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Le traitement de l’information RH assure l’interaction dynamique entre coordination

Dans le document L'industrie des solutions RH en France (Page 31-37)

Partie I Le traitement de l’information RH dans les entreprises françaises

Section 3 Le traitement de l’information RH assure l’interaction dynamique entre coordination

Tout le dispositif incitatif déployé par la firme en matière de relation salariale résulte de l’information que le système d’information RH est susceptible de fournir à la firme, vice-versa. D’une part, ce dispositif se nourrit de cette information pour rester pertinent, tout en permettant à la firme de coordonner et contrôler ses salariés sans disposer d’une information parfaite sur eux et leurs actions. D’autre part, l’utilisation du dispositif d’incitations salariales de la firme repose sur le recueil et le traitement d’information. Ainsi, lorsque les considérations stratégiques de la firme la poussent à instaurer une prime au présentéisme, le système d’information RH est doté d’une procédure supplémentaire d’enregistrement des jours de présence des salariés concernés par la prime pour en comparer le nombre avec le seuil qui déclenche le versement de la prime et qui a été fixé par les dirigeants, à partir d’informations sur l’absentéisme des années précédentes. En retour, la productivité de la population soumise à cette mesure incitative est comparée à sa productivité sur la période précédente afin de valider la démarche et, éventuellement de l’améliorer en jouant sur le montant de la prime ou sur le seuil de jours de présence qui y donne droit. Ainsi, le niveau et la forme des incitations que les entreprises instaurent font l’objet de décisions informées, et l’information nécessaire doit être recueillie et traitée par la fonction RH, ce que la modélisation des comportements des firmes par la théorie des contrats ne mentionne pas explicitement à notre connaissance.

De manière générale, le traitement d’information contribue à réduire deux types de risques. D’une part, le risque dit « social », associé à une erreur d’exécution du contrat de travail par la firme, notamment dans le calcul de la paye ; c’est l’enjeu de la GRH dite administrative. D’autre part, le risque de sous-exploitation du contrat de travail : c’est l’enjeu de la GRH dite stratégique.

La réussite des dispositifs incitatifs n’est jamais acquise ex-ante. C’est pourquoi la firme instaure des dispositifs de contrôle pour compléter ces dispositifs d’incitation et en vérifier l’efficacité, sans que le contrôle puisse se substituer aux incitations, sauf à un coût prohibitif. La réduction de l’aléa moral passe par le traitement d’information sur l’agent (ici le salarié) et le raffinement du contrat par incitations. Ce raffinement donne à son tour lieu à des mesures pour évaluer son efficacité, ce qui crée également un flux d’information.

L’influence de la réglementation du travail fournit une première explication de la distinction que font les acteurs39 de l’informatisation de la GRH entre « GRH administrative » et « GRH stratégique ». Alors que celle-ci répond à des objectifs de fonctionnement économique naturel de la firme (traiter de l’information pour alimenter des décisions ou contrôler des actions qui visent toutes à l’optimisation du fonctionnement de l’ensemble de la firme), celle-là répond à des obligations externes de nature réglementaire. Toutefois il faut nuancer cette dichotomie. Un processus comme celui de la paye associe une raison d’être économique (l’échange travail contre salaire) qui implique une activité de contrôle de la part de la firme, à des contraintes de mise en œuvre déterminées par la réglementation du travail (fréquence du versement de la rémunération et donc du calcul du salaire, contraintes sur l’évaluation monétaire du temps de travail, obligation de publication d’informations sur le calcul du salaire, etc.). Le qualificatif d’« administrative » accolé à une partie des activités de la GRH s’explique aussi par le degré de formalisation et la forte régularité (pour ne pas dire la répétitivité) des tâches de traitement de l’information qu’elles impliquent. Cependant, le lien avec l’influence de la réglementation n’est pas absent : la conformité à la réglementation, qui procède d’un critère de satisficing, prime souvent dans ces activités sur le critère d’optimisation (recherche d’efficience). En ce sens, la fonction RH fonctionne en partie comme une bureaucratie administrative au sens de Simon. De ce point de vue, la GRH participe à la composante hiérarchique de coordination de la production par la firme.

Selon nous, la GRH est animée par l’objectif de rationaliser du point de vue économique un dispositif de mise en œuvre d’obligations réglementaires. Ordinairement, les praticiens la présentent comme une activité dont le potentiel économique est limité par les contraintes réglementaires, et les fournisseurs de GRH jouent sur cette conception en soulignant les capacités des TI à alléger ces contraintes. L’objectif de rationalisation de la GRH peut en effet être atteint en ayant recours aux TI pour ce qui est de la production d’information, et notamment d’information obligatoire.

