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L’architecture poétique des nuages : le vitrier et le marchand des nuages

En fait, il y a un autre type d’images architecturales, chez Baudelaire, qui surmonte et esthétise les symptômes de la crise, c’est-à-dire la précarité des bâtiments oniriques et la vanité des choses matérielles et qui reflète le mieux la surnaturalité baudelairienne. C’est l’image des nuages en tant qu’un objet purement esthétique, dont le mouvement incessant montre la déconstruction pour la création. Autrement dit, c’est une image qui traduit la poétique de l’explosion caractérisant la modernité baudelairienne et la projection du mouvement de « la vaporisation et de la concentration du moi ».

C’est à partir de la seconde moitié des années 1850, lors de la parution de ses poèmes en prose que Baudelaire a concrètement montré de l’intérêt pour la beauté de l’architecture particulière des nuages, comme l’étranger dans le poème qui ouvre Le Spleen de Paris, a les yeux fixés sur « les merveilleux nuages »452. En tant qu’objet de contemplation et de plaisir esthétique, ils sont toujours présents dans le fond mental spécifique et dans le décor spiritualisé et surnaturalisé. Ils sont là dans les paysages portuaires et maritimes qui

450 OC, t. I, p. 53-54.

451 Ibid., p. 301-303.

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représentent un monde utopique de la nature poétiquement reconstruit chez Baudelaire, ce dernier affectionnant particulièrement les métaphores inspirées du port pour décrire le paysage urbain. C’est pour cette raison que la surnaturalisation de la nature est le mieux réalisée, comme l’a remarqué Georges Poulet, dans la description urbaine des nouvelles

Fleurs du Mal et du Spleen de Paris453. Cette surnaturalisation sera d’abord due à la transformation de la ville moderne en monde onirique où domine la spécularité (par là, nous entendons non seulement l’abondance des reflets lumineux dans la rêverie baudelairienne, mais aussi les paysages reflétant l’âme baudelairienne), et ensuite par la création poétique qui permet de matérialiser le rêve précaire même là où se trouvent des symptômes de ruine. La maîtrise de la nature par l’art, c’est-à-dire la surnaturalité de cette mission poétique sur la nature est exprimée par exemple dans « L’Invitation au voyage » en prose : « Pays singulier, supérieur aux autres, comme l’Art l’est à la Nature, où celle-ci est réformée par le rêve, où elle est corrigée, embellie, refondue454. » Ainsi se termine le voyage dans une analogie entre la femme aimée et le paysage idéal et onirique :

Ces trésors, ces meubles, ce luxe, cet ordre, ces parfums, ces fleurs miraculeuses, c’est toi. C’est encore toi, ces grands fleuves et ces canaux tranquilles. Ces énormes navires qu’ils charrient, tout chargés de richesses, et d’où montent les chants monotones de la manœuvre, ce sont mes pensées qui dorment ou qui roulent sur ton sein. Tu les conduis doucement vers la mer qui est l’Infini, tout en réfléchissant les profondeurs du ciel dans la limpidité de ta belle âme ; et quand, fatigués par la houle et gorgés des produits de l’Orient, ils rentrent au port natal, ce sont encore mes pensées enrichies qui reviennent de l’infini vers toi455.

L’allusion singulière de l’image de la mer-miroir, comparable à celle d’un miroir d’eau étendu dans le poème « Rêve parisien » est suscitée par la réflexivité des correspondances entre la femme et la nature : dans cette harmonie spéculaire, l’immatériel (les pensées du rêveur) revêt surnaturellement la matérialité (les trésors scintillants). Le voyage imaginaire a abouti à rêver d’un paysage portuaire, comme Lisbonne dans le poème « Any where out of the

world » ou Honfleur où Baudelaire voulait définitivement s’installer, avec toujours pour toile de fond la mer reflétant « les profondeurs du ciel » et donnant l’idée de l’infinité. Néanmoins, ce qui nous paraît plus important et intéressant dans le paysage maritime baudelairien, c’est

453 Georges Poulet, La Poésie éclatée : Baudelaire, Rimbaud, Paris, PUF, 1980.

454 OC, t. I, p. 302.

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que c’est bien là que se trouve la forme architecturale préférée de Baudelaire : « l’architecture mobile des nuages ».

Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L'ampleur du ciel, l'architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l'âme le goût du rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n'a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s'enrichir456.

