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Les arguments économiques du débat sur les différentes formes d’externalisation concernant la

Dans le document L'industrie des solutions RH en France (Page 75-83)

Partie I Le traitement de l’information RH dans les entreprises françaises

3.2 Les arguments économiques du débat sur les différentes formes d’externalisation concernant la

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Sur l’importance déterminante de la précision des questions quant à l’ampleur du domaine fonctionnel externalisé, voir Annexe 3

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Nous nous intéressons aux mécanismes économiques en jeu dans les décisions d’externalisation de la fonction RH parce qu’elles sont la face organisationnelle d’un phénomène de diversification des offres de services de traitement d’information RH en dehors de leur domaine traditionnel, la paye.

La théorie des coûts de transaction offre le cadre théorique le plus directement approprié à l’examen du rôle des TI dans les décisions d’externalisation relatives à la fonction RH, parce qu’elle isole bien le rôle des échanges informationnels dans la relation entre la firme et le prestataire assumant les tâches externalisées. Nous utilisons une note de synthèse relative à l’économie de l’externalisation de Brousseau (1998).

Une décision d’externalisation implique que la firme qui externalise renonce à contrôler l’activité concernée par une gouvernance hiérarchique, pour entrer avec la firme à qui elle délègue la fonction externalisée dans une forme de gouvernance intermédiaire entre le marché et la hiérarchie. Depuis Williamson (1985), cette forme hybride est appelée contrat. Comme les contrats d’externalisation sont de long terme et largement incomplets, le marché n’est pas la forme de gouvernance pertinente. La décision d’externalisation implique par conséquent que les attributs des transactions gérées par le contrat entre la firme qui externalise et son prestataire justifient l’abandon d’une partie des avantages liés au contrôle hiérarchique pour bénéficier d’une partie des avantages liés à la relation marchande. Dans ce cadre, notre questionnement94 peut se formuler ainsi : les TI ont-elles un effet sur les attributs des transactions de traitement d’information RH qui favorise les décisions d’externalisation relatives à la fonction RH ?

Pour statuer sur cette question, il faut d’abord avoir un aperçu des types de transactions concernant la fonction RH informatisée qui peuvent être effectuées dans une relation d’externalisation. La figure 7 récapitule l’ensemble des choix entre faire et faire faire qui s’offrent à une firme quand elle recourt aux TI pour traiter son information RH. Les transactions entre la firme qui décide ou non de recourir à un prestataire externe et ce prestataire sont présentées dans les ovales. À ce stade de l’exposé, c’est sur ces éléments du schéma que nous attirons l’attention du lecteur95.L’idée majeure à retenir du schéma est que tout groupage de biens et services TI implique une externalisation plus ou moins complète de la conception, de la mise en œuvre et de l’exploitation du système informatique de GRH (cf. chapitre 4).

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Voir Papaix (2004) pour une première approche de la GRH en termes de coûts de transaction.

95 L’analyse des éléments figurés dans les rectangles fait l’objet du chapitre 4, mais ils figurent sur ce schéma pour en

Figure 7 Les décisions de l’entreprise entre faire et faire faire concernant le déploiement des TI dans la fonction RH Oui Non Service bureau Approfondis- sement du service et périmètre élargi ?

Conception Mise en Exploitation

œuvre Oui Non Non Oui Non Oui Non Non Oui Non Oui Oui Logiciel spécifique exploité et maintenu en interne Progiciel Fourniture d’application hébergée Externalisation de processus voire de fonction Service bureau Définition du domaine à informati- ser Investis -sement dans un logiciel RH ? Fabrication interne du logiciel ? Fabrication sur mesure ? Logiciel spécifique Progiciel Exploitation interne ? Exploitation interne ? Exploitation interne ? Type de solution RH Objet de décision de la firme Légende

Les attributs d’une transaction sont son incertitude, la fréquence avec laquelle elle a lieu, et le degré auquel des actifs durables spécifiques à cette transaction sont nécessaires pour une offre à moindre coût. Toutes choses égales par ailleurs, moins la transaction est empreinte d’incertitude, moins elle est fréquente et moins elle nécessite d’investissements en actifs spécifiques, plus la firme aura tendance à externaliser la production du bien ou du service concerné.

