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Des prescriptions pédagogiques aux conceptions et aux pratiques ordinaires des enseignants

2.1. Les deux phases de la juste autorité

2.1.1. L¶autorité aujourd¶hui, concept révolu ou à renouveler ?

Pour commencer, allons au F°XUDX[RULJLQHVGXFRQFHSWPDOKHXUHXVHPHQWVRXYHQWJDOYDXGp et que nous appelons : autorité. Ce dernier remonterait à la civilisation romaine. En effet, le terme d¶origine « auctoritas » a été, selon Renaut (2004), « forgé, en le dérivant du verbe qui signifiait µaugmenter¶ (augere), pour exprimer ce qui, dans le cadre d¶une relation de pouvoir (potestas ou imperium), peut produire une µaugmentation¶. Ainsi le recours à l¶autorité intervient-il quand un pouvoir, pour des raisons diverses, a besoin, afin de remplir efficacement la fonction qui est la sienne et d¶obtenir l¶obéissance de ceux sur qui il s¶exerce, d¶un surcroît de justification ou de fondation » (p.44). Au travers de la définition proposée par Renaut, nous pouvons voir la complexité de ce concept : le pouvoir d¶une personne ne peut être exercé comme tel, à nu, sans autre justification que la force, s¶il veut obtenir le label d¶autorité.

Guillot (2006) nous permet d¶entrevoir l¶autorité sous un autre angle en nous mettant face au verbe correspondant, c¶est-à-dire : autoriser. L¶autorité prend en ce sens une autre tournure.

Pour l¶auteur en question, avoir de l¶autorité signifie autoriser l¶autre « à exister, à grandir, à apprendre, à se tromper, à être reconnu et respecté dans sa dignité humaine, à créer, à

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DLPHU« » (p.15). Dans cette perspective, plusieurs formes d¶autorité peuvent être remises en question.

« La crise de l¶autorité » ou le « déclin de l¶autorité » sont des expressions qui nous sont familières. De fait, il n¶est pas rare d¶entendre dire à propos des enseignants qu¶ils n¶ont pas ou plus d¶autorité sur leurs élèves. Il serait alors intéressant de se pencher sur la conception de l¶autorité de ceux qui émettent ces déclarations. En effet, comme le déclare Guillot (ibid., p.11), « DYDQWGHYRXORLUjWRXWSUL[LPSRVHUVRQDXWRULWpµUHVWDXUHU¶MHQHVDLVTXHOOHDXWRULWp LGpDOHSHUGXHLOHVWLQGLVSHQVDEOHGHV¶LQWHUURJHUVXUFHTX¶HVWO¶DXWorité ». Et par là même, il nous paraît primordial de se demander à quelle autorité se réfère le sens commun quand il postule que « l¶autorité est en crise » et qu¶il faut la « restaurer » ? Cette autorité regrettée et perçue comme une autorité potentiellement idéale mais perdue n¶est autre que l¶autorité dite

« traditionnelle », c¶est à dire, l¶autorité « qui fonde sa légitimité sur le caractère sacré de la tradition. Elle se fonde sur le respect de valeurs coutumières, historiquement instituées en justification d¶un pouvoir par ce pouvoir même et par sa transmission héréditaire. La domination traditionnelle est une référence qui exige révérence » (ibid., p.150).

Dans cette définition, nous voyons apparaître deux notions qui nous suivront tout au long de notre tentative de définition d¶un concept aussi problématique que l¶autorité : le pouvoir et la légitimité. C¶est-à-dire, un pouvoir sur autrui qui se doit de trouver sa justification, d¶être augmenté par un autre élément, et non par lui-même.

Comme le déclare Dubet (2000), « le propre de l¶autorité traditionnelle c¶est qu¶elle n¶a pas vraiment besoin d¶être argumentée » (p.139). Elle est en effet, pour reprendre le terme de Guillot, une domination « acceptée » ou subie par les élèves :

- « acceptée » puisque « dans l¶optique de la domination traditionnelle, les valeurs et les contenus à faire acquérir aux futurs adultes s¶imposaient (à la fois aux yeux de ceux qui les transmettaient et, de ce fait aux yeux de ceux qui les recevaient, médiatisés par la conviction même des µtransmetteurs¶) parce qu¶ils apparaissaient comme établis, sacrés ou sacralisés par leur ancienneté même et par la répétition inlassable de leur transmission d¶une génération à une autre » (Renaut, 2004, p.20) ;

- subie aussi, car il ne faut pas oublier, comme le rappelle Dubet (2000), que « jusqu¶au début des années 1990, quand on parle de violence à l¶école il s¶agit de la violence subie par les élèves, de la violence symbolique ou plus physique que l¶école exerce sur les enfants » (p.139).

