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Les traditions de la métaphore spéculaire : le trait d’union entre deux sources

La pure lumière du poète que nous venons de retracer a touché enfin les surfaces des yeux mortels, des « miroirs obscurcis et plaintifs » du dernier vers du poème. Mais ces « rayons primitifs » se seraient déformés à travers le prisme de la métaphore des yeux obscurcis. Poursuivons donc maintenant ce qu’éclairent ces rayons renvoyés par la métaphore spéculaire. Notre but est désormais non pas d’exagérer encore une fois la trace ineffaçable d’un mysticisme païen ou chrétien chez Baudelaire63, mais de savoir seulement comment s’est créé l’horizon d’attente d’une métaphore usée comme « miroir obscur », et comment deux sources intellectuelles de la pensée occidentale ont pu être exprimées par cette métaphore.

Les motifs littéraires comme le processus de dégradation de la lumière reflétée, l’allusion biblique à la chute et la métaphore des yeux-miroirs obscurcis rendent ce miroir

61 Voir Alain Vaillant, op. cit., p. 93. « Baudelaire nous délivre ici, dans ces trois lignes de Mon cœur mis à nu, le sens profond de l’adjectif "mystique", qui revient si souvent dans Les Fleurs du Mal. Le "Mystique" désigne le mouvement réciproque de matérialisation de l’esprit et de spiritualisation de la chair auquel le poète essaie de donner une forme, mais que le métaphysicien sait impossible et irréel. Baudelaire est un poète mystique. Non qu'il y ait chez lui la trace d'un mysticisme religieux concrètement assumé, ni même sa transfiguration en mystique profane de l'art. Mais Baudelaire a systématiquement recherché, avec les moyens de la poésie, à recréer

artificiellement les conditions de la fiction mystique, c'est-à-dire de l'union menée jusqu'à la fusion de la chair et de l'esprit.»

62 Ibid., p. 93-99. On peut y trouver « neuf exemples particulièrement significatifs ».

63 Sur le mysticisme de Baudelaire, voir Jean Pommier, La Mystique de Baudelaire, Genève, Slatkine reprints, 2011( 1ère édition Paris, 1932) ; Marc Eigeldinger, Le Platonisme de Baudelaire, Neuchâtel, La Baconnière, 1952 ; Anne-Marie Amiot, Baudelaire et l’illuminisme, Paris, Nizet, 1982.

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archétypique. Notre approche historique et sémiologique de cette strate métaphorique va éclairer le fondement de ce poème et son renversement ironique et moderne. Ce quatrain, « un des plus beaux du recueil »64, vaut la peine d’être à nouveau cité.

« Car il ne sera fait que de pure lumière, Puisée au foyer saint des rayons primitifs,

Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière, Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs ! »

Ce miroir archétypal forme ipso facto un bassin dans lequel se déversent les deux courants philosophico-religieux qui nourrissaient la culture occidentale ; l’un est hellénique, l’autre chrétien. D’abord, la réflexion sur le miroir en général est une thématique fondamentalement platonicienne. Depuis l’époque classique, le reflet, ou l’image reflétée, qui était considéré comme vivant et magique, et qui fut fatal à Narcisse dans la Grèce ancienne, a fait l’objet de discussions intellectuelles pour gagner son statut de métaphore, d’allégorie ou de symbole65. C’est Socrate qui a catalysé la réflexion sur la question morale de l’intériorité, en assénant le précepte fatidique « Γνῶθι σαυτόν (Connais-toi toi-même) », gravé à l’entrée du temple de Delphes, lequel représente bien le fatalisme grec (Connais bien ta propre mesure qui dépend de la fatalité inéluctable de ton destin), comme une question de prise de conscience de soi ou une moralité individuelle sur le plan de l’intériorité humaine66. Et c’est chez Platon que la réflexion philosophique sur l’image du miroir a réellement commencé. Les théories platoniciennes de la mimesis et les idées illustrées par l’analogie avec le soleil, le symbole de la ligne et l’allégorie de la caverne dans les dialogues entre Socrate et Glaucon des livres VI et VII de La République, reflètent la vision hellénique du monde dont les bases sont la pure lumière originelle et ses reflets progressivement dégradés67. Platon n’ignorait pas la puissance de la capacité imitative de l’illusion spéculaire, et il pouvait, par la bouche de

