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Analyse des données

5.4. Les ressources, gestes et compétences

5.4.3. Le traitement des questions des élèves

La façon dont les enseignants accueillent les interventions des élèves, en particulier leurs questions, semble avoir, pour certains d¶entre eux, une conséquence sur leur autorité. Faustine utilise notamment le mot envahir lorsqu¶elle parle des questions d¶élèves qui ne sont pas en lien avec l¶objet travaillé. Elle explique qu¶il ne faut pas « se laisser envahir [par les élèves]

et perdre l¶objectif de la leçon ». Ce discours suppose que permettre aux élèves de poser des questions qui sortent de la leçon planifiée peut mettre en danger l¶enseignant et les objectifs à atteindre. Pour Vincent, recadrer fait partie du rôle de l¶enseignant : « vis-à-vis de moi qui ai un programme, pour ceux qui sont intéressés, j¶aurais fait tout ce pour quoi je suis là ». Nous pouvons voir que cet enseignant considère comme juste de ne pas trop sortir du cadre, vis-à-vis non seulement de sa responsabilité enseignante, mais aussi des élèves intéressés.

Toutefois, cela ne signifie pas qu¶il ne porte aucune attention aux questionsPDLVTX¶LOpréfère différer le moment où il répond : « s¶il y a des questions d¶ordre philosophique qui sortent [du champ travaillé] je pourrais dire : cette question là, nous pourrons en parler un autre jour ». Un autre aspect est développé par Brigitte. Cette dernière évoque notamment que répondre aux questions hors cadre peut être périlleux pour l¶enseignant. Nous l¶observons quand elle critique la pratique de l¶enseignant vue dans le film « Entre les murs » : « Alors on sait d¶emblée que la question va mettre l¶enseignant mal à l¶aise et en

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plus en public. Répondre aux questions qui sortent complètement du sujet travaillé, surtout si c¶est personnel, peut mettre l¶enseignant en péril »

Caroline pense le contraire et estime que répondre aux questions à propos de sa vie privée ne met pas forcément en péril l¶enseignant, à condition qu¶il sache en parler de façon pertinente:

« je ne pense pas que cela [les questions personnelles] te mette en péril, si après tu argumentes et si tu entres en discussion ». Elle rajoute qu¶il est tout a fait possible de s¶éloigner de sa leçon pour répondre à des questions importantes pour les élèves, à condition de pouvoir retourner à un moment ou un autre à la leçon. Nous pouvons voir dans sa critique de la scène de l¶explication du subjonctif imparfait que, pour Johanna, F¶HVWà l¶enseignant d¶estimer si c¶est le moment opportun de répondre à une question : « Je pense que c¶est intéressant qu¶il réponde à la question sur son homosexualité et pas qu¶LO SDUWH« 0RL VL j¶DYDLVXQpOqYHTXLSDUWYUDLPHQWGDQVXQHTXHVWLRQ«(QIin, en même temps il se rend bien compte qu¶LO\DTXHOTXHFKRVHjGLUHTXLYDrWUHGpOLFDWHWTXLYDIDLUHULUHOHVDXWUHV«$SUqV il y a des moments où on peut y répondre plus qu¶à d¶autres. » Plus généralement, Johanna trouve que François Marin « rentre pas mal dans le jeu des élèves, en même temps je trouve qu¶ils sont quand même très attentifs à ce qu¶il dit et qu¶ils posent quand même des questions sur la conjugaison et même d¶autres choses. Je trouve assez bien sa façon de faire, par contre je pense que comme ça toute la journée cHQ¶HVWSDVSRVVLEOH« »

Dans les propos de cette enseignante nous décelons un autre aspect de sa vision du traitement des questions d¶élèves. Il faut, selon elle, estimer la pertinence de la question, ainsi que l¶impact que cette interrogation pourrait avoir sur le reste du groupe d¶élèves. En effet, d¶après Johanna, répondre à une question sur le subjonctif imparfait est judicieux alors que répondre à des questions sur la sphère privée est « délicat ».

