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La prise en charge des infertilités dites « inexpliquées » en AMP, loin d’être un fait anecdotique est une situation très fréquente. Elles représentent une part régulière des recours à l’AMP.

Enquêtrice : Et vous me confirmez qu’a priori 25% des causes d'infertilité sont liées à des infertilités masculines, 25% à des infertilités féminines, 25% infertilités inexpliquées et il me manque un 25%, alors ce n'est peut-être pas ça… ?

En gros, je dirai que c'est un tiers, un tiers, un tiers, en sachant que il reste à peu près 10% d'infertilités inexpliquées, il y a des gros tiers et des petits tiers et il y a environ 10% d'infertilités inexpliquées.

Enquêtrice : D'accord, 10% c'est moins que je pensais. Et le reste c'est soit masculine, soit féminine, soit les deux ?

Voilà, féminine, masculine, et mixte. Ce qui fait qu'en gros, dans un petit 50% des cas, un tout petit 50% des cas il peut y avoir une cause masculine qui peut être trouvée et dans un petit 50% des cas aussi, il y a une cause féminine qui est retrouvée. Quelquefois c'est seul, quelquefois c'est associé à l'autre. (Gynécologue – Enquête 2014)

Cette estimation est relativement proche de celle réalisée au niveau national : « la formalisation des indications médicales de FIV laisse échapper une catégorie résiduelle des « stérilités idéopathiques » ou stérilités inexpliquées qui représentent nationalement environ 15% de l’ensemble des indications. » (Tain, 2005 : 13). Mais que désigne plus précisément la notion d’infertilité « inexpliquée » ?

Cette catégorie d’infertilité fait référence aux situations dans lesquelles aucun des deux membres du couple, suite aux examens médicaux, n’a une quelconque pathologie diagnostiquée. Tout semble fonctionner correctement pour les deux. Toutefois, l’action des médecins ne s’arrête pas à ce constat et se poursuit par une prise en charge en AMP.

Après, parmi les couples chez qui effectivement il y a une infertilité, dans certains cas on trouve une cause à cette infertilité et on les prend en charge. Quelquefois, on ne trouve pas de cause à l'infertilité et on les prend en charge.

L’argument alors déployé pour expliquer l’acceptation du couple dont l’infertilité n’est pas médicalement avérée, repose sur une définition de l’infertilité plus englobante que celle élaborée par le cadre légal de l’AMP.

Est-ce que ne pas avoir d'enfants est une maladie ? On n'est pas malade. Enfin les gens sont en souffrance mais ils ne sont pas malades. (…) Alors pour l'OMS c'est une pathologie. Moi j'avoue qu’elle est pratique la définition de l'OMS ça permet au moins de faire rentrer les gens dans quelque chose, on les prend en charge car on rentre dans une pathologie qui est un an de rapports sexuels réguliers sans contraception pas d'enfants. Donc ça ils sont infertiles. Donc c'est vrai que moi j'attends jamais 2 ans. Jamais. Ça c'est les vieux trucs, c'est les vieux gynécos qui attendent 2 ans. Et j'attends d'autant moins que la femme est âgée et qu'on sait que la réserve ovarienne est altérée. Je préfère attendre 2 ans à 25 ans, quoique c'est long, je me mets à la place de la femme, quand on a envie d'un enfant attendre 2 ans c'est long. Ce serait plus logique de... Mais attendre longtemps même si on sait qu'on va prendre en charge des gens dont l'infertilité est totalement physiologique, puisqu'elle est liée à l'âge et on sait qu'à cause de la baisse de la qualité des ovocytes et des... Non je dis une bêtise parce qu'à 25 ans 2 ans d'infertilité c'est totalement anormal, en revanche à 25 ans il faut être enceinte rapidement donc un an d'infertilité à 25 ans c'est aussi pathologique.

