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Traduire la bande dessinée de super-héros, le cas particulier de The Unbelievable Gwenpool

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Academic year: 2022

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Master

Reference

Traduire la bande dessinée de super-héros, le cas particulier de The Unbelievable Gwenpool

CHARDON, Solène

Abstract

Ce mémoire porte sur la traduction de la bande dessinée de super-héros en français. Plus particulièrement, nous avons choisi de nous intéresser à la traduction en français du premier tome de la série The Unbelievable Gwenpool, qui a été produite par Benjamin Rivière. Dans un premier temps, nous avons présenté le genre du comic de super-héros d'origine américaine et ses principales caractéristiques. Puis, dans un deuxième temps, nous nous sommes concentrée sur les principaux enjeux de la traduction de bande dessinée, et les difficultés de traduction qui peuvent en découler. Enfin, nous avons fait une analyse comparative de l'original et de la traduction de l'œuvre sus-mentionnée, en s'intéressant à certains passages qui présentent des particularités et posent un défi au traducteur.

CHARDON, Solène. Traduire la bande dessinée de super-héros, le cas particulier de The Unbelievable Gwenpool. Master : Univ. Genève, 2020

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:139696

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CHARDON Solène

Traduire la bande dessinée de super-héros : le cas particulier de The Unbelievable

Gwenpool

Directrice : Mme Nathalie Sinagra Decorvet Juré : M. Olivier Demissy-Cazeilles

Mémoire présenté à la Faculté de traduction et d’interprétation (Département de traduction, Unité de français) pour l’obtention de la Maîtrise universitaire en traduction spécialisée, mention Traductologie.

Université de Genève Année académique 2019-2020

Août 2020

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Remerciements :

En premier lieu, nous souhaitons adresser une pensée particulière à l’équipe du collège de traducteurs Looren, qui nous a permis de travailler sur la série The Unbelievable Gwenpool dans le cadre d’un stage en traduction littéraire. Cette opportunité d’échanger et de travailler aux côtés de traducteurs expérimentés nous a beaucoup appris sur la traduction de bande dessinée et les réalités du métier de traducteur littéraire.

Nous tenons tout particulièrement à remercier madame Nathalie Sinagra- Decorvet, qui nous a encouragée à construire un projet de mémoire sur la traduction de bande dessinée, et qui a accepté d’être directrice de ce mémoire. Nous avons pu profiter de son expérience et de ses précieux conseils tout au long de l’élaboration de ce travail de mémoire, et nous souhaitons la remercier pour ses nombreux retours, sa bienveillance et sa disponibilité.

Un grand merci à monsieur Olivier Demissy-Cazeilles, qui a accepté d’être juré pour ce mémoire.

Nous tenons également à adresser nos remerciements à monsieur Benjamin Rivière, traducteur de The Unbelievable Gwenpool, qui a accepté de répondre à nos questions sur son travail de traduction avec beaucoup de gentillesse.

Merci enfin à Raphaël et aux membres de ma famille pour leurs conseils et leur soutien indéfectible.

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Table des matières

Introduction : ... 6

I. Etat de la question ... 8

Présentation du genre de la bande dessinée ... 8

a. Histoire et caractéristiques des comics américains de super-héros ... 10

b. En quoi les comics américains se différencient-ils des bandes dessinées franco- belges ?... 18

Enjeux traductologiques de la traduction de bandes dessinées. ... 25

a. Gestion des éléments visuels. ... 25

b. Faut-il modifier le format de publication ? ... 33

c. Traduire les onomatopées. ... 36

d. Traduire l’oralité... 38

Cadre critique qui sera utilisé pour l’analyse ... 41

a. Typologie des stratégies établie par Klaus Kaindl ... 41

b. Méthode d’analyse de Lance Hewson ... 42

c. Remarques sur la complémentarité de ces deux méthodes analytiques. ... 45

II. Présentation de l’œuvre et de sa traduction ... 47

Présentation de l’œuvre ... 47

a. Les auteurs ... 47

b. Création de la protagoniste. ... 50

c. Résumé de l’histoire ... 52

d. Genre littéraire et public-cible ... 56

e. Personnages secondaires importants ... 58

Présentation de la traduction. ... 62

a. Traducteur et contexte de traduction. ... 63

b. Une publication particulière ... 64

III. Analyse d’exemples tirés du premier tome de The Unbelievable Gwenpool. ... 65

Difficultés liées aux caractéristiques de la BD ... 66

a. La gestion du format de publication ... 66

b. Gestion des éléments linguistiques présents au sein du dessin. ... 71

c. La gestion des phylactères. ... 80

La traduction de l’oralité. ... 89

a. Traduction d’une onomatopée particulière. ... 89

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b. La traduction de la voix : l’exemple du personnage d’Howard. ... 93

c. La traduction d’un parler spécifique : l’exemple de Ronnie. ... 98

Difficultés spécifiques à cette œuvre ... 104

a. Références intertextuelles ... 104

b. Gestion du méta-vocabulaire de l’industrie de la BD ... 111

c. Le cas particulier du personnage de Bartoc ... 118

Conclusion générale : ... 124

Bibliographie : ... 129

Documents annexes : ... 131

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Introduction :

Souvent mise à part dans le domaine de la traduction littéraire, la traduction de bande dessinée est décrite par de nombreux traductologues comme une forme de

« traduction contrainte » (« constrained translation », Zanettin 2008: 20, reprenant le concept établi par Mayoral, Kelly, et Gallardo 2002). En tant que medium double dont les ressorts expressifs reposent autant sur des éléments linguistiques que picturaux, elle présente en effet pour le traducteur des défis spécifiques que l’on ne retrouve dans aucun autre genre de traduction littéraire. Plusieurs théoriciens de la traduction se sont spécialisés dans ce domaine particulier de la traductologie, comme par exemple Klaus Kaindl, qui a cherché à établir un cadre théorique et des outils d’analyse spécifiques à ce type de traduction, pour permettre de mieux le décrire et l’appréhender.

Dans ce travail de mémoire, nous avons choisi de nous intéresser à la bande dessinée de super-héros, qui fonctionne comme un sous-ensemble doté de ses propres codes et particularismes. Né aux États-Unis dans les années quarante, le comic de super- héros est aujourd’hui héritier d’une manière de produire et de publier les bandes dessinées qui est proprement américaine, et qui se différencie des bandes dessinées européennes par de nombreux aspects (format, droits d’auteur, rythme de parution, etc.).

Ces publications sérielles, souvent caractérisées par leur longévité et la multiplicité de leurs personnages, sont regroupées dans un même univers fictif propre à la maison d’édition, ce qui permet aux héros de différentes publications de se rencontrer régulièrement pour faire équipe. Cette caractéristique singulière de « connexion » entre toutes les publications est très populaire auprès du lectorat, tout particulièrement parce qu’elle permet la mise en place d’événements majeurs communs, ou crossovers, dans lesquels tous les personnages de l’univers sont impliqués et qui peuvent avoir une influence sur le monde fictif dans sa globalité. Cependant, cette très forte intertextualité au sein des publications de super-héros est souvent considérée comme un obstacle à la compréhension pour des lecteurs qui ne connaissent pas le genre et ne maîtrisent pas ses codes. Bien que les films de super-héros, qui se sont multipliés ces dernières années, soient très appréciés par un public jeune et international, les comics de super-héros, eux, sont souvent perçus comme des œuvres à part dans le monde de la bande-dessinée, qui sont écrits pour un public plus restreint d’amateurs et de connaisseurs.