Dans sa note sur l’externalisation qui inspire ici notre exposé, Brousseau (1998) se concentre sur l’enjeu de la spécificité des actifs, d’accord avec Ghertmann (1994), pour qui il s’agit de l’attribut le plus important. Un actif spécifique est un actif physique ou humain, matériel ou immatériel, engagé pour une transaction particulière et qui ne peut être réalloué à une autre transaction sans que les bénéfices tirés de son utilisation ne soient sensiblement réduits. Cependant, la fréquence des transactions et l’incertitude qui les caractérisent ne sont pas à négliger. Ainsi, il apparaît que si la première sous-fonction RH à avoir été externalisée est la paye, c’est en raison de la quasi-certitude qui caractérise l’achat de la prestation, qui est facile à prévoir et à spécifier tant en quantité qu’en qualité, ceci sur une période relativement longue par rapport à la fréquence de son occurrence, en général mensuelle96.

L’externalisation peut prendre la forme d’une filialisation qui constitue une forme de gouvernance distincte de la hiérarchie (internalisation totale), mais moins proche du marché que la forme de contrat dans laquelle la fonction externalisée est confiée à une entreprise complètement indépendante. L’avantage de la filialisation est que tous les gains d’efficacité nés de la rationalisation des activités externalisées bénéficient à l’entreprise qui externalise soit directement, par le prix de la prestation inférieur au coût de la réalisation en interne, soit indirectement par les bénéfices réalisés par la filiale dont elle est propriétaire. En conservant l’activité externalisée dans un groupe qu’elle contrôle, la firme qui externalise conserve non seulement son statut de residual claimant sur les bénéfices de cette filiale, mais également la possibilité éventuelle de récupérer plus tard pour son cœur de métier certains actifs devenus source de compétitivité sur de nouveaux marchés. L’exemple de Telefonica Chili, bien qu’hors de notre domaine géographique, illustre une évolution qui sera peut-être suivie par France Télécom. Partie de la volonté de décentraliser l’alimentation et la consultation de sa base de données du personnel, ainsi que certains processus comme les demandes de certificat d’employeur, Telefonica Chili a développé une entité spécialisée, T-gestiona, qui a conçu et

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A contrario, et toujours en cohérence avec la théorie des coûts de transaction, il est à noter que les entreprises d’intérim, qui payent leurs salariés sur une base hebdomadaire, et seulement en fonction de leur niveau d’activité qui est difficile à prévoir en raison de son irrégularité structurelle, en viennent souvent à développer leur propre application de paye. Autrement dit, les firmes d’intérim internalisent les compétences nécessaires à la production de leur outil de production de la paie parce qu’elles ont trop souvent besoin de l’adapter.

mené à bien le déploiement d’un intranet RH. Dans un second temps, cette entité a été filialisée pour servir d’autres filiales du Groupe Telefonica en Amérique Latine. D’une manière un peu similaire, mais selon d’autres modalités, France Télécom a d’abord concentré l’ensemble des services de gestion administrative et de la paie dans une dizaine de centres de services partagés RH. Ces unités sont gérées de manière autonome avec des contrôles de qualité de prestation en termes de coûts, délai, satisfaction du « client » (en l’occurrence les salariés de France Télécom). Il n’est pas exclu que le savoir-faire ainsi accumulé en interne puisse être exploité dans une diversification d’activité de services de GRH en centres de services partagés (CSP). Ces services seraient complémentaires avec les services de télécommunication. En effet, les CSP, en tant que centres d’appels, engendrent beaucoup de trafic de voix, mais également, en tant que centres informatisés de gestion de l’intranet de l’entreprise et de ses bases de données du personnel, beaucoup de trafic de données.

