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La Littérature en tant que telle : Gautier et Mallarmé

Si la comparaison entre Lamartine et Victor Hugo au niveau de l’image a permis de discerner nettement leur prédilection pour l’image de la spécularité du réflecteur naturel et de comprendre leurs intentions en passant par Baudelaire et si la comparaison entre Hugo et Stendhal a montré, au niveau de la métaphore, la différence entre leurs points de vue exprimés sur la littérature, nous allons maintenant étudier comment le miroir est devenu indispensable à la création poétique chez Gautier et Mallarmé, et comment il deviendra enfin un symbole du travail artistique159.

Théophile Gautier, avant Mallarmé, est un adorateur des glaces de Venise dont il s’est servi pour les héros de ses œuvres fantastiques. Chez Gautier, le miroir n’est pas seulement un motif ou un thème littéraire. Pour projeter ses rêves et ses fantasmes, il lui faut une belle glace, particulièrement les miroirs de Venise, comme l’a remarqué avec pertinence Léon Cellier : « Le miroir de Venise ‒ et non tout autre miroir ‒ ouvrait au poète un univers de cauchemar ou de rêve.»160 Dans son univers fantastique, le miroir est le plus souvent un locus horribilis, c’est-à-dire un espace menaçant et sinistre où règnent la peur et le malaise (Onuphrius, Avatar,

Jettatura, etc.). Or, dans sa lecture, l’important, c’est qu’il voit chez Gautier « une autre catégorie de miroir », le « miroir magique (Avatar) ». En rappelant l’article de Gautier sur Les

Paradis artificiels de Baudelaire, il écrit que « l’imagination la moins poétique, devant un miroir en son cadre, songe spontanément à une porte, à une fenêtre. »161 La morale des

159 Léon Cellier, « Devant le miroir de Venise : Gautier et Mallarmé », in Cahiers de l'Association internationale

des études françaises, 1959, n°11. p. 121-133.

160 « Un fait frappe d’abord : qu’il ne s’agit point de n’importe quelle glace, mais d’une glace de Venise. En cherchant à me documenter, j’ai découvert que les glaces de Venise ‒ en faveur au XVIIe siècle ‒ étaient encore à la mode entre 1830 et 1860. L’œuvre de Gautier m’en apporta maintes preuves. Les héros des contes et des nouvelles, Onuphrius, Rodolphe, Fortunio et Gretchen, Octave de Saville et Guy de Malivert ne peuvent se regarder que dans un miroir de Venise. Gautier chroniqueur partage l’engouement de Gautier conteur. [...] La beauté de ces miroirs et la mode suffisent-elles à justifier l’engouement de Gautier ? Je hasarderai cette hypothèse : tout se passe comme si le miroir de Venise détenait sur celui qui s’y contemple d’étranges pouvoirs, comme si le miroir de Venise ‒ et non tout autre miroir ‒ ouvrait au poète un univers de cauchemar ou de rêve.», Léon Cellier, op. cit.

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Paradis artificiels, comme on le sait, est que les hallucinations et les délires désordonnés et immodérés que le haschischin ou le mangeur d’opium voit comme dans un miroir, même s’ils sont tellement fascinants qu’on oublie l’horreur de la vie, doivent être distingués de l’ivresse provoquée par l’imagination poétique. Dans ce sens, « inversement le poète, ce songeur sobre, voit dans le miroir une fenêtre ouverte sur l’infini »162. Ainsi, dans une nouvelle fantastique de Gautier intitulée Onuphrius ou les vexations fantastiques d'un admirateur d'Hoffmann, « une grande glace de Venise à bordure de cristal [...] faisait un espace vide dans la muraille, une fenêtre ouverte sur le néant, d’où l’esprit pouvait plonger dans les mondes imaginaires»163. De cette glace de Venise jaillissent des figures féminines incarnant la beauté idéale, « les héroïnes des romans qu’il avait projetés »164, après l’hallucination de la trépanation exécutée par le reflet d’un homme pâle sorti de la glace. Ce que Gautier voulait dire, à travers l’image du miroir vide où aucune chose ne s’y réfléchit, c’est que le néant est la condition préalable à la création. Ce n’est certes pas sans raison qu’Edgar Allan Poe conçoit un appartement idéal dans lequel on voit une seule glace « suspendue de telle façon que le propriétaire ne peut y voir son image reflétée d’aucun des principaux sièges de la chambre » ( « The Philosophy of Furniture » )165.

