Chapitre 2 – Théories de l’apprentissage et adulte apprenant
3.3 Différentes caractéristiques de la motivation
Plusieurs auteurs (Carré, 2005 ; Carré et Fenouillet, 2009) rappellent les caractères intrinsèques
et extrinsèques
86de la motivation des apprenants selon le but recherché (acquisition d’un savoir,
d’un contenu ou autre).
L’axe vertical des illustrations ci-après répartit les motifs d’engagement en formation suivant
qu’ils sont liés aux apprentissages visés ou au fait de participer à la formation en soi. L’axe
horizontal répartit les motifs suivant qu’ils sont liés à des motifs externes à la formation (la
formation est vue comme un moyen d’atteindre des objectifs qui lui sont extérieurs) ou
intrinsèques à la formation (le résultat attendu est confondu avec l’activité de formation).
86 La motivation à se former correspond aux forces internes et/ou externes qui incitent l’apprenant à agir, à faire des choix, à se concentrer et à réaliser une tâche particulière. Si ces forces sont internes (c’est-à-dire si l’apprenant trouve en lui et lui-même sa motivation, on parle de motivation intrinsèque. À l’inverse, si ces forces sont externes (des pressions, des récompenses, des promesses…) la motivation est alors qualifiée d’extrinsèque.
Figure 50 - Les motivations de l’engagement en formation, adapté par Carré et Caspar (2011)
À partir de ces quatre orientations motivationnelles
87, Philippe Carré (1998) relève dix motifs
88d’engagement en formation :
Trois motifs intrinsèques :
- Motif épistémique : Apprendre pour le plaisir d’apprendre, la formation est une source
de plaisir en soi.
- Motif socio-affectif : La formation pour bénéficier de contacts sociaux, d’échanges et
dans le but de communiquer avec autrui.
- Motif hédonique : Motif lié aux conditions pratiques du déroulement de la formation, à
l’ambiance de la formation
Sept motifs extrinsèques
- Motif économique : la formation permet à l’individu d’obtenir des avantages
économiques
- Motif prescrit : l’individu entre en formation sur pression ou conseil de la hiérarchie ou
d’autrui.
87 Ces motifs sont également évolutifs, puisqu’ils ne sont jamais fixes, mais changent selon la personne et son vécu (Carré, 1998).
88 Plus précisément, Carré dénombre trois caractéristiques des motifs d’engagement en formation : ils sont pluriels, contingents, évolutifs. Pluriels renvoie à une combinaison de motifs (2 à 3 en moyenne) pour expliquer l’engagement en formation. Contingents, parce que les motifs dépendent du contenu des formations. Et évolutifs dans le sens où une personne présentera des tableaux motivationnels différents à deux époques de sa vie. Les descriptions de cette thèse s’attachent à l’observation isolée de chacun des dix motifs d’engagement ; en pratique les trois caractéristiques rendent indispensable un traitement plus subtil, tenant compte de leur mixité.
- Motif dérivatif : la formation pour éviter des situations ou des activités désagréables
(mauvaise ambiance, manque d’intérêt au travail, problèmes familiaux…)
- Motif opératoire professionnel : se former pour acquérir des compétences nécessaires
pour le travail.
- Motif opératoire personnel : se former dans le but d’acquérir des compétences en dehors
du travail (loisirs, vie familiale etc.)
- Motif identitaire : la formation comme reconnaissance de l’environnement et de l’image
de soi.
- Motif vocationnel : la formation permet d’acquérir des compétences dans une vision
d’orientation professionnelle, de gestion de carrière, par exemple
Le schéma de Carré se présente en quatre quadrants. Dans le premier, les motivations visent
l’acquisition de contenus et de compétences, soit pour l’activité professionnelle existante ou
visée, soit pour une activité extraprofessionnelle. Les efforts en formation se justifient donc par
ce besoin ressenti d’exercer des compétences utiles dans un environnement visé. La perspective
de la retraite, la diminution des chances de promotion et d’évolution professionnelle, viennent
diminuer le « retour sur investissement » (ROI) attendu par l’individu de son engagement en
formation :
Figure 51 - L’engagement guidé par une motivation extrinsèque, pour se former
Les efforts à produire, pour ces situations, sont relatifs : l’apprenant développe suffisamment de
motivation, donne du sens à ses efforts (intérêt personnel et/ou professionnel,
extraprofessionnel). La finalité, c’est le diplôme, l’accroissement ou le développement de
compétences pour occuper un poste ou une fonction recherché.
Autre cadran, les raisons de l’engagement, lorsque l’apprentissage vise essentiellement
l’acquisition de contenus (savoirs, savoir-faire, savoir-être) et que la motivation dépasse le seul
cadre de la participation à la formation peuvent être liés au seul plaisir d’apprendre :
Figure 52 - L’engagement guidé par une motivation intrinsèque, pour se former
Dans ce cas, la motivation intrinsèque est tellement forte qu’elle suffit à l’engagement, voire
même dépasser les éventuelles difficultés rencontrées (accès à la formation, interface, modalité
d’accompagnement pauvre…). En dehors de la publicité de la formation, les efforts pour
convaincre et fidéliser restent symboliques. Bon nombre de candidats spontanés aux MOOC (par
exemple par le biais de FUN), répondent à ce profil, ou des bénéficiaires des formations du type
« université pour tous ».
