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Analyse des données

5.4. Les ressources, gestes et compétences

5.4.6. Indications et contre-indications

Sur la base de nos entretiens nous pouvons identifier une multitude de petits conseils d¶enseignants en ce qui concerne l¶autorité. Cela dit, nous verrons à nouveau que tous les enseignants ne s¶accordent pas sur les mêmes points. En effet, Johanna nous met en garde sur l¶autorité « posée sous forme de questions ». C¶est-à-dire, sur la façon de recadrer les élèves en s¶appuyant sur des formulettes telles que « je peux continuer ? » ou « c¶est d¶accord ? » car elles peuvent entraîner des réponses d¶élèves mettant en péril l¶enseignant : « la force d¶une question c¶est qu¶elle demande une réponse et en fait, on ne veut pas qu¶ils répondent ».

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Faustine évite elle aussi de poser ce genre de questions, car ce serait demander la permission aux élèves. Au contraire, Anne trouve cette pratique de l¶enseignant efficace. C¶est selon elle un bon moyen de « repositionn[er] les élèves ».

Les enseignants n¶ont pas tous la même posture en ce qui concerne le refus de l¶élève dans la scène du bras de fer. Jean-Louis et Brigitte sont surpris que l¶enseignant ne cherche pas à comprendre pour quelles raisons l¶élève ne désire pas lire. Jean-Louis nous dit : « Ce qui m¶interpelle le plus c¶est qu¶il ne s¶est pas posé la question de pourquoi elle ne veut pas lire.

Peut-être que c¶est une gamine qui ne sait pas bien lire à haute voix tout simplement. Et il le prend tout de suite sur un plan personnel : elle ne veut pas lire, c¶est parce qu¶elle veut me contrer et c¶est le bras de fer ». Pour Jean-Louis, François Marin « est trop dévalorisant.

D¶abord, il faut essayer de savoir pourquoi et puis ça sert à rien d¶insister si un enfant il est mal à l¶aise de lire devant toute la classe, surtout à cet âge-là. Je veux dire cHQ¶est pas les mêmes conditions que chez nous mais là on regarde qui d¶autre veut lire et on dit à l¶élève : µd¶accord tu ne te sens pas de lire aujourd¶hui et bien une autre fois tu liras et on peut en parler¶. Mais il ne faut surtout pas la mettre mal à l¶aise vis-à-vis des autres. Là il lui enfonce la tête sous l¶eau µWRLWXes vraiment bête tu ne sais pas lire. Et en plus tu oses me répondre alors attention ça va mal se passer¶ ».

Brigitte adhère et ajoute : « Après on peut se demander pourquoi [Khoumba] n¶a pas envie de lire, on peut penser qu¶elle a des difficultés de lecture et qu¶elle ne veut pas le montrer devant tout le monde. Et l¶enseignant lui dit : µje suis dans mon droit de te demander de lire¶, mais elle est aussi dans son droit de refuser. Bien sûr, les enfants savent que dans le métier d¶élève il faut respecter les consignes et faire ce qu¶on leur demande, mais c¶est aussi dans le droit d¶un être humain de dire qu¶on ne veut pas ». Brigitte attribue plus de bonne volonté (et de difficultés ?) à Khoumba que ne semble le faire François Marin : « Je pense qu¶à mon avis si elle n¶a pas envie de lire, elle a ses raisons parce qu¶on voit bien que sa voisine Esméralda est tout à fait d¶accord. Donc on voit qu¶il y a une difficulté. Là, de nouveau, il ne donne pas d¶outils, il prend l¶élève à chaud : µvous n¶avez pas lu, alors tu vas lire maintenant¶ ».

Pour Brigitte, il faut non seulement ne pas forcer un élève, mais il est primordial pour elle de trouver les outils pour dépasser les obstacles. Cette enseignante nous dit à plusieurs reprises, qu¶elle trouve non-constructives les déclarations telles que « vous êtes incapables de réfléchir plus de vingt secondes », car elles pointent des difficultés, mais ne donnent aucune solution aux élèves. Anne la rejoint et ajoute qu¶elle n¶aurait pas continué ce bras de fer dans un souci de ne pas « bloquer l¶élève », mais aussi pour ne pas que cela se répercute sur le reste de la

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classe : « Moi j¶aurais passé à une autre, parce que j¶ai vu tout de suite quand elle a dit qu¶elle ne voulait pas lire, on sent que l¶élève, elle est bloquée. Moi ça m¶arrive, on sent que les élèves, ils se bloquent, c¶est beaucoup mieux de passer un temps et de les reprendre après, plutôt qu¶ils se bloquent complètement et que ça monte, ça monte, ça monte, et ça fait ce genre de tension qui rebondit sur toute la classe. »

Johanna se réfère au cahier des charges et au rôle d¶enseignant quand elle tente de se positionner vis-à-vis de cette confrontation. Toutefois, comme Anne, elle estime que ne pas tenir compte des autres élèves qui n¶avancent pas lors de l¶ « affrontement » n¶est pas cohérent : « Donc, c¶est toujours délicat et on peut se demander à quel point c¶est notre rôle.

