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Le Traité de la naissance de la foi dans le Grand Véhicule et l’origine de la

1.1 Les concepts fondamentaux du bouddhisme

1.1.2 Le Traité de la naissance de la foi dans le Grand Véhicule et l’origine de la

La genèse du Traité de la naissance de la foi dans le Grand Véhicule est obscure, entourée de légendes peu vérifiables. Tant de doutes sur la provenance exacte de ce texte lui ont parfois valu d’être dénoncé comme une contrefaçon. Selon l’avis de Mou, notre attention ne doit pas se porter sur l’origine de ce traité, mais plutôt sur son contenu, qui revêt en tout cas une valeur importante. Il serait inspiré de soutras indiens84 d’une période antérieure. Le Traité de la naissance de la foi dans le Grand Véhicule serait fidèle aux mêmes idées, notamment le concept de la nature de Bouddha et de la conscience comme seule réalité. Évidemment, cette similitude idéelle validerait son importance. De plus, Mou considère que le développement du bouddhisme se doit de passer par les principes doctrinaux énoncés dans ce traité. Dans le bouddhisme préexistant, comme c’est le cas pour l’école Weishi que nous venons de voir, les phénonoumènes purs sont difficilement expliqués. Mou suggère donc qu’il est nécessaire et naturel que l’étape suivante consiste à mettre sur pied une théorie qui résout autant l’existence des phénonoumènes purs que des phénonoumènes impurs, c’est-à-dire que tous les phénonoumènes sont justifiés.

Mou affirme que le système philosophique proposé par le Traité de la naissance de

la foi dans le Grand Véhicule mettrait de l’avant l’esprit intrinsèquement pur. Cet esprit

n’appartient pas au domaine de l’illusoire, pas plus qu’il n’est souillé. Étant pur, il relève de la sphère de l’esprit véritable et constant. Il serait un guide sûr pour celui qui veut atteindre l’illumination. Mou souligne qu’il y a une similitude entre ce concept et celui de la nature intrinsèque (xing 性)85 telle que décrite par Mencius (Mengzi 孟子, env. 380- 289 av. J.-

84 Le Śīmālā-devī-simhanāda-sūtra (Sheng man fu ren jing 勝鬘夫人經), le Lankāvatāra-sūtra (Leng qie jing

楞伽經), le Mahāparinirvāna-sūtra (Da bo nie pan jing 大般涅槃經), ainsi que d’autres qui ne sont pas explicitement nommés.

C.)86. Cette dernière étant liée à la réalité ultime (le Ciel- tian 天 - dans le cas du confucianisme)87, elle serait considérée comme la nature du sage, c’est-à-dire la base qui rendrait possible l’accomplissement de la sagesse. Tout comme l’esprit intrinsèquement pur, la nature intrinsèque n’est donc pas seulement celle de celui qui a atteint la sagesse, mais aussi celle de tous les êtres humains, tous ayant le potentiel de devenir un sage.

Mou soutient son interprétation en invoquant la nature de Bouddha. En effet, certaines écoles bouddhiques prônent l’idée selon laquelle tous possèderaient le potentiel nécessaire à l’atteinte de la bouddhéité. Cette ressemblance avec la pensée de Mencius aurait d’ailleurs permis aux Chinois d’apprécier la théorie du Traité de la naissance de la

foi dans le Grand Véhicule. Mou maintient que c’est pour cette raison que la notion d’une

nature de Bouddha présente chez chaque être sensible aurait exercé une grande influence en Chine.

Selon Mou, l’esprit véritable et constant, existant a priori, est considéré comme le fondement nécessaire pour atteindre la bouddhéité. Cet esprit n’appartiendrait pas seulement au Bouddha, mais à tous les êtres sensibles. Il serait transcendantal et non empirique, ce qui assurerait que les dix mille êtres puissent devenir des bouddhas :

