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Chapitre 2 – Théories de l’apprentissage et adulte apprenant

4.2 Le pas de côté

L’acte de formation n’est pas anodin. Les conditions de l’apprentissage conditionnent

grandement son succès et son efficience : qu’elles soient psychiques (pas de soucis), physiques

(forme, absence de douleur), psychologiques (absence de troubles), logistiques (conditions

d’exercice favorables : ergonomie, confort, isolation, absence de sollicitation extérieure et

parasite…).

Figure 58 - L’étape du pas de côté

Si l’on se réfère à la pyramide

95

de Maslow (1943), cela revient à s’assurer que les deux premiers

étages trouvent réponse favorable (besois physiologiques primaires, besoins de protection, de

sécurité).

4.2.2 Traduction en apprentissage

En formation, il faut viser à satisfaire le plus de besoins (niveaux) possibles. Pour cela, il convient

par exemple de créer et d’entretenir un environnement stable et sans source de stress, afin de

satisfaire le besoin de sécurité. Dans le cas de l’e-learning, le contrôle de cette condition est plus

difficile et le risque de pollution par le stress risque, indépendamment du scénario pédagogique,

95 La pyramide des besoins schématise une théorie élaborée à partir des observations réalisées dans les années 1940 par le psychologue Abraham Maslow sur la motivation. L’article où Maslow expose sa théorie de la motivation, A Theory of Human Motivation, est paru en 1943. Il ne représente pas cette hiérarchie sous la forme d’une pyramide, mais cette représentation s’est imposée dans le domaine de la psychologie du travail, pour sa commodité. Maslow parle, quant à lui, de hiérarchie et il en a une vision dynamique.

de venir perturber l’apprentissage (sollicitations familiales, exigences et concurrence d’autres

tâches, perturbations extérieures…). Selon Maslow, les besoins sociaux sont le plus souvent

assouvis par la constitution de groupes de travail. En e-learning et en dehors d’éventuels

regroupements physiques, la question de l’appartenance à un groupe d’apprenants est plus

complexe. Des moyens technologiques permettent néanmoins le travail coopératif et

collaboratif

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, l’échange et la fédération d’apprenants autour d’un sujet, d’une discipline, d’une

mission… enfin, prendre en compte les avis ou demandes, inciter, féliciter et encourager les

apprenants participent à leur besoin de reconnaissance (que ce soit en présence ou à distance).

McClelland (1961) propose pour sa part trois catégories de besoin non hiérarchisées. Pour lui,

chaque apprenant est distinct des autres, présente des différences ; aussi est-t-il plus ou moins

marqué par l’un ou l’autre de ces besoins :

Figure 59 - La théorie des besoins de McClelland (1961)

En formation, cela implique de prendre conscience que les besoins sont spécifiques pour chaque

apprenant. Leur prise en compte est donc impérative, quelle que soit la modalité pédagogique

employée ; même non ou mal exprimés (ou définis), il est impératif d’être à l’écoute des besoins

des apprenants (formellement par leurs réactions, les signes para verbaux, les manifestations des

apprenants en présence, ou par les résultats, les parcours, les temps observés, les hésitations, les

manifestations… pour les formations à distance) afin de tenter de lever les éventuels freins à

l’apprentissage.

Si en présentiel les conditions semblent réunies pour maximiser les chances d’apprentissage (une

salle dédiée, une organisation d’espaces et de mobiliers spécifiques, une ambiance contrôlée, un

horaire partagé et programmé, la sécurité des lieux assurée…), dès lors que l’on échappe à cet

environnement formel et académique la question peut se poser.

96 Les outils du Computer Supported Cooperative Work – en abrégé le CSCW – permettent non seulement la communication entre personnes se trouvant dans des lieux différents, mais encore ils soutiennent la coopération, par exemple pour l’exécution en commun d’une tâche, ou la résolution d’un problème réel.

C’est une des raisons pour laquelle la formation professionnelle, dans sa définition légale, limite

l’exercice de l’apprentissage sur le poste de travail

97

.

