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5.4.4 - Conséquences cellulaires et subcellulaires

5.4.4.1 - Atteintes géniques et chromosomiques

L’étude de l’importance relative des effets chimiques et radiologiques de l’uranium en terme de génotoxicité a notamment été l’objet d’une publication de Miller et al. (2002b). Dans le souci de caractériser la contribution relative des propriétés chimiques et radiologiques de l’uranium, l’apparition d’aberrations chromosomiques telles que des dicentrismes ont été mesurées. Les résultats de cette étude montrent ainsi qu’une augmentation de la fréquence des chromosomes dicentriques n’est induite que par l’uranium appauvri et non pas après exposition au nickel. Or, une précédente étude (Schmid et al., 1997) a permis de montrer que de faibles doses de radiations caractérisées par un fort transfert d’énergie linéique (TEL) peuvent induire une augmentation de ce type d’aberrations chromosomiques. De ce fait, l’induction de telles aberrations par l’uranium suggère que ses caractéristiques radiologiques peuvent influer sur sa capacité à induire à la fois des dommages génotoxiques et une transformation néoplasique. Ceci révèle donc un effet des radiations dans la toxicité de l’uranium appauvri in vitro (Miller et al., 2002b).

Sur des modèles in vivo, les cellules germinales (spermatogonies et spermatocytes primaires) de souris mâles exposées à de l’uranium enrichi injecté au niveau testiculaire présentent des aberrations chromosomiques (Hu et Zhu, 1990). Chez l’Homme, différentes études menées chez des cohortes de personnes travaillant dans des mines d’uranium ont fait l’objet d’investigations relatives à l’apparition d’aberrations chromosomiques (Meszaros et al., 2004). Cependant, les résultats obtenus ont été liés à l’exposition aux émissions radioactives du radon et non à un quelconque effet radiotoxique de l’uranium. Par exemple, une étude menée sur des mineurs namibiens a permis de détecter de nombreuses anomalies chromosomiques au niveau de cellules sanguines. Cependant, aucune mention n’est faite quant à la possibilité d’une exposition au radon ni même d’une atteinte chimiotoxique de l’uranium (Zaire et al., 1997).

Ces effets génotoxiques vont pouvoir influer sur le devenir des cellules (apoptose , nécrose, cancérisation) et notamment être à l’origine d’anomalies héréditaires (figure 7).

Figure 7. Effets biologiques des rayonnements ionisants. Evolutions possibles au niveau cellulaire en fonction du temps. (Moustacchi et al., 2000)

NB : Tous les évènements indiqués n’ont pas la même probabilité de se produire. La survie cellulaire normale, par exemple, est le cas le plus fréquent après réparation de l’ADN.

5.4.4.2 - Cancérogénèse radio-induite

S’il est difficile de distinguer un cancer radio-induit d’un autre, l’étude de certains gènes semble indiquer que le spectre de mutations induit par les rayonnements ionisants diffère du spectre de mutations spontanées. Peu de données existent à ce sujet et aucune d’entre elles n’a permis de décrire les mécanismes cellulaires impliqués dans les phénomènes de cancérisation radio-induits. Néanmoins, quelques études mentionnent l’apparition de cancers radio-induits suite à des scenarii d’exposition à l’uranium (Mitchel et al.,1999 ; Leach et al., 1973) (§ 5.4.5.1).

5.4.4.3 - Mort cellulaire

Une des conséquences de l’induction de lésions peut être la mort cellulaire programmée (ou apoptose). Ainsi, une très forte dose d’irradiation s’accompagne généralement en quelques heures de l’arrêt des fonctions cellulaires et d’une cytolyse. C’est le moindre mal, car les lésions sont éliminées en même temps que la cellule. Cette mortalité dépend de la dose reçue, et n’atteint des taux élevés, dangereux pour la survie de l’organe touché ou de l’individu, que pour des fortes doses d’irradiations. Elle dépend toutefois aussi du tissu et du moment de la vie de l’individu.

5.4.4.4 - Les effets “non-ciblés” des radiations ionisantes

Au cours de la dernière décennie est apparue la preuve de l'existence de deux phénomènes cellulaires qui remettent en question les paradigmes classiques concernant l'induction d'effets biologiques par les rayonnements ionisants. Ainsi, selon ces paradigmes, (i) les dommages à l'ADN se produiraient pendant (ou très peu de temps après) l'irradiation des noyaux des cellules visées et (ii) la probabilité d’apparition de ces dommages se limiterait à une (voire deux) génération(s) de cellules (Grosovsky, 1999).

Or, quelques éléments probants ont maintenant émergé et remettent en cause les effets classiques résultant des dommages ciblés à l'ADN. Ces effets, dits "non-ciblés", s’expriment sous la forme d'importantes modifications génétiques survenant dans des cellules n’ayant pas été elles-mêmes exposées aux rayonnements ionisants (Belyakov et al., 2001). Il existe ainsi deux types d’effets “non-ciblés” : des effets de proximité (ou "effets bystander") et une instabilité génomique transmissible dans les cellules (pouvant survenir chez les descendants des cellules irradiées

originellement, après plusieurs générations de réplication). La caractéristique principale des effets "non-ciblés" est leur survenue particulière à de faibles doses.