L’analyse que nous avons menée dans les deux précédentes sections de ce chapitre concernant la numérisation des méthodes de traitement de l’information RH nous conduit à penser que si les TI favorisent des décisions d’externalisation dans la fonction RH c’est parce qu’elles diminuent la spécificité des actifs impliqués dans le traitement d’information RH. Nous développons ici un argument qui recourt à l’économie de l’innovation, et à l’économie de la connaissance pour approfondir l’analyse néo-institutionnelle de l’externalisation. En effet, le déploiement des TI introduit de nouveaux actifs dans la production d’information RH, les logiciels RH et les bases de données RH, dont le degré de spécificité, quoique élevé, est moindre que les compétences et connaissances idiosyncrasiques (capital humain spécifique) qu’elles remplacent en partie. L’apparition des nouveaux actifs informationnels que sont les logiciels RH procède d’un phénomène d’innovation qualifié par Gallouj et Gallouj (2004) d’objectivation : « L’innovation […] peut être immatérielle. Elle pourra consister en méthodes, c’est-à-dire en un script définissant de manière précise les paroles, actions et opérations de chacun (méthodes des consultants, mais aussi de la restauration…). On pourra alors, dans ce cas particulier, parler d’"innovation objectivation" ou encore d’"innovation formalisation". Certaines méthodes pourront s’appuyer sur des systèmes techniques (informatisation des méthodes de recrutement de cadres), d’autres s’incarner dans des outils (systèmes experts juridiques), mais ce n’est pas une condition nécessaire d’innovation. » La transcription numérique d’une méthode de traitement d’information constitue une objectivation puisque d’une part c’est une formalisation, d’autre part c’est une innovation parce qu’elle exige des adaptations pour tenir compte à la fois des limites et des capacités de traitement des ordinateurs.

L’explication en termes de coûts de transaction ne suffit pas à expliquer le rôle des TI dans les décisions d’externalisation concernant la fonction RH. Les coûts de production jouent

en effet un rôle direct important. Comme nous le verrons plus en détail dans la Partie II, sur longue période, la recherche des coûts de fonctionnement les plus bas possible semble déterminante pour l’externalisation. Ainsi97, l’externalisation de la paye informatisée a connu une période de faveur au temps de l’informatique chère. Puis elle a régressé au profit de la paye produite en interne avec la forte réduction des coûts associée à la micro-informatique. Enfin, avec la réduction relative très importante des coûts de télécommunication, les années Internet s’accompagnent d’un regain de l’externalisation. Selon nous, à l’ère d’Internet, ce sont les considérations de coûts de production qui poussent davantage à externaliser que les considérations de coûts de transaction. En effet, comme exposé pour le cas de la paye dans Diop et Papaix (2004), les investissements en TI dans la GRH, par un mécanisme classique de substitution capital / travail, diminuent les coûts marginaux de traitement de l’information RH, au prix de coûts fixes plus élevés. L’externalisation du système informatique de la fonction RH permet de bénéficier d’économies d’échelle sur ses composantes non spécifiques à l’entreprise cliente (matériel de calcul et de stockage, partie standard des logiciels) grâce à la mise en réseau de fournisseurs spécialisés dans la mutualisation optimisée des différentes couches du système informatique. Cette mutualisation porte en particulier sur les coûts échoués d’adoption des innovations technologiques, fréquentes dans l’industrie informatique. Cet argument favorable à l’externalisation est notamment défendu par Bartel, Lach et Sicherman (2005). Tout l’enjeu de cette externalisation réside dans l’appréciation du verrouillage98 associé aux composantes spécifiques du système informatique RH externalisé partiellement ou totalement. Par rapport à la situation où l’ensemble du système informatisé de GRH est maîtrisé en interne (traitement de l’information RH et logiciel), malgré les coûts de sortie (switching costs), la firme bénéficie de la situation de concurrence dans laquelle se trouve son prestataire. Autrement dit, bien qu’associée à des coûts importants, le changement de fournisseur reste possible.Il constitue un mécanisme de représailles (cf. Brousseau et Rallet 1997) qui incite le prestataire à tenir ses engagements. La concurrence pousse aussi le prestataire à innover pour rester compétitif en termes de coûts et de qualité, même si la complexité des produits rend la comparaison difficile. Il reste que la gouvernance par le contrat, qui caractérise la relation d’externalisation, laisse davantage de place à l’opportunisme des parties que la gouvernance hiérarchique (Brousseau 1998 p.11). Ainsi, il n’est pas garanti que le prestataire fera bénéficier systématiquement son client des gains d’efficacité qu’il réalise en innovant ou des rabais qu’il obtient sur certains composants de sa prestation auprès de grossistes. Par exemple, les prestataires de services informatiques RH recourent souvent à des spécialistes de l’hébergement des logiciels auprès desquels ils bénéficient d’un effet de taille, en syndiquant les besoins d’hébergement de tous

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Cf. Diop et Papaix (2004) p.3 pour l’interaction entre informatisation et automatisation dans le cas de la paye.