64 Robert-Benoît Chérix, Commentaire des Fleurs du Mal : essai d’une critique intégrale, Genève, Slatkine Reprints, 1993(1ère édition 1949), p. 22. « Le quatrain final de Bénédiction, un des plus beaux du recueil, conjugue harmonieusement plusieurs thèmes essentiels de la poésie baudelairienne : l’aspiration vers la lumière, la nostalgie de l’innocence originelle, la fascination prismatique du regard, et un symbolisme visionnaire unissant le monde de la splendeur mystique et le monde de la souffrance humaine. »

65 Sabine Melchior-Bonnet, op. cit., p. 114-115. ; Huguette Courtès, « La symbolique du miroir et la tradition platonicienne », Bulletin, n° 38, Académie des sciences et lettres de Montpellier, 2008, p. 181-193.

http://www.ac-sciences-lettres-montpellier.fr/academie_edition/fichiers_conf/COURTES2007.pdf

66 Voir ibid., « Après le pseudo-Aristote, auteur de la Grande Morale (II, 15), Sénèque, Apulée, Diogène Laërce, rappellent le rôle que Socrate attribuait au miroir dans la réforme intérieure.»

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Socrate, faire exister toutes les choses sur la terre et même créer le soleil dans le ciel, en prenant un miroir et en le faisant tourner dans tous les sens68. Mais selon lui, cette image spéculaire était d’ordre le plus obscur, la plus éloignée de la vérité, donc la plus inférieure parmi les quatre divisions du monde. Dans la Grèce de l’époque est profondément enracinée cette attitude platonicienne de mépris à l’égard de l’imitation par rapport à l’original, imitation essentiellement représentée par l’image du miroir. Celui-ci était souvent considéré comme un instrument magique où apparaît l’avenir, comme dans le cas de la catoptromancie, et parfois admiré pour son pouvoir créatif. Malgré cela, il resta longtemps sujet à soupçons, même à l’époque romaine, à moins qu’il ne dévoilât une divinité.

La proximité sémantique entre « yeux mortels » et « miroirs obscurcis » provient aussi de la pensée platonicienne. Il est intéressant de constater que l’attention particulière des Grecs portée aux miroirs se reflète dans un lexique riche et varié à propos du miroir. La langue grecque a au moins trois termes pour désigner le miroir : esoptron, enoptron et katoptron69. Il est significatif que ces mots aient la même racine « op » en liaison avec la notion du regard : la vue ou la vision. Les considérations « optiques » des Anciens sur l’image spéculaire expliquent ce rapprochement. « Selon la théorie euclidienne reprise par Ptolémée, l’œil émettrait des rayons visuels rectilignes qui rejoindraient l’objet et lui en rapporteraient ensuite forme et couleurs70 » ; l’œil humain, à la fois récepteur et émetteur, était considéré comme un vrai miroir dans l’Antiquité. Dans le dialogue entre Socrate et Alcibiade dans le Premier

Alcibiade, Platon a mené une réflexion approfondie sur l’image en superposant l’œil et le miroir :

Tu as bien remarqué que le visage de celui qui regarde l’œil de quelqu’un apparaît, comme dans un miroir dans l’œil qui se trouve en face, dans la partie que nous

