Chapitre 2 – Théories de l’apprentissage et adulte apprenant
4.1 Tout commence par l’étude des représentations :
Le mot représentation est un emprunt direct au latin repraesentatio, qui dérive lui-même du verbe
repraesentare, signifiant rendre présent. Le dictionnaire le Petit Robert donne de ce terme une
définition très large : « action de mettre devant les yeux ou devant l’esprit ». Il s’agit donc de
rendre présent soit sensoriellement (les yeux), soit mentalement (l’esprit) un objet (au sens large)
qui est absent (Mannoni, 1998).
Les emplois courants du mot rendent bien compte de cette distance entre l’objet absent et le sujet
qui en reçoit une impression ou s’en fait une image mentale (donc qui l’interprète en fonction de
ses filtres personnels). Une représentation est toujours « représentation de quelque chose pour
quelqu’un, à un moment donné ».
« Au-delà du constat que les représentations de l’apprenant peuvent constituer un obstacle à
l’apprentissage(Giordan, 1983), l’utilité de la problématisation en termes de représentation n’est
plus contestée, pour sa capacité à restituer la complexité de la relation éducative qu’elle permet
d’intégrer comme situation globale » (Zaouani-Denoux, 2003). Giordan préfére le terme
conception à celui de représentation ou d’images mentales : « la conception n’est pas le produit
de la pensée, elle résulte de l’activité mentale que gère l’apprenant pour réguler son
environnement ». C’est pour cela que le mot « culture » n’exprime pas spontanément les mêmes
conceptions des enfants d’agriculteur, d’un artiste, ou encore cette d’un biologiste.
À cela s’ajoute la notion de cadre de référence (parfois dénommé paradigme), soit l’ensemble
d’idées, d’opinions, de valeurs propres à un individu (ou à un groupe) et en fonction duquel cet
individu donne un sens à ce qu’il dit ou reçoit. Chaque apprenant évalue la réalité avec son propre
cadre de référence.
Catalyseur ou inhibiteur des situations d’apprentissage, les représentations renvoient directement
à considérer l’apprenant comme une personne et à légitimer son savoir personnel, même de sens
commun, ainsi que son projet. Par ailleurs, elle tend à rendre indissociables l’acte éducatif et son
contexte, des finalités sociales qui les informent.
Comment imaginer toucher (et à fortiori bouleverser) un apprenant si son référentiel est si
éloigné de celui du sachant ? Or, chacun, par son expérience sociale, familiale, professionnelle,
associative, par ses apprentissages formels ou informels, détient une représentation singulière
d’une réalité. Et c’est encore plus vrai si l’apprenant est plus âgé, si ses expériences sont riches
et nombreuses. Ces informations sont codées, organisées, catégorisées dans un système cognitif
global. Tout à la fois, les représentations antérieures filtrent, trient et élaborent les informations
reçues et, en retour, peuvent parfois être complétées, limitées ou transformées, ce qui donne
naissance à de nouvelles représentations. L’adulte apprenant est donc emprunt, tout
particulièrement, de représentations.
4.1.2 Évolution des conceptions initiales
Malglaive (1990) s’intéresse à la notion de Système de Représentation et de Traitement (SRT),
emprunté à Hoc (1987) et aux travaux de Piaget. Il explique les deux étapes qui constituent le
fonctionnement du système mental :
Une étape d'assimilation qui consiste à prendre une situation nouvelle et à « digérer »
cette situation dans le cadre déjà construit.
Une étape d'accommodation qui consiste à modifier le cadre sur les caractéristiques de
la nouvelle situation.
Pour Giordan (1998), apprendre « c’est modifier la structure de son savoir ou passer d’un état de
savoir à un autre, généralement sous l’influence d’un ensemble d’informations nouvelles ».
