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Chez les mammifères, quelques jours après incorporation d’uranium dans le sang, la plupart de la charge systémique se retrouve principalement à la surface des os et au niveau du cortex rénal (Kathren et Moore, 1986 ; La Touche et al., 1987; Kathren et al., 1989 ; Kurttio et al., 2002 ; Kurttio

et al., 2005) et une partie beaucoup plus faible dans le foie et les tissus mous . Cette répartition

est également observée à l’état naturel, c’est à dire sans qu’il n’y ait eu d’épisode contaminant chez un individu. Ainsi, un organisme humain adulte contient en moyenne 40 à 90 μg d’uranium pondéral à raison de 66 % dans le squelette, 16 % dans le foie, 8 % dans les reins et 10 % dans les autres tissus mous (Fissenne, 1988 ;WHO, 2001).

Chez les poissons, les sites principaux d’accumulation de l’uranium sont les tissus minéralisés (os et écailles), les intestins, le foie, les reins et, pour des concentrations en uranium importantes, les gonades (Poston, 1982 ; Mahon, 1982 ; Swanson, 1985 ; Waite et al, 1990 ; Ribera et al., 1996 ; Labrot et al., 1996 ; Clulow et al, 1998 ; Cooley et Klaverkamp, 2000). Ainsi, Cooley et

Klaverkamp (2000) se sont notamment attachés à évaluer les relations entre l’ingestion d’uranium

et son accumulation, de même que sa distribution dans les différents tissus d’une espèce de poisson dulçaquicole, le corégone (Coregonus clupeaformis) en conditions contrôlées. Les concentrations en uranium les plus importantes ont été retrouvées dans les intestins, les tissus minéralisés (os et écailles), les reins et, à un degré moindre, dans le foie et les gonades des corégones. Cette distribution relative de l’uranium confirment les observations faites sur des poissons issus de milieux impactés par l’uranium, soit du fait d’activités anthropiques (Swanson, 1985 ; Waite et al., 1988), soit de manière naturelle (Kovalsy et al., 1967).

5.1.3.1 - Fixation osseuse

Chez les mammifères, le squelette représente l’organe majeur de fixation à long terme de l’uranium (Rowland et Franham, 1969 ; Priest et al., 1982 ; Wrenn et al., 1985). Le comportement de l’uranium dans le squelette est relativement similaire à celui des alcalino-terreux (tels que le calcium ou le magnésium). L’ion UO22+ s’échange à la surface de l’os avec l’ion Ca2+ dans les cristaux d’hydroxyapatite (Hamilton, 1971) et se dépose plus particulièrement à proximité des zones vascularisées et dans les aires de croissance. A la suite des remaniements osseux intervenant de façon naturelle au cours de la vie, une partie de l’uranium est ensuite internalisée au sein du

volume osseux (Leggett, 1994 ; Dewitt et al., 2001). Ainsi, selon le modèle de la CIPR, la période d’élimination chez l’Homme de l’uranium sur les surfaces osseuses est de 5 j : 50 % de cette quantité retournent vers le plasma et 50 % vont dans le compartiment du volume osseux. La période d’élimination de ce volume osseux est quant à elle de 30 j : 75 % de la quantité retournent à la surface osseuse (pour être à nouveau relargués soit dans le plasma sanguin soit dans le volume osseux) et 25 % sont fixés dans une zone osseuse non échangeable.

Expérimentalement, de fortes concentrations en uranium ont également été retrouvées dans les tissus hautement minéralisés (os et les écailles) chez le corégone (Coregonus clupeaformis) exposé par voie alimentaire à l’uranium (Cooley et Klaverkamp, 2000). Ces résultats indiquent que les concentrations en uranium d’écailles de poissons peuvent renseigner sur le niveau d’exposition environnementale et de biodisponibilité de l’uranium. L’affinité de l’uranium envers le tissu osseux a été démontrée chez différentes espèces de poissons sauvages (Catastomus commersoni, Salvelinus namaycush, Salmo trutta et Salmo alpinus) sur des individus issus de milieux contaminés en uranium par des rejets miniers (Swanson, 1982, 1983 et 1985 ; Pettersson et al., 1988 ; Waite et al.,1988 ;

Bernstein et Swanson, 1989) ou issus de milieux naturellement riches en uranium (Kovalsky et al.,

1967 ; Mahon, 1982).