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L’œuvre à laquelle nous allons nous intéresser dans ce mémoire, intitulée The Unbelievable Gwenpool, est un exemple typique de cette forte intertextualité, puisque la protagoniste elle-même est inspirée d’autres personnages de l’univers fictif des éditions Marvel. Au fil des pages, il est fait maintes fois référence à d’autres super-héros connus, et certains personnages anciens reviennent dans cette série sous un jour nouveau, ayant été revus et modernisés. Pourtant, cette série humoristique se distingue des autres publications Marvel par son ton léger et sa dimension parodique assumée : la protagoniste, consciente d’évoluer dans un univers de bande dessinée, est à la fois actrice et spectatrice de ses propres aventures, et n’hésite pas à pointer du doigt avec malice les stéréotypes et les techniques narratives qui sont habituellement exploitées par les auteurs de ce type de publication.

L’objectif de ce mémoire de maîtrise est de se fonder sur une analyse des difficultés de traduction posées par cette œuvre et des stratégies employées dans la version française publiée pour répondre aux questions suivantes : Le traducteur de comics de super-héros doit-il, lui aussi, être un lecteur assidu du genre pour permettre une traduction optimale de telles œuvres ? Dans ses traductions, peut-il partir du principe qu’un lecteur francophone-type comprendra les références intertextuelles aussi bien qu’un lecteur anglophone du comic d’origine ? Ou faut-il, au contraire, qu’il favorise la compréhension d’un public plus large en explicitant certains passages ? Et peut-il se le permettre au vu des contraintes posées par la nature de la traduction de bande dessinée ? Dans une première partie théorique, nous nous intéresserons aux spécificités du genre des comics de super-héros, aux enjeux de la traduction de bande dessinée, et nous exposerons le cadre théorique qui sera utilisé dans notre analyse. Puis, dans un deuxième temps, nous présenterons plus en détail la série The Unbelievable Gwenpool et sa traduction en français par Benjamin Rivière, dont certains passages tirés du premier tome feront l’objet d’une analyse comparative dans la troisième partie de ce mémoire.

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I. Etat de la question

Présentation du genre de la bande dessinée

Depuis son apparition au dix-huitième siècle, le concept de « bande dessinée » a été associé à une grande variété d’œuvres artistiques et littéraires, au point qu’il est difficile d’en donner aujourd’hui une définition qui fasse consensus auprès de tous les théoriciens du genre. L’origine de ce medium est souvent attribuée au genevois Rodolfe Töpffer, bien que certains théoriciens, comme Scott McCloud, aient relevé des productions bien plus anciennes pouvant être considérées comme des précurseurs du genre (entre autres, la « Tapisserie de Bayeux », qui date du XIe siècle, et un codex mixitèque dit

« Zouche-Nuttall », qui é été découvert par Cortés vers 1519) (McCloud 2007). Quoi qu’il en soit, Rodolfe Töpffer est bien le premier à avoir théorisé cette nouvelle manière de raconter, avec son Essai de physionomie qui date de 1845 (Töpffer 1845). Dans la partie qui suit, nous allons voir sur quels critères se fondent les différentes définitions de la bande dessinée.

Comme nous l’avons déjà mentionné, le concept de « bande dessinée » recouvre une grande variété d’œuvres qui, prise dans son acceptation la plus large, peut remonter jusqu’au XIe siècle. Traditionnellement, la bande dessinée est définie comme une forme de récit composée de plusieurs dessins, et qui comporte des légendes ou inclut au sein desdits dessins des éléments linguistiques : le dictionnaire de l’académie française formule ainsi sa définition « Bande dessinée, suite narrative constituée de dessins accompagnés d’une légende ou comportant des textes brefs inscrits dans l’image. » (« Bande » 2011). Cependant, si une telle définition semble pouvoir correspondre à une grande partie des productions de bande dessinée, de nombreux théoriciens ont relevé des contre-exemples qui l’invalident en partie. Par exemple, les romans-photo, qui sont généralement considérés comme un sous-genre de la bande dessinée, sont exclus de cette définition en raison de la restriction aux « dessins », tout comme les bandes dessinées

« muettes » qui ne contiennent pas de bulles ou de contenu linguistique.

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Selon Federico Zanettin, cette difficulté à parvenir à une définition exhaustive vient de ce que l’on a tendance à inclure dans le concept de « bande dessinée » (ou « comic » en anglais) toute forme de narration visuelle : « The term comics is sometimes used as a synonym for visual storytelling, thus categorising as ‘comics’ all forms of graphic narrative, to begin with ancient cave painting, Egyptian hieroglyphic inscriptions, European medieval tapestries, early Chinese woodprints, Japanese Buddhist scrolls, and so on. » (Zanettin 2018: 2). La grande variété des productions qui sont réunies sous cette acceptation au sens large de « bande dessinée » rend la formulation d’une définition délicate, car celle-ci doit être valide et discriminante, c’est-à-dire donner des critères définitoires suffisamment précis pour pouvoir identifier une œuvre de bande dessinée, sans pour autant exclure toutes ses manifestations historiques et des avatars marginaux ou expérimentaux (Groensteen 2011: 17). Les différents critères qui ont été retenus comme déterminants pour identifier une œuvre de bande dessinée (le cloisonnement des images, l’utilisation de la bulle pour insérer des énoncés verbaux, la récurrence d’un personnage identifiable, etc.) ne sont en réalité que des « caractéristiques contingentes » qui donnent lieu à des « définitions réductrices » (Groensteen 2011: 18).

Ainsi, la définition retenue par Thierry Groensteen dans son livre Système de la bande dessinée se fonde sur un critère unique qu’il nomme « solidarité iconique » : « il faut reconnaître comme unique fondement ontologique de la bande dessinée la mise en relation d’une pluralité d’images solidaires » (Groensteen 2011: 21). Ce concept de solidarité iconique permet de concevoir la bande dessinée à partir de sa caractéristique visuelle, qui est la plus évidente. Selon Thierry Groensteen, c’est cet enchaînement d’images fixes au sein d’une série qui permet d’abord d’identifier une bande dessinée : la spécificité de ces images, c’est alors leur solidarité, c’est-à-dire leur coexistence in praesencia qui permet de les surdéterminer malgré le fait que celles-ci soient séparées visuellement.

Cette définition reposant sur la solidarité iconique permet une conception élargie de la bande dessinée, qui peut inclure de nombreuses actualisations différentes en fonction des auteurs ou des pays. On distingue généralement quatre types de bande dessinées qui se sont développés différemment en fonction de leur aire culturelle d’appartenance : le fumetto (Italie), l’album (France et Belgique), le manga (Japon) et le comic book (États-Unis). Dans le cadre de ce mémoire, nous nous intéresserons

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principalement au format de publication américain (comic book), car c’est sous ce format que paraissent la majorité des publications de super-héros. Nous reviendrons cependant dans une prochaine partie sur la différence entre le comic book américain et l’album franco-belge, puisque ce sont ces deux formats qui sont concernés par le processus de traduction dans les aires linguistiques qui nous intéressent (anglophone et francophone) (voir partie I. A. b. « En quoi les comics américains se différencient-ils des bandes dessinées franco-belges ? »).

a. Histoire et caractéristiques des comics américains de super-héros

1. Emergence et histoire des comics

américains : les différents âges des super- héros

L’apparition et le développement de la bande dessinée aux États-Unis sont très liés au genre super-héroïque, bien qu’il ne s’agisse pas du seul type d’histoire publié sous ce format. En effet, si l’on considère habituellement que le premier comic américain date de la fin du 19e siècle avec la création de « The Yellow Kid in McFadden’s Flats » en 1897, c’est surtout à partir des années 1940 que ce format de publication devient de plus en plus populaire, avec notamment la publication des aventures de Superman, à partir de 1938.