5.4.4. Une juste DXWRULWpjWUDYHUVOHVUqJOHVGHFODVVH«

La majorité des enseignants que nous avons interrogés fait un lien entre les règles de classe et le concept de la juste autorité. Les règles sont à leurs yeux incontournables dans l¶exercice de la profession enseignante, afin de garantir aux élèves un cadre propice à un bon climat de classe ainsi qu¶aux apprentissages.

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Toutefois, dans l¶analyse de leurs propos, nous remarquons des variantes en ce qui concerne l¶application de ces règles et le concept de « juste autorité ».

Anne, par exemple est très catégorique. Elle exprime l¶idée qu¶il faut établir des règles avec les élève, les rappeler et les faire respecter de manière très « strict(e) ». Elle laisse donc sous-entendre que le concept de « juste » découle d¶une application infaillible des règles de classe pour tous les élèves. Pour cette enseignante, il faut que les élèves intègrent les règles, les retiennent et les respectent. Mais aussi il faut que l¶enseignant, pour sa part, les assiste dans ce cheminement en recadrant lorsque cela est nécessaire. Pour Anne, les règles sont donc ancrées dans un processus tranché. Il n¶y a guère de demi-mesures possibles.

Brigitte fait comprendre que l¶autorité juste est celle « qui va être cadrante et qui ne va pas mettre les [élèves] en danger. Il faut qu¶ils soient en sécurité. ». Selon cette enseignante, cette sécurité passe par les règles de classe. L¶autorité, c¶est construire des règles avec les élèves pour pouvoir s¶y référer. Brigitte nous dit qu¶elle est « convaincue qu¶on a plus de facilité à obéir à une règle qu¶à une personne ». Elle nous dit aussi que « c¶est important de faire valoir [les règles]. Il ne faut pas se décrédibiliser ». A entendre ces propos, il semblerait que les enfants soient invités à être obéissants pour rendre les enseignants crédibles. Brigitte rejoint certains propos d¶Anne qui estime aussi que l¶enseignant est là pour veiller à ce que les élèves filent droit. En ce qui concerne l¶application des règles, pour ces deux enseignantes, il faut qu¶elle soit assez mécanique, dans la mesure où l¶enseignant doit tenir compte de ces dernières de manière rigoureuse. La différence réside dans le fait que Brigitte dit construire des règles avec les élèves alors qu¶Anne explique que les élèves doivent les reformuler et les réécrire.

Les propos de Jean-Louis se situent à mi-chemin entre ces idées et celles que nous verrons par la suite. Certes, il pense qu¶il est primordial pour avoir de l¶autorité d¶ « établir certaines règles » telles que lever la main pour prendre la parole. Toutefois, il propose une autre dimension en ce qui concerne l¶application des règles. En effet, pour lui, le rôle de l¶enseignant n¶est pas seulement de garantir cette application mais surtout de « rappeler aux élèves pourquoi ils sont là : pour apprendre ». Il se réfère au concept du métier d¶élève, et pense que si l¶enseignant parvient à faire entrer les élèves dans leur métier, son autorité aura plus de chance d¶être reconnue comme « bienveillante ». Cet enseignant laisse entendre que la juste autorité est pour lui l¶autorité bienveillante, autrement dit « utile aux enfants pour qu¶ils puissent apprendre dans de bonnes conditions». En somme, pour Jean-Louis, les règles sont indispensables, mais dans une optique plus progressive qui tend non pas seulement à leur

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l¶intégration et application formelles, comme pour Anne et Brigitte, mais aussi à leur compréhension. Jean-Louis pense que les élèves doivent ressentir l¶utilité des règles dans leur quotidien.

Vincent se montre plus ouvert dans la mesure où il admet effectivement que les règles de classe sont importantes, mais précise qu¶elles ne sont pas immuables. En effet, cet enseignant nous explique qu¶une autorité juste pour lui serait une autorité privée d¶injustice. C¶est-à-dire, dans laquelle les enfants n¶ont pas l¶impression d¶être traités de manière injuste. Dans cette idée, Vincent ajoute que lorsqu¶il fait les règles de classe en début d¶année avec les élèves, il explique aux élèves qu¶il peut lui arriver parfois de se tromper et que si l¶un d¶entre eux ressent une injustice, il a la possibilité de venir le lui dire (tant qu¶il n¶abuse pas de ce droit).