Ces fantasmes parfois flous et informels, qui surgissaient dans la glace vacante, prendront corps dans Émaux et Camées en 1852.

Pendant les guerres de l’empire, Gœthe, au bruit du canon brutal, Fit le Divan occidental,

Fraîche oasis où l’art respire.

162 Ibid.

163 « Onuphrius, on ne peut plus désappointé de ce contre-temps, se jeta dans un fauteuil, et, les coudes sur la table, se prit tristement à réfléchir ; ses regards flottaient devant lui sans se fixer particulièrement sur rien : le hasard fit qu’ils tombèrent sur une grande glace de Venise à bordure de cristal, qui garnissait le fond de l’atelier ; aucun rayon de jour ne venait s’y briser, aucun objet ne s’y réfléchissait assez exactement pour que l’on pût en apercevoir les contours : cela faisait un espace vide dans la muraille, une fenêtre ouverte sur le néant, d’où l’esprit pouvait plonger dans les mondes imaginaires. Les prunelles d’Onuphrius fouillaient ce prisme profond et sombre, comme pour en faire jaillir quelque apparition. » Théophile Gautier, L’Œuvre fantastique. Tome I –

Nouvelles, édition de Michel Crouzet, Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 269.

164 Ibid.

165 Edgar Allan Poe, Contes-Essais-Poèmes, éd. Claude Richard, Collection Bouquins, Paris, Robert Laffont, 2011, p. 1060.

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Pour Nisami quittant Shakespeare, Il se parfuma de çantal,

Et sur un mètre oriental

Nota le chant qu’Hudhud soupire.

Comme Gœthe sur son divan À Weimar s’isolait des choses Et d’Hafiz effeuillait les roses,

Sans prendre garde à l’ouragan Qui fouettait mes vitres fermées, Moi, j’ai fait Émaux et Camées. »166

En rappelant la « vitre » de Baudelaire du poème « Paysage », les « vitres fermées » de la préface du recueil font fonction du miroir vide pour la création poétique. Le premier quatrain du poème du recueil, intitulé « Le Poème de la femme » suggère que la femme a besoin de miroir afin de superposer l’action de « montrer » à l’action de « lire à quelqu’un » (et non de « faire lire »), parce qu’il faut voir d’abord la beauté de son corps de ses propres yeux avant de lire son poème « au doux rêveur qui l’aime »; c’est donc au miroir qu’elle peut « lire un poème, / Le poème de son beau corps. »167, comme le montre l’image d’une sultane dans un sérail au onzième quatrain:

Sur un tapis de Cachemire, C'est la sultane du sérail, Riant au miroir qui l'admire Avec un rire de corail.

La surface du miroir est un espace, comme une page vierge, où est inscrit le poème de la beauté plastique, comme l’indique le sous-titre, « Marbre de Paros ».

C’est Mallarmé qui a fait de la poésie un miroir en soi168. Il écrit toujours devant sa

166 Théophile Gautier, Œuvres poétiques complètes, éd. Michel Brix, Paris, Bartillat, 2013, p. 443.

167 Ibid., p. 447. « Un jour, au doux rêveur qui l'aime, / En train de montrer ses trésors, / Elle voulut lire un poème, / Le poème de son beau corps. »

168 À propos du thème du miroir chez Mallarmé, voir Austin Gill, « Le symbole du miroir dans l'œuvre de Mallarmé », in Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1959, n°11. p. 159-181. Guy Michaud, « Le thème du miroir dans le symbolisme français », in Cahiers de l'Association internationale des

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glace de Venise tant il a réellement besoin de se regarder pour penser. Après sa lutte terrible « qui l’avait emporté dans des Ténèbres », il écrit dans une lettre adressée à Cazalis en mai 1867 :

Je tombai, victorieux, éperdument et infiniment ‒ jusqu’à ce qu’enfin je me sois revu un jour devant ma glace de Venise, tel que je m’étais oublié plusieurs mois auparavant. J’avoue, du reste, mais à toi seul, que j’ai encore besoin, tant ont été grandes les avaries de mon triomphe, de me regarder dans cette glace pour penser, et que si elle n’était pas devant la table où je t’écris cette lettre, je redeviendrais le Néant169.