Dans la partie qui suit, nous allons montrer comment le genre de la publication de super- héros a évolué depuis son apparition dans les années quarante, en décrivant chacun des

« âges » dans lesquels il est fréquent de classer ce type d’œuvre.

L’âge d’or des super-héros :

Le personnage de Superman, inventé par Joe Shuster et Jerry Siegel, est le premier super-héros à apparaître dans la bande dessinée américaine, en 1938. Sa création correspond à une période de l’histoire des États-Unis marquée par les conséquences de la crise boursière de 1929 et la prise de pouvoir d’Hitler en Allemagne, qui s’auto-proclame dictateur en 1933. Ce personnage est donc directement influencé par ces circonstances historiques et incarne pour les jeunes lecteurs américains les valeurs défendues par les États-Unis (la démocratie face au totalitarisme nazi par exemple). Le très grand succès de Superman incite les maisons d’édition à créer d’autres super-héros, et le genre se

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développe de façon exponentielle pendant la seconde guerre mondiale, qui sert souvent de cadre aux aventures de ces nouveaux personnages. Ainsi, Captain America, l’un des premiers super-héros publiés par Timely Comics (qui deviendra par la suite « Marvel Comics »), est un « supersoldat » américain qui est largement utilisé à des fins de propagande de guerre, puisqu’il affronte dans ses aventures des ennemis nazis ou japonais :

« Kirby [le créateur de Captain America] knew that wish-fulfilment pictures of American superheroes punching out Hitler’s teeth would sell magazines in a fearful world, and his instincts were right. In Captain America, Simon and Kirby gave America’s troops, in the field or at home, a hero they could call their own. » (Morrison 2011: 40)

C’est également au cours de ce premier « âge d’or » qu’est inventée la première équipe de super-héros (la « Justice Society of America », qui apparait en 1940 dans All- Star Comics), et avec celle-ci émerge l’idée d’un univers fictif partagé entre plusieurs publications sérielles, qui deviendra par la suite un élément fondamental de la bande dessinée de super-héros (nous reviendrons sur cette caractéristique dans la sous-partie suivante « En quoi les comics américains se différencient de la bande dessinée franco- belge »).

La fin de la seconde guerre mondiale voit le déclin des séries de comics consacrées aux super-héros, car ceux-ci, qui avaient jusque-là combattu les forces de l’axe ennemis des États-Unis, se retrouvent pour la majorité d’entre eux privés d’un enjeu narratif crucial. L’engouement des lecteurs pour ce genre de comics diminue également, et les éditeurs se réorientent vers d’autres genres de comics plus rentables, comme les « crime comics », les « romance comics » ou les comics d’horreur.

À partir des années cinquante se développe l’idée que la bande dessinée a une influence néfaste sur l’esprit et le comportement des jeunes enfants, et ce médium suscite la défiance des parents et des autorités. Ceci est en partie dû à la publication en 1954 de l’ouvrage Seduction of the Innocent, écrit par le psychologue Fredric Wertham, dans lequel celui-ci affirme que la bande dessinée est utilisée à des fins de corruption pour pervertir les enfants et adolescents. Il attaque tout particulièrement le genre des comics de super- héros, en soutenant par exemple que Batman promeut l’homosexualité et la pédophilie (puisqu’il vit avec son jeune pupille Robin), ou que la lecture de Superman incite au non-

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respect de toute forme d’autorité, parentale ou gouvernementale : « Comic books and their creators were painted as cunning corrupters of children, as monstrous artifacts crafted by experts to twist young and impressionnable minds in the direction of crime, drug addiction, and perversion » (Morrison 2011: 54).

Face à l’inquiétude générée par ces allégations, un sous-comité sénatorial est dépêché pour évaluer la dangerosité du médium, et l’industrie des bandes dessinées, qui craint l’instauration d’une censure d’état, réagit en établissant un organisme de contrôle des comics : le Comics Code Authority. Celui-ci a pour objectif d’évaluer une bande dessinée en fonction d’un code de règles strictes, pour pouvoir au moment de la publication certifier sa respectabilité auprès des lecteurs. Les maisons d’édition se mettent donc à pratiquer une forme d’autocensure pour respecter les standards de publication établis par le Comics Code Authority. Parmi les règles établies par ce code, on peut citer par exemple l’interdiction de toute forme de violence dans la bande dessinée (traduite par la présence de personnages fantastiques ou de monstres comme des vampires, loup-garous ou zombies), mais aussi l’interdiction de critiquer ou de présenter sous un mauvais jour une profession qui fait autorité (comme policier, juge ou responsable politique). Les comics doivent également promouvoir un comportement honorable et défendre des valeurs morales que l’on souhaite transmettre aux enfants (comme le respect de l’autorité des parents, le goût du travail, etc.).

Les bandes dessinées qui ne présentent pas sur leur couverture le tampon

« Approved by the Comics Code Authority » ont du mal à être imprimées, publiées et distribuées, et par conséquent les maisons d’édition qui refusent de se soumettre à ces nouvelles exigences sont marginalisées et souvent obligées de mettre la clé sous la porte.

L’âge d’argent des comics américains :

La période que l’on nomme « âge d’argent » des comics américains débute dans les années cinquante et se prolonge jusqu’aux années soixante-dix. Elle est marquée par la transformation de l’industrie des comics de super-héros, qui doit s’adapter d’une part pour répondre à de nouvelles exigences de création et publication (qui sont la conséquence directe de l’établissement du Comics Code Authority au début des années cinquante), et d’autre part pour faire face aux attentes d’un lectorat nouveau, attentes qui

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diffèrent largement de celles de l’âge d’or (au cours duquel la deuxième guerre mondiale était majoritairement exploitée comme cadre thématique).

Les auteurs de l’âge d’argent innovent donc en donnant un nouveau visage aux super-héros : ce ne sont plus des figures déiques et omnipotentes comme au cours de l’âge d’or, mais des personnages plus humains, auxquels le lecteur peut s’identifier, car s’ils continuent à combattre des ennemis surpuissants, ils font également face à des problèmes relationnels et personnels plus terre-à-terre. Le personnage de Peter Parker/Spider-Man, qui fait son apparition dans Amazing Fantasy vol. 1 en 1962, est une illustration parfaite de cette nouvelle tendance : pour la première fois dans un comics de super-héros est créé un personnage adolescent qui n’est pas l’apprenti ou le coéquipier d’un autre héros, mais bien le protagoniste de sa propre histoire. Et, si Spider-Man est bien un super-héros, lorsqu’il reprend son identité secrète sous le nom de Peter Parker on découvre un personnage avec de vraies faiblesses et des dilemmes bien plus humains : en tant que simple adolescent, Peter Parker est également confronté dans sa vie de lycéen ordinaire à des problèmes plus quotidiens (comme des devoirs à rendre, des peines de cœur, etc.).

Les nouveaux personnages créés pendant l’âge d’argent entretiennent également un rapport différent avec leurs propres pouvoirs. Contrairement aux super-héros de l’âge d’or, dont les super-pouvoirs sont généralement acceptés par la population anonyme, les super-héros de l’âge d’argent suscitent la méfiance et doivent prouver leur bienveillance ; leurs capacités extraordinaires ne sont plus une fierté mais un fardeau à porter, qui leur vaut parfois d’être mis au ban de la société, comme par exemple le groupe des X-men des éditions Marvel, qui vivent plus ou moins cachés du monde, reclus dans l’école du professeur Charles Xavier (ce groupe de mutants est créé en 1963 par Stan Lee et Jack Kirby dans X-Men #1).