Pour la mise en œuvre du e-learning, notamment dans son expression mobile learning, ces

conditions doivent être étudiées ! En effet, on peut vouloir par exemple être tenté d’exploiter des

temps de transport, pour permettre un apprentissage pendant des temps « perdus ». Cela peut se

relever être une bonne idée et techniquement possible en proposant des supports technologiques

mobiles, éventuellement connectés. Les formats et les supports le permettent. Mais le moment

choisi est-il compatible avec les conditions d’apprentissage ? Pour certains peut-être, mais pas

tout le temps (cela peut être vrai un jour, mais pas forcément le lendemain, par exemple). Des

préoccupations personnelles ou des distracteurs externes peuvent handicaper la formation : bruit

ambiant, bousculade, surveillance de l’environnement, préoccupations liées à la suite du trajet,

soucis personnels… peuvent contrarier, voire empêcher l’apprentissage.

Il est donc indispensable, notamment dans le cadre d’une formation e-learning, de se poser les

questions de l’environnement et des moments d’exploitation du matériel pédagogique. Bien sûr

des règles existent, qui empêchent des dérives (négociation des temps partagés

98

, éligibilité des

temps de formation, décret qualité

99

…).

4.2.3 Conditions d’adhésion à la formation et du maintien d’assiduité

Trois verbes (savoir, pouvoir, vouloir) posent les conditions de l’engagement en formation, mais

aussi au maintien de cet engagement, tout au long du parcours de formation. Si le Boterf (1998a)

résume la compétence par la réunion de ces trois pôles, le savoir agir, le vouloir agir, et le pouvoir

agir, il insiste sur la nécessité d'intervenir sur ces trois pôles pour rendre probable et accroître la

possibilité de construire les compétences. Nous détournons cette définition de la compétence

professionnelle pour la contraindre aux conditions d’engagement en formation, et plus

particulièrement au e-learning.

97 Article D6321-3 (créé par Décret n°2008-244 du 7 mars 2008) : « La formation est en principe dispensée dans des locaux distincts des lieux de travail. Lorsqu'elle comporte un enseignement pratique, ce dernier peut être donné sur les lieux de travail. Dans ce cas, un compte rendu des mesures prises pour que l'enseignement réponde aux conditions fixées à l'article D. 6321-1 est adressé au comité d'entreprise ou aux délégués du personnel ou, à défaut, à la commission spéciale mentionnée à l'article R. 2323-3 ».

98 Quelles que soient la forme et la durée de son contrat de travail, le salarié peut se former en tout ou partie pendant le temps de travail. Le statut du salarié pendant la formation - c’est-à-dire sa rémunération, sa protection sociale, ses obligations à l’égard de l’employeur ou encore le mode de prise en charge des coûts de la formation - dépend du cadre juridique dans lequel il se trouve : plan de formation de l’entreprise, congé individuel de formation (CIF), mobilisation du compte personnel de formation, validation des acquis de l’expérience (VAE), périodes de professionnalisation, etc.

99 Décret n° 2015-790 du 30 juin 2015 relatif à la qualité des actions de la formation professionnelle continue (détermination des critères permettant de s'assurer de la qualité des actions de formation). Le décret fixe 6 critères :

1. L’identification précise des objectifs de la formation et son adaptation au public formé ;

2. L’adaptation des dispositifs d’accueil, de suivi pédagogique et d’évaluation aux publics de stagiaires ; 3. L’adéquation des moyens pédagogiques, techniques et d’encadrement à l’offre de formation ; 4. La qualification professionnelle et la formation continue des personnels chargés des formations ; 5. Les conditions d’information du public sur l’offre de formation, ses délais d’accès et les résultats obtenus ; 6. La prise en compte des appréciations rendues par les stagiaires.

Figure 60 - D’après Le Boterf, les trois conditions de la mise en œuvre de la compétence (1998a)

L’illustration ci-dessus décrit la probabilité d’un individu à participer à une course et donc à

l’expression de sa compétence sportive :

Il sait qu’une course est organisée : il est informé de la date, des conditions d’inscription,

des frais à engager…

Il peut y participer : son agenda le permet, il dispose de l’équipement, son médecin l’a

autorisé, la dépense lui est possible…

 Mais le veut-il ? sortir par un froid dimanche de novembre, quitter son domicile douillet,

trouver une place de parking…

Si Le Boterf (1998b) définit la compétence professionnelle comme « la résultante d'une

combinaison pertinente d'un ensemble de ressources mobilisées par le professionnel (ou

l'apprenti en formation) à partir d'une bonne situation à traiter », il insiste sur les conditions de

mise en œuvre de cette compétence. Pour lui, elle est le produit d’un processus mental reposant

sur une dynamique plurielle :

