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CHAPITRE 4 : RÉSULTATS SUR LES CONTEXTES JURIDIQUES ET CLINIQUES

4.1 Contextes juridiques canadiens

4.1.3 Québec : Entre le privé et le public

4.1.3.2 Pendant le programme public

La loi établissant la couverture publique (Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée, 2009) a été adoptée en août 2010 et a été en vigueur jusqu’en 2015, quelques mois après la fin de notre travail de terrain. Ce programme offrait une couverture publique universelle des services de PA. À partir de ce moment, de nombreux types de services de PA ont été accessibles gratuitement grâce à la couverture assurée par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). La PA est ainsi devenue une option de reproduction pour de nombreuses personnes, auparavant exclues à cause du coût élevé des procédures. Les principaux éléments du programme public pouvant inciter aux SRT concernaient le transfert d’un seul embryon, la limite de trois cycles de FIV (ou six de FIV naturelle ou FIVn), la gratuité des paillettes de sperme et certains aspects du DGP. Nous

allons présenter plus en détail les conditions du programme, ses effets, les abus qu’il a subis et l’incertitude quant à son avenir qui a habité les derniers mois avant son abolition.

D’une façon plus précise, le Programme québécois de procréation assistée visait le transfert d’un seul embryon par cycle jusqu’à 37 ans, avec la possibilité d’en transférer deux après 37 ans. Les embryons surnuméraires pouvaient être congelés pour implantation future. Le programme offrait une limite de trois cycles de FIV par enfant vivant qui pouvaient être remplacés par six cycles de FIVn, selon le cas. Le transfert d’un embryon surnuméraire était considéré à l’intérieur d’un cycle. Après avoir atteint la limite de trois cycles, les personnes pouvaient demander un remboursement d’impôt qui était à l’époque équivalent à 50% du coût des traitements. Après la naissance de l’enfant, le compteur retombait à zéro.

Le programme offrait une paillette de sperme, à la condition qu’elle vienne d’un donneur anonyme (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2013). Pour un donneur avec identité ouverte, il fallait payer même si le consensus médical allait en faveur de ce type de don. Le coût pour ce type de don était autour de 500 $ CA. Cet aspect était critiqué par plusieurs personnes participantes sur la base du bien-être de l’enfant. Elena, directrice d’une agence d’importation et de distribution, mentionne que, dans ses discussions avec des membres du gouvernement québécois, seule la raison du coût entrait en ligne de compte :

And so when we were negotiating … and I said that to the ministry, because they only wanted, initially, the washed, anonymous sperm. And I said, “Well, what about the clients that want to have more information that … you know, why can’t we set a price point. And if a client wanted an open ID donor, they would privately pay the difference?” because the open identity release donors are slightly more expensive. No, they wouldn’t go for that. They only wanted to have one price point and that was it.

Pour Ariane, obstétricienne-gynécologue québécoise, cette position visait peut-être à être compatible avec la politique fédérale qui laisse le choix aux parents de l’anonymat ou non des donneurs.

La conservation des paillettes était aussi couverte. Au début, seuls les échantillons lavés étaient gratuits, mais cette exigence est tombée en cours de route.

Une dernière caractéristique concerne l’accès aux services de DGP. Le règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée (Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée, 2016) intègre le DGP en précisant, à l’article 18, qu’« [u]n diagnostic génétique préimplantatoire ne peut être effectué sur des embryons qu’aux fins d’identifier des maladies monogéniques graves et les anomalies chromosomiques » (Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée, 2016). Il était « […] interdit de faire un [DGP] pour d’autres raisons et ce dernier doit, par ailleurs, être réalisé dans un hôpital agréé » et public. Ce qui était considéré comme une maladie grave ou sérieuse n’était toutefois pas clair comme le souligne Sofia, spécialiste québécoise du DGP :

What is serious ? For me, probably blindness, deafness is serious. For you, you will say there are so many deaf people, blind people that have a complete satisfied life. […] I don’t know how to define what is serious. I don't know. OK, we all understand somebody, lethality is serious. To die in utero is serious […] But most of them are, can fall anywhere. […] So how to you define seriousness. I don’t know ? I really don’t know.

Dans l’ensemble, le Programme québécois de procréation assistée était avantageux pour les personnes qui avaient des problèmes liés à la fertilité ou encore qui étaient à risque de transmettre des maladies génétiques ou des anomalies chromosomiques graves.

Les effets de ce programme ont été nombreux. Les principaux étant la hausse de la demande de services de PA, la généralisation du transfert unique d’embryon et une diminution possible des SRT. Cependant, le programme a été rendu accessible dans la précipitation. Cette précipitation et l’échec du développement des cliniques publiques ont contribué à une hausse des coûts beaucoup plus élevée que prévue.

