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L’œil rouge des hiboux et l’éthique des miroirs des Paradis artificiels

Les yeux-miroirs fascinateurs symbolisent ainsi que, nous l’avons vu précédemment, le double regard du poète envisageant de concilier des points de vue inconciliables, à savoir un fol amour charnel et sensationnel et une observation rigoureuse. La réflexion sur ces yeux-miroirs paradoxaux nous aidera à répondre au questionnement éthique et moral qui s’est posé dans Les Paradis artificiels. On a vu dès le dernier chapitre que le regard du poète en tant que mortel submergé par l’esthétique de l’apparence, fruit de l’idéalisation du monde extérieur, est capable de susciter l’orgueil artistique démesuré et quasi divin à travers l’auto-idéalisation, et que son regard se tournant vers le poète lui-même, puisqu’il s’agit de la contemplation de soi devant le miroir, laisse voir inévitablement ses crises et son angoisse, autrement dit, son « spleen » existentiel. Bref, après l’expérience du miroir associée à l’idéal artificiel, le poète ressent l’éveil de la conscience. Si l’on peut comparer l’envoûtement des yeux charmants à l’ivresse des drogues, l’horreur impliquée dans ces images du miroir (par exemple, les symptômes de l’effondrement de l’architecture, merveille dans le paysage spéculaire et hallucinatoire, l’étonnement devant un regard félin, le terrible des mirettes, le retour brutal au

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réel dans « Rêve parisien » ou « La Chambre double ») serait comme le catalyseur d’un réveil, brutal et douloureux. Garder les yeux grands ouverts lors même que l’on est dans l’ivresse, c’est un travail dur et pénible, mais nécessaire afin de fixer le rêve qui s’enfuit, et de le traduire en poésie par la réflexion philosophique, c’est-à-dire en acte de penser. Pour cette raison, les chats sont suivis par les hiboux :

Sous les ifs noirs qui les abritent, Les hiboux se tiennent rangés, Ainsi que des dieux étrangers, Dardant leur œil rouge. Ils méditent.

Sans remuer ils se tiendront Jusqu'à l'heure mélancolique Où, poussant le soleil oblique, Les ténèbres s'établiront.

Comme « le regard que Baudelaire porte sur les animaux, écrit Patrick Labarthe, doit beaucoup à une veine qui faisait d’eux un miroir moral où découvrir son identité »547, les hiboux, qui représentent, comme l’a remarqué Judd David Hubert, « la fusion complète d’une position physique et d’une attitude morale »548, sont le portrait d’un poète philosophe qui prend le parti de se cloîtrer dans le mutisme (soit par choix politique ou esthétique ou même existentiel). C’est « leur l’œil rouge » accentué, inévitablement quelque peu caricatural, qui illustre bien l’ambiguïté et le paradoxe d’une position et d’une attitude du poète, dont les yeux aveuglés par l’amour et la passion et en même temps rougis par le travail tenace d’introspection, comme l’œil du poisson en tant que symbole de la méditation bouddhiste. L’œil s’embrasera de plus en plus intensivement au fur et à mesure que la nuit s’épaissit jusqu’« à deux heures du matin ». L’éveil de la conscience est pourtant considéré pour Baudelaire comme un châtiment divin infligé à quiconque veut « changer de place », c’est-à-dire à celui qui rêve de partir en voyage (« L’Invitation au voyage », « Voyage »), dans l’ivresse perpétuelle (« Enivrez-vous ! »), n’importe où hors du monde (« Any where out of the world »).

547 Patrick Labarthe, op. cit., p. 696.

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Leur attitude au sage enseigne Qu'il faut en ce monde qu'il craigne Le tumulte et le mouvement,

L'homme ivre d'une ombre qui passe Porte toujours le châtiment

D'avoir voulu changer de place.

