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5.3.1.1 - Effets sur le statut oxydatif cellulaire et ses conséquences

Uranium et stress oxydant

Le stress oxydant est défini comme un déséquilibre entre les systèmes antioxydants et les systèmes prooxydants en faveur de ces derniers impliquant la production d’espèces réactives de l’oxygène , source d’effets toxiques potentiels (Aït-Aïssa et al., 2003).

Le terme d’espèces réactives de l’oxygène (communément appelées ERO, ou ROS en anglais) inclut les différentes formes actives de l’oxygène (comme le radical hydroxyle (OHº) ou l’anion superoxyde (O2º-)) et le peroxyde d’hydrogène (H2O2), ainsi que les espèces radicalaires qui peuvent en être les initiateurs. Leur réactivité peut être à l’origine d’effets biologiques néfastes. Toutefois, la formation d’espèces réactives ne s’accompagne pas systématiquement de phénomènes de toxicité. En particulier, certaines espèces réactives sont des intermédiaires de processus physiologiques normaux (respiration cellulaire ou les phénomènes inflammatoires). Ainsi, dans des conditions physiologiques normales, des radicaux libres sont formés dans l’organisme du fait de certains phénomènes biologiques. La formation de ces radicaux libres s'effectue au niveau de divers organites cellulaires. Par exemple dans les mitochondries, lors de la respiration cellulaire, la réduction de l'oxygène moléculaire par les cytochromes respiratoires peut être réalisée de façon incomplète et s'accompagner ainsi d'une formation parallèle d'environ 2 % d’espèces extrêmement réactives de l’oxygène (ERO). De même, au sein du cytosol, diverses réactions chimiques peuvent produire ces dérivés de l’oxygène. Par ailleurs, au sein de certaines cellules immunitaires, des enzymes interviennent dans la production de radicaux libres pour détruire les microorganismes, des macromolécules étrangères ou les cellules en décomposition de tissus nécrotiques (Wilson et Salamatian, 2003).

Ainsi, les cellules des êtres aérobies, en état d'oxydoréduction normal, ont une concentration basale en radicaux libres de l'oxygène non nulle. Du fait de leur très grande réactivité, ces dérivés de l’oxygène peuvent réagir avec la plupart des composés cellulaires

différents systèmes antioxydants préserve donc les cellules de leurs effets délétères (Braut-Boucher et Plantin-Carrenard, 2003 ; Gharbi et Moussa, 2003).

Cependant, ces dérivés de l’oxygène peuvent également être induits par la présence de composés exogènes à l’organisme comme c’est notamment le cas pour les métaux (Stohs et Bagchi,

1995 ; Cossu et al., 1997a). De plus, les métaux peuvent altérer le fonctionnement des systèmes de

contrôle. Si ces effets (surproduction de prooxydants et/ou dysfonctionnements des antioxydants) sont à l’origine d’une rupture de l’équilibre oxydatif, il peut alors survenir un stress cellulaire appelé “stress oxydant” (Jensen, 2003) dont les conséquences pour la cellule peuvent prendre la forme de dommages irréversibles (cf. § 5.3.1.2, 5.3.1.3 et 5.3.1.4).

Taqui Khan et Martell (1969) ont décrit très tôt le fait que l’uranium soit capable d’induire la formation de radicaux hydroxyles en présence de peroxyde d’hydrogène. Les résultats de cette étude ont ensuite été corroborés par les travaux d’Hamilton et al. (1997). Le schéma réactionnel de ce phénomène a récemment été décrit, basé sur un mécanisme d’oxydoréduction de type Fenton.

En effet, tout comme certains métaux de transition (notamment Fe2+ et Cu2+), l’uranium serait susceptible d’induire une réduction du peroxyde d’hydrogène intracellulaire, induisant ainsi la formation d’un ion hydroxyde (OH-) mais également d’un radical hydroxyle (Miller et al., 2002a). Cette réaction d’oxydoréduction est alors tout à fait similaire à la réaction de Fenton qui, dans le cas du fer, se décompose ainsi : H2O2 + Fe2+ → Fe3+ + OH- + OHº

+ Fe3+ + O2º- → Fe2+ + O2-

H2O2 + O2º- → OH- + O2- + OHº

Dans le cas de l’uranium, Yazzie et al. (2003) suggèrent que la première de deux réactions initiées serait la suivante : ½ U(IV) + H2O2 → ½ U(VI) + HOº + HO.