Avec cette affirmation, cet enseignant propose deux concepts nouveaux. Tout d¶abord celui d¶admettre, même devant les élèves, que l¶enseignant n¶est pas infaillible. Ensuite, celui de laisser l¶opportunité à l¶élève qui se sent lésé d¶avoir droit à une explication et à la parole. De plus, Vincent précise qu¶il lui est arrivé de retirer une sanction s¶il se rendait compte d¶avoir commis une erreur.

Cette nouvelle idée, qui tend à laisser une place à la parole et à la discussion, est partagée par deux autres enseignantes.

Premièrement, parlons de Cristina. Cette enseignante pense que pour avoir une « juste autorité », il faut être juste pour tout le monde. Elle rejoint Anne et Brigitte lorsqu¶elle dit que c¶est à l¶enseignant de faire respecter les règles, et Jean-Louis lorsqu¶elle dit qu¶il faut faire comprendre aux élèves que les règles sont là pour leur bien. L¶enseignante nous explique que les règles de classe doivent être connues par les élèves, ainsi que les sanctions correspondantes en cas de non respect de celles-ci. Certes, elle nous dit que ces règles doivent être respectées. Cependant, Cristina rejoint aussi Vincent quand elle admet qu¶LOIDXWparfois remettre une règle en cause, car il n¶existe pas une règle qui puisse s¶appliquer dans tous les cas. Cristina ne perçoit donc pas les règles comme « fixes » mais comme une base indispensable. Par ses propos, elle laisse facilement entendre qu¶elle est disposée à appliquer les règles de manière individuelle lorsque la situation le requiert.

Dans cette perspective, Faustine rejoint à la fois Cristina et Vincent, en proposant une conception encore plus élargie. Elle partage l¶idée de Vincent, quand il dit qu¶il faut laisser une ouverture à la discussion, et partage celle de Cristina qui dit que les règles ne peuvent être appliquées dans tous les cas. Pour Faustine, comme pour les autres enseignants, les règles sont indispensables. Elle ajoute qu¶elles doivent être construites avec les élèves, comme le dit

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Brigitte. Cependant, cette enseignante met l¶accent sur une composante intéressante.

L¶autorité juste pour Faustine répond à l¶idée de justice, mais elle nous dit « je ne suis pas pour l¶autorité juste au sens égale pour tout le monde, malheureusement avec certains enfants tu ne peux pas fonctionner comme avec d¶autres, parce que tu ne peux pas avoir les mêmes attentes ». L¶enfant en tant qu¶individu est à considérer lorsque nous parlons d¶application de règles et d¶autorité pour l¶enseignante. Il ne faut donc pas oublier de considérer la situation de l¶enfant lors de comportements inadéquats. L¶ « autorité juste » n¶est pas égalitaire pour Faustine. L¶application des règles dépend aussi du cas en particulier. Cela n¶entrave pas l¶autorité selon elle, car « si tu es cohérente, les enfants le sentent et ils sont très tolérants et ils comprennent que ce n¶est pas la même chose pour tous ». L¶ « autorité juste » est donc cohérente. Pour cette enseignante, l¶autorité passe par la discussion. Au-delà de l¶application des règles, Faustine pense qu¶il est primordial de discuter avec l¶élève, parfois de ne pas punir mais simplement demander une « réparation », de lui faire comprendre que nous ne pouvons pas tolérer ce comportement mais que nous nous sentons personnellement concernés par ce TX¶LO se passe. Il faut exprimer ce que nous ressentons, car l¶autorité passe à par l¶écoute et la parole.

Cette ouverture nous amène vers le prochain chapitre, celui du rapport entre les relations élèves-enseignants et la « juste autorité ». Il semblerait en effet, que la plupart des aspects traités basculent vers la nécessité et la fragilité de la relation éducative, qui est à la fois la base et la visée des propos rapportés dans cette analyse.