Dans ce poème en prose « Le Port », ce que nous remarquons d’abord à propos du goût baudelairien pour l’image, c’est la beauté plastique et architecturale des nuages et des « colorations changeantes de la mer » sans doute dues à leurs reflets, ainsi que les mouvements réguliers et harmonieux de la mer, mentionnés à maintes reprises par les commentateurs, et qui sont également évoqués dans Mon cœur mis à nu457. Ainsi que l’a écrit Eugène Boudin458, on sait combien Baudelaire affectionnait la vue de ses ciels au pastel, et surtout ses nuages. Son admiration pour les nuages sur fond de paysage portuaire, « topos » typiques de l’euphorie baudelairienne, s’explique d’une part par le fait que le caractère éphémère du mouvement perpétuel des nuages constitués de vapeur d’eau se concentrant dans l’air, s’adapte singulièrement à la fameuse définition baudelairienne de la beauté romantique et moderne, exprimée dans Le Peintre de la vie moderne459; cela s’explique d’autre part par l’effet psychique (ou psychotrope) de la vision enivrante des nuages, observé dans Les

Paradis artificiels, comme suggéré dans le Salon de 1859 :

456 Ibid., p. 344-345.

457 Ibid., p. 696.

458 Gustave Cahen, Eugène Boudin : sa vie et son œuvre, Paris, Éditeur H. Floury, 1900, p. 67.

459 « Le beau est fait d’un élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement difficile à déterminer, et d’un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l’on veut, tour à tour ou tout ensemble, l’époque, la mode, la morale, la passion. Sans ce second élément, qui est comme l’enveloppe amusante, titillante, apéritive, du divin gâteau, le premier élément serait indigestible, inappréciable, non adapté et non approprié à la nature humaine. Je défie qu’on découvre un échantillon quelconque de beauté qui ne contienne pas ces deux éléments. » OC, t. II, p. 685.

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À la fin tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs, me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence de l’opium460.

En vertu de leur dimension esthétique, les nuages sont pour Baudelaire l’ouvrage de l’imagination humaine plutôt que la substance naturelle même. L’assimilation du plaisir esthétique que donnent les nuages au spectateur avec l’ivresse par l’opium, rappelle la métaphore météorologique utilisée à l’ouverture des Paradis artificiels, et pour cette raison les nuages pour Baudelaire sont un objet d’observation dans une météorologie psychologique et à la fois une représentation de l’imagination humaine même. Le paysage des « nuages aux formes fantastiques et lumineuses » de Boudin n’est pas une copie simple et immédiate, mais une œuvre de l’imagination : « Oui, l’imagination fait le paysage461. »

En fait, l’imagination de « l’architecture mobile des nuages » « aux formes fantastiques et lumineuses » est conçue pour l’opposer à l’architecture urbaine et progressiste, au mammonisme de son temps, aux mythes du Progrès déterminant le modus vivendi de la vie moderne détruisant l’imagination. Le poème « Le Voyage » avec la dédicace ironique adressée à Maxime Du Camp, auteur des Chants modernes (1855), donne la preuve de cette opposition apparente462.

Les plus riches cités, les plus grands paysages, Jamais ne contenaient l'attrait mystérieux De ceux que le hasard fait avec les nuages. Et toujours le désir nous rendait soucieux !

(...)

Nous avons salué des idoles à trompe ; Des trônes constellés de joyaux lumineux ; Des palais ouvragés dont la féerique pompe

460 OC, t. II, p. 666.

461 Ibid., p. 665.

462 Le poème « Le Voyage » a été écrit à Honfleur qui était pour Baudelaire « un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie », et où il s’est réjoui des nuages ainsi que de ceux de Boudin. Comme il l’a confié à sa mère dans sa lettre du 5 mars 1866, son installation dans cette ville portuaire « a toujours été le plus cher de [ses] rêves. » CPl, t. II, p. 626.

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Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;463

Ici, « l’attrait mystérieux de ceux que le hasard fait avec les nuages » s’oppose à l’image de la matérialité de la civilisation moderne qui manque d’esprit et d’imagination. Ce qui a produit cependant l’architecture mobile et mystérieuse des nuages, c’est une alchimie poétique permettant la transformation du paysage urbain de Paris en celui d’un port rêvé et imaginaire, suggérée dans le poème « Paysage ». Or, pour Baudelaire ayant les yeux d’un « enfant avide du spectacle » (« Le Rêve d’un curieux »), la véritable architecture du rêve apparaît sous la forme d’un spectacle offert à sa vue, surtout d’un spectacle optique donnant du plaisir enfantin et visuel, mais qui est profondément différent de l’image fixe et rigide de la photographie qui à l’époque est en plein progrès. Tous les paysages paradisiaques vus par le narrateur du « Port » qui persiste dans son attitude désintéressée de dandy-spectateur, sont « un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser ». C’est dans ce sens que l’expression « fantasmagories » évoquée dans le poème en prose « La Soupe et les nuages » peut s’entendre :

