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Ce sont les yeux qui médiatisent le regard créant le miroir. Chez Baudelaire, les yeux magnétiques et fascinants des amantes, de la passante ou des chats, ayant la fonction d’un

478 « Qu’est-ce que le romantisme ? », Salon de 1859, OC, t. II, p. 421.

479 « Et sur ces mouvantes merveilles / Planait (terrible nouveauté ! / Tout pour l’œil, rien pour les oreilles ! ) / Un silence d’éternité. » OC, t. I, p. 103.

480 « La naïveté est d’imaginer le miroir passif, renvoyant sans déformer ce qu’on lui présente. Déjà on a oublié qu’il n’offre qu’une image ; en surface plane, forcément réductrice. Mais tournez le miroir, et il vous offre une image nouvelle. Il est d’effet fugitif. En réalité, c’est le regard qui fait le miroir. C’est lui qui fait que sous telle chose, sous tel phénomène, on puisse « voir » autre chose que ce qui est offert là. Celui qui se regarde dans la glace, ne regarde pas le miroir, mais regarde ce qui dans la glace, ne regarde pas le miroir, mais regarde ce qui dans la glace lui parle d’autre chose que du miroir. » Lucien Braun, « Speculum & specula, brève rétrospective d’une métaphore inépuisable », Correspondance(s), Revue des Arts de l’Université des Sciences humaines de Strasbourg, n° 7, Année 95/96, p. 18-19. Cité par Liliane Louvel dans Texte / Image : Images à lire, textes à voir, Collection interférence, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 53.

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miroir dans la plupart des cas, donnent l’image du Beau et de la beauté, même si elle est fallacieuse. Les yeux comme miroir sont doubles parce que par eux, les « soupiraux de l’âme482 », on croit voir dans le fond du cœur, alors que l’on ne peut que se voir. L’image de ce double jeu des yeux-miroirs surabonde chez Baudelaire surtout dans Les Fleurs du mal483. Or, la beauté mystérieuse et particulière que Baudelaire a découverte dans les yeux de l’amante appartient avant tout aux yeux de Marie Daubrun, images dominantes dans les poèmes du « cycle Marie Daubrun », du poème « Poison » à « Chant d’automne »484. Dans une « lettre la plus énigmatique de Baudelaire » 485 selon Claude Pichois, adressée à « Madame Marie » peut-être à Marie Daubrun et vraisemblablement écrite en 1852, le poète évoque le lien qui l’attache à elle : ses yeux verts, dont il loue la grande beauté : « Vous êtes pour moi la vie et le mouvement, non pas précisément autant à cause de la rapidité de vos gestes et du côté violent de votre nature, qu’à cause de vos yeux, qui ne peuvent inspirer au poète qu’un amour immortel. Comment vous exprimez à quel point je les aime vos yeux, et combien j’apprécie votre beauté ? »486 Mais sa bien-aimée n’est vraiment pas l’objet d’amour éternel du poète, car il s’agit du Beau même qui a le pouvoir d’attribuer la beauté à la créature, de la puissance des yeux qui fait devenir le poète sacrificateur dans le temple de la Beauté. Dans ladite lettre, Baudelaire écrit ainsi :

J’étais mort, vous m’avez fait renaître. Oh ! vous ne savez pas tout ce que je vous dois ! J’ai puisé dans votre regard d’ange des joies ignorées ; vos yeux m’ont initié

482 Cf. « Sed non satiata », OC, t. I, p. 28.

483 Cf. Albert Kies, « Ils marchent devant moi, ces yeux pleins de lumière... », in Études baudelairiennes III :

Hommage à W. T. Bandy, Neuchâtel, À la Braconnière, 1973, p. 114-127. De « larges yeux aux clartés éternelles » du poème « La Beauté », jusqu’aux « yeux profonds comme les mers » du « Voyage », en passant par les yeux des velours dont le regard est infernal et divin dans « Hymne à la beauté », les « subtiles et terribles mirettes » dans « La Chambre double », l’œil d’une passante du poème « À une passante », les « charmants yeux » brillant de « la clarté mystique » du « Flambeau vivant », « les beaux yeux mêlés de métal et d’agate » du « Chat » et le feu des prunelles d’un autre « Chat », les beaux yeux comme un beau songe du poème « Semper eadem », les « yeux verts, lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers » du « Poison », les « yeux obscurs, profonds et vastes » des « Yeux de Berthe », etc.