68 Ibid, X, 596.

69Voir Huguette Courtès, op. cit., « Le grec, langue riche, dispose de trois termes pour désigner le miroir, permettant ainsi d’indiquer soit la direction du regard ou du rayon (ἔσοπτρον), soit la localisation sans mouvement (ἔνοπτρον), soit le face-à-face (κάτοπτρον). Le latin, langue pauvre, n’a qu’un mot, speculum, pour caractériser toute reproduction fidèle et complète allant jusqu’à désigner l’ensemble des connaissances qui concernent un sujet souvent encylopédique. Il use donc de termes voisins afin d’enrichir le symbolisme :

specula(poste d’observation), specular(fenêtre vitrée), speculari, speculatio, et même species. Ainsi, naît un jeu verbal au pouvoir accru. [...] Dans la species, différente de l’imago, le matériel s’inscrit en immatériel et s’imprime dans l’intellect. Species désigne la beauté de l’aspect, speciosus est la belle apparence qui ensuite va se dénaturer en ce qui n’a de beau que l’apparence. Spéculer, c’est produire une réflexion de l’avenir au miroir de l’intellect.» Voir aussi, Françoise Frontisi-Ducroux et Jean Pierre Vernant, Dans l’œil du miroir, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 72-75.

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appelons la pupille : [cette silhouette, cette petite poupée] c’est l’image, l’eidolon de celui qui regarde71.

Le mot grec « eidolon (εἴδωλον) », dérivé du verbe signifiant « voir » « eido (εἴδω) », désigne le double ou l’ombre et « ce qui se montre dans un miroir et qui en réalité n’y est pas. » Il est « du visuel porteur d’illusion, par opposition à l’eidos ou l’idea [ἰδέα], de même racine, la forme belle et vraie, qui devient chez Platon "idée" (Cratyle, 89 b 3) 72 » ; celle-ci étant en relation antonymique et réflexive avec eidolon. Au demeurant, les yeux humains, ne pouvant que réfléchir l’image, le reflet et les vaines illusions de la vraie forme, étaient donc naturellement et essentiellement obscurs.

Dans le texte biblique se trouve aussi l’allégorie du miroir qui exprime les limites originelles de la connaissance humaine. En fait, malgré de nombreuses preuves indéniables de la pensée « naturiste » dans d’autres poèmes qui traitent de l’ivresse sensorielle de la pure nature comme « Élévation » ou « Le Soleil », ou de l’ironie mordante contre la religiosité, l’effet de cette ironie et son intensité feront ressortir naturellement et paradoxalement la couleur religieuse de « Bénédiction » et exerceront une influence considérable dans l’acte de lecture. Autrement dit, si on prend en considération l’horizon d’attente des auteurs et des lecteurs qui étaient profondément imprégnés par le catholicisme à cette époque, on ne peut pas empêcher la superposition entre cette pureté athée ou naturaliste et la spiritualité de la lumière, qui va ressusciter dans l’acte réflexif, récursif et différentiel de lecture. Les yeux-miroirs obscurcis de « Bénédiction », ce sont sûrement la réminiscence biblique du miroir de saint Paul : « Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière obscure, mais alors nous verrons face à face ; aujourd’hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu (I, Corinthiens, 13.12). » On connaît l’importance accordée au rôle fondamental de la lumière et du reflet dans la tradition des religions abrahamiques ; l’homme qui fut créé « à l’image de Dieu », « selon sa ressemblance » n’est qu’un reflet défectueux des clartés divines. Contrairement à la vision souillée, donc partielle de l’homme, la Sagesse

71 Platon, Alcibiade, 133a (katoptron), cité dans Françoise Frontisi-Ducroux et Jean Pierre Vernant, op. cit., p. 121. « (S.) Donc un œil qui regarde un autre œil et qui se fixe sur ce qu’il y a de meilleur en lui, ce par quoi il voit, peut ainsi se voir lui-même. – (A.) Évidemment. – Mais s’il regarde quelque autre partie du corps ou quelque autre objet, hors celui auquel il ressemble, il ne se verra plus. – Tu dis vrai. – Si donc l’œil veut se voir lui-même, il faut qu’il regarde un autre œil et dans cet endroit de l’œil où se trouve la vertu de l’œil, c’est-à-dire la vision ? »

