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Elimination des éléments « français » de son discours

c. Le cas particulier du personnage de Bartoc

1. Elimination des éléments « français » de son discours

La dernière particularité de la série que nous allons aborder dans ce mémoire concerne le personnage de Batroc, auquel nous avons choisi de nous intéresser car ses répliques et ses interactions avec les autres personnages cumulent plusieurs types de difficultés de traduction. Rappelons que Batroc « the leaper » est un anti-héros ancien dans l’univers Marvel, puisqu’il existe depuis les années 60 (voir partie II. A. e.

« Personnages secondaires importants »). Il a été créé pour être un personnage

« français » très stéréotypé, et son discours est donc ponctué d’expressions françaises (comme « mon dieu » ou « zut ») et de fautes de prononciation dues à son accent, qui sont signalées visuellement par l’eye-dialect (par exemple, le mot « the » est écrit « ze »). Cette caractérisation du discours de Batroc est très importante dans la série, puisque le personnage a été construit autour de cette origine géographique et qu’elle est utilisée à de nombreuses reprises comme ressort comique ou pour faire avancer l’intrigue.

Cependant, dans la traduction publiée, les éléments linguistiques qui marquaient l’origine française du personnage ont été effacés. Les expressions qui apparaissaient en français dans le texte d’origine sont toujours présentes, mais elles se fondent dans le reste de son discours et n’attirent pas l’attention du lecteur, puisque rien ne permet à celui-ci de comprendre qu’elles étaient en français dans le texte d’origine. Quant à son accent, qui était signalé dans la version originale par une orthographe fautive destinée à reproduire les erreurs de prononciation du personnage, celui-ci a également disparu dans la traduction : les répliques ne présentent pas de particularisme qui pourrait indiquer une origine étrangère.

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Comme on peut le voir sur les deux vignettes ci-dessus, il n’est pas possible pour le lecteur francophone de retrouver dans le discours de Batroc des éléments qui indiquent son origine française, comme c’était le cas dans la version originale. D’une part, les deux occurrences d’eye-dialect qui se trouvent dans le deuxième phylactère ont été supprimées (répétition de « ze » pour imiter une prononciation du mot « the » marquée par un accent français). D’autre part, l’expression « mon dieu » a bien été conservée dans le quatrième phylactère, mais ne surprend plus le lecteur dans un contexte où le texte entier est traduit en français. La suppression de ces particularismes de langage dans la traduction n’a pas été compensée par l’ajout de nouveaux éléments qui pourraient indiquer l’origine française de ce personnage, il s’agit donc bien d’un procédé de deleito selon la classification de Klaus Kaindl, qui entraine sur le plan macrostructurel un

« affadissement » de la voix de Batroc.

Bien entendu, cette modification de la voix de ce personnage a des conséquences importantes sur le reste de l’histoire, puisqu’il est fait maintes fois référence à son origine française au cours du récit. Dans l’extrait que nous allons maintenant analyser, l’accent français de Batroc est même un élément crucial de l’histoire, et sa disparition dans la traduction crée pour le lecteur plusieurs problèmes de compréhension. Ce passage est situé à la page 80, dans le quatrième chapitre de l’histoire (The Unbelievable Gwenpool

#2), et nous allons nous intéresser plus précisément aux trois premières vignettes de cette page (dont une copie est jointe en annexe, voir Annexe 4 « The Unbelievable Gwenpool #2, page 80 »).

Dans cet extrait, Gwenpool, qui a rejoint l’équipe de mercenaires du criminel M.O.D.O.K., est envoyée en mission aux côtés de Batroc pour libérer un prisonnier qui est

Figure 26 : The Unbelievable Gwenpool #3, page 103, détail de la case 3 (version originale et sa traduction en français)

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en train d’être escorté par la police. Pour ce faire, ils se font passer eux-mêmes pour des officiers de police et détournent le transfert du prisonnier en prétendant avoir été mandatés pour le protéger. Pour le lecteur anglophone, il est aisé de reconnaître le personnage de Batroc sous son déguisement, d’abord sur le plan physique à cause de sa moustache et parce qu’il porte des lunettes de soleil qui ressemblent au masque de son costume habituel, mais aussi à cause de ses répliques, qui sont toujours très marquées par son origine française. On peut voir que dans cet extrait il s’exprime à deux reprises en français, avec « Je ne sais pas ! » dans la première case et « Merci » dans la deuxième. C’est la présence de ces deux phrases en français qui met la puce à l’oreille des deux policiers, et dans la troisième case de cette page ils comprennent que Batroc n’est pas un policier et qu’ils ont été dupés (avec « Was that guy French ? » et « we’ve been, uh… had. »).

Cependant, dans la version française de cet extrait, qui est jointe à ce mémoire en document annexe (voir Annexe 4 « The Unbelievable Gwenpool #2, page 80 »), le discours de Batroc n’est plus marqué par un accent ou une origine géographique. Les deux expressions qui étaient en français dans le texte d’origine ont été conservées telles quelles mais, comme dans l’exemple précédent, elles ne ressortent plus comme des éléments

« français » au sein du discours traduit, et rien ne permet d’indiquer au lecteur que celles-ci étaient écrites dans une autre langue dans le texte d’origine. Par conséquent, la traduction de la première bulle de la troisième case (« Il avait un accent, non ? ») n’a pas de sens pour le lecteur francophone, car rien dans les deux répliques précédentes de Batroc ne suggère que celui-ci s’exprime avec un accent étranger. Le procédé de deleito que nous avions déjà relevé se répète donc dans la traduction de ce passage, mais ses conséquences sur l’intrigue sont plus importantes, puisque la perte d’information qu’il entraîne provoque ici une incohérence.

Puisque cet accent français de Batroc est un élément important et récurrent dans la série, il nous semble qu’une solution plus adéquate aurait été de préciser dès le début de l’œuvre avec une note du traducteur que certains passages mis en relief sont en français dans le texte d’origine : ces passages pourraient par exemple être mis en italique, ou précédés d’un astérisque. Il est également fréquent dans les comics d’origine américaine d’utiliser des chevrons (< >) pour encadrer les passages qui sont prononcés dans une autre langue, c’est donc une autre solution qui nous paraît très acceptable dans ce cas précis. Pour le lecteur francophone, l’ajout d’une telle note du traducteur a

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l’avantage d’indiquer clairement dès le début de l’œuvre l’origine géographique du personnage et de montrer que celui-ci s’exprime avec un fort accent étranger tout au long de la série.

2. Changement du registre et perte d’un trait