L’inébranlabilité de l’attitude pensive et philosophique des hiboux contraste avec « le tumulte et le mouvement » qui caractérisent la fantaisie imaginative. Dans le dernier tercet, où est évoquée une lointaine réminiscence biblique à propos de l’expulsion du paradis terrestre549, les yeux mortels radicalement opposés à ceux des hiboux comme « dieux étrangers » méditatifs sont enclins à s’enivrer seulement d’« une ombre qui passe ». Ceux qui ont ces yeux-là, selon le dire de Baudelaire dans Les Paradis artificiels, chercheront un moyen facile et rapide permettant « d’emporter le paradis d’un seul coup550 ». Quant à l’attitude du poète sur la concentration profonde en plein milieu de l’ivresse convergeant sur les yeux des hiboux, elle est emblématiquement représentée par une pipe qui fume, après les hiboux avant de chanter la musique551, dont la fumée exprime à la fois un moment de relâche ou de pause causé par l’ivresse (comme souligne l’expression « fumée ou vapeur de l’ivresse ») et la parole d’une pipe en tant que fruit de la contemplation intellectuelle de l’auteur552.

Des yeux fascinants de la bien-aimée jusqu’à l’œil du poète qui regard la fumée d’une pipe en passant par les paraboles des chats et des hiboux, Baudelaire a montré le portrait d’un poète placé en équilibre dans « le tumulte et le mouvement » du monde et de l’ivresse personnelle. L’œil rouge des hiboux symbolise le regard pensif et critique, c’est-à-dire philosophique du poète et son attitude de travail poétique qui donnera par exemple le poème du hachisch. Cette attitude est sur la même ligne que la morale du lendemain de l’ivresse,

549 Ibid., p. 116-117.

550 OC, t. I, p. 402.

551 Voir l’ordre des poèmes dans Les Fleurs du Mal (1861) : « Les Hibou (LXVII) », « La Pipe (LXVIII) »,« La Musique (LXIX) »,ibid., p. 67-68.

552 « Je suis la pipe d’un auteur ; / On voit, à contempler ma mine / D’Abyssinienne ou de Cafrine / Que mon maître est un grand fumeur. // Quand il est comblé de douleur, / Je fume comme la chaumine / Où se prépare la cuisine / Pour le retour du laboureur. // J’enlace et je berce son âme / Dans le réseau mobile et bleu / Qui monte de ma bouche en feu, // Et je roule un puissant dictame / Qui charme son cœur et guérit / De ses fatigues son esprit. », ibid. Voir une section « Le devoir de pensée » du chapitre « L’art pensif » de Baudelaire poète comique d’Alain Vaillant, op. cit., p. 53-58.

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examinée dans Les Paradis artificiels, parce que Baudelaire veut faire comprendre analogiquement à ses contemporains l’intensité de la beauté artificielle du jardin de la poésie, vrai mensonge, en montrant la beauté mensongère, exagérée par l’idéal artificiel, en reliant les deux caractères contrastants du monde moral d’un côté le sens, la sensualité, la passion, l’ivresse et le rêve, et de l’autre, la raison, le calcul, la pensée, la volonté et l’action. À travers « l’homme ivre d’une ombre qui passe », il vise ceux qui ont l’esprit « trop léger ou trop grossier », « ceux qui cherchent une jouissance immédiate », selon Michel Butor, afin de montrer que « les produits aux effets si irrécusables ne sont que des ersatz faibles et dangereux de cette seule drogue, de cette drogue absolue qu’est la poésie, dont les effets sont incomparablement plus puissants et plus stables, qui donne en réalité ce qu’ils ne donnent qu’en mensonge553 ». Pour en revenir aux Paradis artificiels, scène centrale de l’expérience du miroir, l’observation exige la distance. Construire le « baromètre spirituel » « dans l’observatoire de [la] pensée, de belles saisons, d’heureuses journées, de délicieuses minuites »554, c’est observer l’ivresse en gardant toute sa lucidité comme Ulysse qui s’est fait attaché au mât. Nous allons réfléchir, pour conclure, sur la signification de la morale de l’ivresse, et de la condamnation de Baudelaire contre les drogues qui peut être tirée de la métaphore spéculaire, selon les deux aspects suivants : en premier lieu, il s’agit de l’analogie esthétique ; l’effet grossissant de l’apparence physique et matérialiste du hachisch est comparable au goût exclusivement plastique chez l’école païenne opposée à la tradition chrétienne et philosophique qui exige l’art pensif. En deuxième lieu, ce qui est définitivement critiqué par Baudelaire en déclinant tous les moyens matériels faciles et prompts qui donnent le goût de l’infini, c’est la civilisation moderne confinée à l’idée de progrès matériel.