Apprendre, c’est donc transformer ses conceptions. L’apprenant reçoit des informations
nouvelles ou est soumis à des problèmes : si ses conceptions initiales (savoir antérieur) sont
indispensables pour permettre de créer le lien entre le savoir acquis et celui à acquérir, elles
peuvent représenter un obstacle si elles ne sont pas bouleversées (une accommodation n’entraîne
pas systématiquement une meilleure compréhension du problème) et non surmontées :
Figure 56 - Les conceptions initiales empêchent l’apprentissage (Giordan, Pellaud & eastes, 2005)
Si le problème provoque une transformation des conceptions, sa résolution induit un gain
cognitif. Comme le suggère Vygotski (1934), cette transformation n’est possible qu’à la
condition qu’elle se produise dans la zone proximale de développement de l’apprenant. Si cette
zone est trop étroite, ou le problème est trop bouleversant, des interventions didactiques doivent
permettre, par pallier et par étape, de parvenir au changement de conception.
Si la méthode consiste donc à perturber pour déconstruire et accompagner pour reconstruire, les
bouleversements de conceptions ne sont pas toujours aisés : l’apprenant peut effectivement
résister à la dépossession de ses conceptions, qui jusqu’alors lui permettent d’interpréter son
environnement. Il convient alors pour le formateur (le cas échéant le scénario pédagogique qu’il
met en œuvre) de provoquer une perturbation, une dissonance pour provoquer la brèche qui
autorisera une reconstruction d’un autre savoir, aussi fiable que celui qui a été abandonné. Pour
y parvenir, Giordan, Pellaud et Eastes (2005) proposent une combinaison de stimulations de la
motivation de l’apprenant (sa curiosité, son désir d’apprendre, sa soif de savoir…) et de
perturbations amenant le même apprenant à être déstabilisé et préparé à une nouvelle conception.
Giordan, Pellaud et Eastes (2005), alertent sur le possible retour aux conceptions initiales malgré
la perturbation, si cette dernière ne parvient pas à stabiliser la nouvelle conception. Cette
efficacité n’est pas uniquement liée à la justesse de la conception proposée, mais aussi à la
confiance qu’elle inspire à l’apprenant : l’auteur parle alors de « fiabilité », qui trouve son origine
dans trois principes :
Le savoir a un caractère opératoire,
La communauté de l’apprenant (pairs, famille, amis, formateurs, collègues…) valide le
savoir,
L’affection est touchée (par exemple la fierté de maîtriser ce nouveau savoir).
Figure 57 - Dépassement des conceptions initiales pour l’apprentissage (Giordan, Pellaud & Eastes, 2005)
Si, pour Piaget, l'accommodation est l’aménagement des structures cognitives, des
connaissances, en fonction de nouvelles données et leur assimilation, constituant un mouvement
d'intégration d'éléments de l'environnement extérieur chez l'individu, Malglaive introduit quant
à lui la notion d'équilibre, en expliquant qu'il peut y avoir perturbation quand il y a contradiction
entre les représentations déjà construites et les informations nouvelles qui arrivent ; nous parlons
de bouleversement. Giordan (1998) parle lui de métamorphose : « les questions, les idées
initiales, les façons de raisonner habituelles deviennent autres quand l’individu a appris ». C'est
le conflit cognitif, c'est-à-dire le moment où l'assimilation ne fonctionne plus de façon efficace
pour maintenir l'équilibre et où l'accommodation se met en marche pour permettre l'adaptation
qui engendrera un nouvel équilibre. Le conflit cognitif s'inscrit donc dans un acte où
« apprendre » se définit comme un processus évolutif de modification et d'appropriation du réel.
Négliger la représentation des apprenants dont on cherche à faire acquérir de nouvelles
compétences, de nouveaux savoirs, risque de rendre difficile tout bouleversement indispensable
à l’apprentissage. Mais la prise en compte des représentations de l’apprenant ne suffit pas à lui
donner toutes les chances pour son apprentissage. Les conditions d’exercice de cet apprentissage
doivent être propices : perturbations et pollutions de toutes sortes peuvent en effet empêcher
l’apprenant d’être en condition d’apprendre.
Passons maintenant à la seconde étape du cycle de l’apprentissage.
4.2 Le pas de côté
Dans le document
E-learning en formation pour adulte : quelles conditions préalables au changement ?
(Page 145-149)