484 « Tout cela ne vaut pas le poison qui découle / De tes yeux, de tes yeux verts, / Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers… / Mes songes viennent en foule / Pour se désaltérer à ces gouffres amers. » (« Le Poison »), « On dirait ton regard d’une vapeur couvert ; / Ton œil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert ?) / Alternativement tendre, rêveur, cruel, / Réfléchit l’indolence et la pâleur du ciel. » (« Ciel brouillé »), « les charmes / Si mystérieux / De tes traîtres yeux » (« L’Invitation au voyage »), « tes yeux de feux, brillants comme des fêtes » (« Causerie »), « J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre, / Douce beauté » (« Chant d’automne ») OC, t. I, p. 48-59.

485 CPl, t. I, p. 799.

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au bonheur de l’âme, dans tout ce qu’il a de plus parfait, de plus délicat. Désormais, vous êtes mon unique reine, ma passion et ma beauté ; vous êtes la partie de moi-même qu’une essence spirituelle a formée. Par vous, Marie, je serai fort et grand. Comme Pétrarque, j’immortaliserai ma Laure. Soyez mon Ange gardien, ma Muse et ma Madone, et conduisez-moi dans la route du Beau487.

Ce que Baudelaire attend de « Madame Marie » sa bien-aimée, c’est le rôle d’Ange gardien, de Muse et de Madonne, à savoir un rôle de médiateur. Ceux-ci ne sont pas naturellement les objets de sa véritable adoration, mais occupent une position intermédiaire comme une espèce de culte de dulie ou hyperdulie qui se distingue nettement de celui de latrie, réservé exclusivement à Dieu (qui sera remplacé par le Beau). On sait que les yeux de la bien-aimée, après l’immortalisation poétique de Laure par Pétrarque, revêtent une importance considérable dans la tradition littéraire488. Or, découvrir l’amour pour une personne par l’intermédiaire de son œil ne signifie pas le désir va se diriger vers le sujet lui-même489 et il s’ensuit nécessairement que ce regard se révèle fondamentalement narcissique, qu’il soit séduisant ou terrible. Mais la route du Beau que Baudelaire veut prendre ne mène ni à l’Absolu, ni à l’au-delà, ni à l’idéal romantique. La modernité baudelairienne va transformer la banalité de l’image des yeux-miroirs de la bien-aimée comme un topos de la poésie d’amour ; les yeux charmants qui réfléchissent la beauté du monde sont en même temps un effrayant miroir dévoilant les sombres coulisses de l’écriture poétique.

La même idée et la même expression, dédiées à Marie se trouvent également dans les deux poèmes successifs adressés à Madame Sabatier ; ce sont « Que diras-tu ce soir... » et « Le Flambeau vivant ». Un flambeau dansant du fantôme de la beauté dont le regard divin a

487 Ibid., p. 182.

488 « Béni soit le jour et le mois et l’année, / La saison et le temps, l’heure et l’instant / Et le beau pays, le lieu où fut atteint / Par deux beaux yeux qui m’ont tout enchaîné. »

489 Le motif de l’œil et du miroir et de leur association ont donc marqué dans le thème littéraire de l’amour, trait d’union de ces motifs, particulièrement depuis la poésie courtoise et amoureuse de la Renaissance, de Bernard de Ventadour jusqu’à Scève en passant par Taillemont. « Sur ce motif de l’œil-miroir issu de Platon, la poésie amoureuse ‒ et, en particulier, la poésie de la Renaissance ‒ a décliné toutes les figures possibles de l’échange, projection, réciprocité, fascination, aliénation. C’est dans la prunelle d’Ève qu’Adam a appris à se connaître ; de la croisée de leurs regards naissent réflexion, concentration, construction de soi et fécondité. » Sabine Melchior-Bonnet, op. cit., p. 227. Particulièrement, les yeux de Délie chez Maurice Scève sont le cas le plus représentatif. Voir aussi Jean Frappier, « Variations sur le thème du miroir de Bernard de Ventadour à Maurice Scève »,

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soudain refleuri l’âme solitaire du poète, qui prétend être « l’Ange gardien, la Muse et la Madonne » dans le premier490 devient le thème central du second.

Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières, Qu'un Ange très savant a sans doute aimantés ; Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères, Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés.

Me sauvant de tout piège et de tout péché grave, Ils conduisent mes pas dans la route du Beau ; Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave ; Tout mon être obéit à ce vivant flambeau.

Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystique Qu'ont les cierges brûlant en plein jour ; le soleil Rougit, mais n'éteint pas leur flamme fantastique ;

Ils célèbrent la Mort, vous chantez le Réveil ; Vous marchez en chantant le réveil de mon âme, Astres dont nul Soleil ne peut flétrir la flamme !491

Par rapport au dithyrambe sur la beauté des yeux où se mêlait la passion amoureuse dans la lettre adressée à Madame Marie, l’éloge des yeux de Madame Sabatier ne concerne manifestement que leur rôle médiateur. L’idée n’est pas éloignée de l’aspiration platonicienne du poète-enfant, dans le poème « Bénédiction », à être invité par Dieu qui lui garderait une place parmi les saintes Légions d’Anges en lui donnant la « couronne mystique ». Les « Yeux pleins de lumières » brillant « de la clarté mystique », qu’un Ange a aimantés, dont les « feux diamantés » se reflètent dans les yeux du sujet lyrique comme poète, le conduisent « dans la route du Beau » en le « sauvant de tout piège et de tout péché grave » de la même manière que le poète-enfant croit remonter à « un trône splendide » par « la souffrance comme un divin remède ». En évoquant la notion de la résurrection chrétienne nourrie de conception platonicienne de l’immortalité de l’âme, Baudelaire parle du réveil de l’âme du moi poétique qui signifie le rétablissement de la clarté des yeux, lequel peut permettre l’assimilation des yeux du poète avec les « Astres dont nul Soleil ne peut flétrir la

490 « Son fantôme dans l’air danse comme un flambeau. // Parfois il parle et dit : "Je suis belle, et j’ordonne / Que pour l’amour de moi vous n’aimiez que le Beau ; / Je suis l’Ange gardien, la Muse et la Madonne." » OC, t. I, p. 43.

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flamme »492. La bien-aimée du poète n’est qu’un prétexte. Le thème majeur du poème est le pouvoir médiateur des « charmants yeux » qui fonctionnent comme un miroir enchanté et magique qui donne l’impression de voir « toutes choses plus belles » en apparence (« La Beauté »). La présence des yeux comme médiateurs qui conduit le poète « dans la route du Beau » met en évidence la preuve ontologique de l’existence du Poète, parce que chanter le réveil de l’âme, c’est célébrer le couronnement du poète, et de sa poésie, fruit de la souffrance de la création poétique : nécessité indispensable de l’art dans la route du Beau, sans lequel la fallacieuse idéale de la beauté ne pourrait pas être matérialisée. Le poème en prose «Laquelle est la vraie ? » est suggestif quant à cette question de l’art entre l’idéal et le réel493. Dans ce poème en prose, Baudelaire écrit une parabole sur la situation paradoxale du poète contraint de répondre à une double exigence : celle de Bénédicta et de « Malédicta »494.

Les yeux-flambeaux ne sont pas autre chose que ceux de Bénédicta : « J’ai connu une Bénédicta, qui remplissait l’atmosphère d’idéal, et dont les yeux répandaient le désir de la grandeur, de la beauté, de la gloire et de tout ce qui fait croire à l’immortalité495 ». Malgré les yeux de « cette fille miraculeuse », qui inspirent au poète un amour de la beauté idéale et immortelle, sa flamme et son éclat seront aussitôt éteints comme on le voit dans la mort de Bénédicta et son enterrement allégorisant la désillusion du narrateur. Le « tombeau » qui rime avec « flambeau » dans « Hymne à la Beauté »496, a été momentanément éclipsé par l’éclat du « Beau » dans « Flambeau vivant » et réapparaît dans les cimetières sous forme de « bière d’un bois parfumé et incorruptible » de Bénédicta. La désillusion du poète narrateur « pour la punition de sa folie et de son aveuglement », c’est-à-dire de sa quête illusoire de l’idéal,