Les super-héros de l’âge d’argent se différencient également de ceux de l’âge d’or en ce que les nouveaux personnages créés n’acquièrent plus leurs pouvoirs de manière magique, mais sont plutôt victimes d’un accident qui se veut « scientifique » (comme par exemple Spider-Man qui se fait mordre par une araignée radioactive, ou encore Flash, qui obtient ses pouvoirs dans un accident, lorsqu’il est frappé par la foudre dans son laboratoire rempli de produits chimiques). Ainsi, les histoires de super-héros prennent un tournant qui les rapproche un peu plus du genre de la science-fiction, où les éléments scientifiques (ou pseudo-scientifiques) jouent un rôle crucial, ou du moins très important.

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Ceci se constate notamment dans les aventures du nouveau Flash, Barry Allen : ce personnage, qui apparait pour la première fois dans Showcase #4 en 1956, ne conserve que très peu d’éléments de son prédécesseur de l’âge d’or (le personnage de Jay Garrick, également appelé « Flash »). La dimension « scientifique » de ses aventures est largement exploitée par les auteurs pour montrer que les comics n’ont pas nécessairement un effet de corruption sur le lectorat adolescent, mais peuvent être utilisés à des fins éducatives :

« Flash stories, too, were an entertaining source of so-called Flash- facts : editorial interruptions or features explaining how wind velocity during a hurricane could drive a blade of straw deep into solid wood, or how light took nine minutes to reach us from the sun, so that we wouldn’t know that it had gone until nine minutes after the fact. Flash Facts were perfect for impressing teachers and parents and for proving that comics had something to offer an upstanding generation of fresh-faced futurians. » (Morrison 2011: 86-87)

Ainsi, la période de l’âge d’argent est l’occasion pour les auteurs de bande dessinée de réinventer des personnages existants ou de créer de nouveaux personnages qui se veulent plus humains et plus réalistes qu’au cours de l’âge d’or. Cette tendance à mettre l’accent sur des éléments de l’histoire qui se veulent plus « scientifiques » a également conduit les éditeurs de bandes dessinées à publier dans les années soixante-dix des histoires plus « cosmiques », se déroulant sur d’autres planètes ou dans d’autres galaxies, et dont les protagonistes sont des extraterrestres. Avec ce type d’histoire, les univers fictifs des maisons d’éditions se complexifient et en viennent à former un multivers dont la continuité est parfois difficile à gérer (voir partie suivante « en quoi les comics américains se différencient des bandes dessinées franco-belges »). En effet, c’est également au cours de cette période que la maison d’édition Marvel connait un développement très rapide grâce à des auteurs prolifiques comme Stan Lee, Jack Kirby ou Steve Ditko, qui se font connaître en créant de nombreux nouveaux personnages (comme Spider-Man, Les Quatres Fantastiques ou le surfeur d’argent). La maison d’édition prend de plus en plus d’importance dans l’industrie des comics, jusqu’à former une véritable concurrence pour DC (« Detective Comics »), la maison d’édition qui prévalait pendant l’âge d’or. Cette rivalité entre les deux géants de l’édition de comics s’intensifie à mesure que ceux-ci rachètent d’autres maisons d’édition ou les droits d’auteurs d’autres personnages, et perdure encore de nos jours, notamment en ce qui concerne la production d’œuvres cinématographiques.

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L’âge de bronze et l’âge moderne :

Si la séparation entre âge d’or et âge d’argent est clairement délimitée par la création du Comics Code Authority et le renouvellement des auteurs/dessinateurs dans l’industrie des comics, il n’en va pas de même pour la succession des autres « âges » et périodes de l’histoire des bandes dessinées américaines. En effet, beaucoup de séries de super-héros ont perduré sous le même titre pendant des périodes différentes, leur contenu étant progressivement modifié pour correspondre aux nouvelles attentes des lecteurs, ce qui rend la délimitation de l’histoire des comics books en « âges » plus difficile.

Cependant, on distingue généralement deux périodes postérieures à l’âge d’argent, appelées respectivement « âge de bronze » (à partir des années 70 et jusqu’au milieu des années 80) et « âge moderne » (milieu des années 80 jusqu’à nos jours).

On considère généralement que l’âge de bronze débute en 1970 avec la publication de la courte série Green Arrow/Green Lantern : Hard-Traveling Heroes, créée par Denny O’Neil et Neal Adams pour DC comics. Ces deux auteurs innovent en introduisant dans le genre des comics de super-héros des thématiques plus sérieuses et actuelles, comme les droits fonciers des indiens d’Amérique, la pollution, la surpopulation, la dépendance aux drogues ou le racisme : « Together, as "Denny O’Neal Adams", they forced superheroes into the national discourse and brought the conflicts and complexities of the real world back into the DC universe. » (Morrison 2011: 149). Ce changement des thèmes abordés par les comics de super-héros répond à une évolution du lectorat qui réclame des histoires plus réalistes et plus matures que celles proposées pendant la période de l’âge d’argent. Par exemple, Denny O’Neil et Neal Adams créent John Stewart/Green Lantern, un nouveau personnage noir qui représente la communauté noir-américaine, et qui n’hésite pas à dénoncer les problèmes de racisme aux États-Unis. Le succès de ce personnage influence la création de nombreux autres super-héros noirs chez DC mais aussi chez Marvel, comme Black Panther, Power Man, etc.

La période de l’âge de bronze se veut donc plus « réaliste » dans le sens où les comics abordent des thèmes faisant polémique et/ou relevant de l’actualité, mais aussi parce qu’elle met l’accent sur des protagonistes qui doutent du bien-fondé de leur action.

Le schéma narratif habituel des histoires de super-héros, qui se fonde sur le retour à la

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situation initiale à la fin de chaque épisode, est ainsi remis en cause avec l’action de protagonistes qui souhaitent engranger une évolution des mentalités, ou encore avec l’introduction d’événements extraordinaires qui ne permettent pas le retour à cette situation de stabilité initiale, comme la mort d’un personnage secondaire important (comme par exemple la mort de Gwen Stacy, la petite amie de Peter Parker/Spider-Man, dans The Amazing Spider-Man #121-122 en 1973).

La période suivante, que l’on appelle « âge moderne » ou « âge sombre » des comics américains (« modern age » ou « dark age »), débute au milieu des années 80 avec l’apparition de récits de super-héros qui tiennent plus du graphic novel que du comic book sériel habituel. Ce sont généralement des séries courtes de quelques épisodes qui se déroulent hors de la continuité propre aux univers fictifs des maisons d’édition, et qui sont édités par la suite dans un format plus coûteux, avec une couverture cartonnée. Les deux exemples les plus connus de publications de l’âge sombre sont Watchmen, écrit par Alan Moore et Dave Gibbons, et Batman: The Dark Knight Returns de Frank Miller, qui ont été publiés la même année, en 1986. Le succès de ces deux œuvres, qui figurent toutes les deux dans la liste des 10 meilleures œuvres de bandes dessinée établie par Lev Grossman pour le Times en 2009 (Grossman 2009), attirent un public beaucoup plus large que le lectorat habituel des histoires de super-héros, ce qui entraîne une nouvelle appréciation pour le médium et une plus grande reconnaissance des auteurs de bande dessinée sur le plan artistique.