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Tout cela nous rappelle le statut précaire de l¶enfant dans le monde traditionnel et l¶impact que cela avait sur les élèves qui n¶auraient pas osé, sous peine de punition majeure, contester l¶autorité d¶un enseignant. Dans cette optique, l¶autorité traditionnelle n¶aide pas l¶enfant, comme le dit Guillot (2006), « à exister, à grandir, à apprendre, à se tromper, à être reconnu et UHVSHFWp GDQV VD GLJQLWp KXPDLQH j FUpHU j DLPHU « » (p.15). Elle demande « aux futurs adultes » (et non aux enfants ± cette expression est certainement utilisée par l¶auteur pour illustrer le peu d¶importance accordée aux enfants en tant que tels, ces derniers n¶étant envisagés que dans la mesure où ils deviendront un jour adultes) de reproduire et non de créer, d¶appliquer et non d¶apprendre. En somme, l¶éducation traditionnelle n¶autorisait pas à comprendreet à grandir de manière autonome, mais d¶abord à se conformer. L¶entrée dans un monde moderne et démocratique, reconnaissant des droits aux enfants, ne permet plus une telle justification de l¶autorité.

Il est en effet important de se questionner sur ce qui a changé, au fil des années, non seulement du strict point de vue de l¶école, mais aussi du point de vue plus général de l¶éducation. Finalement, en se demandant si le concept de l¶autorité est révolu ou à renouveler, nous admettons implicitement qu¶il s¶est transformé. Certes, sa transformation n¶est pas seulement liée à l¶école et à l¶éducation, mais aux changements qui sont apparus ces dernières années dans nos sociétés. Il faut savoir que la considération sociale pour l¶enfant a fait l¶objet d¶une véritable révolution :

À l¶inverse en effet de ce qui s¶est passé pour la femme, la révolution des mentalités a, pour l¶enfant, procédé une révolution pleine et entière du droit. Dans nos relations effectives aux enfants, le critère de l¶âge a, de fait, perdu progressivement et de plus en plus le caractère discriminatoire dont il aurait besoin pour fonder des relations qui pourraient rester vécues sur le mode de la dissemblance, de l¶asymétrie ou de la non-réciprocité, comme c¶était le cas dans les sociétés traditionnelles. Nous nous confrontons donc ici à une figure particulièrement complexe de ce qu¶induit la dynamique démocratique de l¶égalisation des conditions dans ce qu¶elle a, comme disait déjà Tocqueville, d¶irrésistible : d¶un côté, nous ne pouvons plus exclure l¶enfant du statut de µsemblable¶ qui est, par définition, celui de l¶individu démocratique, et en conséquence, nous instaurons avec lui, de plus en plus, dans l¶école comme dans la famille, des relations qui, de fait, se développent sur les bases d¶égalité (par exemple en nous interdisant le recours aux moyens µautoritaires¶ de domination) ; mais d¶un autre côté ce régime de la similitude est impraticable jusqu¶au bout, ne serait-ce que parce qu¶il apparaît difficilement compatible avec l¶idée même de l¶éducation et avec une relation à l¶enfant qui se fonde sur une supériorité de l¶éducateur vis-à-vis de l¶éduqué. Dans la tension où elle se trouve avec la dynamique de l¶égalité, cette supériorité se donne aujourd¶hui et ne peut se donner aujourd¶hui de moins en moins les moyens « traditionnels », au sens propre, de se faire, sinon reconnaître, du moins admettre, mais elle doit pourtant s¶affirmer ± si du moins il doit exister quelque chose comme une école

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ou comme une famille. Toute la difficulté est donc là OHUpJLPHGHODVLPLOLWXGHHQWUpGDQVOHVP°XUV rencontre de lui-même ses propres limites sans pouvoir toutefois les fixer clairement. » (Renaut, 2003, pp.40-42).

On comprend que la considération pour l¶enfant a changé, et qu¶en le traitant comme semblable à l¶adulte, on ignorerait la loi de l¶autorité qui stipule une asymétrie entre enseignant et enseigné.