(1) L’ effet “bystander”

L'effet bystander induit par les rayonnements est ainsi un phénomène par lequel des dommages cellulaires (échanges de chromatides sœurs, aberrations chromosomiques, apoptose, micronucléation, transformation, mutations et expression de gène) sont exprimés dans des cellules non irradiées mais voisines d'une ou plusieurs cellules irradiées (Nagasawa et Little, 1992 et 1999).

Un article récent (Zhou et al, 2000) a démontré que des cellules irradiées par des particules alpha pouvaient induire un effet mutagène de proximité dans les cellules voisines non directement traversées. Les auteurs démontrent également que le processus de communication de cellule à cellule joue un rôle critique dans la médiation de cet effet.

Le mécanisme de l'effet bystander n'est pas encore connu. Cependant, il y a des preuves que l'effet bystander peut avoir au moins deux voies différentes pour le transfert des dommages des cellules irradiées aux voisines non irradiées : par les jonctions de cellule à cellule (“gap junctions”) ou par des facteurs émis dans le milieu extracellulaire.

Azzam et al (1998) ont ainsi démontré que l'effet bystander dépend de la communication

intercellulaire dans les cultures confluentes de fibroblastes diploïdes humains exposés à des flux bas d'irradiation alpha. Ils ont notamment prouvé que les voies métaboliques p53 et p21 sont activées.

Le deuxième mécanisme de l'effet bystander proposé est la médiation de l'effet par la sécrétion de facteurs dans le milieu extracellulaire (Mothersill et Seymour, 1997 ; Cummins et al, 1999). Une série d'études (Lehnert et Goodwin, 1997a,b ; Narayanan et al, 1997) suggèrent un mécanisme alternatif dans lequel les cellules irradiées sécrètent des cytokines ou d'autres facteurs qui agissent pour augmenter les taux intracellulaires de formes réactives d'oxygène dans les cellules non irradiées. Narayanan et al (1997) ont montré que des facteurs issus du milieu de culture de cellules irradiées peuvent induire une augmentation des taux intracellulaires de formes réactives de l'oxygène, y compris le superoxyde et le peroxyde d'hydrogène. Ils pourraient jouer un rôle important dans le phénomène de transfert des dommages.

Les effets bystander radio-induits ont été largement décrits in vitro et in vivo sur des cellules d’une même lignée ou d’un même organisme, mettant en avant l’effet d’une communication intercellulaire. Cependant, peu d’études se sont portées sur une communication interindividuelle. Dans l’étude in vivo de Mothersill et al. (2006), des truites arc-en-ciel juvéniles ont été soumises à une irradiation de 0,5 Gy (dose reçue au niveau de l’organisme entier) avant d’être mises en contact pendant 2 h avec des poissons non irradiés. De plus, d’autres individus non irradiés ont été placés pendant 2 h dans une eau ayant préalablement contenu des poissons irradiés. A l’issue des 2 h de contact, les poissons (mis en présence de truites préalablement irradiées ou placés dans une eau en ayant contenu) ont été euthanasiés afin de procéder à différents prélèvements tissulaires (peau, nageoire, branchies, rein et rate). Les explants ainsi obtenus ont ensuite été mis en culture. Après 2 j, du milieu de culture a été collecté et analysé pour déterminer si un effet de type bystander a été induit. Après 14 j, des mesures de protéines impliquées dans la réponse aux radiations ont été effectuées. Des réponses significatives ne sont obtenues que pour les poissons mis en présence d’individus irradiés. Elles varient selon le tissu considéré, les branchies de même que les nageoires semblent être ceux pour lesquels la réponse est la plus prononcée. Ces résultats suggèrent que des facteurs de communication conduisant à l’induction de réponses spécifiques aux radiations peuvent être échangés entre les poissons, ces facteurs étant probablement sécrétés dans le milieu environnant sous la forme de messagers chimiques.

(2) L’instabilité génomique

Une autre conséquence de l’exposition cellulaire aux radiations est l’installation d’une instabilité génomique, qui accélère l’accumulation de mutations qui s’ajoutent à celles induites initialement. L'instabilité génomique induite par le rayonnement est définie comme une élévation persistante dans le taux d'apparition de novo de changements génétiques (mutations, aberrations chromosomiques et micronuclei) chez une population clonale (Little et al, 1997; Ullrich et Ponnaiya, 1998). Les cellules clonales subissent donc une sénescence accélérée, avec un risque accru de dérapage vers la transformation néoplasique. Cependant, ce processus ne semble guère concerner le risque héréditaire, bien que des instabilités génomiques aient été décrites chez des descendants d’irradiés (Calmet et al., 2003).