Lorsqu’on affirme l’existence d’un esprit véritable et constant transcendantal qui serait le fondement de la bouddhéité, alors, dans notre vie, il y a un a intrinsèque est considérée comme la fondation de la moralité. Celui qui la manifeste pleinement agit moralement en tout temps. Ce mot se traduit mal en français, car il perd le sens qu’on lui donne dans le confucianisme. On le traduit parfois par essence en anglais, mais Mou trouve que ce mot n’est pas approprié. Il préfère le terme nature, bien que celui-ci ne représente pas parfaitement ce concept confucianiste. Voir Mou, Zongsan. 1983. Zhongguo zhexue shijiu jiang 中 國 哲 學 十 九 講 (Dix-neuf conférences sur la philosophie chinoise). Taipei: Taiwan xuesheng shuju. p.433. A1122

86 Ce philosophe confucianiste est l’un des plus renommés après Confucius. Il est considéré comme l’héritier

spirituel de celui-ci puisque son interprétation est conforme aux enseignements du Maître. De plus, il fut plus influent que Confucius puisque plusieurs de ses disciples étaient des chefs féodaux.Il a retransmis les grands concepts du Maître tout en ajoutant ses propres développements. Sa théorie la plus connue est celle de la bonté de la nature intrinsèque. A1113

87 Ce concept est très présent dans le confucianisme et son sens a évolué au cours du développement de cette

philosophie. Le concept de Ciel, la Voie céleste ou le principe céleste serait à la fois l’origine de tous les êtres et ce qui détermine leur nature et leurs fonctions. A1140

priori qui implique un type de force transcendante, qui peut naturellement se

mettre en mouvement et qui ne dépend pas entièrement de l’influence des expériences a posteriori.88

Contrairement à ce qu’avance l’école Weishi, le préalable pour devenir un bouddha n’est pas a posteriori. Par conséquent, la multitude d’êtres n’est plus dépendante du hasard pour rencontrer les circonstances qui lui permettront d’atteindre l’illumination. Mou explique que dans le cas d’une origine de la bouddhéité existant a priori, il est alors certain que la totalité des êtres sensibles possède le potentiel nécessaire pour accéder à l’état de Bouddha. Celui qui se laisse guider par son esprit véritable et constant peut atteindre l’illumination. D’ailleurs, il pourrait manifester sa nature de Bouddha même si les circonstances qu’il rencontre n’y sont pas entièrement favorables. Cependant, cette base transcendantale ne garantit pas l’accomplissement de cette potentialité dans cette vie-ci; elle assure seulement que tous les êtres aient la possibilité de devenir des bouddhas sans le seul support des expériences a posteriori. Dans la vie quotidienne, ce potentiel resterait souvent latent et ne se manifesterait pas.89

Mou écrit qu’à partir du Traité de la naissance de la foi dans le Grand Véhicule, il serait facile d’expliquer les phénonoumènes purs. L’esprit véritable et constant étant fondamentalement pur, il peut directement générer des pensées et des actions pures. Toutefois, l’émergence de phénonoumènes impurs serait plus difficile à élucider. Comme nous le verrons plus loin, l’esprit intrinsèquement pur ne peut directement produire des phénonoumènes impurs. Pourtant, il serait considéré comme le fondement de tous les phénonoumènes :

(...) Cet esprit véritable et constant est la base de tous les phénonoumènes; par tous les phénonoumènes, on comprend tous les phénonoumènes de la succession de la vie et de la mort ainsi que tous les phénonoumènes purs et non corrompus. Ces deux aspects de tous les phénonoumènes sont basés dans l’esprit intrinsèquement pur de la matrice de l’Ainsi-Venu.90

88 Mou, Zongsan. 1983. Zhongguo zhexue shijiu jiang 中國哲學 十九 講 (Dix-neuf conférences sur la

philosophie chinoise). Taipei: Taiwan xuesheng shuju. p.285.

89 Ibid. p.294. 90 Ibid. p.291.

L’existence de tous les phénonoumènes serait garantie par l’esprit intrinsèquement pur. Cet esprit serait au-delà du monde empirique; il serait considéré comme permanent et authentique, et tous les phénonoumènes en émaneraient, c’est-à-dire les souillés (production et annihilation) autant que les purs (esprit véritable). C’est ce que Mou nomme les deux aspects de tous les phénonoumènes. Par conséquent, il affirme que l’esprit intrinsèquement pur ouvrirait deux portes, celle de la production et de l’annihilation, ainsi quecelle de l’ainsitéreliée aux phénonoumènes purs non corrompus.

1.2 L’émergence de l’aspect pur et impur à partir d’une même