(Gynécologue-Obstétricienne – Enquête 2014)

Pour l’OMS tout comme pour les professionnels de l’AMP, le seul fait de ne pas parvenir à avoir d’enfant après une période d’au moins un an avec des rapports sexuels réguliers permet de caractériser l’infertilité et justifie une prise en charge, même si la dimension « pathologique » de l’infertilité n’est pas médicalement avérée. Dans ce cas, aucun diagnostic « pathologique » n’est posé, néanmoins le seul fait que le couple ne parvienne à procréer, est en soi considéré comme anormal et l’anomalie semble, au même titre que la pathologie, justifier ici la prise en charge. Pourtant comme Canguilhem le précise, l’anormal n’est pas le pathologique (1966 [1943] : 85). Il explique que l’anomalie « est une irrégularité comme il y a des irrégularités négligeables d’objets coulés dans un même moule. Elle peut faire l’objet d’un chapitre spécial de l’histoire naturelle, mais non de la pathologie. » (Ibid. : 84). Canguilhem

explique par ailleurs qu’à la différence de l’anomalie, « le propre de la maladie c’est de venir interrompre un cours, d’être proprement critique. Même quand la maladie devient chronique, après avoir été critique, il y a un autrefois dont le patient ou l’entourage garde la nostalgie. On est donc malade non seulement par référence aux autres, mais par rapport à soi. » (Ibid. : 87). Dans le cas de l’infertilité, on observe un écart avec cette définition de la maladie. Car ce qui caractérise l’infertilité n’est pas l’interruption du cours des choses, mais le constat que le cours des choses demeure à l’identique. Aucun changement dû à l’état de grossesse n’est observé, c’est la permanence physiologique qui est à l’origine d’une prise en charge médicale. Suite aux examens, un diagnostic est parfois posé. Mais dans le cas des infertilités « inexpliquées », c’est bien la seule anomalie de ne pas avoir d’enfant qui légitime la prise en charge, alors même que les examens médicaux conduisent au constat d’une permanence physiologique.

(…) ce qui fait la PMA c’est la fertilité et l’aide qu’on peut apporter aux gens. Donc vous avez pour faire simple des situations où il y a une impasse maternelle, des trompes bouchées, altérées, tout ce qu’on veut, et donc vous êtes dans le cadre de l’indication utile de la fécondation in vitro, dans ce cadre là vous luttez contre un 0 au naturel et puis une probabilité qui va osciller selon l’âge maternel et qui peut effectivement descendre très bas. Mais elle aura entre guillemets toujours sa place. Vous avez de l’autre côté les infertilité masculines qui relèvent de l’ICSI bon ben c’est facile là aussi, monsieur il ne peut rien espérer naturellement il faut passer par la FIV et même réflexion, l’âge de madame va conditionner le taux de succès, donc vous allez avoir de très bon cas parce que quand on s’aperçoit qu’un homme est infertile souvent les couples s’en aperçoivent quand ils sont encore assez jeunes, pour nous c’est quand même la trentaine mais ils sont jeunes, et puis après si la patiente, si la compagne ou la femme a 43 ans on a beau passer à l’ICSI pour une indication masculine à nouveau on est dans l’impasse des succès. Et puis il y a le fourre tout du milieu où c’est un petit peu d’infertilité féminine, c’est du masculin sans en être vraiment bien étiqueté, la PMA on ne sait pas quelle est vraiment sa place, en tout cas ce n’est pas une place médicale. (C’est-à-dire ?) Ben il n’y a pas de facteurs que vous pouvez corriger ou contourner. Vous êtes dans une indication qui est floue. (C’est ce qu’on peut appeler les infertilités

inexpliquées ?) Ben inexpliquées ça part du principe que tout

le bilan est bon entre guillemets, vous avez exclu toutes causes connues et traitables. (Biologiste – Enquête 2014)

Cet extrait montre que le diagnostic médical des causes de l’infertilité n’est pas utilisé dans le but de sélectionner les seuls couples ayant une infertilité « pathologique ». Il sert davantage à orienter l’action des médecins pour entamer la prise en charge de l’infertilité, qu’elle soit médicalement expliquée ou non.

La prise en charge et le traitement de l’anomalie au même titre que la pathologie peut s’expliquer par le fait que les techniques médicales mobilisées n’ont rien de

thérapeutique. Dans la majeure partie des cas, ces techniques ne guérissent pas mais

contournent le problème, elles pallient l’infertilité sans pour autant la résoudre (Franklin, 1997 ; Théry, 2011). Dans ce contexte, le traitement de l’anormalité trouve facilement sa place. Toutefois, même si tous types d’infertilité sont pris en charge, le rôle de l’AMP demeure perçu comme médical dans le cas des infertilités considérées comme « pathologiques », tandis que comme le signifie le biologiste, dans les cas des infertilités inexpliquées, la place de l’AMP « n’est pas une place médicale ».