A l’origine de cette similitude, il est important de rappeler que les os et les écailles partagent des similarités structurelles fondamentales. Ces deux types tissulaires contiennent une matrice de collagène et un treillis minéralisé cristallin composé de la même unité constitutive fondamentale : l’hydroxyapatite, tout comme chez les mammifères. Très tôt, des recherches sur l’accumulation de l’uranium chez des poissons dulçaquicoles ont révélé que l’uranium, sous la forme d’ion uranyle, prend la place du calcium au niveau du treillis cristallin d’hydroxyapatite, agissant ainsi comme un antagoniste du calcium par un mécanisme tout à fait comparable à celui observé au niveau du squelette des mammifères (Kovalsky et al., 1967).

Le mécanisme d’accumulation des métaux au niveau des écailles de poisson peut impliquer la dissociation de complexes entre ces métaux et des ligands biotiques. Cette dissociation pourrait être la conséquence d’une légère chute de pH généralement rencontrée dans les régions de calcification active. Ce mécanisme, suggéré pour le zinc (Sauer et Watabe, 1984), semble également plausible pour l’uranium puisque les ions carbonates sont les ligands principaux de

l’uranium dans la circulation sanguine et que les complexes uranium-carbonate deviennent hautement instables pour des pH décroissants (Stevens et al., 1980). De plus, le plomb et le strontium, qui se comportent comme l’uranium dans les os de mammifères (Leggett, 1994), se déposent dans les régions minéralisées des écailles de poisson (Sauer et Watabe, 1984 et 1989).

5.1.3.2 - Fixation rénale

Chez les mammifères et en particulier chez l’Homme, le rein est l’un des sites principaux d’accumulation de l’uranium et constitue la cible majeure des effets chimiotoxiques de ce radionucléide (Voegtlin et Hodge, 1949, 1953 ; Jones, 1966 ; Leach et al., 1970 et 1973 ; Wrenn et al., 1985 ; Singh et al., 1987 ; Leggett, 1989 ; Tracy et al., 1992 ; ATSDR, 1999 ; WHO, 2001 ; Chen

et al., 2004 ; Squibb et al., 2005). Le mécanisme d’accumulation de l’uranium chez les mammifères

implique une ultrafiltration, au travers du glomérule, des complexes formés dans le compartiment sanguin entre l’uranium et des composés de faible poids moléculaire (hydrogénocarbonates ou citrates). Ces complexes sont ensuite dissociés au contact de l’environnement acide régnant dans la lumière des tubules proximaux. La majorité de l’uranium va alors être excrétée dans les urines. Le reste, 20 à 30 % de la quantité initiale dans le sang, va quant à lui se lier aux cellules épithéliales de la bordure en brosse des tubules proximaux et s’y fixer à long terme (Dounce, 1949).

Bien que le mécanisme d’accumulation de l’uranium dans les reins de poissons n’ait pas été investigué, certains auteurs suggèrent qu’il pourrait être comparable au mécanisme identifié chez les mammifères (Cooley et Klaverkamp, 2000).

5.1.3.3 - Fixation au système respiratoire

Chez les mammifères, ce sont les composés insolubles qui posent le plus problème au niveau des poumons. En effet, ces composés vont être caractérisés par un temps de résidence notablement plus important au niveau du tissu pulmonaire que les composés solubles qui vont quant à eux être transloqués très rapidement dans le compartiment sanguin. Cette persistance de l’uranium au contact des poumons va alors pouvoir être à l’origine d’effets toxiques (Leach et al., 1973).