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leurs clients99.

Autre argument en faveur de l’externalisation, le prestataire est un double spécialiste de l’informatique et de la GRH, alors que, dans l’organisation de la firme, les personnels possédant cette double compétence sont rares. En effet, les informaticiens sont généralistes par rapport aux différents domaines fonctionnels, et les compétences en informatique des gestionnaires de ressources humaines dépassent rarement celles d’utilisateur clé, c’est-à-dire la capacité de former d’autres utilisateurs, et de réaliser des modifications simples du paramétrage du logiciel. Autrement dit, les entreprises ont intérêt à se « concentrer sur leur cœur de métier ». Cet argument, systématiquement invoqué par les avocats de toute forme d’externalisation, est justifié par un argument tiré de la théorie évolutionniste « qui insiste sur les limites cognitives des organisations et souligne, en conséquence, qu’afin de maintenir leur avantage concurrentiel, elles doivent consacrer leurs efforts aux seules activités qu’elles maîtrisent » (Brousseau 1998). Autrement dit, la spécialisation des firmes sur des activités où elles ont un avantage concurrentiel concerne aussi leurs efforts d’acquisition de connaissances, d’apprentissage. Cet argument rejoint celui de l’adoption des nouvelles technologies, invoqué ci-dessus, puisque toute adoption implique un apprentissage.

L’évolution des TI elles-mêmes favorise l’externalisation en diminuant la spécificité d’origine technologique des actifs TI impliqués dans l’externalisation de la fonction RH. En effet, le déploiement des réseaux à haut débit évite à la firme qui externalise sa fonction RH numérisée de subir de plein fouet les coûts de changement qui lui sont attachés. Avant le déploiement des réseaux à haut débit, passer d’une solution informatique interne à une solution externalisée nécessitait généralement de changer d’application et de fournisseur. Ce changement impliquait de subir les coûts de changement attachés à l’application interne. Désormais, les réseaux à haut débit permettent d’externaliser la solution sans changer d’application. Si le prestataire d’externalisation n’est pas le fabricant de la solution (ex. : les systèmes de paye externalisés par Arinso sont fabriqués par SAP ou Oracle), le client ne subit pas pour autant tous les coûts de changement qu’aurait impliqués un changement de logiciel (ex. : les coûts de transfert de données).De manière générale, comme nous le verrons en détail au chapitre 8, les solutions d’informatisation de la paye, internes ou externes, sont en train de s’adapter à l’environnement Web (flux de données normalisés au format XML*, application programmée en Java*, architecture trois tiers*). Elles deviennent utilisables à distance avec un simple logiciel de navigation par Internet. Cette évolution ouvre la voie à une standardisation de plus en plus poussée de l’interface entre le système informatique de la firme et celui du prestataire.

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Dès lors les offres concurrentes seraient de plus en plus substituables au moins techniquement, et le verrouillage technologique diminuerait.

Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons vu que la firme recourt aux TI pour coordonner plus efficacement son personnel en augmentant sa productivité dans le traitement de l’information que cette coordination implique. Ce recours aux TI pour le traitement de l’information RH implique des modalités de numérisation aux conséquences économiques différentes pour l’information RH elle-même et pour la méthode de traitement de cette information RH. La numérisation de l’information RH accroît la productivité du système d’information de la fonction RH. La numérisation de la méthode de traitement de l’information RH, sous forme de logiciel, en favorise la transférabilité et la standardisation. Par ailleurs, l’évolution des TI accroît la standardisation des technologies de traitement d’information en général.

L’analyse néo-institutionnelle conduit à conclure que les TI réduisent la spécificité des actifs impliqués dans le traitement d’information RH, ce qui favorise, à divers degrés selon les entreprises, l’externalisation des activités de la fonction RH. La question centrale est : s’agit-il d’externaliser la production du logiciel RH ou bien directement le traitement de l’information RH ?

La réponse dépend des produits offerts par l’industrie informatique de gestion. Nous allons les étudier dans le chapitre 4.

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