Si Les Paradis artificiels sont une esthétique analogique, la métaphore du miroir permettra de découvrir son terrain de prédilection à propos de l’art et de la littérature, de la même manière que l’usage de la même métaphore comme doctrine littéraire chez Lamartine, Hugo et Stendhal. Dans « Le goût de l’infini » du « Poème du hachisch », l’« état exceptionnel de l’esprit et de sens » paradisiaque est comparé à « un miroir magique » :

553 Michel Butor, « Les Paradis artificiels », Essais sur les modernes, Éditions du Minuit, Paris, Gallimard, p. 10-11. « Or, le lecteur que Baudelaire voudrait convaincre, celui qu’il voudrait tirer de son ombre, c’est l’amateur distingué, celui qui ne voit dans la poésie qu’un divertisement superficiel, bien incapable de ressentir à son égard quelque passion, ou pis encore le philistin, celui qui ne comprend pas du tout pourquoi on perd son temps à des choses de ce genre-là, colifichets tout juste bons pour quelques oisifs. C’est pourquoi Baudelaire va s’efforcer de mener à la poésie en utilisant un certain nombre d’analogies. »

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Il est des jours où l’homme s’éveille avec un génie jeune et vigoureux. Ses paupières à peine déchargées du sommeil qui les scellait, le monde extérieur s’offre à lui avec un relief puissant, une netteté de contours, une richesse de couleurs admirables. Le monde moral ouvre ses vastes perspectives, pleines de clartés nouvelles. L’homme gratifié de cette béatitude, malheureusement rare et passagère, se sent à la fois plus artiste et plus juste, plus noble, pour tout dire en un mot. Mais ce qu’il y a de plus singulier dans cet état exceptionnel de l’esprit et des sens, que je puis sans exagération appeler paradisiaque, si je le compare aux lourdes ténèbres de l’existence commune et journalière, c’est qu’il n’a été créé par aucune cause bien visible et facile à définir. [...] Il est certain qu’une élévation constante du désir, une tension des forces spirituelles vers le ciel, serait le régime le plus propre à créer cette santé morale, si éclatante et si glorieuse ; mais en vertu de quelle loi absurde se manifeste-t-elle parfois après de coupables orgies de l’imagination, après un abus sophistique de la raison, qui est à son usage honnête et raisonnable ce que les tours de dislocation sont à la saine gymnastique ? C’est pourquoi je préfère

considérer cette condition anormale de l’esprit comme une véritable grâce, comme un miroir magique où l’homme est invité à se voir en beau, c’est-à-dire tel qu’il devrait et pourrait être ; une espèce d’excitation angélique, un rappel à l’ordre sous une forme complimenteuse555.

Mais « tout mène à la récompense ou au châtiment, deux formes de l’éternité. » Par rapport à « cet état charmant et singulier où toutes les forces s’équilibrent, où l’imagination, quoique merveilleusement puissante, n’entraîne pas à sa suite le sens moral dans de périlleuses aventures, où une sensibilité exquise n’est plus torturée par des nerfs malades », les vices humains, écrit Baudelaire, donnent aussi « la preuve de son goût de l’infini » « qui se trompe souvent de route »556. Le châtiment sera infligé à l’homme ivre qui a voulu « changer de place », tandis que la percipicacité comme récompense sera décernée aux hiboux, les voyants. C’est « l’Esprit du Mal » qui conduit l’homme au paradis créé par la pharmacie, et cela ne donne que la vision grossie et exagérée de la nature visible.

Que les gens du monde et les ignorants, curieux de connaître des jouissances exceptionnelles, sachent donc bien qu’ils ne trouveront dans le hachisch rien de miraculeux, absolument rien que le naturel excessif. Le cerveau et l’organisme sur lesquels opère le hachisch, ne donneront que leurs phénomènes ordinaires, individuels, augmentés, il est vrai, quant au nombre et à l’énergie, mais toujours fidèles à leur origine. L’homme n’échappera pas à la fatalité de son tempérament

555 Ibid., p. 401-402.

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physique et moral : le hachisch sera, pour les impressions et les pensées familières de l’homme, un miroir grossissant, mais un pur miroir557.

