Chapitre 2 – Théories de l’apprentissage et adulte apprenant
2.9 Le cognitivisme et son expression en e-learning
Le cognitivisme regroupe trois courants : le constructivisme, le cognitivisme « traitement de
l’information » et le cognitivisme pédagogique.
80 Article paru dans Science en 1968.
2.9.1 Définition
Le cognitivisme succède au néo-béhaviorisme (au moins chronologiquement), en s’y opposant.
En effet, il part du principe que des facteurs internes à l’individu sont en cause dans
l’apprentissage. Il revendique l’accès à des processus cognitifs internes. Le style cognitif,
personnel à chaque individu, définit des manières différentes d’agir face à une situation, ce qui
est caractéristique du cognitivisme.
C’est le courant pédagogique qui fait l'hypothèse que la pensée est un processus de traitement de
l'information, cadre théorique qui s'est opposé au béhaviorisme. La notion de cognition (dans le
sens de processus) y est centrale. Elle décrit des stratégies pour assimiler, retenir et réinvestir les
connaissances. Pour cela, elle s’intéresse à la perception, à la mémoire, au fonctionnement du
cerveau.
2.9.2 Quelques auteurs se rapportant au cognitivisme
La première mise en cause sérieuse des conceptions béhavioristes remonte à la publication par le
psychologue Miller en 1956 de son célèbre article " Le nombre magique 7, plus ou moins 2 "
dans lequel il met en évidence les limites physiologiques de la mémoire humaine. Selon ce
chercheur, cette limite rend difficile la mémorisation de plus de 7 éléments isolés ce qui est
difficilement compatible avec la conception béhavioriste qui voit la mémoire comme un
réceptacle vierge dans lequel viennent s'accumuler les connaissances. Miller introduit la notion
d’empan mnésique, comme le nombre d’éléments que l’on peut restituer immédiatement après
les avoir entendus. La mémoire à court terme ayant une capacité limitée, ce nombre peut être
plus faible si une tâche concurrente vient perturber l’enregistrement des éléments. Au quotidien,
cette notion limite le nombre d’items dans une liste ou un menu pour être efficace : ainsi, dans
les interfaces vocales (taper 1 pour accéder au service commercial, taper 2 pour…), l’utilisateur
retiens plus facilement les premiers items de la liste (effet de primauté) et les derniers (effet de
récence).
Bruner (1915-2016) est un autre précurseur du cognitivisme. Dans le cadre de ses travaux sur la
catégorisation, basés sur le classement de cartes comportant des formes et des couleurs
différentes, Bruner se rend compte que les sujets utilisent des stratégies mentales différentes.
Certains procèdent à partir d'une carte de référence (focusing), d'autres réalisent un classement
basé sur l'ensemble des cartes (scanning). Cette notion de stratégie mentale constitue un
changement radical de perspective par rapport au béhaviorisme en s'intéressant aux démarches
cognitives mises en œuvre par le sujet.
Il est essentiel de prendre en compte ce que l'apprenant connaît déjà : Ausubel (1918-2008), est,
joué par les processus de structuration dans l'apprentissage. Mais contrairement à Bruner,
Ausubel refuse la conception constructiviste selon laquelle un apprentissage en profondeur ne
peut se faire qu'en confrontant l'apprenant à des problèmes : pour lui, l'idée qu'un enseignement
basé sur la communication d'informations par l'enseignant conduit nécessairement à des
apprentissages de faible niveau est erroné car, pour autant que l'on prenne soin d'intégrer les
connaissances nouvelles à celles que l'apprenant maîtrise déjà, cette forme d'enseignement peut
être tout aussi efficace que d'autres stratégies telles que par exemple l'enseignement par
découverte proposé par Bruner. Pour légitimer cette idée, Ausubel s'attache à mettre en évidence
les éléments qui facilitent chez l'apprenant "l'ancrage" entre ce qu'il connaît déjà et ce qu'il a à
apprendre. Pour parvenir à cet ancrage et permettre un apprentissage significatif, Ausubel
propose de recourir à divers éléments qui permettent de structurer le matériel d'apprentissage, les
"structurants antérieurs". Ce sont des textes courts, des schémas ou des graphiques, le plus
souvent présentés en début de l'apprentissage, qui doivent faciliter la mise en relation des
éléments faisant l'objet de cet apprentissage, ainsi que le lien avec les éléments déjà maîtrisés,
disponibles dans la structure cognitive de l'individu. En parallèle des structurants antérieurs,
Ausubel (1978) souligne le rôle d'une autre forme de structurants : les structurants comparatifs.
Ces derniers ont pour fonction essentielle d'amener l'apprenant à établir des liens entre différentes
parties du matériel d'apprentissage proposé en utilisant des tableaux, des graphes, des
organisations…
Figure 45 - Les conditions d’un apprentissage, d’après Ausubel (1978)
Mais attention, un matériel bien structuré ne suffit pourtant pas à l'apprentissage, il faut éveiller
chez l’apprenant le désir, la motivation. Par exemple, lorsqu'on observe un apprenant confronté
à un matériel pourtant bien structuré présenté sur ordinateur, on peut se rendre compte que
l'apprenant peut contourner cette structuration, pour réaliser au final des activités moins
intéressantes que celles espérées. Autre principe important pour l'apprentissage, celui de
différentiation progressive : dans un premier temps, on présente les idées générales liées au
contenu que l'on veut voir assimilés, puis on établit des différences de plus en plus précises.