La seconde étape (de réduction du métal) assurerait ensuite le passage de la forme U(VI) en U(IV) sous l’action d’agents réducteurs tel que l’ascorbate. Ce mécanisme, décrit par différents auteurs (Miller et al., 2002a ; Yazzie et al., 2003), serait définit par le schéma réactionnel suivant :

U(VI) + ascorbate → U(IV) + déshydroascorbate

U(IV) + O2 + 2H+ → U(VI) + H2O2

ascorbate + O2 + 2H+ → déshydroascorbate + H2O2.

Dans ce schéma réactionnel, l’ascorbate (c'est-à-dire la vitamine D) et le dihydrogène servent de catalyseurs à la réaction faisant passer alternativement l’uranium de la forme U(VI) à U(IV) puis U(IV) à U(VI) selon un cycle libérant du peroxyde d’hydrogène dans le milieu. Pourahmad

et al. (2006) proposent le même mécanisme de réduction de l’uranium (VI) en uranium (IV) par le

biais d’autres agents cellulaire, notamment le système d’oxydoréduction formé par l'isoforme 2E1 du cytochrome P450 (CYP2E1), sa réductase (la NADPH dépendante cytochrome P450 réductase) et une molécule clé du système antioxydante cellulaire : le glutathion sous sa forme réduite (GSH) (Pourahmad et al., 2006).

Il s’établirait donc un cycle d’oxydoréduction de l’uranium, successivement présent sous les formes U(VI) et U(IV), à l’origine de la libération dans le milieu intracellulaire d’espèces réactives de l’oxygène telles que le peroxyde d’hydrogène ou le radical hydroxyle. Cette surproduction d’espèces réactives de l’oxygène pourrait donc être à l’origine d’un stress oxydant cellulaire dont pourraient résulter des réactions d’oxydation, d’hydroxylation, de désamination, de réduction, de rupture de chaînes carbonatées, de polymérisation, etc. dont les macromolécules telles que les protéines, les phospholipides membranaires et les acides nucléiques sont les cibles principales (Ribera et al., 1996).

Cette capacité de l’uranium a induire un stress oxydatif a été mise en évidence chez la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) par le biais d’une étude récente (Buet et al., 2005). Les auteurs ont ainsi observé une perturbation de l’activité de certaines enzymes impliquées dans la défense cellulaire antioxydante (inhibition des activités superoxyde dismutase et catalase) après une exposition par voie trophique à différentes concentrations d’uranium appauvri (20, 100 et 500 µg/L). Ces perturbations se sont avérées statistiquement significatives dès 6 h d’exposition et après 5 j mais n’ont plus été constatées après 10 j. De la même manière, une étude menée sur le Danio rerio a montré l’instauration d’un stress oxydatif suite à des expositions menées in vitro et in vivo à de l’uranium appauvri (Labrot et al., 1996, 1999). Ainsi, la perturbation d’enzymes telles que la catalase et la glutathion peroxydase ainsi que l’induction d’un marqueur direct de peroxydation

lipidique (le malondialdéhyde) ont été mesurées sur des fractions post mitochondriales obtenues à partir d’homogénats d’organismes entiers.

Conséquences du stress oxydant sur les protéines

Les protéines les plus sensibles aux attaques radicalaires sont surtout celles qui comportent un groupement sulfhydryle (SH). C’est le cas de nombreuses enzymes cellulaires et protéines de transport qui vont ainsi être oxydées et inactivées (Levine, 1983 ; Rokutan et al., 1990 ; Davies, 2003). D’autres lésions irréversibles conduisent à la formation d'un intermédiaire radicalaire. Les protéines peuvent alors soit subir des réticulations par formation notamment de ponts bi-tyrosine, soit subir des coupures en cas d'agression forte, soit des modifications de certains acides aminés en cas d'agressions modérées par des phénomènes de carbonylation (=C=O) notamment. Les protéines modifiées par oxydation perdent leurs propriétés biologiques (enzyme, récepteur...) et deviennent beaucoup plus sensibles à l'action des protéases. Elles deviennent aussi très hydrophobes, soit par suppression de groupements amines ionisables, soit par extériorisation de zones hydrophobes centrales. Elles peuvent alors former des amas anormaux dans ou autour des cellules.

