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Le discours moral dans l’enseignement bouddhique

4. La voie du bouddhisme : un enseignement amoral?

4.1 Le discours moral dans l’enseignement bouddhique

Mou affirme que la réflexion morale, dans le bouddhisme, n’est pas suffisamment développée, bien que les notions d’ordre moral ne manquent pas. Dans ce contexte, il ne discute pas spécifiquement des termes qui sont liés à la morale dans le bouddhisme. Il tend à aborder le problème sous un autre angle447. Plus précisément, il examine les concept-clés tel que la vacuité, la non-existence et l’extinction calme. En outre, ce qui est particulièrement important pour lui reste une réflexion sur ce qu’est le bien. Pourtant, il reconnaît que les enseignements bouddhiques mentionnent les vertus448 (śīla, jie 戒 ou encore,

shiluo 尸羅) 449, c’est-à-dire une liste de prescriptions que l’on qualifie pourtant de morale450 et qui aide le disciple à rester sur le droit chemin. Ces vertus peuvent être représentées, par exemple, par des comportements tels que la sobriété, l’honnêteté, l’absence de vanité, etc. Cette liste de comportements vertueux nous rappelle ce qu’il faut surveiller dans nos actions et paroles pour éliminer les

447 Ce que nous verrons plus tard, infra même chapitre, p.151 et suivantes. A5558 448 Pāramitās (vertus déterminantes) est aussi traduit par vertus.

449 Le mot « shiluo 尸羅 » désigne aussi la deuxième pāramitā, celle de la pureté de paroles, de

pensées et d’actions ou pureté morale. Voir le terme chinois de vertus (shiluo 尸羅) dans l’encyclopédie électronique du Foguang (Foguang 佛 光 ) à l’adresse suivante :

http://www.fgs.org.tw/fgs_book/fgs_drser.aspx, ainsi que dans le Dictionnaire électronique du bouddhisme de Charles Muller à l’adresse suivante : http://www.buddhism-dict.net/ddb (consulté le 28 juillet 2012). Voir aussi Buswell, Robert E. 2004. Encyclopedia of Buddhism. New York: Macmillan Reference USA. p.631-632.

450 Il y a soit cinq, huit, dix ou deux cent cinquante règles. Les cinq premières vertus (pañca-śīla,

wujie 五 戒) s’adressent aux laïcs et sont les suivantes : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre l’adultère, ne pas parler faussement et ne pas boire d’alcool. Les deux cent cinquante, dont les cinq premiers préceptes sont les mêmes, sont suivis par les moines et les nonnes.

mauvaises habitudes, vaincre les tentations et rester pur spirituellement et physiquement.

Celui qui pratique ce que le bouddhisme considère comme des vertus s’assurerait de mener une vie moralement acceptable, aussi David J. Kalupahana écrit que : « Virtues are important as the nuclei of moral life »451. Elles seraient un premier pas vers l’action morale sans exiger du pratiquant qu’il considère le bien-fondé de ces règles. Il n’aurait qu’à les appliquer fidèlement. Cependant, les vertus ne seraient que le commencement de la moralité. Appliquer les vertus aveuglement n’équivaut pas à être moral. L’être sagace doit aussi passer par un processus d’évaluation plus ou moins conscient servant à déterminer les vertus appropriées aux circonstances. Par conséquent, Kalupahana ajoute : « As such virtues are not sufficient in themselves. On the one hand, to be virtuous is not the ultimate goal of life, and on the other, there is no one virtue that may be considered the ultimate or the essential one. »452 Les bouddhistes considèrent que le but ultime de leur progression serait la cessation de la souffrance, l’atteinte du nirvana, et non la pratique des vertus. Ces dernières sont en fait des outils qui favorisent la réussite du pratiquant. La moralité ne serait pas pour eux une fin en soi. De plus, étant donné le concept d’impermanence de cette philosophie, aucune des vertus ne peut être considérée comme étant ultimement au-dessus des autres. L’importance des règles morales varierait selon les circonstances; elle est donc relative. Contrairement à ce qu’enseignent les bouddhistes, Mou, en tant que confucianiste, considère l’existence vertueuse comme l’épanouissement désiré de l’être humain, l’achèvement ultime de la nature humaine. Les vertus revêtent pour lui une plus grande importance qu’elles ne semblent en posséder dans le bouddhisme. C’est justement la raison qui le pousse à dire que le bouddhisme ne discute pas de moralité, parce qu’elle n’est pas pratiquée pour sa valeur

451 Kalupahana, David J. 1995. Ethics in early Buddhism. Honolulu: University of Hawai**i

Press. p.72.

intrinsèque, mais seulement comme un moyen d’atteindre le but ultime : le nirvana.

Mou s’aperçoit que le bouddhisme a bâti une morale différente de celle des autres grandes traditions, dont certaines placent la moralité au cœur de leur pensée. Il n’est d’ailleurs pas le seul à l’avoir constaté. Par exemple, Garner perçoit aussi une subtile différence entre ce qui est considéré comme juste (sammā) dans le bouddhisme et ce qui est moralement correct : « The next three steps are explicitly said to deal with "moral conduct", but even here it is not obvious that "right action", for example, means the same as "morally right action". »453 Garner discute ici certaines étapes de l’Octuple Noble Sentier454, qui ressemble aussi à une série de préceptes moraux et représente une existence moralement parfaite. Cependant, le but de ce chemin est l’extinction du désir et non pas la moralité en elle-même. Le désir provoquerait la souffrance, alors que le bouddhisme vise la cessation de la souffrance. Ainsi, ce qui est juste en ce qui a trait au mode de vie (vie juste) pour atteindre le nirvana n’est peut-être pas moral au sens conventionnel du terme. Prenons par exemple un certain personnage, un sage bouddhiste chinois, que l’on décrit comme un grand buveur et joueur. On le retrouve dans les milieux peu recommandables en compagnie de délinquants et d’escrocs. Il ne semble pas mener une vie morale ; pourtant, c’est un mode de vie juste puisque la meilleure façon de gagner la confiance des gens de ce milieu et de leur transmettre le message du Bouddha efficacement est d’être comme eux, de vivre la même vie qu’eux, les mêmes épreuves, les mêmes tentations. On peut donc comprendre pourquoi Mou ne met pas la morale du bouddhisme sur le même pied que celle du confucianisme. Les vertus et les actes

453 Garner, Richard. 1994. Beyond morality. Philadelphia: Temple University Press. p.114. 454 L’Octuple Noble Sentier comprend : la vue juste (sammā ditthi), la pensée juste (sammā

samkappa), la parole juste (sammā vaca), l’action juste (sammā kammanta), la vie juste (sammā ajiva), l’activité juste (sammā vayama), l’esprit juste (sammā sati), la concentration juste (sammā samadhi). Dans l’extrait ci-dessus, Garner aborde plus particulièrement la parole juste, l’action juste et la vie juste. A7770texte

justes du bouddhisme seraient accessoires à l’atteinte de la délivrance. Dans le courant confucianiste favorisé par Mou, la moralité vraie résulterait d’une communion avec le principe céleste à travers la nature essentielle de l’être humain et aurait pour but de manifester le plein potentiel de celui-ci. Il est alors valorisé en tant qu’agent du principe céleste, couvrant le monde de bienfaits. Par conséquent, Mou considère que la morale revêt un rôle primordial.

4.2 Les concepts de vacuité (kong 空), non-existence (wu