• Aucun résultat trouvé

a. Références intertextuelles

1. Traduction du terme « Issue »

Le premier terme auquel nous allons nous intéresser, « issue », revient dans deux extraits différents, au deuxième et au sixième chapitre du premier tome (The Unbelievable Gwenpool #1 et #4). Dans les deux cas, ces occurrences font partie d’un trait d’humour de la protagoniste et font référence à la fragmentation de l’histoire en plusieurs chapitres.

En effet, dans le format traditionnel des comics américains, les séries suivent un rythme de parution hebdomadaire qui impose une fragmentation de l’arc narratif en une succession d’épisodes généralement courts. Contrairement aux publications européennes, dans lesquelles les chapitres, lorsqu’il y en a, contiennent généralement une histoire complète, les « issues » des comics américains se terminent généralement sur des fins à suspense ou cliffhanger, afin d’inciter le lecteur à acheter la suite de la série. En cela, on peut dire que la production des bandes dessinées franco-belges ressemble à celle des films produits pour le grand écran, tandis que les comics américains, avec leur rythme de publication hebdomadaire, s’apparentent plutôt aux séries télévisées (épisodes plus courts diffusés régulièrement). Ces différents « issues » d’une série de comics sont par la suite rassemblés pour être publiés ensemble dans un tome plus long, qui fait donc office de collection d’épisodes de la même manière que, dans une série télévisée, les épisodes sont par la suite rassemblés en « saisons » pour être commercialisés. Pour faciliter le

113

référencement de chacun de ces chapitres/épisodes, les « issues » sont généralement titrés et numérotés pour indiquer leur ordre de lecture et s’ils font partie de l’histoire principale (ils portent alors le nom de la série, comme par exemple « The Unbelievable Gwenpool #3 ») ou s’il s’agit d’une histoire courte produite en plus (comme c’est le cas ici, avec l’épisode « spécial Noël » qui a été intitulé « Gwenpool Holiday Special #1 »).

La traduction de ce terme « issue » est donc problématique pour le traducteur francophone, puisqu’il fait directement référence à une certaine manière de produire et de publier les bandes dessinées, qui est propre au monde anglophone et très peu courante dans l’aire culturelle francophone. Dans le corps de ce mémoire, nous avons choisi d’utiliser le terme « chapitre » pour référencer les « issues » de chacun des extraits que nous avons mentionnés, mais ce n’est pas ce terme qui a été choisi par Benjamin Rivière pour traduire les deux occurrences auxquelles nous allons maintenant nous intéresser.

Sur cette image (située à la deuxième case de la page 60), Gwenpool, qui sort de la boutique de Ronnie, répond aux inquiétudes de celle-ci sur la dangerosité de sa nouvelle mission en affirmant qu’elle ne peut pas mourir tout de suite, puisqu’il s’agit seulement du premier chapitre de son histoire. Le traducteur a ici choisi de traduire l’expression

« issue one » par « le numéro un », une solution qui est cohérente puisque le numéro de chapitre est ici directement mentionné. Cependant, nous pensons que dans un tel contexte le terme « numéro » employé seul peut créer une certaine confusion, car il n’est pas clairement précisé que l’on fait ici référence à la série The Unbelievable Gwenpool. Dans la version anglaise, l’emploi du terme « issue », qui fait partie d’un vocabulaire spécifique

Figure 24 : The Unbelievable Gwenpool #1, page 60, détail de la case 2 (version originale et traduite en français)

114

aux comics, ne laisse aucun doute au lecteur sur le fait que Gwenpool fait ici référence à une série de comics (en l’occurrence, sa propre série). Dans la version française, le doute persiste car le terme « numéro » n’est pas confiné à un type de production précis, mais est utilisé indifféremment à chaque fois qu’il est nécessaire de numéroter quelque chose. Un lecteur non-attentif pourrait donc ici se sentir perdu et ne pas comprendre à quoi il est fait référence, tout particulièrement dans un tel contexte, puisqu’il est assez inhabituel qu’un protagoniste mentionne directement la série dont il est le héros.

On peut donc dire que cette traduction est un procédé de deleito, puisqu’un élément de la version originale (le terme « issue ») a été supprimé dans la traduction en français, et entraîne une légère perte d’information (la référence directe à la fragmentation de la bande dessinée en courts chapitres/épisodes). En conséquence, ce procédé de deleito entraîne dans la version traduite une certaine « contraction des pistes interprétatives », puisqu’il est moins évident pour le lecteur francophone que la protagoniste fait ici une méta-référence à sa propre série. Il nous semble que dans un tel contexte il aurait été possible de traduire plus clairement la référence avec par exemple

« Ce n’est que le chapitre un », « C’est l’épisode un » ou encore une autre formulation comme « On en est encore au début de l’histoire ». Dans la deuxième occurrence de ce terme « issue », le traducteur a d’ailleurs opté pour une autre traduction, comme nous allons maintenant le voir.

Le second passage (dont une copie est jointe en annexe à ce mémoire, voir Annexe 6 « The Unbelievable Gwenpool #4, page 128 ») est tiré du chapitre The Unbelievable Gwenpool #4, qui est également le dernier chapitre à figurer dans le premier tome de la version originale. Cependant, comme nous l’avons déjà mentionné plus tôt, le premier tome de la version traduite publiée a été raccourci, et ce chapitre a donc été décalé dans le deuixème volume de la traduction en français, qui est intitulé « Quand on veut, on peut » (All-New Deadpool Hors-Série #3). Dans cet extrait, qui constitue le climax du premier volume de la série, Gwenpool est en train de combattre son ancien patron le criminel M.O.D.O.K., un personnage très connu de l’univers fictif Marvel. Après qu’il l’ait menacée de mort (« I will kill you, Gwen Poole ! »), Gwen brise une fois de plus l’illusion narrative en rétorquant avec humour « Sorry, I already called that oath on you two issues ago. » (case 3 page 128, The Unbelievable Gwenpool #4). Il s’agit donc encore une fois d’une

115

référence métatextuelle à la fragmentation de la série The Unbelievable Gwenpool elle-même, ce qui implique que la protagoniste est toujours consciente des différents chapitres dans lesquels elle évolue.

Dans la traduction française, Benjamin Rivière a ici choisi de traduire « issue » par le terme « épisode », qui est habituellement plutôt associé aux séries télévisées. Bien qu’elle ne soit pas tirée d’un vocabulaire propre à la bande dessinée, cette traduction fonctionne bien dans ce contexte, puisqu’elle permet d’évoquer le rythme de publication très régulier des comics aux Etats-Unis. De plus, contrairement à « chapitre », qui se limite généralement aux publications écrites, le terme « épisode » a une utilisation plus large puisqu’il peut aussi être associé à d’autres types de productions (fillm, série, mais aussi roman-feuilleton, etc.). Enfin, on pourrait avancer que le terme « épisode » viendrait sans doute plus naturellement à une jeune protagoniste comme Gwenpool, étant donné qu’il est indiqué plusieurs fois dans la série que celle-ci est amateure de comics mais aussi de films et de séries : car, si Marvel entertainment est une entreprise connue pour ses comics mais aussi pour ses productions sur grand et petit écran, il n’existe pas de « roman Marvel » ou de production Marvel basée uniquement sur l’écrit. Le terme « épisode » semble donc ici plus approprié que « chapitre » en raison de son association avec les productions Marvel au sens large.

2. Traduction de l’expression « Backup