de solution RH) oppose communément la GRH administrative à la GRH stratégique. La première, incarnée par la paye et l’administration du personnel, est réduite à l’exécution des obligations réglementaires de la fonction RH. La seconde maintient, si possible par anticipation40, les incitations et les compétences de toutes les catégories de salariés en conformité avec les objectifs généraux de l’entreprise. Autrement dit, la fonction RH pourrait jouer un rôle d’allocation dynamique voire de développement prévisionnel des ressources humaines, participant ainsi au comportement de recherche d’efficience de la firme. Mais la fonction RH est soumise à une obligation réglementaire, exogène, de traitement d’information pour permettre à des institutions externes un contrôle du fonctionnement de la relation salariale au sein de la firme. Le premier type de mission est considéré comme de la GRH « pure », potentiellement « créatrice de valeur41 » c’est-à-dire impliquée dans l’accroissement du potentiel de création de richesse de l’entreprise, le second comme de la gestion administrative, seulement source de coûts. La gestion administrative, pour des raisons de culture42 des gestionnaires de ressources humaines, aurait tendance à dominer la GRH « pure ».

Une telle vision de la GRH méconnaît l’interaction qui existe entre traitement d’information RH et prise de décisions, y compris stratégiques. En effet, d’une part, les décisions de GRH stratégique utilisent les informations produites par les fonctions plus administratives, et d’autre part, les décisions de GRH stratégique finissent, en retour, par modifier le fonctionnement des fonctions administratives, par exemple en modifiant leurs règles de traitement de l’information (valorisation du temps de travail, utilisation des comptes-rendus d’entretiens de carrière…). Autrement dit, la fonction RH crée des processus pour remplir des obligations réglementaires de traitement d’information, mais aussi des processus qui permettent à l’entreprise d’améliorer sa GRH en exploitant cette information pour des objectifs économiques (allocation de la main d’œuvre, augmentation de la qualité du travail), en créant de nouvelles pratiques de management fondées sur la mise à disposition d’informations RH personnalisées.

Au centre de cette interprétation de la GRH se trouve la sous-fonction de création des règles RH : son identification et son analyse constituent un apport de la thèse (voir figure 5 39 Fournisseurs de TI pour la GRH, chercheurs en GRH et gestionnaires de RH.

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« de manière proactive ».

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Pour un diagnostic de l’ambiguïté de la notion de création de valeur voir Gunia (2002) p. 130.

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Un propos souvent entendu auprès des praticiens de la fonction RH comme des fournisseurs de solutions RH durant nos enquêtes de terrain veut que les militaires de carrières et les juristes aient traditionnellement constitué une part dominante des directeurs et chefs de personnel, appellations remplacées par « directeur des ressources humaines » à la fin des années 1980. Or, Fombonne (2001) refute (p. 581) cette « légende tenace, colportée par les DRH eux-mêmes, [selon laquelle] les militaires auraient, dans un premier âge de la fonction Personnel, constitué un vivier privilégié de chefs de personnel, et l’on attendait d’eux qu’ils fissent régner la discipline ». En revanche, à partir de plusieurs enquêtes qu’il cite, il confirme la nette prédominance des juristes de formation parmi les DRH. Cet aspect sociologique de la profession nous confirme l’importance des logiques d’acteurs non optimisatrices au sens économique mais plutôt orientées vers le respect de règles, que leur prégnance soit surestimée ou non.

sous-section 1.4 du chapitre 2). En effet, cette fonction n’existe pas formellement dans l’organisation, elle est plutôt identifiée, dans la littérature académique de gestion, comme l’une des missions dites stratégiques de la fonction RH, et elle est au cœur de l’analyse économique de la fonction RH. Dans ce cas, les acceptions du mot « stratégique » en gestion et en économie coïncident. Plus précisément, nous considérons les processus concrets d’élaboration, de choix et de mise en œuvre de schémas d'incitation à partir de l'information RH. Concrètement les règles de GRH, sous contraintes réglementaires (exemple : salaire minimum), visent à optimiser les incitations des salariés pour réduire le risque d’aléa moral inhérent à la relation salariale. Les schémas d'incitation comportent deux volets : les règles de rémunération (grille de rémunération, prime, avantages en nature, intéressement...) et les règles de promotion / mutation.

Ainsi, selon Vander-Ham (2005) « La bonne analyse de la paie conduit à des économies potentielles, chacune modeste, mais qui multipliées par le nombre de salariés constituent des sommes non négligeables. En effet, beaucoup d'entreprises, pénalisées économiquement par les 35 h qu'elles payent 39 heures, ont freiné voire différé les augmentations de salaires. Or, des effets induits conduisent inexorablement à une augmentation de la masse salariale bien au-delà du taux d'inflation : le vieillissement des salariés, l'accroissement des anciennetés, les promotions, l'augmentation de la technicité et donc des rémunérations, augmentent la masse salariale avant même le démarrage de l'élaboration d'une politique de rémunération. » La production des règles de GRH, qui relève de la décision stratégique, nécessite donc de traiter dans un processus spécifique des informations existantes, créées pour d’autres usages par les fonctions de calcul de la paye, de gestion administrative voire de gestion des compétences selon la sophistication des pratiques RH de l'organisation. Ces données peuvent faire l’objet d’études statistiques pour évaluer ou pour prévoir l'efficacité de schémas de rémunération, les nécessités de recrutement, de formation, etc.Or, comme le signale déjà Provost (1981), le bilan social ne remplace pas les tableaux de bords sociaux, c’est-à-dire les outils statistiques spontanément développés par la fonction RH43. En effet, le bilan social a d’abord été conçu pour favoriser les négociations collectives entre la direction des ressources humaines ou la direction générale et les partenaires sociaux, et il n’est publié qu’une fois l’an. Les tableaux de bord sociaux, eux, servent aux responsables de ressources humaines locaux, mais de plus en plus aussi aux managers opérationnels44, avec une fréquence au moins trimestrielle, à l’ajustement des incitations et des allocations du personnel. En même temps, on peut considérer, comme le faisaient déjà les directeurs et chefs de personnel en 197745, que l’obligation du bilan social a

