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Les effets cellulaires de l’uranium, qu’il soit naturel ou appauvri, ont été étudiés en majorité dans des systèmes in vitro. Les principaux effets toxiques démontrés sont issus, selon le type cellulaire, de différents mécanismes.

5.3.2.1 - Modifications morphologiques

Des altérations significatives de paramètres morphométriques au niveau des hépatocytes ont été observées chez des corégones (Coregonus clupeaformis) exposés à l’uranium par voie alimentaire (Cooley et al., 2000). L’augmentation de la taille relative de ces cellules hépatiques, de même que la réduction du rapport nucléo-cytosolique ont en effet été rapportées. Les auteurs suggèrent que ces altérations peuvent résulter de réserves excessives en lipides et/ou glycogène, de gonflements cellulaires causés par la dénaturation des ATPases, par l’altération des processus de transfert énergétique, ou encore par la prolifération des organites comme c’est souvent le cas du réticulum endoplasmique (Hinton et Lauren, 1990). Une réduction du rapport nucléo-cytosolique peut également être observée dans le cas d’étapes précoces de développements néoplasiques . En effet, cette caractéristique est typique des cellules indifférenciées à croissance rapide (Hinton et

al., 1988). Cette diminution du rapport nucléo-cytosolique observée au niveau hépatique chez les

corégones a également été observée sur des hépatocytes ayant survécu aux étapes initiales de la cytotoxicité induite par des contaminants chez les poissons (Hinton et al., 1988).

5.3.2.2 - Perturbations du cycle cellulaire et des capacités de réparation de l’ADN

En conséquence de la présence de lésions au sein des molécules d’ADN d’une cellule, un arrêt du cycle cellulaire peut être marqué afin de permettre aux systèmes de réparation de la cellule d’agir. Une étude menée in vitro sur des cellules d'ovaires de hamsters chinois a ainsi permis de montrer que le nitrate d'uranyle peut induire un tel ralentissement (Lin et al., 1993).

La mise en place de mécanismes de réparation peuvent alors permettre de rétablir l’intégrité du matériel génétique. La perturbation possible des mécanismes de réparation de l’ADN par certains métaux peut ainsi conduire à des dommages à l’ADN, de façon directe ou indirecte. Aucune étude ne fait état de telles perturbations dans le cas de l’uranium. Cependant, ce

phénomène a été décrit pour différents métaux comme le plomb, le cadmium et le nickel (Hartwig et al., 1994a,b et 2002a,b ; Hartwig et Schwerdtle, 2002).

5.3.2.3 - Atteintes géniques et chromosomiques

Lorsque les altérations de l’ADN peuvent être réparées, l’effet biologique se limite alors à l’échelle moléculaire et la cellule reste intacte. Lorsque la cellule ne peut pas réparer son ADN lésé ou que des réparations fautives surviennent, les modifications de l’ADN peuvent être à l’origine d’arrêts prolongés dans le cycle cellulaire, d’inhibition de la transcription et de la réplication de l’ADN, de problèmes de ségrégation des chromosomes. Peuvent alors apparaître des évènements génétiques anormaux tels que des mutations géniques irréversibles et héritables ou des instabilités génomiques. A leur tour, ces dommages pourront être à l’origine d’effets tératogènes (si ces altérations concernent des cellules germinales ou si elles surviennent lors du développement embryonnaire) mais aussi de cancers (dans le cas d’atteintes de cellules somatiques ) ou peuvent encore induire la mort cellulaire.

Mutations géniques

Une mutation est un changement transmissible dans le matériel génétique. Des mutations au niveau de cellules somatiques favorisent l’apparition de cancers et au niveau des cellules reproductrices, elles peuvent entraîner des anomalies héréditaires.

Une étude menée par Stearns et al. (2005) a montré qu’une exposition in vitro à l’uranium de cellules de hamster chinois était ainsi à l’origine de mutations. In vivo, Miller et al. (1998a) ont détecté la présence de facteurs mutagènes au sein des urines et de sérum sanguin obtenus sur des rats contaminés à l’uranium appauvri par le biais d’implants sous-cutanés. Dans un document plus récent des mêmes auteurs (Miller et al., 2002b), le patrimoine génétique des cellules issues d’une lignée cellulaire d’ostéoblastes humains exposée in vitro à de l’uranium appauvri a ensuite fait l’objet d’analyses visant à détecter l’altération de certains gènes (oncogènes ou gènes suppresseurs de tumeurs). Les résultats de ces travaux ont ainsi permis de montrer que l’exposition à l’uranium appauvri a permis d’induire un effet significatif, la fréquence de cellules transformées ayant été multipliée par 25,5 par rapport à une lignée cellulaire témoin.