Renaut (ibid.) met l¶accent sur les changements que la Convention Internationale des droits de l¶enfant de 1989 a apporté à nos représentations de l¶enfant. Notamment, parce qu¶elle reconnaît des droits aux enfants jusqu¶alors inexistants. De plus, la Convention reconnaît à l¶enfant des libertés comme la liberté d¶opinion, d¶expression, de pensée, etc. Cette nouvelle représentation de l¶enfant problématise l¶éducation et s¶oriente vers une éducation sans autorité ni sanction. Cependant, Renaut (ibid.) attire notre attention :

Nous ne pouvons plus et nous ne pourrons plus disposer de repères normatifs clairs pour dire jusqu¶où va la liberté de l¶enfant, puisque, très visiblement, l¶enfant est ici reconnu, au moins tendanciellement, comme un semblable et donc comme porteur des mêmes droits-libertés que l¶adulte ± auquel cas la question de savoir comment fixer les limites à l¶expression de ces libertés, de façon à fonder une pratique claire de l¶autorité et éventuellement de la sanction éducative, devient une question extrêmement délicate, et cela non pas par hasard, ni par aberration soudaine d¶une société ou d¶une civilisation, mais parce que la dynamique démocratique, que nous approuvons tous et dont nous considérons les valeurs sacrées, a englobé un être humain, l¶enfant, que nous nous sommes mis aussi à nous représenter comme un semblable. (pp. 45-46)

Il est alors légitime de se demander ± nous reprenons ici la question si justement formulée par Renaut (ibid., p. 19) « si le processus éducatif suppose par définition une sorte de dénivelé HQWUH O¶pGXFDWHXU HW O¶pGXTXp FRPPHQW UHQGUH FRPSDWLEOH FHWWH GpQLYHOODWLRQ FRPSULVH LQWULQVqTXHPHQWGDQVODUHODWLRQSpGDJRJLTXHHWO¶DIILUPDWLRQGHO¶pJDOLWpTXLHVWFRQVWLWXWLYH de la conscience démocratique ? ». Autrement dit, sur quoi doit se baser la justification de O¶DXWRULWp G¶XQ HQVHLJQDQW SRXU TX¶HOOH permette une relation pédagogique reposant sur des principes démocratiques ?

S¶agit-il d¶une crise de l¶éducation dans laquelle s¶est trouvée et se trouve la société face à l¶avenir de ses enfants ? Renaut explique que la crise réside plus dans le fait que la famille et l¶école traditionnelles ont disparu que dans l¶état dans lequel se trouve effectivement l¶éducation. Il affirme que pour en sortir, l¶éducation a besoin d¶un complément éthique, qui serait un complément à la Convention des droits et libertés de l¶enfant. Par exemple, l¶adulte (parent ou enseignant) a des devoirs et des obligations à l¶égard des enfants qui ne

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correspondent pas aux droits des enfants. Cela signifie que la liberté de l¶enfant, comme celle de l¶adulte doit être limitée par des règles. De plus, l¶enfant étant sous la responsabilité de l¶adulte jusqu¶à dix-huit ans (il ne peut donc être totalement responsable de lui-même) est censé obéir aux règles que l¶adulte lui soumet, car ces lois mêmes sont censées être établies pour son bien, pour le protéger. Il dépend donc des adultes de rééquilibrer partiellement les effets de la reconnaissance des droits des enfants.

Il paraît donc que dans le souci de trouver un équilibre entre les nouveaux droits de l¶enfant et sa considération comme « semblable », il faille créer une sorte de lien d¶exception qui régirait les relations entre l¶enseignant et ses élèves. L¶école aurait besoin de créer une relation asymétrique, mais dans le respect de son semblable en tant qu¶être humain. Reste à savoir à présent de quelle manière cela peut se concrétiser.

Pour contourner ce problème, certains enseignants ont recours à ce qu¶on appelle la séduction.

Cette augmentation de pouvoir est implicite, dans la mesure où les élèves (et même les adultes) ne sont pas toujours conscients de cette emprise. L¶emploi du mot emprise induit un jugement de notre part sur cette pratique. Cela dit, il est intéressant de faire un détour par cette forme G¶autorité et ses fondements pour comprendre pour quelles raisons elle ne peut valoir comme solution miracle.