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Dans les entreprises où elle en a les moyens en temps et en personnel.

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C’est l’esprit du titre d’un ouvrage de référence dirigé par J-M. Peretti (1996) : Tous DRH.

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été l’occasion une « insertion d’un peu plus de méthode, d’un peu plus de rigueur, de données un peu plus fonctionnelles et plus qualifiées » dans les pratiques de gestion du personnel. 20 ans plus tard, dans une étude46 menée par l'Institut d'Administration des Entreprises de l'université de Nice Sophia-Antipolis, 65 % des entreprises interrogées considèrent que « cet outil apporte des informations que l'on ne retrouve pas dans d'autres documents » (Barthe 1998). En outre, Igalens et Loignon (1997) soulignent que le bilan social peut « également servir de trame à la construction d'une batterie d'observation sociale au niveau des groupes. »

Une fois les règles de GRH élaborées47, elles sont mises en œuvre dans le traitement de l’information assuré par les sous-fonctions RH qu’elles régissent : les règles de rémunération sont introduites dans la fonction de calcul de la paye, les règles de promotion / mutation prises en compte dans les décisions de mobilité interne.

Ainsi, la création des règles de GRH illustre la rationalité à la fois réglementaire et économique48 qui régit la fonction RH. La priorité est donnée à la mise en conformité des règles de GRH avec toute évolution de la réglementation, ce qui requiert non seulement des capacités juridiques, mais également des capacités de négociation dans les entreprises dont les effectifs sont suffisamment importants pour que ces règles doivent être validées par les instances représentatives du personnel. La mise en conformité de ces règles avec un objectif d’optimisation des incitations, dont la définition implique des traitements d’information supplémentaires, passe en second. Elle se heurte à l’incertitude plus grande de l’effectivité du résultat, parce que l’horizon d’évaluation de l’impact est assez long, surtout en ce qui concerne des règles de promotion, ou même des primes annuelles. Selon le domaine sous-fonctionnel considéré, l’une ou l’autre rationalité prime : plus le poids de la réglementation du travail dans un domaine sous-fonctionnel est important, plus la rationalité de satisficing s’y exerce, le critère de satisfaction étant la conformité des informations produites aux exigences légales de fond et de forme.

46 L’échantillon est formé de 38 entreprises majoritairement composées de plus de 300 salariés (sauf quelques filiales

ayant reçu de leurs maisons-mère la responsabilité de faire leur propre bilan social).

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Il ne faut pas oublier qu’une partie des règles qui régissent les pratiques de GRH reste officieuse et non codifiée, notamment tout ce qui ressort du « management » dans le discours des praticiens, c’est-à-dire de la supervision directe et de l’ajustement mutuel selon Mintzberg (1982). Seulement, cette partie non codifiée échappe par nature au SIRH, et donc reste en marge de notre analyse.

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À plusieurs niveaux : minimisation des coûts de production de l’information RH, optimisation des choix entre processus RH alternatifs (GPEC), optimisation des schémas d’incitation.

Conclusion

Nous avons montré que la firme, en raison des contrats de travail qui la lient à ses salariés, consacre largement son activité de GRH au traitement d’information. Ce traitement d’information RH s’inscrit dans un processus permanent de réduction des asymétries d’information et des risques que l’information incomplète du contrat de travail fait peser sur l’activité de coordination de la firme (prises de décision en matière d’allocation des RH et contrôle des RH) : il s’agit de réduire le risque de sous-exploitation du contrat de travail. Le traitement d’information RH répond en même temps à la réglementation qui régit la relation salariale, et vise dans ce cas à réduire le risque social. L’opposition traditionnellement faite par les praticiens de la GRH entre GRH administrative et GRH stratégique est ici dépassée en montrant les interactions entre les processus de traitement d’information qui appliquent les règles RH (exogènes ou endogènes) et la déclinaison de la stratégie sous forme de règles endogènes encadrées par la réglementation du travail. Il s’agit en fait des deux aspects de la coordination par la firme : hiérarchique et contractuel.

Désormais au fait des besoins d’information de la fonction RH, nous pouvons examiner l’organisation que la firme a mise en place pour y répondre.

Chapitre 2 L’organisation de la fonction RH structurée par les besoins de

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