Conséquences du stress oxydant sur les membranes biologiques

Les membranes étant constituées d’un double feuillet phospholipidique, les radicaux générés (en particulier les radicaux hydroxyles) sont susceptibles de réagir avec les chaînes d’acides gras insaturés au niveau des doubles liaisons. Le radical hydroxyle, HOº, initie une cascade de réactions en extrayant un atome hydrogène (réaction d’oxydation) par exemple à un groupement méthylène d'un acide gras insaturé (RH + OHº → Rº + H2O). L'atome de carbone muni d'un électron célibataire, va alors capturer une molécule d'O2 donnant naissance à un radical peroxyle (Rº + O2 → ROOº). Cette réaction de peroxydation va ensuite pouvoir se propager de proche en proche par création d'un nouveau radical carboné, selon la réaction ROOº + RH → ROOH + Rº (figure 2). Les acides gras ainsi modifiés, altèrent l’intégrité membranaire. Or, toute altération de la membrane peut être responsable de la modification des flux calciques, lesquels sont impliqués dans les mécanismes apoptotiques (Stark, 2005). Outre l’altération de la membrane, les peroxydes formés par cette réaction ou les produits de dégradation de ces dérivés (comme le malonedialdéhyde ou le 4-hydroxynonenal) peuvent également s’avérer toxiques pour le matériel génétique cellulaire (Breton et al., 2003).

Figure 2. Mécanisme en chaîne de la peroxydation des acides gras polyinsaturés et nature des produits terminaux formés (Favier, 2003).

Une étude menée in vitro par Tasat et de Rey (1987) a ainsi permis de montrer que l’uranium absorbé par phagocytose au sein des macrophages alvéolaires pour y être stocké au sein de vacuoles formées lors de leur passage dans le milieu intracellulaire (lysosomes) peut induire des dommages membranaires conduisant à la destruction de ces organites. Des phénomènes d’oxydoréduction des phospholipides membranaires seraient à l’origine de cette désagrégation membranaire. D’autres études menées sur les mammifères indiquent également que l’uranium est un agent très efficace d’endommagement membranaire (Carafoli et al., 1971 ; Leggett, 1989,

Muller et al., 1989 ; Pourahmad et al., 2006). Parmi celles-ci, l’étude menée par Pourahmad et al.

(2006) sur des hépatocytes en culture a permis de confirmer l’altération des structures membranaires lysosomales ainsi qu’une chute du potentiel membranaire des mitochondries.

Chez les poissons, l’étude de Cooley et al. (2000) menée sur des corégones (Coregonus clupeaformis) a permis de montrer que la concentration sérique en lipides peroxydés augmente en

cas d’exposition à l’uranium par voie trophique (démontrant une forte dépendance vis-à-vis de la concentration d’exposition) et constitue donc un indicateur sensible de l’exposition à l’uranium.

Conséquences du stress oxydant sur le matériel génétique

L’ADN se présente sous la forme d’un polymère constitué par l’enchaînement de nucléotides. Le nucléotide est lui-même une entité constituée d’un phosphate relié à un sucre (le 2-désoxyribose) lui même relié par une liaison N-glycosidique à une base (purique ou pyrimidique). Outre les effets toxiques des peroxydes et autres dérivés formés par l’altération oxydative des membranes, les espèces radicalaires OHº et Hº peuvent réagir directement avec les bases azotées ou le sucre (2-désoxyribose) constitutifs de la molécule d’ADN (Marnett, 2000 ; Dizdaroglu et al., 2002 ;Favier, 2003 ; Breton et al., 2003).

Le produit de ces réactions conduit à la formation de coupures simple ou double brins, de bases modifiées, de sites abasiques et de pontages ADN - protéines (figure 3).

Figure 3. Lésions de l’ADN formées par attaque radicalaire. Figure centrale : mécanismes généraux. Cadres latéraux : exemples de bases modifiées (Favier, 2003).

(a) Les coupures de brins

Les coupures simple brin (CSB)

Elles sont essentiellement dues à la rupture des liaisons phosphate-sucre à la suite d’un arrachement d’un atome d’hydrogène du sucre par le radical OHº. Il s’agit de lésions relativement vite réparées (en moins d’1 h) et qui ont peu d’impact en matière de létalité cellulaire. Elles peuvent également résulter de défaut de réparation par excision/resynthèse.

