Chapitre 2 – Théories de l’apprentissage et adulte apprenant
2.7 Le socioconstructivisme et son expression en e-learning
2.7.1 Définition
La construction d'un savoir (bien que personnelle) s'effectue dans un cadre social. Les
informations sont en lien avec le milieu social, le contexte et proviennent à la fois de ce que l'on
pense et de ce que les autres apportent comme interactions.
« Dans de nombreuses situations de sa vie, une personne est en conflit sociocognitif lorsque ses
conceptions et structures cognitives sont confrontées à des informations perturbantes,
incompatibles avec son système de connaissances préalable. La perturbation cognitive qui en
découle va engager la personne dans la recherche d’un nouvel équilibre qui tiendra compte des
informations perturbantes » (Daele, 2011). Tout comme pour le constructivisme, le
socioconstructivisme suppose que la connaissance soit une construction ; néanmoins, cette
construction est d'ordre social et non individuel. Le concept de conflit sociocognitif s'éloigne de
la conception individualiste de Piaget. Vygotski a particulièrement souligné l'importance de
l'interaction sociale dans le développement de la connaissance pour l’apprentissage : la
construction d'un savoir, bien que personnelle, s'effectue dans un cadre social. Les informations
sont en lien avec le milieu social, le contexte, l’environnement et proviennent à la fois de ce que
l'on pense et de ce que les autres apportent comme interactions. Ainsi, la connaissance est le
résultat d'une confrontation de points de vue. Enfin, la théorie de la cognition distribuée pousse
cette conception à l'extrême en affirmant que la connaissance est de nature exclusivement sociale,
le groupe étant lui-même vu comme un système cognitif complexe.
Le socioconstructivisme met en jeu plusieurs concepts :
L’interdépendance de l’apprentissage et de l’environnement social de l’apprenant : c’est
l’émergence des controverses constructives (constructice controversy), ou discussions où
les apprenants cherchent à résoudre en coopération une question posant débat
(c’est-à-dire suscitant un déséquilibre dans le groupe, en mesure de déclencher un processus de
réflexion personnelle – équilibration). Ce nouvel équilibre n’est pas que cognitif ; il est
aussi social, dans le sens où le conflit n’est pas intra individuel mais interindividuel.
La théorie du conflit sociocognitif.
2.7.2 Les grandes figures du socioconstructivisme
Vygotski : articule plusieurs concepts clés qui sont essentiels dans la compréhension du
développement précoce de l’enfant. Un des plus importants est celui concernant les zones de
développement dont la zone proximale de développement (ZPD) qui décrit l’espace entre les
tâches que l’enfant (l’apprenant) peut réaliser tout lui-même et celles qu’il parvient à réaliser
avec l’aide d’une personne plus avancée dans le domaine. La ZPD est donc tout ce que l’élève
(l’apprenant) peut maîtriser quand une aide appropriée lui est accordée. Vygotski pensait que les
enfants peuvent réaliser et maîtriser des problèmes difficiles, quand ils sont guidés et aidés par
une personne compétente (généralement un adulte) au cours d’une collaboration.
Butera et Buchs (2004) introduisent les notions de centration (focusing) et décentration
(decentring), pour qualifier des points de vue dans les activités de raisonnement et de prise de
décision. La centration est un phénomène qui a lieu lorsque, par exemple dans un débat, les
participants se focalisent uniquement sur leurs modèles de pensée, en ignorant d’autres façons
de considérer la problématique. La décentration est un phénomène qui se produit lorsque les
participants à un débat prennent en compte dans leur argumentation le point de vue d’autrui et
construisent des modèles explicatifs alternatifs. Cette décentration s’opère en fonction de la
représentation sociale de la discussion que se font les participants et de l’influence sociale qui a
lieu au sein du groupe en débat (Butera et Buchs, 2004). Dans le cas d’adultes en formation, deux
différences fondamentales méritent d’être mentionnées :
D’une part, dans les discussions entre adultes, il est rare qu’il n’y ait qu’une seule réponse
correcte qui résolve le débat. Bien souvent, chaque participant a sa propre idée du sujet
avant que la discussion ne s’engage et au terme de celle-ci, chacun a fait évoluer son point
de vue en fonction de ce qu’il considère comme pertinent à conserver pour faire évoluer
ses conceptions du sujet. Les débats politiques entre partisans, par exemple, illustrent bien
le mécanisme de controverse ;
D’autre part, bien plus que chez les enfants, les connaissances et les compétences des
adultes sont liées à leur expérience préalable et au développement de leur identité tout au
long de leur vie. Pour un adulte, discuter de ses connaissances et compétences, c’est
éventuellement remettre en cause son expérience et son identité. Ceci peut parfois rendre
impossible la résolution de conflits sociocognitifs si par exemple une personne se sent
agressée dans un débat, au sujet de ses compétences.