Ma petite folle bien-aimée me donnait à dîner, et par la fenêtre ouverte de la salle à manger je contemplais les mouvantes architectures que Dieu fait avec les vapeurs, les merveilleuses constructions de l’impalpable. Et je me disais, à travers ma contemplation : « ‒ Toutes ces fantasmagories sont presque aussi belles que les yeux de ma belle bien-aimée, la petite folle monstrueuse aux yeux verts. »

Et tout à coup je reçus un violent coup de poing dans le dos, et j’entendis une voix rauque et charmante, une voix hystérique et comme enrouée par l’eau-de-vie, la voix de ma chère petite bien-aimée, qui disait : « ‒ Allez-vous bientôt manger votre soupe, s…. b….. de marchand de nuages ?464 »

Le narrateur contemple les fantasmagories des « mouvantes architectures que Dieu fait avec les vapeurs, les merveilleuses constructions de l’impalpable » qui passent dans le ciel. Or, on dirait que la contemplation du narrateur est effectivement une allégorie du travail poétique et que « les merveilleuses constructions » des nuages en son le fruit. En fait, ainsi que nous avons pu nous en rendre compte, l’image des « mouvantes architectures » des nuages a surgi dans l’esprit de Baudelaire en mettant implicitement en contraste l’architecture onirique pleine de miroirs et de reflets et celle de la ville réelle et moderne, dans lesquelles

463 OC, t. I, p. 131-132.

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toutes les deux, se cachent les « symptômes de ruine », d’une part signe de la vulnérabilité de la beauté éblouissante et éphémère du rêve, et d’autre part insinuation malicieuse sur la violence de l’explosibilité de sa nouvelle poétique. Le mouvement incessant des nuages signifie que leur destruction serait elle-même de nouvelles créations de l’image.

Or, on peut se dire : « Eh quoi ! n’est-ce donc que cela ?465 » De la même manière que l’hallucination du hachisch qui est architecturale et hiéroglyphique, mais qui sera dépassée à la fin par la poésie, l’architecture des nuages, elle-même devient l’objet d’une réflexion consciencieuse. L’intrusion brutale de la violence physique pourrait être le coup de tocsin qui signale que Baudelaire rejette toujours l’attitude oisive, la conclusion facile et claire. La contemplation du narrateur-poète de ces fantasmagories se donne donc l’allure d’un véritable voyage spirituel par la fenêtre ouverte sur l’infini466, mais seulement avant d’être frappé au dos par « un violent coup de poing », c’est-à-dire d’être victime de violence physique et volontaire, identique à celle qui est faite au vitrier par le narrateur-poète du poème « Le Mauvais Vitrier ». Le poème en prose « La Soupe et les nuages » a comme fondement les oppositions binaires, de même que d’autres textes de Baudelaire. La fenêtre ouverte établit des limites entre deux mondes : d’un côté, le ciel, les nuages, les beaux yeux verts de la femme et la contemplation masculine dans sa dimension spirituelle, mais d’un autre côté, la soupe, la salle à manger, la corporéité féminine dans sa dimension matérielle. « Un violent coup de poing » de la femme est une riposte foudroyante à la solution esthétique, naïvement optimiste, aux rêves d’évasion impossible, et une réaction cinglante du public contre le poète détaché de la réalité matérialiste, et peut-être également un signe de retour brutal et fracassant du narrateur à la réalité, un signal de sa prise de conscience de son existence ironique comme poète en tant que « marchand des nuages », qui vient de perdre son auréole467. Dans la première moitié du poème en prose, les fantasmagories des nuages sont comparées à la beauté des yeux verts de l’amante, qui renvoient le plus souvent l’image saisissante et aveuglante à celui qui les regarde, mais la voix de la femme, dans la deuxième moitié, détruit toutes les

465 « Le Rêve d'un Curieux », OC, t. I, p. 129.

466 Cf. « L’âme qui rêve devant le nuage léger reçoit à la fois l’image matérielle d’un effusion et l’image dynamique d’une ascension. Dans une telle rêverie de la perte du nuage dans le ciel bleu, l’être rêveur participe de tout son être à une sublimation totale. C’est vraiment l’image de la sublimation absolue. C’est le voyage extrême. » Gaston Bachelard, L’Air et les songes, Paris, J. Corti, 1943, p. 220.