Pour Ausubel, l'efficacité d'une telle approche tient essentiellement au fait que la structure
cognitive est elle-même organisée selon un principe hiérarchique basé sur la différentiation
progressive. Ces principes proposés il y a plus de trente ans paraissent aujourd'hui évidents, mais
à l'époque, au même titre que les approches proposées par Bruner, ces idées sont souvent
apparues comme fort originales voire révolutionnaires par rapport aux approches préconisées par
les tenants du béhaviorisme radical.
2.9.3 Quels liens entre cognitivisme et e-learning ?
Avec l'émergence de l'informatique, qui a permis de concevoir un comportement intelligent sur
la base d'un langage formel réglant la manipulation de symboles, le cognitivisme s'est développé
et a supplanté le béhaviorisme dans l'étude scientifique des comportements intelligents. Il est
devenu à partir des années 1970 un paradigme classique des sciences cognitives et de la
philosophie de l'esprit.
L’influence des théories cognitivistes a provoqué l’émergence d’applications éducatives et d’un
champ de recherche concernés par les modalités de représentation de la connaissance, de
l’apprenant en particulier, au moyen de techniques généralement issues de l’intelligence
artificielle. Ce domaine, qualifié à ses débuts d’enseignement intelligemment assisté par
ordinateur (EIAO
81) cherche à modéliser les connaissances dont dispose l’apprenant au moment
de son apprentissage (modèle de l’élève), le contenu à apprendre ou les comportements à acquérir
(modèle du domaine ou modèle de l’expert), afin d’amener le « novice » à se rapprocher de l’«
expert » par l’entremise d’aides fournies sur la base d’un troisième modèle, le « modèle
pédagogique », dont le rôle se limite généralement à sélectionner les connaissances de l'expert
sur lesquelles porte l’intervention du système (Mendelsohn et Dillenbourg, 1993).
Figure 46 - Le modèle de l’EIAO
Apprendre revient donc ici à « acquérir les connaissances nécessaires à la mise en œuvre du
comportement cible ». Comme le résument Vivet et Lehuen (1998), le passage de l’EAO à
l’EIAO marque une « évolution du découpage de la matière et de la prescription de scénarios
pédagogiques en EAO à la représentation explicite de la connaissance à acquérir avec des
techniques d'intelligence artificielle ». Les difficultés rencontrées par les chercheurs dans
l’élaboration des « tutoriels intelligents » ont pour effet de freiner les travaux entamés par ce
courant. Cependant, pour des auteurs comme Baker (2006) et Stahl (2006), celui-ci est toujours
actif dans les domaines de connaissance qui peuvent être définis de manière algorithmique.
2.9.4 Du constructivisme au socioconstructivisme
À l’instar de Piaget et du constructivisme, le socioconstructivisme suppose que la connaissance
est une construction, mais cette construction est d'ordre social et non individuel. Vygotski le
premier a souligné l'importance de l'interaction sociale dans le développement de la
connaissance. Pour lui, la construction d'un savoir, bien que personnelle, s'effectue dans un cadre
social. Les informations sont en lien avec le milieu social, le contexte et proviennent à la fois de
ce que l'on pense et de ce que les autres apportent comme interactions. D’autres, comme Doise
et Mugny (1981), postulent que la connaissance est le résultat d'une confrontation de points de
vue. Enfin, la théorie de la cognition distribuée pousse cette conception à l'extrême en affirmant
que la connaissance est de nature exclusivement sociale, le groupe étant lui-même vu comme un
système cognitif complexe.
Les travaux de Doise et Mugny prolongent donc ceux de Piaget et de Vygotski. Ils présentent les
interactions entre pairs comme source de développement cognitif, à condition qu'elles suscitent
des conflits appelés sociocognitifs. L'interaction sociale devient constructive lorsqu’elle
introduit une confrontation entre les conceptions divergentes. Au cours d'une interaction au sein
d'un groupe, un premier déséquilibre interindividuel apparaît lorsque chaque apprenant est
confronté à des points de vue singuliers. Ce dernier prend alors conscience de sa propre pensée,
en relation à celle des autres. Ce qui provoque un deuxième déséquilibre de nature intra
individuelle : l'apprenant est amené à reconsidérer, simultanément, ses propres représentations et
celles des autres pour reconstruire un nouveau savoir. Dans cette perspective, l’apprentissage
« peut être vu comme un processus actif et constructif au travers duquel l’apprenant manipule
stratégiquement les ressources cognitives disponibles de façon à créer de nouvelles
connaissances en extrayant l’information de l’environnement et en l’intégrant dans sa structure
informationnelle déjà présente en mémoire » (Kozman, 1991, cité par Lebrun, 2007b).
Dans le document
E-learning en formation pour adulte : quelles conditions préalables au changement ?
(Page 125-129)