Mais, paradoxalement, le Néant est le devenir de son miroir qui est la condition sine qua

non de la réflexion mallarméenne et de son écriture. Le miroir vénitien encadré souvent d’une riche bordure avec un somptueux décor sculpté figure aussi dans le poème en prose « Frisson d’hiver »170, offrant l’aspect d’un miroir d’eau, et est concrétisé dans le poème « Ses purs ongles très haut... » (Sonnet en -yx).

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx, L’Angoisse ce minuit, soutient, lampadophore, Maint rêve vespéral brûle par le Phénix Que ne recueille pas de cinéraire amphore

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx, Aboli biblot d’inanité sonore,

(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)

Mais proche la croisée au nord vacante, un or Agonise selon peut-être le décor

Des licornes ruant du feu contre une nixe,

Elle, défunte nue en le miroir, encor

Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe

169 Stéphane Mallarmé, éd. Bertrand Marchal, Œuvres Complètes, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 714.

170 « Et ta glace de Venise, profonde comme une froide fontaine, en un rivage de guivres dédorées, qui s’y est miré ? Ah ! je suis sûr que plus d’une femme a baigné dans cette eau le péché de sa beauté ; et peut-être verrais-je un fantôme nu si verrais-je regardais longtemps. » Ibid., p. 415.

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De scintillations sitôt le septuor171.

Ce « sonnet nul et se réfléchissant de toutes les façons »172 est entièrement un poème sur le miroir. Plus précisément, il parle de sa disparition, de l’absent absolu. À minuit, à zéro heure, « au salon vide », le ciel est aussi vide (« la croisée au nord vacante »). Et les dernières lueurs d’« un or » du cadre d’un miroir représentant « le décor / Des licornes ruant du feu contre une nixe » s’éteignent. La surface du miroir « fermé[e] par le cadre » est nommée « l’oubli ». Enfin ce que l’on voit dans ce vide et oubli, c’est le septuor de scintillations. Ici, quatre phases de la néantisation se superposent : la disparition de la présence de l’Être, l’effacement de sa représentation, la présence du Néant, l’apparition de scintillations.

D’abord, il n’y a pas de soleil, l’unique source platonicienne, mythologique et théologique, de la présence et de la création. Le concret d’« un cadre, belliqueux et agonisant, de miroir appendu au fond »173 s’est donc anéanti, sous l’effet de l’alternance dialectique des rimes croisées, en « -yx » pour le néant et en « -or » pour la matérialité. Ce miroir dissous, donc liquide, est représenté par l’image d’un bassin entouré de licornes et d’une nixe, disparition qui pourrait être une allusion à son rejet de la tradition, surtout de la mythologie grecque et médiévale. De plus, les lueurs, jusqu’aux moindres reflets du cadre du miroir s’évanouissent. Cela signifie que cette double imitation, c’est-à-dire le reflet de la représentation de la lutte des licornes et d’une nixe se réduit à néant. Enfin, à zéro heure, semblable au « temps zéro », le Néant et le vide prennent place174. Or, le septuor de scintillations qui apparaît soudain finalement résulte de « la magie de la rime »175, laquelle a créé le mot « ptyx » fondé sur la négation absolue. Ce septuor, selon Mallarmé lui-même, est la « réflexion, stellaire et incompréhensible, de la Grande Ourse, qui relie au ciel seul ce logis abandonné du monde »176 ; néanmoins ce n’est pas la Grande Ourse en tant que telle, « mais son simulacre poétique : il est la réflexion du poème lui-même avec ses sept paires de rimes. » Le titre même de la première version de ce poème, « Sonnet allégorique de lui-même », révèle