Instabilité génomique

Ces manifestations cytogénétiques résultent d'accidents mécaniques subis par le chromosome lors de la mitose. Deux mécanismes sont possibles : une mauvaise répartition des chromosomes aboutissant à des anomalies relatives à leur nombre (aneuploïdie lorsqu’un ou plusieurs chromosomes manquants) et une fragmentation des chromosomes (évènements clastogènes) aboutissant à des anomalies de structure (translocations, inversions, fragments acentriques) (figure 4). En outre, l’intégrité du matériel génétique cellulaire peut être affectée par la formation de micronoyaux. Il s’agit d’entités nucléaires indépendantes du noyau, présentes dans le cytoplasme, provenant de chromosomes entiers ou de fragments séparés du reste des chromosomes au cours de l'anaphase.

Figure 4. Nature et formation des aberrations chromosomiques. Selon la position et le nombre de lésions de l’ADN et en fonction de la qualité de la réparation ou de la recombinaison du chromosome sur lui-même ou avec un autre, soit des chromosomes normaux, soit différents types d’aberrations chromosomiques seront observés. (Moustacchi et al., 2000).

Les remaniements chromosomiques, lorsqu’ils surviennent dans les cellules somatiques, peuvent induire des perturbations à l’échelle de l’individu (altération de la traduction, de la transcription d’un gène, formation de protéines anormales, etc.) mais son sans conséquences sur les descendants de celui-ci. Dans la lignée germinale, il en est tout autrement puisqu’un remaniement

chromosomique, même équilibré, peut entraîner une répartition erronée du matériel génétique à la méiose. Seules les aberrations stables (translocations, inversions) seront transmises à la descendance et pourront être mises en évidence après plusieurs générations cellulaires post-irradiation, les aberrations les plus complexes (anneaux dicentriques, acentriques) étant quant à elles difficilement transmissibles.

Une étude de Coen et al. (2001) a récemment permis de démontrer que les métaux lourds tels que le cadmium ou le nickel peuvent induire une instabilité génomique. Dans le cas de l’uranium, de nombreuses études font état d’aberrations chromosomiques survenant à la suite d’épisodes de contamination.

In vitro, l’étude de Miller et al. (2003) a été entreprise dans le but d’évaluer les capacités de l’uranium appauvri à induire une instabilité génomique au niveau de la descendance d’ostéoblastes humains exposés à cet élément. Elle a ainsi permis de démontrer que les cellules issues de la descendance de cellules exposées à de l’uranium appauvri présentent une fréquence d’apparition de micronoyaux jusqu’à 2,5 fois plus élevée que des cellules témoins. Dans une précédente étude des mêmes auteurs (Miller et al., 2002b), l’examen génotoxique d’une lignée cellulaire d’ostéoblastes humains exposée in vitro à de l’uranium appauvri a permis de détecter la présence de micronuclei, d’échanges de chromatides sœurs ainsi que de cassures de brins d’ADN.

Lin et al. (1993) ont également montré la capacité de l’uranium à induire une instabilité génomique par le biais d’une augmentation du nombre de micronoyaux et d’échanges de chromatides sœurs, utilisant comme modèle cellulaire une lignée de cellules d'ovaires de hamsters chinois.

Chez l’Homme, Martin et al. (1991) se sont attachés à mesurer différents paramètres cytogénétiques (altération de la symétrie des chromosomes et échanges de chromatides sœurs) sur des cultures lymphocytaires issues de mineurs exposés à l’uranium. La fréquence d’apparition de ces deux paramètres de cytogénotoxicité s’est révélée significativement plus importante que pour des lymphocytes issus d’un groupe témoin. Les facteurs confondants que sont l’exposition externe aux radiations émises par le radon ainsi que la consommation de tabac des individus impliqués dans l’étude ont pu être écartés lors de l’interprétation de ces résultats, attribuant ainsi ces effets à la toxicité chimique de l’uranium. L’augmentation du taux d’échange de chromatides sœurs a également été observée chez des vétérans de la guerre du Golfe (McDiarmid et al., 1995) ainsi que

chez des personnes travaillant le minerai d’uranium (Prabhavathi et al., 1995). Ces derniers auteurs ont réitéré leur étude en investiguant un nombre plus important d’aberrations chromosomiques. Les résultats de ce travail montrent que le niveau d’aberration moyen (cassures, translocations, fragments, asymétrie, polyploïdie) a été augmenté à la suite de l’exposition à l’uranium

(Prabhavathi et al., 2000). L’étude de Krunic (2005) a quant à elle permis de démontrer

l’augmentation significative de l’apparition de micronoyaux au niveau des lymphocytes de personnes vivant sur des sites contaminés en uranium appauvri à la suite des conflits ayant eu lieu dans les Balkans.