Chez les poissons, même si l’appareil branchial ne semble pas constituer pas un site majeur d’accumulation de l’uranium, il est cependant intéressant de noter que les modalités d’accumulation de l’uranium dans les filaments branchiaux peuvent être influencées par le stade de

maturation sexuelle. En effet, une accumulation accrue d’uranium dans les branchies de corégones exposés à l’uranium a été observée par Cooley et Klaverkamp (2000) durant les périodes de maturation sexuelle. Selon ces auteurs, cette accumulation accrue serait la conséquence de besoins métaboliques plus élevés (augmentation des besoins en oxygène ou encore en calcium) du fait du développement gonadique. Une accumulation importante d’uranium a également été montrée au niveau de l’appareil branchial de truites arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) juvéniles exposées par voie directe à ce radioélément (Buet et al., 2005). Cette forte accumulation pourrait ainsi être corrélée à une demande métabolique accrue, souvent observée lors des phases de croissance des organismes, suggérant ainsi l’influence du stade de développement des organismes dans les processus d’internalisation.

5.1.3.4 - Fixation hépatique

Chez les mammifères, la rétention au niveau du foie est beaucoup plus faible que dans le squelette ou les reins. La quantité d’uranium retenue dans le foie après un épisode de contamination est comprise entre 1 et 2 %, dont une grande partie est éliminée dans les premières semaines, et environ 0,1 % est retenu à plus long terme (Hengé-Napoli et al., 2001). Ces données sont issues d’études exclusivement menées sur l’Homme.

Aucune donnée de cette fixation hépatique n’est disponible à ce jour sur poisson.

5.1.3.5 - Fixation au tractus gastro-intestinal

Chez les mammifères, peu de données sont disponibles, l’ingestion de particules d’uranium n’étant pas une voie de contamination très significative.

Chez les poissons, l’étude de Cooley et Klaverkamp (2000) a permis de montrer que l’uranium peut être absorbé au niveau du tractus gastro-intestinal à la suite d’une exposition trophique. Cette faculté a également été montrée pour d’autres métaux (Harrison et al. ; 1990 ;

Haines et Brumbaugh, 1994 ; Handy, 1996 ; Farag et al., 1995 ; Pelletier et Audet, 1995). Des

concentrations plus élevées dans les tissus intestinaux que dans les branchies peuvent d’ailleurs être révélatrices d’une contamination par voie trophique (Dallinger et al., 1987). C’est le cas dans l’étude de Cooley et Klaverkamp (2000) dans laquelle les poissons présentent des concentrations en uranium élevées au niveau du tractus gastro-intestinal mais faibles au niveau du tissu branchial.

5.1.3.6 - Atteinte du tissu cérébral

Chez les mammifères, mais également chez les vertébrés inférieurs que sont les poissons, il existe une barrière anatomique qui filtre et contrôle le passage des substances sanguines et les empêche de passer librement du sang au liquide céphalo-rachidien. Cette barrière (dite hémato-encéphalique) isole ainsi le système nerveux central du reste de l'organisme et lui permet d'avoir un milieu spécifique, différent du milieu intérieur du reste de l'organisme. La localisation histologique exacte de la barrière n'est pas connue avec précision, mais un consensus semble se former pour la situer au niveau de l'endothélium vasculaire. Des jonctions serrées entre les cellules endothéliales empêcheraient tout transfert de molécules entre les cellules, obligeant celles-ci à utiliser les canaux et les pompes disponibles sur la cellule.

Or, chez des rats ayant reçu des implants sous-cutanés d’uranium appauvri (destinés à simuler une blessure), il a été montré que l’uranium peut franchir cette barrière hématoméningée

(Lemercier et al., 2003). Il a de surcroît été montré que l’uranium était capable de s’accumuler de

façon hétérogène dans le cerveau et le cervelet (Pellmar et al., 1999a ; Lestaevel et al., 2005).

Aucune donnée relative à cette atteinte du tissu cérébral chez le poisson n’est actuellement disponible.