171 Ibid., p. 37-38.

172 Ibid., p. 731. Lettre à Henri Cazalis du 18 juillet 1868. « ‒ J’ai pris ce sujet d’un sonnet nul et se réfléchissant de toutes les façons, parce que mon œuvre est si bien préparé et hiérarchisé, représentant comme il le peut l’Univers, que je n’aurais su, sans endommager quelqu’une de mes impressions étagées, rien en enlever ‒ et aucun sonnet ne s’y rencontre. »

173 Ibid.

174 Cf. Maurice Blanchot, L’Espace littéraire, Gallimard, 1955.

175 Mallarmé, op. cit., p. 729.

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que ce sonnet est un véritable « poème-miroir » selon l’expression de Bertrand Marchal177. Ainsi, chez Mallarmé, le miroir est incontestablement l’une des thématiques centrales et majeures.

Cependant, avant « Mallarmé comme génie des miroirs 178 », ce thème a été suffisamment et largement exploité par Baudelaire. Baudelaire, qu'on le veuille ou non, l’a « modernisé » en tant que fils posthume du romantisme ou du moins en tant que témoin du coucher du soleil romantique, comme on l’a entrevu préalablement au précédent chapitre au sujet du poème « Bénédiction ». Dans son miroir, il y a un vague reflet lamartinien, idéalisme romantique mais aussi le reflet hugolien plein de couleur et jusqu’à la poésie pure mallarméenne en passant par l’image réaliste de la modernité. Il est une grande glace qui reflète l’histoire littéraire succincte de son siècle, à la fois spectroscope et condensateur, ou un miroir convexe et concave, qui vaporise et à la fois concentre. Chez lui, les miroirs qui parsèment son œuvre sont multiformes, d’une manière distincte des autres écrivains : des petits miroirs dans le kaléidoscope dans Le Peintre de la vie moderne et Le Spleen de Paris, à travers les miroirs profonds dans « L’Invitation au voyage », en passant par le sinistre miroir de « L’Héautontimorouménos » dans Les Fleurs du mal, jusqu’à l’Hôtel du Grand Miroir à Bruxelles où logea Baudelaire dans la dernière saison de sa vie.

177 Ibid., p. 1191. « Or c’est dans ce vide absolu du poème-miroir qu’apparaît, comme la constellation du Coup

de dés, le septuor de scintillations. Par là, le poète ne retrouve pas au dernier vers la transcendance stellaire désavouée par le premier: car ce septuor n’est pas la Grande Ourse, mais son simulacre poétique: il est la réflexion du poème lui-même avec ses sept paires de rimes. Comme la Grande Ourse issue de la métamorphose stellaire de la nymphe Callisto, le septuor procède aussi de la métamorphose d’une nymphe ou d’une nixe, cette « défunte nue », mais cette métamorphose est purement poétique puisque le septuor n’est qu’une constellation de mots: s’il apparaît au dernier vers, ce n’est pas par la fenêtre ouverte sur l’espace, mais dans le miroir d’un poème qui se réfléchit de toutes les façons et consacre ainsi le passage de la transcendance céleste à l’immanence poétique du sens. Un « sonnet nul et se réfléchissant de toutes les façons » : c’est parce que le sonnet est nul, parce qu’il s’annule lui-même par une logique négative qui fait de lui le décor de l’absence, qu’il peut se réfléchir lui-même au lieu de renvoyer à tous les au-delà des mots (Dieu, les étoiles ou plus simplement l’univers référentiel). »

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1.2. Fantasmagorie du XIX

e

siècle : illusions et

désillusions

« J’aurai un salon magnifique comme celui de l’hôtel de Bonnivet ; et moi seul j’y entrerai. […] J’y ferai placer trois glaces de sept pieds de haut chacune. J’ai toujours aimé cet ornement sombre et magnifique. Quelle est la dimension des plus grandes glaces que l’on fabrique à Saint-Gobain ? ‒ Et l’homme qui pendant trois quarts d’heure venait de songer à terminer sa vie, à l’instant même montait sur une chaise pour chercher dans sa bibliothèque le tarif des glaces de Saint-Gobain. »