5.3.2.4 - Cancérogénicité

Une tumeur provient d’une seule cellule dont la division échappe à tout contrôle. La division cellulaire étant sous le contrôle de gènes, c’est la modification du code génétique (mutation) de ces gènes qui est responsable de l’initiation du processus tumoral.

Deux processus sont alors possibles. Le cancer peut être initié par activation d’un oncogène (une translocation spécifique active un oncogène) ou par inactivation d’antioncogènes. On considère qu’il est plus facile à une lésion de produire la perte d’une fonction que la création d’une nouvelle. La majeure partie des lésions induisent donc plutôt des délétions qui aboutissent à la perte de fonction d’un gène. S’il s’agit d’un antioncogène, la phase de promotion du cancer pourra alors s’enclencher. La cellule acquerra une totale indépendance et ne répondra plus à aucun contrôle de son environnement au cours de la phase suivante, dite de progression.

L’uranium appauvri a montré un pouvoir transformant sur des cellules épithéliales bronchiques humaines (Yang et al., 2002) et sur une lignée d’ostéoblastes humains (Miller et al.,

1998b ; 2002b). D’après Miller et al. (1998b), les cellules transformées sont notamment

caractérisées par l’induction de l’expression d’un oncogène et la réduction de la production d’une protéine “suppresseur” de tumeur. De plus, d’après leur étude de 2002 (Miller et al., 2002b), l’inoculation de lignées cellulaires exposées à de l’uranium à des souris a permis d’observer l’apparition de tumeurs chez ces dernières. L’exposition de cellules à de l’uranium appauvri peut donc induire leur transformation vers un phénotype tumoral. Ces résultats suggèrent que, in vitro, l’uranium appauvri peut être un carcinogène. Les auteurs supposent que les mécanismes de

transformation induits par l’uranium pourraient être la conséquence des effets génotoxiques parallèlement observés (cf. étude précédemment décrite dans le paragraphe 5.3.2.3).

Des études utilisant de l’uranium appauvri administré sous la forme d’implants à des rats, montrent que la concentration d’uranium est corrélée à l’activation de plusieurs oncogènes dans le rein et le muscle où ils sont à l’origine de l’induction de sarcomes (Hahn et al., 2002).

Néanmoins, des études épidémiologiques menées depuis plus d’une cinquantaine d’années sur des cohortes de personnes travaillant à l’exploitation de minerais d’uranium n’ont pas permis de dégager clairement d’effet sur l’incidence de cancers (McDiarmid, 2001 ; Tirmarche et al., 2004). Ainsi, selon un rapport de l’ATSDR (1999), aucune augmentation significative de l’occurrence de cancers pulmonaires n’a pu être mise en évidence chez ces populations “à risque” car fortement exposées à l’uranium. Les seuls cas d’augmentation des cancers chez ces mineurs ont ainsi été attribués aux effets du radon et de ses descendants et non à l’uranium. De même, deux autres études (Kathren et Moore, 1986 et Kathren et al., 1989) ont montré qu’il n’existe pas d’évidence irrévocable quant au fait que la contamination par l’uranium par inhalation, par ingestion ou par contact puisse induire des cancers chez l’Homme.

5.3.2.5 - Mort cellulaire

La mort cellulaire est un processus qui intervient dès que les atteintes de molécules cibles sont trop importantes. La mort cellulaire peut impliquer deux mécanismes, la nécrose et l’apoptose (ou mort programmée).

La nécrose se produit lorsque la cellule est soumise à des agressions. Les traits morphologiques de la cellule impliquent un œdème cytoplasmique et mitochondrial, une condensation de la chromatine et le phénomène est associé à un processus inflammatoire. Chez les mammifères, il a été montré que les nécroses tissulaires (de même que les phénomènes inflammatoires) sont liées au stress oxydant (Kehrer, 1993) et ces liens sont également supposés chez les poissons (Winston et Di Giulio, 1991).