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illusions des yeux comme les verres de couleur dans le poème « Les Yeux des pauvres »468. De la même manière que les verres du vitrier sont la « fragile marchandise » de consommation, les vers du poète, « marchand de nuages », qui matérialisent les idées poétiques comme nuages, « les merveilleuses constructions de l’impalpable », ne seront que des marchandises469. Si le poète est un marchand qui vend les objets futiles et inutiles comme les nuages, le vitrier sera un mauvais poète ou artiste qui vend les produits banals et triviaux des artistes réunis sous la bannière du progrès universel. La voix de la femme jette d’emblée le poète à la rue, à l’économie capitaliste ; cela signifie également que comme les pauvres qui ne peuvent pas entrer dans le café neuf, comme le vitrier qui ne possède que sa marchandise en la portant sur son dos, le poète ne pourrait pas revendiquer en toute légitimité son droit de propriété sur son produit-poème, et n’aurait pas pleinement le bonheur de le posséder dans une économie sociale de marché, dans la politique éditoriale et dans le système de censure. L’expression « s…. b…. de marchand de nuages » reflète l’aliénation ontologique du poète, maladie de la société matérialiste470, parce qu’il doit se lancer dans le commerce, naturel et infâme, avec ses poèmes, produits artificiels, mais surnaturels.

En somme, les éléments spéculaires de l’architecture féérique dans l’expérience du miroir chez Baudelaire, qui reflètent le caractère surnaturel ‒ déformation du temps et de l’espace ‒ du rêve seraient poétiquement transformés par le surnaturalisme et auront abouti aux corrélats objectifs architecturaux, du paysage artificiel aux formes des nuages. Cela se réalise à travers la confrontation directe avec la réalité, c’est-à-dire l’essai de la réécriture de Paris moderne ; cependant le décalage entre le rêve et la réalité, dans « un monde où l’action

468 « Je tournais mes regards vers les vôtres, cher amour, pour y lire ma pensée ; je plongeais dans vos yeux si beaux et si bizarrement doux, dans vos yeux verts, habités par le Caprice et inspirés par la Lune, quand vous me dites : "Ces gens-là me sont insupportables avec leurs yeux ouverts comme des portes cochères ! Ne pourriez-vous pas prier le maître du café de les éloigner d’ici ?" Tant il est difficile de s’entendre, mon cher ange, et tant la pensée est incommunicable, même entre gens qui s’aiment ! » OC, t. I, p. 319.

469 Baudelaire écrit à propos des « salaires » des littérateurs en utilisant des métaphores de l’architecture dans son essai intitulé « Conseils aux jeunes littérateurs » : « Quelque belle que soit une maison, elle est avant tout, – avant que sa beauté soit démontrée, – tant de mètres de haut sur tant de large. – De même la littérature, qui est la matière la plus inappréciable, – est avant tout un remplissage de colonnes ; et l’architecte littéraire, dont le nom seul n’est pas une chance de bénéfice, doit vendre à tout prix. » OC, t. II, p. 14-15.

470 Voir son opinion sur la commerce : « La commerce est, par son essence, satanique. – Le commerce, c’est le prêté-rendu, c’est le prêt avec le sous-entendu : Rends-moi plus que je ne te donne. – L’esprit de tout commerçant est complètement vicié. – Le commerce est naturel, donc il est infâme. – Le moins infâme de tous les commerçants, c’est celui qui dit : Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d’argent que les sots qui sont vicieux. – Pour le commerçant, l’honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. – Le commerce est satanique, parce qu’il est une des formes de l’égoïsme, et la plus basse, et la plus vile. » OC, t. I, p. 703-704.

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n’est pas la sœur du rêve »471, a marqué les signes de ruine et de violence jusque dans l’image fantasmagorique des nuages. L’or, qui était un symbole de la fécondité de l’esprit dans « L’Invitation au voyage » en prose, devient le signe du matérialisme et du philistinisme du monde moderne dans la première version du poème en prose « Les Projets » où sont soulignées l’éphémérité de l’architecture illusoire de vains rêves et l’importance de la concentration poétique472. La spécularité dans l’architecture double baudelairienne est donc une stratégie de lutte pour vivre dans la fange matérialiste de Paris en tant que poète. Les

villes invisibles, roman d’Italo Calvino se termine ainsi :

L’enfer des vivants n’est pas quelque chose qui existera dans le futur ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons en restant ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première est facile pour le plus grand nombre : accepter l’enfer, en faire partie jusqu’à ne plus le voir. La seconde est risquée et exige une attestation et un apprentissage continus : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au beau milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer et le faire durer, et lui faire place473.

L’architecture de rêve associe ces deux façons d’agir : Baudelaire s’abandonne à l’illusion de la ville infernale de Paris, mais en même temps y résiste opiniâtrement. Il a tenté de saisir le moment poétique au cœur de Paris en cours de transformation, et de « chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer et le faire durer, et lui faire de la place. » Mais comment ? Une journée du poète comme « marchand de nuages » est