Mais les individus ne s’inscrivent pas nécessairement en formation pour apprendre : les raisons
peuvent venir de l’externe (la hiérarchie l’impose, c’est la politique de l’entreprise, c’est
obligatoire pour poursuivre l’activité, c’est le passage obligé pour gagner plus…) ou interne
(s’aérer, faire une pause, changer d’air…) :
Pour les Ressources Humaines, l’aspect économique est souvent premier. La motivation à se
former est extérieure à la formation elle-même, le bénéfice est davantage espéré sur les résultats
de production qu’à l’acquisition de savoirs (les raisons de la participation sont ici d’ordre
explicitement matériel : le fait de participer à la formation apportera des avantages de type
économique).
Figure 54 - L’engagement guidé par une motivation intrinsèque, pour la satisfaction procurée
Les salariés ayant bénéficié d’une formation dans les trois dernières années, revendiquent quant
à eux une meilleure maîtrise professionnelle : « il s’agit ici d’acquérir les compétences
nécessaires à la réalisation d’activités spécifiques ». Le contenu de la formation a donc toute son
importance. Et la réponse « épanouissement professionnel et personnel » peut recouvrir à la fois
des motivations pour des objectifs extérieurs à la formation elle-même (opératoire personnel,
vocationnel, identitaire
89) ou pour le fait même d’être en formation : le plaisir d’apprendre (motif
épistémique), d’échanger et de partager (socio affectif), d’être « dans une bonne ambiance »
(hédonique). C’est la priorité des salariés n’ayant pas bénéficié, depuis fort longtemps, de
formation.
On le voit, pour certains, la formation est un moyen de résoudre un dysfonctionnement
personnellement préjudiciable - elle est donc utilitaire, ou de construire un nouveau projet :
promesse d’un devenir recherché : conforter une expertise, progresser dans la hiérarchie, assurer
une employabilité interne ou externe, s’assurer d’une reconnaissance sociale ou familiale etc.
89 Acquérir des compétences et/ou la reconnaissance symbolique nécessaire à une transformation –ou une préservation- de ses caractéristiques identitaires – professionnelles, sociales…- à travers le maintien ou la transformation du statut social (…), de la fonction, du niveau de qualification.
Pour les premiers, une formation qualifiante
90est sans doute privilégiée, alors que les seconds
recherchent une formation certifiante
91, voire diplômante
92.
Pour tous - mais sans doute bien plus pour les premiers - il convient donc de légitimer l’effort et
l’investissement qu’impose l’entrée en formation (l’adhésion). En expliquant le(s) but(s)
recherché(s), les bénéfices visés et en réunissant les conditions nécessaires (temps alloués,
matériel, détachement de contraintes…), il est sans doute possible de mobiliser l’apprenant, de
l’inciter à démarrer la formation. Si la motivation ne se décrète pas, les encouragements et la
démonstration d’intérêts peuvent concourir à un engagement.
Plus tard, il s’agit de veiller à apporter à l’apprenant les réponses et les engagements promis dans
le « contrat
93». Car après la phase de séduction, il convient de fidéliser l’apprenant, l’inciter à
aller jusqu’au terme de sa formation. Or, chaque incident (technique par exemple), chaque
déception, chaque promesse non tenue peut être le prétexte pour que des apprenants non
convaincus abandonnent, « pour de bonnes raisons » : si par malheur un login défaille, un
hyperlien meurt, une vidéo ne se lance pas… le pretexte est bon pour justifier le renoncement,
pour excuser l’abandon.
La motivation, une histoire d’âge ?
Plutôt que l’âge, l’expérience ou l’ancienneté professionnelle peut influencer le type de
motivation. En effet, la perspective de la retraite ou la diminution des chances de promotion
et d’évolution professionnelle, peut venir diminuer le « retour sur investissement » attendu
par l’individu de son engagement en formation (opératoire professionnel). Il semble plus
facile, également, d’accepter une transformation de l’identité professionnelle en fin
d’aventure professionnelle (motifs d’ordre vocationnel et identitaire). À l’inverse, une
motivation sur un opératoire personnel peut continuer à inciter à un engagement en
formation. « Histoire de vie et histoire d’apprenant sont intimement liées », d’après Carré
(2005). Les séniors ne sont pas moins motivés que d’autres, leurs motifs se forgent
simplement différemment.
Notre recherche ne traite pas des raisons de l’adhésion à la formation, des motifs d’engagement
en formation et des « recettes » pour la susciter. Ces raisons sont de plus rarement univoques.
90 Les formations qualifiantes ont une visée professionnelle plus immédiate. Elles attestent en effet d’une qualification professionnelle acquise, bien qu’elles ne débouchent pas sur un titre.