492 Mais l’idée est loin d’être originale, étant donné que ce poème est tributaire des prédécesseurs de Baudelaire comme Platon, Dante et Pétrarque. Voir le poème « To Helen » de Poe, « l’un des deux "plagiats" auxquels Baudelaire fait allusion » (Claude Pichois, OC, t. I, p. 913-914.) dans un projet de préface du recueil : « But now,

at length, dear Dian sank from sight, / Into a western couch of thunder-cloud; / And thou, a ghost, amid the entombing trees / Didst glide away. Only thine eyes remained; / They would not go—they never yet have gone; / Lighting my lonely pathway home that night, / They have not left me (as my hopes have) since; / They follow me—they lead me through the years. / They are my ministers—yet I their slave. / Their office is to illumine and enkindle— / My duty, to be saved by their bright light, / And purified in their electric fire, / And sanctified in their elysian fire. / They fill my soul with Beauty (which is Hope), / And are far up in Heaven—the stars I kneel to / In the sad, silent watches of my night; / While even in the meridian glare of day / I see them still—two sweetly scintillant / Venuses, unextinguished by the sun ! » Edgar Allan Poe, The Complete Tales and Poems of Edgar

Allan Poe, New York, Race Point Publishing, Knicherbocker Classics, 2014, p. 788.

493 « Laquelle est la vraie ? » est publié sous le titre « L’Idéal et le Réel » dans Revue nationale et étranger, 7 septembre 1867.

494 Expression de Patrick Labarthe. Patrick Labarthe, op. cit., p. 290-302.

495 « Laquelle est la vraie ? » dans Le Spleen de Paris, OC, t. I, p. 342.

496 « L’éphémère ébloui vole vers toi, chandelle, / Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau ! / L’amoureux pantelant incliné sur sa belle / A l’air d’un moribond caressant son tombeau. » OC, t. I, p. 25.

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dévoile la nature de l’esthétique moderne. Le narrateur est confronté, à l’improviste, à l’irréductible brutalité, à la crudité ou vulgarité du monde réel qu’il lui faudra l’aimer tel qu’il est. Lisons la suite.

Et comme mes yeux restaient fichés sur le lieu où était enfoui mon trésor, je vis subitement une petite personne qui ressemblait singulièrement à la défunte, et qui piétinant sur la terre fraîche avec une violence hystérique et bizarre, disait en éclatant de rire : « C’est moi, la vraie Bénédicta ! C’est moi, une fameuse canaille ! Et pour la punition de ta folie et de ton aveuglement, tu m’aimeras telle que je suis !

Le thème de la résurrection du corps est comiquement évoqué ici, alors qu’a été chanté avec sérieux l’immortalité de l’âme dans « Le Flambeau vivant » ! La réalité frappe toujours « avec une violence hystérique et bizarre », de la même manière que les poèmes « Rêve parisien » et « La Chambre double » : comme la chambre du poète à la ville de Paris, malgré sa vision double, est une chambre concrète dans une réalité de Paris, et comme « j’ai connu » au passé composé évoque vaguement le temps vécu, Marie Daubrun aux yeux verts mystérieux et Madame Sabatier ayant les yeux de la clarté mystique, toutes les deux étaient « la vraie Bénédicta », « fameuse canaille » pour Baudelaire. Bénédicta et « Malédicta » sont les deux visages de la « vraie Bénédicta » montrant de façon ironique l’opposition caricaturale entre l’idéal et le réel.

Mais moi, furieux, j’ai répondu : « Non ! non ! non ! » Et pour mieux accentuer mon refus, j’ai frappé si violemment la terre du pied que ma jambe s’est enfoncée jusqu’au genou dans la sépulture récente, et que, comme un loup pris au piège, je reste attaché, pour toujours peut-être, à la fosse de l’idéal.

