dans d’autres cas, il était programmé ultérieurement à l’hôpital lors d’un prochain rendez-vous médical, ou à leur domicile, ou encore sur mon lieu de travail (à l’EHESS à Marseille dans une salle de cours) ou plus rarement, sur leur lieu de travail. Celles qui ont refusé de participer à mon enquête (4 femmes) l’ont justifié par rapport au fait qu’elles habitaient loin du centre d’AMP et de Marseille et devaient partir rapidement après chaque rendez-vous médicaux, notamment pour pouvoir se rendre à leur travail. En effet, si une majorité des femmes que j’ai pu interroger habitaient à Marseille, quelques-unes provenaient plus largement de la région PACA. Les centres d’AMP drainent en effet une patientèle issue de toute la région. Dans d’autres cas enfin, certaines femmes n’ont ni franchement accepté de participer à l’enquête, ni franchement refusé. Je distribuais à toutes une fiche de présentation de l’enquête et du déroulement de l’entretien avec mes coordonnées, dans ce dernier cas, je leur proposais de me contacter si elles souhaitaient finalement participer. Sur les cinq fiches distribuées, aucune n’a donné suite à un entretien.

Au final, la plupart des femmes rencontrées ont facilement accepté de participer à l’enquête et ont souvent souhaité saisir l’occasion de l’entretien pour exprimer leurs vécus et partager leurs expériences. Ainsi, 23 entretiens ont été effectués : 11 auprès de patientes du centre d’AMP A et 12 auprès de patientes du centre B. Leur durée a varié entre 1h30 et 2h30.

Un troisième centre d’AMP est présent dans le centre-ville de Marseille. Il s’agit d’un centre privé. En supposant qu’il attire un public de patients plus spécifique que les deux autres centres d’AMP, à savoir des personnes issues principalement des catégories socioéconomiques supérieures, j’avais envisagé d’élargir mon terrain de recherche à ce troisième centre afin d’être certaine d’inclure dans mon enquête tous les profils possibles de femmes. Néanmoins, je n’ai pu atteindre cet objectif, toutes mes démarches et relances pour venir présenter mon enquête sont restées sans réponses, malgré mon obstination et un renouvellement constant de ma demande. Toutefois, j’estime que les deux centres enquêtés, l’un public et l’autre semi-privé, m’ont tout de même permis d’avoir accès une diversité des profils des femmes confrontées à une infertilité liée à l’âge.

Le format des entretiens sociologiques semi-directifs que j’ai mené allie différentes approches : semi-directive, compréhensive, clinique. Précisons que la méthode de la semi-directivité comprend en effet différents ancrages théoriques et différentes méthodes. La posture semi-directive repose sur la formulation de questions ouvertes, l’interviewé a la possibilité de développer librement chacune des réponses qu’il formule. L’enquêteur possède une grille d’entretiens composée d’une série de questions relativement standardisées dans le but de faciliter leur comparaison. Dans le prolongement de cette méthode, d’autres approches sociologiques se sont développées telles que l’approche compréhensive et l’approche clinicienne, au croisement desquelles j’ai inscrit ma méthode d’entretiens (Fugier, 2010). L’entretien compréhensif personnalise davantage les questions au fil de l’entretien et repose sur un échange actif entre l’enquêté et l’enquêteur. Cette approche considère l’enquêté comme un producteur de connaissances et non seulement de représentations (Kaufmann, 1996). Sur ce point, la sociologie clinique va plus loin encore, et considère l’enquêté comme un analyste du monde social et de ses propres expériences.