Yazzie et al. (2003) ont démontré que le cation d’uranyle est susceptible de provoquer des cassures simple brin de l’ADN. De même, des cassures d’ADN, mesurées par le test des comètes, ont également été mises en évidence dans des cellules d'ovaires de hamsters chinois exposés à de l’uranium appauvri sous forme d’acétate d’uranyle (Stearns et al., 2005).

Les coupures double brins (CDB)

Il s’agit sans doute d’une catégorie de lésions parmi les plus délétères. Elles correspondent à une rupture des deux chaînes en des sites proches l’un de l’autre. Deux mécanismes sont avancés pour expliquer leur formation. Le premier suppose l’action d’un seul radical OHº sur le 2-désoxyribose avec transfert du radical sur le deuxième brin. Le deuxième implique l’attaque de l’ADN par plusieurs radicaux hydroxyle dans des zones rapprochées (Calmet et al., 2003).

(b) Les bases modifiées

La nature des produits obtenus dépend des propriétés redox des espèces mises en jeu et de leur environnement (présence d’oxygène ou non).

Les modifications des bases pyrimidiques résultent essentiellement de l’attaque des radicaux hydroxyles au niveau de leur cycle aromatique. Les radicaux OHº étant très électrophiles, leur attaque s’effectue préférentiellement en position 5 du cycle de la thymine et de la cytosine. Les bases puriques peuvent subir quant à elles l’addition de radicaux OHº en position 4 ou 8 (Blakely et al., 1990 ; Kawanishi et al., 2001 et 2002).

Il a été montré qu’une altération de l’ADN par la formation de thymine glycol et de 8-hydroxy-désoxyguanosine (spécifiques d’un stress oxydatif) peut être induite en présence d’uranium appauvri, de peroxyde d’hydrogène et d’ascorbate (Miller et al., 2002a).

(c) Pontages ADN-protéines

Des pontages intra-chaînes, inter-chaînes ou entre l’ADN et les protéines environnantes peuvent aussi se former sous l’effet d’un stress oxydant. Dans ce cas, le radical hydroxyle peut être impliqué. Ces pontages peuvent se former lorsque deux radicaux sont générés à la fois sur l’ADN et au niveau des acides aminés constitutifs des protéines proches de l’ADN. Des travaux (non spécifiques à l’uranium) ont ainsi mis en évidence la formation de pontage entre la tyrosine et la thymine mais aussi entre d’autres acides aminés et la thymine ou la cytosine (Pouget, 2000).

(d) Altération des sucres

L’attaque du 2-désoxyribose par les radicaux OHº qui se traduit initialement par un arrachement d’un atome d’hydrogène, peut conduire à : (i) une libération du sucre (formation d’une coupure de brin), (ii) une altération du sucre n’affectant pas ses liaisons en 3’ et 5’ au squelette phosphodiester (site abasique), ou (iii) une altération du sucre réduisant sa liaison au squelette phosphodiester à l’un ou l’autre des sites de fixation, 3’ ou 5’ (formation d’une coupure de brin) (Pouget, 2000).

5.3.1.2 - Effets directs sur les protéines

Outre les dommages oxydatifs potentiellement subis par les protéines, l’uranium peut interagir directement sur ces macromolécules. L’uranium a ainsi été décrit comme étant capable de se fixer in vitro à différentes protéines du sérum sanguin (Vidaud et al., 2005). L’ion uranyle UO22+, est également capable de diminuer l’activité d’enzymes impliquées dans le métabolisme énergétique et de l’ATP (Nechay et al., 1980 ; McQueney et Markham, 1995) ainsi que dans la signalisation cellulaire (Nathanson et Bloom, 1976). La modification de l’activité enzymatique de certains cytochromes P450 a également été observée suite à l’inhalation de dioxyde d’uranium (Pasanen et al., 1995).

5.3.1.3 - Effets directs sur le matériel génétique

Certains auteurs suggèrent que l’uranium pourrait agir directement par fixation sur les groupements phosphate de l’ADN et catalyser une réaction d’hydrolyse de la liaison sucre-phosphate dont la manifestation directe serait l’apparition de cassures mono ou bicaténaires (Lin et al., 1993 ; Stearns et al., 2005).