La mise en œuvre de la compétence est une dynamique dont les moteurs sont :

Cognitif : l’individu a la bonne représentation de l’effort à fournir, il dispose des

ressources nécessaires en terme de savoir, savoir-faire et capacités…

Affectif : l’individu a une image de lui qui l’incite à agir, à relever un défi, à se confronter

à une nouvelle situation, à un nouveau contexte, à vouloir s’impliquer malgré ou grâce à

des émotions liées à la souffrance ou au plaisir…

Matériels : les outils et moyens nécessaires sont mobilisables.

Le contexte (social, économique, organisationnel, juridique…) détermine in fine l’exécution de

la compétence. Il diffère des « moyens », propres à l’individu, par les pressions qu’il exerce et

qui rendent juste, utile, moral, bénéfique… sa mise en œuvre.

De la course sportive, à la formation, les conditions d’expression de la compétence sont les

mêmes. Elles dépendent :

 Du savoir agir : l’individu dispose des prérequis nécessaires à la bonne appréhension du

gap à franchir…

 Du pouvoir agir : l’individu dispose des moyens (matériel, instrument, réseaux,

services…) lui permettant de mettre en œuvre ses savoirs…

 Du vouloir agir : l’individu comprend le sens de l’effort demandé, l’intérêt. Il bénéficie

des encouragements et de la bienveillance de son entourage. Il est récompensé de son

investissement. Il a confiance dans ses capacités… Bref, il dispose des conditions

favorables à son effort (le « pas de côté »).

L’environnement de l’apprentissage participe à ces conditions. Il est défini par l’institution

(l’école, l’organisme de formation, l’entreprise, l’organisation…), le cadre formel qui organise

voire reconnait l’expression ou la montée en compétence. Il génère des conditions positives

(mobilisation d’acteurs pertinents, moyens mis à disposition, qualité de l’accompagnement…)

mais aussi des contraintes (conditions d’inscription, exigences, rythme imposé…).

4.2.4 Des conditions de l’engagement à l’apprenance

Carré (2005) définit la notion d’apprenance, comme « une attitude ou un ensemble de

dispositions favorables à l’acte d’apprendre sous toutes ses formes ». Plus généralement, c’est

une vision de l’apprentissage qui place l’apprenant au cœur du système. Ses dispositions à

apprendre sont déterminantes dans tout apprentissage, bien plus que le talent du formateur ou la

qualité de ses moyens pédagogiques. Partant de cette vision beaucoup plus active de l’apprenant

en situation de formation, Carré défini avec précisions les trois facteurs déterminant l’acte

d’apprendre :

 Les facteurs motivationnels : c’est le vouloir apprendre. Pourquoi faut-il que

j’apprenne ? Ou encore mieux, pourquoi ai-je envie d’apprendre ?

 Les facteurs comportementaux : c’est le savoir apprendre. Comment vais-je gérer mon

apprentissage ? Quelles stratégies et techniques d’apprentissage dois-je mettre en œuvre ?

C’est la fameuse compétence fondamentale : « apprendre à apprendre ».

 Les facteurs environnementaux : c’est le pouvoir apprendre. Mon environnement est-il

propice à l’apprentissage ? Tant que la formation n’était que présentielle, ces facteurs

environnementaux étaient relativement neutralisés. Mais avec le développement des

formations multimodales ou blended, ils redeviennent d’actualité.

Si la prise en compte des représentations de l’apprenant et des conditions d’exercice de

l’apprentissage doivent être réunies, il importe que l’apprenant dispose d’une motivation

suffisante pour surmonter les efforts que sa formation impose. Cette motivation se traduit le plus

souvent par la conviction que ces efforts seront utiles, bénéfiques, bons pour lui.

Il s’agit là de la troisième étape de notre cycle, « c’est bien pour moi », objet de la description

suivante.

4.3 Comprendre le sens des efforts : « c’est bien pour moi »