5.1.3.7 - Atteinte des tissus impliqués dans la reproduction

Tout comme pour le cas du cerveau, dans le testicule, on considère que les cellules proches de la lumière du tubule séminifère sont protégées des agressions toxiques, chimiques ou radioactives par la barrière hémato-testiculaire (BHT). Cependant, des études récentes chez les rongeurs suggèrent un franchissement possible de la BHT par certains radionucléides grâce à la voie physiologique fer-transferrine (Calmet et al., 2003). Ces derniers pourraient alors se lier aux cellules germinales méiotiques et post-méiotiques. Les conclusions de ces études sont corroborées par les travaux de Pellmar et al (1999a) selon lesquels des taux significatifs d’uranium ont été retrouvés dans les testicules de rats implantés avec des fragments d’uranium appauvri. Des récepteurs à la transferrine étant exprimés par les cellules germinales de l’épithélium séminifère, un mécanisme analogue peut être envisagé chez l’Homme, expliquant la présence d’uranium dans le sperme de militaires blessés par des fragments d’uranium (McDiarmid et al., 2000).

Chez les poissons, plusieurs explications de l’accumulation de l’uranium dans les gonades sont possibles. L’importance de l’accumulation semble liée à la maturation gonadique (Cooley et

Klaverkamp, 2000), l’accumulation dans les organes génitaux étant potentiellement plus importante

durant la phase de maturation sexuelle. Chez les femelles, l’uranium est sans doute transporté vers les ovaires pour y être accumulé par liaison à la vitellogénine, comme décrit pour d’autres métaux

(Ghosh et Thomas, 1995). Il n’est pas à exclure que l’uranium puisse être transféré aux œufs. Le

mécanisme d’accumulation dans les testicules est moins clair et nécessite de plus amples recherches afin d’être mis à jour. Néanmoins, les testicules semblent accumuler des concentrations plus importantes d’uranium (194 ± 50 µg/g poids frais) que les ovaires (17,8 ± 3,4 µg/g poids frais). Cette différence observée entre les sexes pourrait être due à un effet de “dilution tissulaire”, le volume des ovaires étant beaucoup plus important que celui des testicules alors que les charges tissulaires totales sont équivalentes (Cooley et Klaverkamp, 2000).

5.1.4 - Excrétion

L’uranium présent au sein du compartiment sanguin est d’abord filtré au niveau des glomérules, arrive au niveau de la lumière des tubules rénaux où il s’accumule avant d’être éliminé dans les canaux collecteurs de l’urine. Chez l’Homme, l’excrétion urinaire représente 60 à 86 % de la quantité d’uranium incorporée par l’organisme (Galletti et al., 2003). Ceci représente la valeur de l’épuration plasmatique en ion uranyle, quelle que soit la voie d’entrée ou la forme chimique initiale de l’uranium. Cependant, il n’est pas rare de retrouver, très longtemps après une exposition, des quantités non négligeables d’uranium dans les urines du fait du “relargage” osseux

(Orloff et al., 2004). La mesure de l’uranium présent dans les urines est ainsi largement pratiquée

dans le cadre de suivis de contaminations chez l’Homme (Ejnik et al., 2000 ; Gwiazda et al., 2004 ; McDiarmid et al., 2001aet 2004b).

L’excrétion fécale de l’uranium est quant à elle négligeable et ne représente que 1 à 2 % de la quantité totale absorbée (Hodge, 1973; Spencer et al., 1990).

Une étude menée sur le corégone (Cooley et al., 2000) laisse suggérer que l’excrétion biliaire d’uranium représente une voie non négligeable d’élimination de cet élément chez des organismes exposés par voie trophique. En effet, la survenue de lésions histopathologiques au niveau du foie et de la vésicule biliaire semble soutenir cette hypothèse. Ceci est d’ailleurs en

accord avec le rôle proéminent de la bile dans l’excrétion d’autres métaux administrés par voie alimentaire chez le poisson (Weisbart, 1973 ; Lanno et al., 1987 ; Handy, 1996).