Ces deux récits innovent également en ce qu’ils proposent une vision plus sombre des aventures de super-héros, en présentant des personnages à la moralité douteuse dans un monde très noir, et ouvrent ainsi la voie à un retour au genre de l’horreur, qui avait disparu à la fin de l’âge d’or suite à l’instauration du Comics Code. Devant le succès de ce type de récit, la maison d’édition DC comics crée en 1993 sa filiale Vertigo spécialisée dans la publication de bandes dessinées aux thématiques fantastiques et d’horreur (qui ne sont donc pas forcément des histoires de super-héros, bien que figurant dans le même univers fictif : Swamp Thing, Sandman, etc.).

Durant cette dernière période de l’histoire des comics, de nouvelles maisons d’édition voient le jour et parviennent à se démarquer dans l’industrie de la bande dessinée en proposant des séries originales qui ne sont pas limitées par les conditions d’existence d’un univers fictif commun à toutes les productions de la maison d’édition.

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« Dark Horse Comics », créé en 1986, et « Image », créé en 1992, sont les deux maisons d’éditions qui sont devenues par la suite les plus importantes aux États-Unis, aux côtés de Marvel et DC Comics : elle sont à l’origine, dans le genre super-héroïque, de la création de Spawn (par Todd MacFarlane à partir de 1992 chez Image), de Hellboy (par Mike Mignola à partir de 1993 chez Dark Horse Comics) ou encore de la série The Mask (de 1991 à 1995 chez Dark Horse Comics, divers auteurs).

Le développement de franchises : à la conquête d’autres supports et médias pour un nouveau public

Bien que les histoires de super-héros se soient d’abord développées dans l’industrie de la bande dessinée, Marvel et DC comics, les deux plus grands éditeurs de ce genre de publications, ont rapidement su exploiter le succès de leurs personnages en proposant des adaptations sur d’autres supports, comme les serials (ou films à épisodes) dès l’âge d’or, et plus tard des films, des séries télévisées ou des jeux vidéo, mais aussi en produisant des objets dérivés comme des jouets, figurines ou encore cartes à collectionner. Ces maisons d’éditions ont évolué jusqu’à devenir des compagnies et des filiales touchant des secteurs bien plus divers, au point qu’une grande partie du public connait aujourd’hui le groupe Marvel pour ses films plutôt que pour ses bandes dessinées.

C’est à partir des années 90, en raison du développement des technologies d’effets spéciaux, que les adaptations d’histoires de super-héros en film connaissent un grand succès, attirant un public plus large que le lectorat habituel de comics books. A partir des années 2000, Marvel studio étend à ses productions cinématographiques les idées de continuité et d’univers fictif commun, qui sont des éléments fondamentaux de ses séries de comics : les sorties de films sont programmées dans le cadre de « phases », au cours desquelles les événements et les personnages représentés dans un film particulier peuvent réapparaître ou avoir des conséquences sur d’autres productions ultérieures. Ce

« Marvel Cinematic Universe », qui comprend déjà 23 films pour ses trois premières phases (2008-2019) et en prévoit 7 de plus pour la quatrième phase (2020-2022), ne s’étend pas seulement aux productions cinématographiques mais comprend également des séries télévisées, comme Agents of S.H.I.E.L.D. (2013-2020) ou Daredevil (2015-1018).

Grâce à cette diversification de leurs productions, Marvel et DC ont fait connaître leurs

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personnages auprès d’un public plus important que le simple lectorat de comics, et certains épisodes, personnages ou éléments narratifs, devenus très connus au niveau international, sont aujourd’hui des références établies dans la culture populaire (comme par exemple la « Batmobile », la « kryptonite » ou la phrase « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités »).

Conclusion :

Comme nous l’avons vu dans cette partie sur l’histoire des comics de super-héros, ce type de récit, qui a fait son apparition dans les années 40, a beaucoup évolué au cours des huit dernières décennies, au point de devenir aujourd’hui un élément important de la culture populaire qui a dépassé l’industrie des comics pour toucher divers autres supports (films et séries, jeux vidéo, etc.). En raison de cette évolution et de la continuité établie dans les deux univers fictifs des principaux éditeurs de ce genre de comics (Marvel comics et DC comics), les super-héros actuels, qu’ils soient de nouveaux personnages inventés récemment ou d’anciennes créations revisitées par de nouveaux auteurs, sont les héritiers d’une longue tradition de thématiques et de pratiques narratives. En effet, la sphère culturelle des comics de super-héros fonctionne comme un réseau, et il n’est pas rare de trouver au sein même des œuvres des échos et des références à d’autres personnages ou à des publications passées, ce qui en rend la lecture plus difficile lorsque l’on n’est pas un lecteur assidu du genre. C’est pourquoi il est important de connaître l’histoire et le fonctionnement de ce type de récit lors de l’analyse d’une bande dessinée de super-héros, tout particulièrement lorsque celle-ci se veut parodique comme dans le cas de The Unbelievable Gwenpool, série à laquelle nous allons nous intéresser dans la troisième partie.

b. En quoi les comics américains se différencient-ils des bandes dessinées franco-belges ?

Dans la partie qui suit, nous allons présenter quelques différences marquantes qui existent entre les bandes dessinées américaines et franco-belges, en nous intéressant plus particulièrement à celles qui peuvent avoir des conséquences sur la manière de lire les

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comics de super-héros lorsque ceux-ci sont traduits et publiés en Europe. Nous allons nous concentrer plus particulièrement sur le format de publication, la gestion des droits d’auteurs et la complexité des univers fictifs mis en place par les maisons d’édition.

1. Format de publication

Les formats de publication des bandes dessinées dépendent en grande majorité de l’aire culturelle et linguistique dans laquelle celles-ci sont publiées : il existe de nombreux formats traditionnels à travers le monde, mais dans cette partie nous allons présenter et comparer les deux formats qui nous intéressent pour analyser la traduction en français des comics de super-héros, à savoir : le comic book (d’origine américaine) et l’album (d’origine franco-belge).

En ce qui concerne son apparence extérieure, le format traditionnel de la bande dessinée d’origine franco-belge, ou album, est plus grand que celui du comic book (respectivement environ 23x30cm et environ 17x26cm), et il est doté d’une couverture cartonnée solide, alors que les comic books sont généralement publiés avec une couverture souple. Hormis ces deux caractéristiques, les deux types de publication se différencient également par leur fréquence de parution : les comic books, qui sont le plus souvent des publications périodiques, paraissent avec régularité, et il n’est pas rare que plusieurs artistes différents travaillent alternativement sur une même série afin de pouvoir soutenir le rythme de parution des épisodes. A contrario, les albums franco- belges sont toujours produits par les mêmes scénaristes et artistes : à cause de cela, le rythme de publication des albums n’est pas toujours régulier et il arrive que plusieurs années s’écoulent entre la publication de plusieurs volumes d’une même série. D’autre part, les albums franco-belges contiennent généralement une histoire complète à chaque volume, alors que les comic books, étant des publications périodiques, se terminent le plus souvent sur une fin à suspense (un cliffhanger) afin d’inciter les lecteurs à acheter les tomes suivants.

Enfin, la dernière différence importante entre ces deux formats de publication concerne leurs statuts respectifs dans les aires culturelles dont ils sont issus : en Europe, les bandes dessinées au format album ont un statut littéraire reconnu et sont commercialisées dans les librairies, tandis qu’aux États-Unis, les comic books sont considérés la plupart du temps comme une forme de sous-littérature à destination des

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enfants et adolescents, et sont commercialisés dans des boutiques spécialisées. Depuis leur apparition dans les années 1930, les histoires de super-héros sont presque exclusivement publiées sous le format du comic book, mais à partir de la période de l’âge sombre apparait un autre type de bande dessinée, au statut d’œuvre artistique plus établi : il s’agit du graphic novel, qui rassemble une histoire complète en un seul volume et qui est souvent publié dans un format plus luxueux à couverture cartonnée (format que l’on appelle alors « trade paperback »).