Si, d’une part, le miroir magique correspondant au rêve surnaturel et hiéroglyphique, s’accorde, par analogie, à l’ivresse artistique, matérialisée par la poésie et l’art, ainsi que nous l’avons montré dans le premier chapitre, la vision créée par le hachisch comme simple « miroir grossissant » n’est-elle pas assimilable à la littérature romantique désuète en tant que miroir de concentration hugolien ou miroir intime lamartinien qui ne reflètent, de quelque façon que ce soit, que la nature humaine, extérieure ou intérieure ? Rappelons également que la mystification offensive faite sous prétexte du manque de « verres de couleurs », de « vitres magiques », « vitres de paradis » « qui fassent voir la vie en beau » chez « Le Mauvais Vitrier » pourrait être une attaque contre la médiocrité du réalisme de son temps558. Mais si, plus vraisemblablement, le miroir magique désigne la vision donnée par un certain état d’esprit particulier, par le moyen de l’art ou de la poésie, et non pas par les stupéfiants, tandis que le miroir grossissant n’intéresse que la beauté physique et la forme matérielle de la nature, cela signifie que Baudelaire souligne la nécessité et l’importance de la raison, de la pensée philosophique comme gymnastique intellectuelle et contrecarre les tendances de l’art plastique, dites de l’école païenne. Alors, l’article « L’École païenne » contemporaine du projet Le Hibou philosophe et du poème « Les Hiboux » mérite d’être longuement cité :

Congédier la passion et la raison, c'est tuer la littérature. Renier les efforts de la société précédente, chrétienne et philosophique, c'est se suicider, c'est refuser la force et les moyens de perfectionnement. S'environner exclusivement des séductions de l'art physique, c'est créer de grandes chances de perdition. Pendant longtemps, bien longtemps, vous ne pourrez voir, aimer, sentir que le beau, rien que le beau. Je prends le mot dans un sens restreint. Le monde ne vous apparaîtra que sous sa forme matérielle. Les ressorts qui le font se mouvoir resteront longtemps cachés. Puissent la religion et la philosophie venir un jour, comme forcées par le cri d'un désespéré ! Telle sera toujours la destinée des insensés qui ne voient dans la nature que des rythmes et des formes. Encore la philosophie ne leur apparaîtra-t-elle d'abord que comme un jeu intéressant, une gymnastique agréable, une escrime dans le vide. Mais combien ils seront châtiés ! Tout enfant dont l'esprit poétique sera surexcité, [...] deviendra le plus malheureux des hommes et rendra les autres malheureux. [...] Son âme, sans cesse irritée et inassouvie, s'en va à travers le monde, le monde occupé et laborieux ; elle s'en va, dis-je, comme une prostituée, criant : Plastique ! plastique ! La plastique, cet affreux mot me donne la chair de

557 Ibid., p. 409.

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poule, la plastique l'a empoisonné, et cependant il ne peut vivre que par ce poison. Il a banni la raison de son cœur, et, par un juste châtiment, la raison refuse de rentrer en lui. Tout ce qui peut lui arriver de plus heureux, c'est que la nature le frappe d'un effrayant rappel à l'activité honnête, ne peut sentir que les jouissances terribles du vice. Le péché contient son enfer, et la nature dit de temps en temps à la douleur et à la misère : Allez vaincre ces rebelles !559