91 Les formations certifiantes débouchent sur un certificat de qualification figurant sur des listes établies par les commissions paritaires nationales de l’emploi des branches professionnelles. Elles sont reconnues par les branches professionnelles.
92 Les formations diplômantes sont sanctionnées par un diplôme d’Etat. Les diplômes sont classés par niveau 1, 2, 3, 4, 5 et 5 bis selon le nombre d’années d’études suivi.
93 Le contrat pédagogique (un exemple de contrat est disponible en annexe 14, page 483): Ce que vous allez apprendre…
Ce que vous devez déjà savoir… Ce que vous aurez à faire…
Les conditions dans lesquelles vous allez réaliser les activités… Le temps estimé pour réaliser les activités
Mais on ne peut ignorer les conséquences liées à l’absence de motivation pour le déroulement de
la formation elle-même et des moyens à déployer pour assurer une complétude maximale,
notamment en formation non présentielle. Les efforts à consentir traduisent les différences
essentielles de stratégies pédagogiques, pour chaque modalité. Ils légitiment la réflexion et le
développement de ressources, spécifiques au médium, aux publics, aux objectifs visés.
Lorsque la motivation première est de
type socio-affectif :
Dans le cadre d’une modalité non présentielle, une
attention toute particulière sera apportée aux
apprenants dont la motivation première est de type
socio-affective (cercle gris). En effet, une grande
frustration risque de les empêcher de profiter de la
formation, par le fait de sa désincarnation (totale
ou partielle).
L’accompagnement et l’animation doivent
compenser, pour ces bénéficiaires, l’absence de
groupe physique.
Lorsque la motivation première est de
type épistémique :
La qualité et la densité du contenu, l’expertise du
formateur, sont pour les tenants de cette quête des
motifs forts d’engagement dans l’apprentissage.
On peut faire l’hypothèse que la modalité d’accès
au contenu (en groupe, en auto formation
« papier » ou « en ligne » …) est secondaire.
Lorsque l’inscription en formation n’est
pas un choix :
Lorsque la formation n’est pas un choix, les efforts
de séduction et de maintien de fidélité doivent être
les plus importants.
Et comme le formateur ignore les raisons de
l’accès en formation, il est sage de préparer le
dispositif, les supports, les ressources, les biais
pour les publics les plus loin de la motivation. Cela
ne nuit pas aux autres.
Motivation et e-learning
Notre organisation de travail (le CAFOC) a bénéficié d’une étude
94(Morange, stage en
2016) portant sur la motivation des apprenants en formation par e-learning. La
problématique portait sur l’influence de la nature de la motivation des apprenants sur la
réussite de leur formation (en l’occurrence la formation de tuteur en entreprise). Menée de
manière quantitative, à travers deux questionnaires en ligne (l’un proposé en début de
formation, l’autre à la fin), l’étude a recueilli les résultats d’environ 150 apprenants salariés.
Deux variables indépendantes étaient alors créées : la nature de la motivation (construite à
partir de la contrainte à l’engagement en formation – il faut être formé pour devenir tuteur,
l’utilité perçue et le but recherché par le salarié et le rapport au numérique – utilité et
appétence). Enfin, deux variables dépendantes ont été créées : la réussite (les résultats aux
tests) et la satisfaction.
Les résultats ont été cohérents avec la revue de littérature : les personnes ayant les meilleurs
résultats et les plus satisfaites sont les personnes dont la motivation est de nature extrinsèque,
qui reconnaissent une utilité à la formation et poursuivant un but professionnel. Le rapport
au numérique n’a pas été significativement influent, mais a joué sur la satisfaction. Enfin,
les variables de contrôle ne révèlent pas d’influence significative de l’âge ou du diplôme sur
la réussite (cf. annexe 13).
Parmi les fondamentaux, nous avons passé en revue ce qui distinguait l’adulte apprenant, quels
étaient les grands modèles pédagogiques disponibles (et quels en étaient les atouts et les limites),
et enfin les raisons que peut avoir l’apprenant (ou pas) pour s’engager en formation. Mais quelles
sont les étapes à franchir pour permettre l’apprentissage ? Quelles sont les conditions à dépasser
pour maximiser les chances que cet apprentissage se fasse ?
94 Cette étude a été réalisée dans le cadre de l’accueil et de l’accompagnement d’une étudiante visant un double cursus en M2 Recherche en Sciences de l’éducation et M2 Conseiller Consultant Responsable de Formation.
4 Un cycle de l’apprentissage, à l’aune du
numérique
a description qui suit fait le postulat que l’étude préalable (analyse de la demande)
démontrait que le problème à résoudre relevait bien d’un problème de formation. Elle
écarte donc un pan important de l’ingénierie de formation, qui consiste à cerner et définir
le problème et son contexte, mais qui n’est pas ici l’objet de notre recherche.
Figure 55 - Le cycle des étapes de l’apprentissage, librement inspiré des travaux de Boudreault (2004)