Ces différences entre les formats de publication, puisqu’elles impliquent un changement de statut dans des aires culturelles différentes, sont des éléments qu’il faut prendre en considération lorsqu’une bande dessinée est traduite. En effet, le choix d’adapter ou non le format d’une bande dessinée destinée à être publiée dans une aire culturelle différente aura une influence sur la façon dont l’œuvre va être perçue par les lecteurs-cibles :

« European readers of comics generally prefer long and self-contained stories; in France, as well as in Italy, long and self-contained stories are produced and published with great success. However, both France and Italy prefer translated stories from such countries as Japan and the US, where comics are published in short episodes: in fact, the different formats in which comics stories are published in France and Italy constitute an obstacle to their translation. » (Rota 2008: 90)

Nous reviendrons donc sur cette question de l’adaptation du format de publication dans la partie suivante (« Enjeux traductologiques de la traduction de bandes dessinée »), en montrant quelles sont les stratégies de manipulation du format existantes et quelles sont leurs conséquences sur la lecture de l’œuvre traduite.

2. Détention des droits d’auteurs

La deuxième différence majeure qui existe entre les comics américains et les bandes dessinées franco-belges concerne la détention des droits d’auteur. En effet, si dans les bandes dessinées européennes les personnages sont directement associés à leurs auteurs, aux États-Unis les dessinateurs et scénaristes ont pendant longtemps été employés par des structures appelées syndicates, et ne possédaient aucun droit sur leurs œuvres. Ces circonstances particulières permettent d’expliquer la longévité de certaines

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séries de super-héros, qui ont perduré pendant des décennies sous le même titre, bien que plusieurs auteurs différents se soient succédés à la narration et au dessin :

« People often wonder what happens to a comic strip when the original artist passes on. Few seem to realize that the name, the character, the main idea of a strip do not belong to the artist. These are owned (with very rare exceptions) by the syndicates. Naturally, a syndicate is not going to drop a strip which has a following of millions of people, because the creator is no more. A new artist will be found, and often the public is quite unaware of the transition. » (Waugh 1947: 114)

Ce n’est qu’à partir de la fin des années 70, suite à de nombreux procès intentés par divers artistes, que la législation change, obligeant les maisons d’éditions à accorder les droits de propriété des bandes dessinées à leurs auteurs. Dans le domaine des comics de super-héros, à partir des années 80 le nom de certains scénaristes ou dessinateurs devient même un argument de vente important, synonyme de qualité ou d’une certaine version d’un personnage qui a été réinventé plusieurs fois (on parle par exemple du

« Batman de Franck Miller »). Aujourd’hui, les maisons d’éditions créditent les scénaristes, dessinateurs, coloristes et lettreurs sur chaque couverture de comic book, et le nom des créateurs de chaque personnage apparaissant dans une publication est indiqué, même lorsque ledit personnage n’intervient que pour un seul épisode.

3. Univers complexes

Comme nous l’avons déjà mentionné précédemment, il est très commun que plusieurs séries de super-héros différentes évoluent dans un même univers fictif appartenant à leur maison d’édition. Cette façon d’envisager les histoires de super-héros est très appréciée par le lectorat, car elle permet de mettre en place de fréquentes rencontres entre des personnages de différentes séries. C’est également un moyen pour les maisons d’éditions de faire la promotion d’autres séries ou d’autres personnages : ainsi, il n’est pas rare qu’un nouveau super-héros récemment créé apparaisse dans une série plus connue du lectorat et se mesure à un autre personnage plus ancien pour asseoir sa position au sein de l’univers éditorial. Cependant, avec le temps de plus en plus de nouveaux personnages ont été intégrés à ces univers fictifs, et ceux-ci sont devenus de plus en plus élaborés, et donc de plus en plus difficiles à gérer. Dans le paragraphe suivant,

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nous allons présenter les principales caractéristiques de ces univers fictifs et nous interroger sur les conséquences que peut avoir ce système d’histoires connectées sur le processus de traduction.

La notion d’univers commun apparaît dès l’âge d’or des super-héros, puisque les premiers protagonistes de cette époque font déjà équipe en diverses occasions (comme Superman et Batman par exemple). Mais c’est à partir de l’âge d’argent, avec la création de la « Justice League » chez DC comics, que cette idée devient de plus en plus exploitée. A cette époque nait l’idée de continuité, qui est à la base du fonctionnement des univers fictifs de chez Marvel et DC : il s’agit du principe narratif selon lequel les événements des aventures passées d’un personnage font tous partie d’une même continuité temporelle jusqu’aux séries actuelles. La continuité de ces lignes temporelles, associée à la succession de très nombreux auteurs travaillant sur le même personnage, a donné lieu à la création de véritables « chroniques d’histoires alternatives », selon l’expression de Grant Morrison1, dans lesquelles les histoires racontées n’ont jamais vraiment de début ni de fin. Cependant, avec l’accumulation des numéros successifs, il arrive que les histoires publiées par un éditeur deviennent de plus en plus confuses, ou que les personnages perdent en popularité parce qu’ils sont passés de mode. Ainsi les éditions Marvel et DC comics ont pris pour habitude de régulièrement remettre à zéro la continuité temporelle de leurs univers fictifs, en procédant à ce que l’on appelle des « reboots » qui peuvent s’effectuer à l’échelle d’une série ou bien de l’univers entier. Dans son article « A Brief Glossary of Comic Book Terminology », Jane K. Griffin définit ainsi le terme reboot :

« The direction of an ongoing series is radically revamped, often by rewriting the established history of the characters. A reboot typically occurs when a character’s history has become too complex and self-contradictory, or when a publisher strives to bolster a faltering line by starting from scratch. A reboot may result in completely new volume numbering for the series (e.g., the Avengers), or may involve continuous numbering (Legionnaires) » (Griffin 1998: 5).

La mise en place de ces renouveaux narratifs permet non seulement à l’éditeur de clarifier le déroulé d’une histoire en revenant sur les origines d’un personnage avec une nouvelle équipe d’auteurs, mais également d’innover en introduisant des éléments ou des

1 « Continuity is an emergent phenomenon, at first recognized by Gardner Fox, Julius Schwartz, and Stan Lee as a kinf of imaginative real estate that would turn mere comic books into chronicles of alternate histories. » (Morrison 2011: 114)

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personnages nouveaux, qui correspondent mieux aux demandes du lectorat actuel. Il faut garder en mémoire que l’objectif principal de ces reboot n’est pas de réécrire ou de modifier une histoire déjà connue des lecteurs, mais bien de clarifier ses fondements afin de pouvoir la prolonger. Il existe cependant d’autres pratiques narratives dont l’unique objectif est de raconter une version alternative des origines d’un personnage : ce type de récit, appelé « What if? stories », existe depuis la période de l’âge d’argent et est devenu très populaire dans le monde des super-héros, où les personnages sont souvent revisités par plusieurs équipes artistiques différentes qui en donnent chacune sa propre version.