72 Article « Eidolon » dans Barbara Cassin (dir.), Vocabulaire européen des philosophies : dictionnaire des

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divine est comparée au « miroir sans tache » dans le Livre de la Sagesse : « Elle [la Sagesse divine] est le resplendissement de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, et l’image de sa bonté73. » En fait, l’obscurité du miroir de l’homme, dans un premier temps, témoigne d’une connaissance empirique des Anciens. Puisque le miroir de saint Paul, esoptron, n’était fait que de métal poli (bronze, et alliage d’étain et de cuivre), si poncé qu’il soit, on ne serait pas arrivé bien longtemps à y obtenir « naturellement » la netteté parfaite du reflet. Alors le pur miroir sans défaut, techniquement irréalisable, devait donc inévitablement être considéré comme un symbole mystique ou religieux. C’était le miroir de Dieu, le symbole de la divinité ; en revanche, la défectuosité matérielle du miroir terrestre a été considérée comme un signe de la chute originelle par la théologie chrétienne.

Les yeux mortels levés vers le ciel montrent nettement la pensée du poète au sujet des rapports entre dieu et les hommes et permettent de prévoir l’origine de la vision baudelairienne du monde. Puisque, avant d’être obscurcis par les larmes, les yeux humains ont déjà été brouillés par le péché originel, il importe de diminuer les « traces du péché originel » pour retrouver la lucidité primordiale, c’est-à-dire pour le vrai progrès humain. C’est pour cette raison que Baudelaire écrit dans Mon cœur mis à nu : « Théorie de la vraie civilisation. Elle n’est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes. Elle est dans la diminution des traces du péché originel74. » Cependant, alors même que le péché originel pourrait diminuer graduellement, ses traces ne seront jamais totalement effacées. Pour Baudelaire, le poète « catholique » d’une manière réfractaire, la conscience du péché originel est comme un sort inéluctable, « comme un statu quo ».

Ainsi, le profond mépris iconoclaste (au sens étymologique du terme) pour l’image, spéculaire essentiellement, est commun aux deux cultures hellénique et chrétienne. Si, l’obscurité de la vision est le symbole de la faiblesse humaine et provoque toujours de la souffrance et de douleur, elle peut être aussi une preuve de la bénédiction divine. Et les yeux mortels comme miroirs obscurcis servent cette fois de médiation, afin que le poète puisse occuper une place dans le Royaume des cieux et que nous puissions « voir face à face ». En fait, à commencer par saint Augustin, les philosophes et théologiens médiévaux ont inventé un moyen de remonter vers la vérité divine, en transformant la défectuosité du reflet ou de l’image en échelle efficace75. De même que l’on utilise les plans liquides, les verres

73 Le Livre de la Sagesse 7:26

74 OC, t. I, p. 697.

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ou miroirs sombres pour observer le soleil sans être attaqué par ses éclats aveuglants, l’imperfection innée et originelle de l’esprit humain rend la vérité divine acceptable par étapes. Platon, qui a toujours éprouvé du mépris pour l’image, ne niait cepentant pas sa capacité de remonter de l’effet à la cause, à travers la logique de la ressemblance, c’est-à-dire par analogie, parce que l’image en tant que reflet de quelque chose indique toujours l’autre réalité. Sans ce renversement, les hommes enchaînés dans la caverne ne pourraient jamais la quitter.