L’apoptose elle, intervient dans les processus physiologiques des organismes pluricellulaires tels que l’embryogenèse, la métamorphose ou l’atrophie de tissus, etc. La morphologie des cellules apoptotiques se caractérise par une rupture des jonctions intercellulaires et une fragmentation de

l’ADN sous l’action d’endonucléases. Elle intervient également lorsque la cellule subit d’importantes altérations de son patrimoine génétique afin d’éliminer les cellules porteuses de dommages. De nombreux gènes de contrôle du cycle cellulaire sont impliqués dans le déclenchement de ce phénomène.

L’uranium a des effets cytotoxiques. Les différentes études, utilisant de multiples conditions expérimentales, suggèrent une différence de sensibilité vis-à-vis de l’uranium entre les types cellulaires. La concentration induisant 50 % de mortalité cellulaire (CL50) est ainsi de l’ordre de 100 à 250 μM pour les macrophages (Kalinich et al., 2002 ; Lizon et Fritsch, 1999) et de 750 à 900 μM pour les cellules épithéliales rénales (Mirto et al., 1999a,b). L’effet sur la viabilité des macrophages serait lié à l’entrée en apoptose de ces cellules, mécanisme cellulaire dont l’initiation serait placé sous la dépendance de la quantité d’uranium ayant pénétré dans le compartiment intracellulaire (Kalinich et al., 2002 ; Lizon et Fritsch, 1999 ; Tasat et De Rey, 1987).

Chez le poisson, des nécroses hépatiques et rénales ont été constatées in vivo suite à l’exposition à l’uranium par voie trophique (Cooley et al., 2000). Les auteurs suggèrent que ces nécroses peuvent être la conséquence de différents mécanismes incluant une rupture des lysosomes, une hypoxie tissulaire et/ou une peroxydation lipidique. L’uranium est en effet accumulé au sein de lysosomes chez les mollusques et crustacés marins ou dulçaquicoles (

Chassard-Bouchaud, 1982, 1983 ; Chassard-Bouchaud et Hallegot, 1984), de même que chez des mammifères

(Galle, 1974 ; Tasat et De Rey, 1987 ; Muller et al., 1989 ; Galle et al., 1992). Comme nous l’avons vu précédemment, l’uranium (précipité sous la forme de microcristaux de phosphate d’uranium) peut endommager les structures subcellulaires. C’est notamment le cas des membranes lysosomales

(Galle, 1974 ; Pourahmad et al., 2006). Tasat et De Rey (1987) suggèrent que le mécanisme

d’endommagement des organites de même que la mort cellulaire observée sur des préparations de macrophages alvéolaires de rats sont dus à des dommages au niveau des membranes lysosomales entrainant le relargage d’enzymes hydrolytiques au niveau du cytosol. Les phénomènes de nécrose pourraient également être le résultat de la peroxydation lipidique et du dommage membranaire qui lui est consécutif (Kehrer, 1993). L’augmentation des lipides peroxydés au niveau du sérum sanguin constatée dans l’étude de Cooley et al. (2000) viendrait d’ailleurs corroborer cette dernière hypothèse.

5.3.2.6 - Phénomènes inflammatoires

Les macrophages sont impliqués dans les processus de la prise en charge et de la rétention de l’uranium. C’est notamment le cas au niveau des alvéoles pulmonaires dans le cas de contamination à l’uranium par inhalation (Tasat et De Rey, 1987). Les macrophages ainsi activés peuvent alors sécréter différents médiateurs : des cytokines pouvant être à l’origine de phénomènes pro- ou anti-inflammatoires. Cette réponse inflammatoire constitue l’un des éléments clés impliqués dans la défense d’un organisme. Cependant, une inflammation excessive ou persistante peut contribuer à l’apparition d’effets pathogènes.

Chez les mammifères, des études d’exposition à l’uranium in vitro de macrophages ont montré des effets sur la viabilité de ces cellules (Kalinich et al., 2002 ; Tasat et De Rey, 1987) mais également l’induction de la sécrétion de molécules impliquées dans les phénomènes d’inflammation (Gazin et al., 2004). D’autres études, menées in vivo sur des rats sujets à des inhalations de dioxyde d’uranium ont également permis de révéler l’induction de facteurs d’inflammation au niveau pulmonaire (Monleau et al., 2006).

Chez le poisson (Coregonus clupeaformis), des phénomènes inflammatoires ont également été rapportés par Cooley et al. (2000) lors d’examens histologiques réalisés à partir d’organismes exposés à l’uranium par voie alimentaire.