Bourgeois et Nizet (2005) mettent ainsi en évidence quatre conditions favorables à l’apparition
et à la résolution de conflits sociocognitifs chez les adultes en formation :
1) Le degré d’asymétrie de la relation sociale : dans des relations hiérarchiques ou
d’évaluation, le conflit peut n’être résolu que sur le plan relationnel, par complaisance ou
pour garder le statu quo dans la relation (respect, peur de décevoir, soumission).
L’asymétrie de la relation dépend de plusieurs facteurs qui peuvent tout de même
conduire à une résolution cognitive du conflit : le soutien d’un tiers à la réponse de la
personne « dominée », la représentation qu’ont les personnes de la relation sociale, la
signification sociale de la tâche... De façon générale, une relation fortement asymétrique
est susceptible d’enclencher un mode de régulation du conflit sociocognitif peu favorable
à l’apprentissage.
2) L’intensité de la relation sociocognitive peut avoir un impact positif sur l’apprentissage :
elle est fonction de la fréquence des interactions verbales et des désaccords entre les
personnes ou de l’intensité de l’argumentation de chacun.
3) Les caractéristiques socio-affectives de l’interaction sociale : la qualité du climat social
de la relation a un impact sur la résolution cognitive du conflit et donc sur l’apprentissage
(bienveillance).
4) Les prérequis cognitifs et sociaux devant être maîtrisés par les partenaires de
l’interaction : le degré de préparation des personnes à entrer en conflit avec d’autres, que
ce soit sur le plan cognitif ou sur le plan relationnel, a un effet sur la résolution cognitive
de ce conflit.
2.7.3 Quelle traduction en e-learning ?
Certaines activités pédagogiques ont pour intention spécifique de susciter l’émergence de
discussions et de débats entre les apprenants : séminaires, apprentissage par problème,
apprentissage par projet, discussions de groupe, etc. Cette communication favorise l’apparition
et la résolution de conflits sociocognitifs dans le cadre de l’apprentissage des adultes pour ensuite
proposer plusieurs pistes d’exploitation de ces théories dans le cadre d’activités pédagogiques.
Le e-learning, dans la mesure où il ne met pas en œuvre de travaux d’échanges et de
collaboration, échappe facilement à cette opportunité. Dans le cadre du Blended-learning, il
conviendra alors de réserver les séquences de regroupement (physiques ou pas) pour mettre en
œuvre ces activités ; sinon, des espaces de travail collaboratif, ou d’échange peuvent permettre
de compenser ces interactions. Dans la situation la plus isolée (strict e-learning, distant et
déconnecté), il peut être imaginé de proposer des témoignages, avis ou travaux d’autres
apprenants pour permettre, en autonomie, l’enrichissement. On le voit, ce courant s’adapte mal
au e-learning ; les situations blended, l’alternance des modalités, le recours aux outils « 2.0 »,
peut permettre sa mise en œuvre et contribuer aux échanges et débats encourageant l’apparition
et la résolution des conflits : en ce sens, une première acculturation sur un sujet, ou le lancement
d’une question polémique ou dérangeante, évoquée en e-learning, peut avantageusement
contribuer à un échange rapide et efficace en groupe (bouleversement intra individuel).
Figure 43 - L’alternance des phases de questionnement intra individuel et interindividuel
Si le recours courant socioconstructiviste est trèsséduisant, il apparaît le plus difficile à traduire
en e-learning. Soit il existe dans le cadre de l’alternance des modalités pédagogiques (médiation
en Blended-learning), soit il faut en quelque sorte reconstruire artificiellement des points de vue
et des échanges sous forme de médiatisation (paroles d’acteurs, témoignages, micro-trottoir…)
afin d’apporter des points de vue différents de ceux de l’apprenant. Si cette construction peut
paraître complexe et artificielle, elle gomme néanmoins l’inégalité des débats selon les groupes.
En effet, on peut concevoir que la qualité, l’implication, la diversité soient très liées à la
représentation des débateurs. Si tel groupe témoigne d’une grande richesse, un autre peut être
moins profitable. Si les témoignages sont médiatisés, alors on peut être sûr de la constance de
leur ambitus.
La classe inversée (flipped classroom) est une approche pédagogique qui inverse la nature des
activités d'apprentissage en classe et à la maison, ce qui amène une modification des rôles
traditionnels d'apprentissage. Autrement dit, les apprenants doivent impérativement étudier leurs
cours chez eux, pour que les activités en groupe deviennent plus concrètes. Par ces
regroupements, ces derniers ne font que des exercices d’applications et de découvertes. Ce n'est
plus l'enseignant qui apporte des connaissances d’un nouveau chapitre, mais il aide l’élève pour
la compréhension des notions importantes et a plus de temps pour suivre l’élève au cas par cas.
L'enseignant joue donc le rôle de guide dans les apprentissages de l'élève. Ce schéma (par rapport
à la figure page 119) exploite les deux premières phases. En Blended-learning, ce principe est
Dans le document
E-learning en formation pour adulte : quelles conditions préalables au changement ?
(Page 117-121)