Au fil du temps, les univers fictifs se sont étoffés et sont devenus de plus en plus complexes mais aussi de plus en plus contraignants, au point d’être perçus comme une limitation affectant la créativité des auteurs. Pour remédier à cela, Marvel et DC ont modifié leur conception des univers fictifs pour les transformer en « multivers », notion qui implique la coexistence de plusieurs mondes ayant chacun leur propre continuité et leur propre version des personnages existants. Cette caractéristique supplémentaire donne une liberté quasi-totale aux auteurs de comics, qui peuvent dès lors proposer des versions alternatives de n’importe quel personnage, ou réinventer leurs aventures en créant une nouvelle continuité temporelle. Afin de ne pas se perdre dans la multitude des mondes ainsi créés, les éditeurs ont procédé à une classification et une numérotation des univers présents dans leurs séries, ce qui leur permet aussi de mieux contrôler leur développement. Pour donner quelques exemples, dans l’univers fictif des éditions Marvel, la continuité temporelle principale, à laquelle appartiennent la majorité des récits de super-héros publiés de façon sérielle, se nomme Terre-616. Dans la Terre-15, Peter Parker (Spider-Man dans la continuité principale) devient un meurtrier ; le monde de la Terre-2149, surnommé « Zombiverse », est envahi par un virus qui transforme tous les personnages en zombies, et il existe bien d’autres terres parallèles dans lesquelles des versions alternatives de certains super-héros sont décédés/revenus à la vie/transformés en vampires, etc2. Mais dans le cas des éditions Marvel, cette classification du multivers fictif ne se limite pas seulement aux récits publiés sous forme de bandes dessinées : ce système de numérotation, qui se veut global, est applicable aussi aux histoires de super-

2 C’est sur la Terre-65 que le personnage de Gwen Stacy a été mordu par une araignée radioactive à la place de Peter Parker (le Spider-Man de la continuité principale), et qu’elle est ensuite devenue Spider-Woman. Comme nous le verrons par la suite, ce personnage a joué un rôle important dans la création de Gwenpool, personnage principal de la série que nous allons analyser dans la troisième partie de ce mémoire (voir partie II. a. ii. « Création de la protagoniste »).

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héros racontées sous d’autres formats, comme les productions cinématographiques ou les séries télévisées. Ainsi, est appelée Terre-199999 l’univers fictif des films et séries Marvel produits depuis 2008 (surnommé « Marvel Cinematic Universe » ou MCU), et Terre- 10005 le monde dans lequel se déroulent les films de la saga X-Men depuis 2000.

Cette idée de multivers, au-delà de la liberté de création quasi-totale qu’elle confère aux créateurs de bandes dessinées, a également des implications plus philosophiques car, s’il existe une multitude d’univers, pourquoi le nôtre n’existerait-il pas en parallèle de tous ces mondes que l’on considère comme fictifs ? Marvel et DC se sont emparés de cette idée et font tous deux figurer dans leur classification un univers dans lequel les super-héros n’existent que dans les bandes dessinées, c’est-à-dire notre monde à nous : celui-ci est appelé « Terre-1218 » chez Marvel et « Terre-Prime » ou

« Terre-33 » chez DC comics. Faire figurer le « monde réel » dans la cartographie des multivers fictifs permet à ces éditeurs de faire intervenir des personnages de fiction dans notre réalité, ou a contrario d’insérer des personnes qui existent réellement dans ces mondes de fiction, comme le scénariste Cary Bates et le dessinateur Elliot Maggin qui ont écrit une histoire dans laquelle ils figurent eux-mêmes en tant que personnages et rencontrent la Justice League of America (Bates et Maggin 1975). La Terre-1218 de chez Marvel comics a également un lien direct avec l’héroïne de The Unbelievable Gwenpool, la série que nous allons analyser dans la troisième partie.

Conclusion :

En raison de ces caractéristiques que nous venons de présenter, à savoir la continuité temporelle, la présence de multiples univers parfois perméables et l’utilisation presque systématique de crossovers ou de reboot pour promouvoir de nouvelles publications, ces multivers fictifs sont devenus de plus en plus complexes et peuvent être difficiles à appréhender pour un lecteur qui ne connait pas bien la maison d’édition et son historique de publication. Pour le traducteur, ces difficultés de compréhension peuvent se doubler de circonstances de publication particulières auxquelles il est important de prêter attention. En effet, il arrive que certaines séries ou certains numéros ne soient pas traduits dans une langue : il faudra alors que le traducteur trouve un moyen de compenser

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une méconnaissance éventuelle du lecteur-cible, qui n’a pas forcément accès à l’intégralité des productions de l’éditeur.

Enjeux traductologiques de la traduction de bandes dessinées.

a. Gestion des éléments visuels.

Dans cette première sous-partie, nous allons nous concentrer sur les enjeux de traduction posés par les différents éléments non-linguistiques d’une œuvre de bande dessinée, c’est-à-dire l’image, le format, les variations typographiques, etc. Ce ne sont pas les premiers éléments qui viennent à l’esprit lorsque l’on considère l’acte de traduction en lui-même, mais ils sont porteurs de sens et constituent ainsi une base fondamentale pour comprendre la bande dessinée. Il revient au traducteur d’apprendre à repérer et décoder leurs implications, afin de pouvoir les appréhender correctement dans sa traduction. Nous nous intéresserons d’abord au rôle que joue l’image dans la compréhension de l’œuvre, puis nous nous pencherons sur les autres éléments paralinguistiques qui agissent complémentairement aux contenus linguistiques : les phylactères et les graphies.

1. L’importance de l’image

De tous les éléments non-linguistiques qui peuvent être présents dans une œuvre de bande dessinée, l’image est de toute évidence une caractéristique essentielle, un élément récurrent qui figure dans toutes les définitions établies par les théoriciens. Le plus souvent, ces images sont accompagnées d’éléments textuels qui permettent de les expliciter ou de retranscrire les paroles et pensées des personnages représentés. Si ce sont ces éléments textuels qui retiennent d’abord l’attention du traducteur, il ne faut pas perdre de vue que ceux-ci ne sont compréhensibles qu’à condition d’être considérés en parallèle des éléments iconiques, qui véhiculent eux aussi du sens. En réalité, image et texte forment au sein de la bande dessinée un réseau et c’est leur conjonction qui permet au lecteur de comprendre l’œuvre : « In an image-based story, as in film or comics, each

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element, whether it is visual, linguistic, or aural, participates fully in the narration » (Assis 2016: 11).

Pour le traducteur, la question de l’image est plus importante qu’il n’y paraît au premier abord. En effet, on pourrait penser que son travail se limite avant tout à la traduction des signes linguistiques, et que les éléments iconiques, s’ils sont nécessaires à la compréhension de ces signes linguistiques, n’en restent pas moins inchangés après le processus de traduction. Or les éléments iconiques, étant porteurs de sens comme nous l’avons vu, participent eux aussi à une tradition culturelle de conventions visuelles, et leur signification peut varier dans des aires linguistiques différentes. Le traducteur peut donc être amené à proposer la modification d’éléments iconiques lorsqu’il considère que ceux- ci ne seront pas compris de la même manière ou avec la même intensité dans la langue- culture cible : « The translation of comics into another language is primarily their translation into another visual culture, so that not only are different languages such as English, Japanese, Italian or French involved, but also different cultural traditions and different sets of conventions for comics. » (Zanettin 2008: 12).

Il ne faut cependant pas perdre de vue qu’en ce qui concerne le choix de modifier ou non les éléments iconiques d’une œuvre, le traducteur n’est pas toujours en mesure de décider librement. En effet, la modification d’une image de bande dessinée entraîne des complications techniques et des coûts supplémentaires, puisqu’il faut parfois faire appel à un autre artiste pour redessiner l’intérieur de la vignette. Contrairement à la modification de l’intérieur des phylactères, qui est de nos jours largement facilitée par le développement de logiciels de graphisme spécifiques à la création de bandes dessinées, redessiner l’intérieur d’une vignette implique un investissement de temps de d’argent supplémentaire que l’éditeur n’est pas toujours prêt à accorder : « Altering words is indispensable for the translation process and facilitated by graphic software, but altering non-linguistic signs would imply more work hours, more graphic skills and possibly the hiring of another professional, like a new artist, to perform these adjustments. » (Assis 2016: 14).