Le rapprochement est possible entre le châtiment dont parle ici Baudelaire, qui frapperait les « insensés qui ne voient dans la nature que des rythmes et des formes », et qui permet de distinguer la glorification baudelairienne du « culte des images », sa grande, son unique et sa primitive passion560, d’avec l’engouement exceptionnel pour la plastique (parce que l’imagination n’est pas une simple copie du dictionnaire de la nature)561 et le châtiment destiné aux hachichins dans le dernier chapitre du « Poème du hachisch » intitulé « Morale », rend le travail impossible et la volonté affaiblie562. De plus, la métaphore du poison, folie qui pousse un possédé à se suicider comme Narcisse, est une figure importante aussi dans la morale de l’idéal artificiel qui pourrait justifier en partie notre rapprochement des deux textes : « Il est vraiment superflu, après toutes ces considérations, d’insister sur le caractère immoral du hachisch. Que je le compare au suicide, à un suicide lent, à une arme toujours sanglante et toujours aiguisée, aucun esprit raisonnable n’y trouvera à redire563. » Et voici la conclusion de « L’École païenne » :

Le goût immodéré de la forme pousse à des désordres monstrueux et inconnus. Absorbées par la passion féroce du beau, du drôle, du joli, du pittoresque, car il y a des degrés, les notions du juste et du vrai disparaissent. La passion frénétique de l'art est un chancre qui dévore le reste ; et, comme l'absence nette du juste et du vrai dans l'art équivaut à l'absence d'art, l'homme entier s'évanouit ; la spécialisation excessive d'une faculté aboutit au néant. Je comprends les fureurs des iconoclastes et des musulmans contre les images. J'admets tous les remords de saint

559 OC, t. II, p. 47-48.

560 « Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion). » OC, t. I, p. 701.

561 Voir Salon de 1859, ibid., p. 624-625.

562 « Mais le lendemain ! le terrible lendemain ! tous les organes relâchés, fatigués, les nerfs détendus, les titillantes envies de pleurer, l’impossibilité de s’appliquer à un travail suivi, vous enseignent cruellement que vous avez joué un jeu défendu. La hideuse nature, dépouillée de son illumination de la veille, ressemble aux mélancoliques débris d’une fête. La volonté surtout est attaquée, de toutes facultés la plus précieuse. » OC, t. I, p. 437-438.

563 Le hachisch poussera l’individu, comme un poison, à « s’admirer sans cesse lui-même et le précipitant jour à jour vers le gouffre lumineux où il admire sa face de Narcisse ». Et « celui qui aura recours à un poison, écrit Baudelaire, pour penser ne pourra bientôt plus penser sans poison. Se figure-t-on le sort affreux d’un homme dont l’imagination paralysée ne saurait plus fonctionner sans le recours du hachisch ou de l’opium ? » Ibid., p. 439- 440.

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Augustin sur le trop grand plaisir des yeux. Le danger est si grand que j'excuse la suppression de l'objet. La folie de l'art est égale à l'abus de l'esprit. [...]

Il faut que la littérature aille retremper ses forces dans une atmosphère meilleure. Le temps n’est pas loin où l’on comprendra que toute littérature qui se refuse à marcher fraternellement entre la science et la philosophie est une littérature homicide et suicide564.

Nous avons vu plus haut que « tout pour l'œil, rien pour les oreilles (« Rêve parisien ») » dans les spectacles spéculaires, presque surnaturels, de l’expérience du miroir chez Baudelaire. Mais il dénonce vigoureusement « le goût immodéré de la forme » d’iconolâtrie païenne comme il l’a fait avec les abus toxicomaniaques, et puisqu’il est dangereux ou même mortel pour la littérature de marcher sans science et philosophie, il va jusqu’à dire qu’il comprend « les fureurs des iconoclastes et des musulmans contre les images » et « tous les remords de saint Augustin sur le trop grand plaisir des yeux ». Bref, Baudelaire entend par les deux textes qu’il faut garder l’attitude austère du poète-philosophe chrétien ayant l’œil rouge des hiboux pour sauver du suicide l’art narcissique facilement absorbé dans le monde visible, d’une part par les artistes intoxiqués cherchant à trouver le goût de l’infini hors de l’art en négligeant de travailler, d’autre part par ceux qui ne tiennent qu’à réduire l’art et la poésie à la forme (faut-il évoquer le nom de Banville ou de Laprade ?), seulement à « la chair lisse et ferme » des « époques nues »565.

Alors, en deuxième lieu, sur le plan politique et social, comment peut-on expliquer la position éthique de Baudelaire face aux paradis artificiels et spéculaires après sa