‒ Stendhal, Armance

Dans le premier chapitre, nous avons expliqué comment Baudelaire se situait dans la tradition métaphysique de la métaphore du miroir, de quelle manière il a trahi la tradition pour se l’approprier à sa façon à travers des images spéculaires, particulièrement celle des yeux-miroirs, et comment cette métaphore, ab origine biblique, a été largement exploitée littérairement par les écrivains notamment romantiques (mais non exclusivement). Nous avons essayé d’élucider la singularité baudelairienne à l’égard de cette conversion artistique de métaphore en utilisant la méthode de comparaison dans l’histoire littéraire du XIXe siècle : Baudelaire, poète aux yeux de miroir, jouera le jeu de miroirs comme travail artistique, et exploitera alors pleinement la puissance ou la beauté des images, la réflexivité du langage poétique, en traitant l’image du miroir comme symbole littéraire plutôt que comme un des attributs de Vénus. L’histoire métaphysique et littéraire du thème du miroir, examinée à partir du poème « Bénédiction », à savoir le miroir ancien en tant que symbole de la sagesse divine, le miroir moderne comme image et métaphore de la création littéraire au XIXe siècle en passant par le miroir comme médiation ou instrument de la pensée, ne se déroule pas séparément de celle de la production et de l’utilisation du miroir179. Le pur miroir, par exemple, qui était le symbole des divinités dans l’Antiquité, parce qu’il est un objet

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techniquement irréalisable, devient enfin le modèle théorique et la modalité pratique de la représentation réaliste dans les temps modernes où s’est généralisée la glace de grande qualité. Les conceptions de l’art des écrivains et des artistes et leur vision du monde subissent l’influence de la perception visuelle, qu’on le veuille ou non, à travers les miroirs divers ou lentilles optiques et les instruments d’optique, qui donnent une image virtuelle, car la manière de « voir » détermine une manière de penser ou de juger, comme l’implique l’idée de Jean Starobinski : « Il y a une corrélation entre un moment de la société et un climat esthétique 180 . » Parmi les artistes et les écrivains modernes (de Vélasquez aux impressionnistes, Balzac et Flaubert y compris) fascinés par les jeux de miroir, par la spécularité et la réflexivité, Baudelaire est un des miroirs ou papiers les plus sensibles à la lumière. Sous cet aspect, notre vision double pourrait donner la variété et le dynamisme dialectique à l’histoire littéraire du miroir qui sera analysée dans cette première partie.

Cette approche bilatérale, c’est-à-dire l’histoire philosophico-littéraire et socioculturelle, qui montrera son dynamisme et sa créativité sémantique à propos du thème du miroir, est liée au questionnement fondamental sur la nature de la lumière, source de l’image : qu’est-ce que la lumière ? Il y avait traditionnellement deux manières de répondre au mieux à cette question : d’une part, comme nous l’avons vu précédemment, la tradition métaphysique comprenant la philosophie grecque et la théologie chrétienne et, d’autre part, le rationalisme scientifique ayant son origine dans la philosophia naturalis qui a provoqué la révolution optique menée par Kepler, Descartes, Newton, etc. Entre ces deux courants, on trouve aussi un cas de mélange singulier comme Kircher (Ars magna Lucis et Umbrae) utilisant une méthode éclectique181. Le mysticisme illuministe repose sur une idée que le visible et l’invisible, le matériel et l’immatériel forment une unité en se correspondant. Bien des écrivains et des artistes, notamment les romantiques, ont voulu se situer dans l’entre-deux, à savoir entre la métaphysique et la physique. Zur Farbenlehre. Didaktischer Teil (Le Traité

des couleurs) de Gœthe publié en 1810 a beaucoup inspiréles romantiques. Dans cette œuvre,

180 Jean Starobinski, L’Invention de la liberté, Skira, 1965, p. 14.

181 Voir Huguette Courtès, op. cit., p. 10-11. « Au début du XVIIe siècle encore, des vues très comparables seront associées à des recherches optiques tout à fait sérieuses. Si Descartes s’en tient à une science rigoureuse qui rejette toutes les fallacies du miroir, dénoncées dès les Cogitationes privatae, Kircher, à la même époque, à la suite du traité complet d’optique qui constitue la majeure partie de l’Ars Magna Lucis et Umbræ, consacre tout