L’obscurité de la vision humaine est ainsi ambivalente, et il en va de même pour le statut du poète de/dans « Bénédiction », car le poète, en tant qu’homo duplex, est lui aussi un être maudit, né avec les yeux de mortels. Il veut et peut croire diminuer les traces du péché originel par la poésie et l’imagination, en prenant son essor vers la « pure lumière », ou bien vers « les champs lumineux et sereins », vers le vrai ciel bleu comme dans « Élévation ». Même s’il est vrai que Baudelaire a toujours voulu voir la nature en tant que telle, sans aucune trace de religiosité, on ne peut néanmoins nier que les strates métaphoriques des « yeux-miroirs obscurcis », qui se sont depuis longtemps formées ne peuvent pas se décoller complètement. Les difficultés inhérentes à l’effacement absolu des traces du péché originel, dans le poème « Bénédiction », peuvent s’expliquer de deux façons : soit d’une manière existentielle, soit d’une manière esthétique. D’une part, il s’agit d’abord d’un malaise existentiel du poète, mais la douleur physique en tant que condition humaine a un rôle non négligeable dans le chemin de croix du poète76. La cruauté de la femme évoquée fait penser à son caractère mortel inéluctable du corps et crée un contraste frappant avec la prière solennelle qui suit dans le poème.

Et, quand je m’ennuierai de ces farces impies, Je poserai sur lui ma frêle et forte main ; Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies, Sauront jusqu’à son cœur se frayer un chemin.

Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite, J’arracherai ce cœur tout rouge de son sein,

Et, pour rassasier ma bête favorite, Je le lui jetterai par terre avec dédain77.

76 Se rappeler que Baudelaire a souffert lui-même toute sa vie mentalement et physiquement.

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L’ambivalence ontologique du poète est mise en relief dans les trois premiers poèmes qui sont étroitement liés. Si « L’Albatros », qui remplace en deuxième place le poème « Le Soleil » depuis l’édition de 1861, souligne la corporalité du poète en tant qu’être humain qui traîne ses « ailes de géant [qui] l’empêchent de marcher », son esprit s’envole gaiement en revanche dans « Élévation », « bien loin de ces miasmes morbides », « Derrière les ennuis et les vastes chagrins / Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse » avec « une aile vigoureuse ». D’autre part, on n’ignore pas que Baudelaire a souvent insisté sur le rôle de la souffrance rédemptrice, qui est inévitable « Comme un divin remède à nos impuretés [...] ». La purification, pour lui, exige toujours la souffrance et la douleur, considérées comme impures et signes du péché qui a entraîné la déchéance de l’homme. Cependant il ne croit pas à la capacité rédemptrice, au sens religieux, de la souffrance, et de plus « il est insensible à la rédemption »78. Dans la mesure où le péché est ineffaçable, on ne peut guère concevoir « un type de Beauté où il n’y ait pas du Malheur »79, une condition sine qua non pour Baudelaire, ce Malheur s’exprimant par l’ennui, le spleen, la mélancolie, la tristesse, le regret, le mystère, etc. S’il en est ainsi, il s’agirait de la souffrance artistique, qui n’est pas rédemptrice, et du malheur de l’artiste qui rêve d’un autre type de Beauté inouïe et moderne80. Si le poète veut atteindre la vérité divine par la poésie, par la réalisation de l’idéal de la Beauté artistique dans le conflit entre la réalité humaine et l’idéal inaccessible, quelle est la relation entre le poète et les « saintes Légions » dans lesquelles le poète sait que Dieu lui gardera une place ?

78 Antoine Compagnon, op. cit., 2003, p. 22. « Le Dieu de Baudelaire n’est pas rédempteur, mais justicier et vengeur. Baudelaire invoque Dieu et Satan pour insister sur le péché originel et sur la damnation, pour faire voir la "partie maudite" sur laquelle repose toute action humaine et rappeler que la "question Dieu" n’a pas été résolue par le matérialisme et l’"athéologie" des Lumières – pour parler comme Georges Bataille –, mais il est insensible à la rédemption. » Cf. Georges Bataille, La Littérature et le mal, Paris, Gallimard, 1957.

79 Fusées OC, t. I, p. 657-658.

80 Ce sentiment dans la solitude profonde mais réconfortante est exprimé aussi, par exemple, dans un poème en prose « À une heure du matin » du Spleen de Paris avec l’expression de l’ambition artistique ou plutôt l’invocation d’un artiste : « Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même. [...] Mécontent de tous, et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Âme de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde, et vous, Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise ! » OC, t. I., p. 287-289.

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