La réponse négative du narrateur répétée trois fois, négation de la réalité497, l’enfonce dans le terrain comme une indéniable réalité concrète où est paradoxalement enfoui l’idéal. La caricature teintée d’autodérision d’un personnage attaché à « la fosse de l’idéal », oxymoron typiquement baudelairien498, serait une parabole d’« une ontologie de l’écriture poétique »499,

497 À comparer aux trois moments de silence exprimant les refus répétés du narrateur de concrétiser trop facilement un idéal poétique dans le poème en prose « Any where out of the world ».

498 Voir Léon Cellier, « Baudelaire et l’oxymoron », Parcours initiatique, Neuchâtel, La Braconnière, 1977.

499 « Comment mieux signifier que par cette image allégorique la fatalité qui pèse sur le travail poétique ? En se représentant "attaché, pour toujours peut-être, à la fosse de l’idéal", le narrateur – autre figure du poète – développe "une ontologie de l’écriture poétique" : celle-ci ne saurait tirer son énergie propre que de ce fond de terre, d’angoisse et de douleur qu’est la fosse funèbre. Mais aussi bien est-ce "l’idéal" qui, en la personne de

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comme l’a justement remarqué Patrick Labarthe. L’art et la poésie sont le résultat de cette fatalité du travail artistique ou poétique, c’est-à-dire de l’être qui est forcé d’aimer non seulement les yeux de l’idéal, mais aussi un simple mortel tel qu’il est, « pour la punition de [sa] folie et de [son] aveuglement ». La beauté d’une bien-aimée peut être immortalisée par la poésie, comme le montre le poème « Une charogne », qui décrit le processus de la création comme une forme poétique et immortelle de la décomposition de la matière organique. Il s’agit d’une figuration et d’une matérialisation surnaturaliste (et ironique) de « la forme et l’essence divine » des « amours décomposés », de « la carcasse superbe » d’une charogne en plein épanouissement comme une fleur 500. C’est le choix ontologique (ou le destin malheureux) du poète enfoncé dans la terre comme un cygne mallarméen, dont le plumage est pris dans « l’horreur du sol », « pour n’avoir pas chanté la région où vivre »501. L’impuissance et les abois du poète, symbolisés par la figure du cygne chez Mallarmé ou allégorisés dans la situation aporétique et paradoxale du sujet baudelairien, sont en quelque sorte inévitables, parce que la beauté baudelairienne n’est pas exclusivement dans le réel et ni dans l’idéal : ils vont donc renforcer le rôle indispensable de l’art ou de la poésie entre idéal et réel. Cet emplacement oblige le poète à piocher la terre afin d’extraire le trésor comme idéal enseveli, « un rêve de pierre », fruit de son labeur pénible et acharné502.

La parole doit donc être accordée ironiquement à la « Beauté » qui incarne le paradoxe même de l’art baudelairien. Il se peut que le poème « La Beauté » formule une réponse à la louange adressée aux yeux aimantés du poème « Le Flambeau vivant ». Par ce jeu de réflexion, l’une image des yeux-flambeaux pétrarquistes supplée à celle des yeux-miroirs, et pour cause : on se rappelle que la puissance des yeux fascinants et fascinés comme un miroir est un thème privilégié de la Renaissance. Mais Baudelaire ranime ces lieux communs. L’amour d’une bien-aimée, inspiré par ses yeux, n’est qu’un prétexte provisoire comme dans le poème « Laquelle est la vraie ? » qui montre que la beauté artistique ne résulte pas d’un choix entre l’idéal et le réel. Baudelaire attribue ironiquement à la beauté des yeux le pouvoir

Bénédicta, trouve là sa sépulture, c’est-à-dire ce corps façonné par les rêves de "grandeur", de "beauté" et de "gloire" dont le narrateur célébrait la rencontre dans le premier paragraphe. Autrement dit, il faut que l’élan propre à l’idéalité romantique consente à l’épreuve même de la désidéalisation, du déni de souvraineté, il faut que la conscience idéaliste consente à ce tourment, vécu comme une "attache" et un "piège", pour que s’élève,