D’autre part, le maintien des éléments iconiques de la bande dessinée d’origine est souvent une stratégie préférée par le lectorat pour des raisons artistiques. En effet, les images d’une œuvre de bande dessinée font partie d’un tout cohérent, créé par le ou les auteur(s) d’origine pour fonctionner de manière harmonieuse à l’échelle de la planche, de

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la double page mais aussi à l’échelle du multi-cadre et de l’œuvre entière. Sa modification dans le cadre d’une traduction, même si elle est justifiable du point de vue du sens, peut donc être perçue par le lectorat comme une atteinte au travail du dessinateur de l’œuvre originale. Dans son article « Aspects of Adaptation. The Translation of Comics Formats », Valerio Rota explique que c’est pour cette raison que les manga d’origine japonaise conservent leur sens de lecture traditionnel (de droite à gauche) lorsqu’ils sont traduit dans une autre langue-culture. Bien qu’historiquement les premières traductions de ces œuvres en anglais aient préféré intervertir la place des vignettes pour rétablir le sens de lecture habituel en occident, une telle manipulation, en plus d’être coûteuse, est aujourd’hui considérée comme une atteinte importante à la cohérence artistique de l’œuvre (Rota 2008).

Si aujourd’hui il est plus courant de conserver les images de bande dessinée inchangées dans la traduction, cela n’a pas toujours été le cas. En effet, ce n’est qu’à partir des années 80 et 90 que la bande dessinée a commencé à être considérée comme une œuvre d’art à part entière, ses éléments iconiques acquérant par là même un statut artistique plus affirmé (Assis 2016). Depuis cette époque, le nombre de bandes dessinées traduites s’est multiplié, et les technologies à disposition des artistes de bande dessinée se sont développées, permettant de traduire plus facilement les éléments linguistiques d’une planche sans pour autant altérer son contenu graphique : « Most current comics adopt a production process in the source language where balloons, captions, onomatopoeia and other linguistic signs are digitally applied over the drawn page and may be digitally erased, relocated or altered with no harm to the non-linguistic signs on the page, thus encouraging and facilitating the tendency to leave non-linguistic signs unaltered » (Assis 2016: 14). Ces circonstances actuelles ont favorisé l’émergence de stratégies de traduction contemporaines qui favorisent le maintien des éléments iconiques d’origine sans modification, bien que cela n’ait pas toujours été le cas historiquement.

Ainsi, bien que l’influence du traducteur sur une possible modification des éléments iconiques soit de nos jours largement limitée par des considérations économiques et artistiques, il n’en a pas toujours été ainsi. Le rôle du traducteur vis-à-vis de la vignette de bande dessinée reste donc incertain, et dépend largement des consignes de traduction qu’il reçoit, du statut artistique accordé à l’œuvre et du contenu à traduire.

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S’il semble préférable de ne pas modifier les éléments iconiques dans la traduction, pour les nombreuses raisons que nous avons mentionnées ci-dessus, une altération mineure peut être parfois nécessaire pour éviter une confusion ou un non-sens auprès du lecteur- cible.

2. Les autres éléments paratextuels caractéristiques

Les phylactères

Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, l’image de bande dessinée occupe une place très importance dans ce genre, et bien qu’on puisse considérer qu’envisager de la modifier ne relève pas du travail du traducteur, il est parfois nécessaire d’en faire redessiner une partie, lorsque les conditions de traduction le permettent. Mais l’image de bande dessinée n’est pas le seul élément iconique à avoir son importance au niveau du sens : dans la partie qui suit, nous allons nous intéresser aux autres éléments de la bande dessinée qui participent à sa cohérence graphique, et nous demander si le traducteur doit les prendre en considération au cours de son travail. Nous nous pencherons d’abord sur l’importance des bulles et des cases de narration (que nous nommerons aussi dans ce travail « phylactères » ou « récitatifs », selon le nom que leurs ont donné plusieurs théoriciens du genre), puis nous nous intéresserons à l’utilisation de typographies spécifiques, procédé narratif qui est très employé dans le genre des bandes dessinées de super-héros.

Dans son article « Comics in Translation: An Overview », Federico Zanettin appelle

« grammaire des comics » l’ensemble des conventions de lecture qui se sont développées en parallèle du genre de la bande dessinée, et qui sont identifiables par tout lecteur qui a l’habitude de lire ce type de publication (Zanettin 2008). Au sein de cette « grammaire des comics », il relève la présence de phylactères comme un procédé narratif typique de la bande dessinée et récurrent dans beaucoup d’œuvres, sans pour autant constituer une caractéristique nécessaire du genre. Il remarque également que les conventions de style associées au genre de la bande dessinée peuvent varier en fonction de la langue-culture d’origine, et montre ainsi qu’il existe plusieurs « grammaires des comics », appartenant chacune à une aire culturelle différente. Ainsi, la forme que prend le phylactère est

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souvent associée au type de discours tenu par le personnage, mais une même forme de bulle n’évoque pas toujours la même chose dans des langues-cultures différentes. Par exemple, dans un contexte occidental, la bulle prend habituellement une forme elliptique et est assignée à un personnage par un appendice qui pointe vers celui-ci. Mais pour exprimer le rêve ou la pensée intérieure, ses contours prennent la forme d’un nuage, forme qui n’a pas la même signification dans un contexte japonais :

« For instance, in Western comics speech balloons are bubbles linked to characters by a pointer called ‘tail’, and thought balloons are cloud-like bubbles with a tail of increasingly smaller circular bubbles. In manga, tails are much less common for speech balloons, while the same convention used in American comics to represent thought is used to represent whispered dialogue instead » (Zanettin 2008: 18-19).

Bien que ces conventions de lecture existent et soient reconnues par la majorité du lectorat de bande dessinée, elles ne constituent pas une règle absolue et il est possible que la forme des phylactères varie au sein d’une même aire culturelle, selon les préférences des auteurs ou les types de récits. Quoi qu’il en soit, la taille et forme de la bulle, en plus de faire partie d’un tout artistique cohérent, est porteuse de sens, et le traducteur ne semble donc pas libre de les modifier à sa guise, pour les mêmes raisons qu’il n’est pas aisé d’envisager la modification du contenu graphique d’une vignette.

Malgré tout, il semble naïf de penser que le traducteur a toujours la possibilité de laisser inchangé l’aspect graphique d’un phylactère ou d’un récitatif. Même en ne s’en tenant qu’à la traduction des éléments linguistiques d’une vignette, le traducteur ne peut pas éviter un changement mineur sur la cohésion graphique de la planche ou de la double- page, puisque son intervention va de fait modifier le contenu des bulles.

En effet, le simple fait de traduire les éléments linguistiques a, de fait, une influence sur le remplissage des phylactères, et le lettreur se trouve alors confronté à deux stratégies d’adaptation graphique. La première consiste à augmenter ou réduire la taille du phylactère pour le faire correspondre au mieux aux éléments linguistiques traduits.

Cette stratégie est souvent préférée par les éditeurs, car elle permet de ne pas modifier l’équilibre de la répartition entre éléments iconiques et linguistiques au sein de la vignette, mais aussi parce qu’elle est largement facilitée par le technologies actuelles à disposition des graphistes : « Today the translation is received as a text file, and lettering is usually done with the help of a graphics programme, by erasing the original text and

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