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CHAPITRE 1 : RECENSION DES ÉCRITS ET PROBLÉMATIQUE

1.1 Revue de la littérature

1.1.1 Contexte des SRT

1.1.1.2 Tourisme médical

Le tourisme médical réfère à un voyage avec l’objectif exprimé d’obtenir des services de santé à l’étranger qui ne sont pas des services d’urgence (Bookman et coll., 2007; Connell,

2013; Crooks et coll., 2010; Hanefeld et coll., 2015; Martin, 2009; Ormond, 2015; Paffhausen et coll., 2010). Il renvoie à l’intensification de la commercialisation des soins de santé, un nouveau rapport nord-sud et à une hausse de la mobilité internationale de la patientèle (Hopkins et coll., 2010; Martin, 2009; Paffhausen et coll., 2010). Pour les SRT, le tourisme médical joue le rôle fondamental de matrice commerciale (Hopkins et coll., 2010; Kangas, 2010).

Dans la littérature sur le tourisme médical, plusieurs points méritent l’attention : (1) son histoire, (2) la difficulté de mesurer son expansion, (3) l’émergence de plaques tournantes où se concentre ce type d’activité, (4) le développement de réseaux qui mettent en lien touristes médicaux et hôpitaux et (5) la subjectivation d’un individu consommateur de services de santé naviguant dans cette offre globale.

Dans une perspective historique, les déplacements à des fins de santé renvoient à une longue tradition d’itinéraires thérapeutiques. Les gens se déplacent depuis longtemps vers des sites naturels avec des propriétés curatives comme des sources thermales, des sites de pèlerinage comme Lourdes en France et Fatima au Portugal ou des climats plus chauds ou plus frais, comme ce fut le cas pour les sanatoriums (Connell, 2006; Kangas, 2010; Smith et coll., 2011b). Sous les régimes coloniaux, les personnes expatriées et les élites locales retournaient dans la métropole pour avoir des soins jugés supérieurs à ceux offerts dans la colonie (Kangas, 2010). Depuis longtemps, les élites économiques se rendent dans les hôpitaux prestigieux des grandes villes occidentales pour obtenir des soins de grande qualité (Connell, 2006).

Bien que le phénomène ne soit pas nouveau, le tourisme médical contemporain se distingue par son ampleur (Connell, 2013). Depuis la fin du XXe siècle, une classe moyenne

internationale a accès à des services à la fois de qualité et abordables, souvent dispensés dans des pays en développement (Connell, 2013; Kangas, 2010; Smith et coll., 2011b). Plusieurs analystes témoignent d’une croissance de l’industrie, entre autres, en raison de sa plus grande visibilité. Cependant lorsqu’il est question de mesurer cette croissance, il devient difficile d’en faire une estimation solide (Crooks et coll., 2010). Les estimations annuelles des

touristes médicaux varient de quelques dizaines de milliers à plusieurs millions (Crooks et coll., 2010). Dans un rapport souvent repris et contesté, la firme Deloitte estime, pour 2011, la taille de l’industrie du tourisme médical à 40 milliards de dollars américains (Purdy et coll., 2011). Deux facteurs plombent ces estimations. L’absence d’outil de mesure efficace et, principalement, de consensus sur ce que représente le tourisme médical (Bookman et coll., 2007; Connell, 2006, 2013; Crooks et coll., 2010; Kangas, 2010; Smith et coll., 2011b; Whittaker, 2015).

Malgré ces incertitudes, des caractéristiques générales du tourisme médical ont pu être identifiées dans la littérature. Une d’entre elles concerne l’émergence de plaques tournantes. Ce terme réfère aux pays et régions devenus des endroits de premier ordre dans l’attraction de touristes médicaux, grâce à des initiatives gouvernementales et à l’émergence de réseaux d’hôpitaux ciblant cette clientèle (Smith et coll., 2011b). D’ailleurs, certains États ont vu dans le développement de ce marché une opportunité pour générer des revenus et conserver leur personnel qualifié (Connell, 2013; Runnels et coll., 2012). Les exemples les plus flagrants sont liés à la diversification des économies de moyennes tailles d'Asie, d'Europe, du Moyen-Orient et de l'Amérique latine (Connell, 2013) avec, en tête, des États comme l’Inde, Singapour et la Thaïlande (Crooks et coll., 2010). Ceci entraine une géographie du corps qui se dessine en fonction des traitements offerts, des préférences des clientèles et des hiérarchies sociales (Connell, 2013).

Le développement de cette industrie est appuyé par un secteur constitué d’intermédiaires qui mettent en relation la patientèle avec des prestataires de services. Des corporations privées ont développé des mécanismes d’accréditation des hôpitaux distants (Connell, 2013), afin d’assurer aux touristes médicaux une qualité des soins conforme à leurs attentes (Kangas, 2010; Runnels et coll., 2012). Parallèlement, des intermédiaires (facilitators ou brokers), spécialisés en tourisme médical, font la promotion des services offerts, agissent comme agences de voyages, conseillent dans le choix des hôpitaux et aident à remplir les documents officiels (Crooks et coll., 2010; Kangas, 2010). Des brochures et des sites internet, accessibles dans plusieurs langues, font aussi la promotion des services offerts par les établissements de santé (Crooks et coll., 2010; Sobo et coll., 2011), en mettant l’accent sur

les procédures, la fiabilité, la qualité et le coût tout en diffusant une image de modernité, de propreté et d’efficacité (Connell, 2013).

Dans l’univers du tourisme médical, cette clientèle qui voyage est conçue comme étant constituée d’individus consommateurs (Connell, 2013). Selon certains spécialistes, cette patientèle calculatrice et « empowered » (Runnels et coll., 2012) tireraient profit des différences de coût et de services offerts dans les économies émergentes (Kangas, 2011; Runnels et coll., 2012). Les services de santé à l’étranger attirent aussi une clientèle incluant les personnes mécontentes des services publics de santé (Cameron et coll., 2014), une population vieillissante (Connell, 2013) et une demande croissante pour des soins électifs comme les soins esthétiques (Connell, 2013). Il faut toutefois éviter les raccourcis. Plusieurs analystes rappellent la nature multidimensionnelle et multidirectionnelle du phénomène. En effet, ces flux d’individus ne se font pas nécessairement des pays riches vers les pays pauvres, en plus d’intégrer une diversité de dynamiques de soins beaucoup plus complexe (Kangas, 2011; Ormond, 2015).

En résumé, le tourisme médical apparait comme une entité économique hybride où se croisent différentes industries et initiatives gouvernementales autour de la santé, des technologies médicales et d’infrastructures de transport ou hôtelières (Connell, 2013; Kangas, 2010). Il ne s’agit pas non plus d’un phénomène nouveau, mais malgré la difficulté d’en cerner les contours, il est en pleine croissance. Toutefois, des changements seraient perceptibles par rapport à la diffusion du tourisme médical, de son accessibilité, de son niveau supérieur d’organisation et de l’émergence d’une nouvelle patientèle consommatrice, mobile et issue de la classe moyenne globale.