Faire travailler l¶élève fait partie de notre cahier des charges, mais dans cette situation, en cherchant à faire lire Khoumba, les autres ne font rien. Alors, ne faut-il pas se dire à un moment : µje te laisse bouder dans ton coin ta mauvaise humeur n¶a pas à m¶atteindre moi je m¶RFFXSHGHVDXWUHVpOqYHVHWRQHQGLVFXWHDSUqV«¶ ».

La tendance des enseignants interrogés est plutôt d¶essayer de comprendre a posteriori pour quelles raisons l¶élève refuse. Caroline se positionne à l¶inverse de ses collègues enseignants.

Pour cette dernière, il faut certes éviter d¶entrer en confrontation avec l¶élève, mais si confrontation il y a « il faut aller jusqu¶au bout », « tenir » et montrer que l¶enseignant est plus « fort » que l¶élève.

Un élément fait l¶unanimité auprès des enseignants interrogés : le niveau de langage approprié pour un enseignant. En effet, tous trouvent le comportement de François Marin dans le film peu adéquat. Anne nous dit à ce propos qu¶ « il faut éviter d¶adapter son langage » à celui des élèves. Pour Johanna, utiliser le niveau de langage familier est se mettre « au niveau des élèves ». Faustine déclare qu¶il ne faut pas utiliser ce genre de langage, car c¶est se mettre « à la hauteur des élèves » et réagir en « symétrie » (ce qui n¶est pas professionnel). Jean-Louis va même jusqu¶à dire que « c¶est l¶erreur à ne pas commettre » : « «O¶enseignant à une attitude qui n¶est pas adéquate. Il se met au même niveau de langage que les enfants. C¶est l¶erreur à ne pas commettre dont on doit avoir conscience déjà en début de carrière. Et il entre dans le jeu des adolescents. J¶ai l¶impression de voir que des adolescents qui argumentent l¶un et l¶autre ».

Plaisanter avec les élèves n¶est pas perçu de la même façon chez ces huit enseignants. Pour Vincent, réussir à « charrier » les élèves (gentiment) est « une capacité d¶autorité plus fine, moins directe, qui peut marcher », mais cela uniquement « s¶ils [les élèves] ont l¶habitude de

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ce genre de fonctionnement ». Ici, nous avons l¶impression d¶avoir à faire à l¶autorité de l¶enseignant qui séduit ses élèves par son humour et par sa capacité à les connaître.

Jean-Louis avoue de son côté avoir formulé des remarques similaires à celle de l¶enseignant dans le film : « vous ressemblez à des enfants de trois ans ». Néanmoins, il ajoute que c¶est une erreur et que ce comportement n¶est pas adapté : « On ne devrait pas le faire, mais je dois reconnaître que ça m¶arrive. Très honnêtement oui, des fois je dis µon n¶est pas dans une classe enfantine arrêtez¶, mais ce qu¶il ne faut pas oublier, c¶est qu¶il y a une usure quotidienne dans le métier. Moi, ce que j¶ai remarqué, c¶est que quand on a une volée deux ans on les connaît si bien que c¶est presque notre deuxième famille, je veux dire, et des fois on se lâche trop, on fait des écarts de langage ou des remarques qu¶on ne devrait absolument pas se permettre parce qu¶on commence aussi à être fatigué ». La lassitude est peut-être en cause, mais la proximité également : on ne parle pas en famille comme on parle en société.

Johanna admet aussi pouvoir user de ce genre de remarques. Toutefois, elle nous met en garde vis-à-vis de la susceptibilité des élèves de cet âge. « Ca m¶est arrivé de le faire quand j¶avais vraiment envie de leur secouer les puces. Par exemple je dis : µDites donc, ça, en 6ème primaire c¶est pas normal.¶ Ou de temps en temps je peux le dire à un élève pour rigoler. Par contre, je sais que certains sont plus susceptibles que d¶autres et je fais attention. Et puis là, dans le film, c¶est un âge où l¶on a une sensibilité à fleur de peau, donc ce n¶est pas très approprié, j¶ai l¶impression. »

Nous pouvons voir que les indications et les contre-indications données par les enseignants nous amènent à préciser leurs représentations de la juste autorité. Par exemple, pour Brigitte, il est impératif de ne pas dénigrer un élève afin qu¶il sente que l¶enseignant postule son éducabilité. Cela aurait une incidence directe sur son autorité.

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Partie VI

Synthèse et retour au cadre conceptuel