Le premier effet important a été la hausse de la demande pour les services de PA marquée par l’arrivée d’une nouvelle clientèle. Sans couverture, la PA coûte cher et plusieurs cycles

peuvent être nécessaires. À la clinique québécoise où nous avons fait de l’observation, on pouvait voir entre 200 à 300 patientes et patients annuellement du temps du régime privé [Entrevue informelle, journal de terrain]. Après l’instauration du programme, ce nombre serait passé de 2000 à 3000 annuellement [Entrevue informelle, journal de terrain]. Pour la même période, l’offre en fertologie dans l’ensemble de la province serait passée de 9 fertologues à environ 50 [Entrevue informelle, journal de terrain]. Cette manne a attiré beaucoup de médecins vers ce champ de pratique.

Un des grands succès du programme a été la généralisation du transfert unique d’embryon et la diminution des grossesses multiples (Bissonnette et coll., 2011). Pour Victor, obstétricien- gynécologue québécois : « [l]a première année, il y a eu beaucoup de succès, parce qu’on a réduit de 50% les grossesses multiples. Donc, ça a été un grand succès. Et ça, ça a eu un impact extraordinaire sur les pouponnières, sur les soins intensifs néonataux. Et on rentabilise la question ». Malgré le transfert unique, les taux de succès de FIV sont restés élevés parce que l'on congelait plus d’embryons pour des transferts ultérieurs. Florence, fertologue québécoise :

[…] c’est fantastique ce qui s’est passé sur le plan santé publique. Certes globalement, on a eu une petite diminution du taux de grossesse, par cycle, mais on a eu une diminution énorme du taux de grossesse multiple et donc en termes de santé publique, c’est vraiment très bon. Mais le tourisme médical n’est pas complètement éliminé. Donc ça, ça reste un problème.

La diminution des SRT à cause de la couverture publique est un des effets difficiles à mesurer. La logique de cet argument serait que les gens partiraient moins pour l’étranger pour obtenir des services à rabais ou encore pour la plus grande proximité de cliniques de fertilité situées de l’autre côté de la frontière. Inversement, à cause de la manne locale, pour les cliniques, il devenait moins nécessaire d’orienter leur offre de services vers une clientèle mobile et internationale.

Un dernier effet important concerne le développement de cliniques dans les CHU de Montréal, Québec et Sherbrooke. Malgré cette volonté initiale, le secteur privé de la PA était mieux positionné que le secteur public pour profiter de la nouvelle cadence instaurée par le

Programme. Ceci a contribué à créer un système hybride public-privé. Pour un participant que l’on garde anonyme, ce positionnement est lié au pouvoir politique de certains médecins, combiné à l’expertise qu’ils ont développée.

Parallèlement à ces effets, plusieurs ont noté des abus liés à ce régime hybride et à l’ouverture du programme. L’expression la plus entendue pour décrire cette ambiance lors du terrain de la part de certains médecins et personnes utilisatrices était celle d’« open bar ».

Selon un membre du personnel médical et une personne utilisatrice que l’on garde anonymes, plusieurs stratagèmes ont été développés pour tirer profit de la manne, tels facturer en double, créer de fausses listes d’attente dans le public pour diriger la patientèle vers des cliniques privées opérées par les mêmes médecins, prescrire des tests dans des laboratoires appartenant aussi aux médecins prestataires de services (ce qui est contre leur code de déontologie). Cet ensemble de facteurs a fait exploser la caisse et, pour paraphraser quelques-unes des personnes utilisatrices, certaines cliniques sont devenues de véritables « usines à bébé ».

Certains cas, souvent médiatisés, ont suscité de nombreuses interrogations. Par exemple, celui d’une usagère ayant reçu des traitements de FIV et dont les enfants avaient été repris par la Direction de la Protection de la Jeunesse ou ceux des familles déjà nombreuses voulant recourir à la FIV pour avoir plus d’enfants. Si ces personnes étaient refusées à un endroit, rien ne les empêchait de magasiner une clinique jusqu’à ce qu’on les accepte. Ce genre de situation plaçait les médecins dans une situation difficile comme le raconte Florence, fertologue québécoise : « Alors c’est sûr qu’après, il y a des excès, y a des cas sociaux, des choses comme ça. Aucune loi n’est parfaite, c’est sûr. Et puis nous est-ce qu’on est des policiers, est-ce qu’on est des médecins ? Comme quoi y a plein de choses à réfléchir ».

Vers 2014, il devenait de plus en plus certain que le Programme serait transformé, mais personne ne savait dans quelle direction iraient les réformes. Les coûts du Programme avaient augmenté à près de 100 millions de dollars annuellement. Au niveau politique, l’alternance des gouvernements et des ministres de la santé a fragilisé la pérennité du Programme :

On s’est rendu compte, à un moment donné, que le Programme coûtait beaucoup plus cher et qu’il y avait des ratés et des dérapages. Le Commissaire à la santé et au bien-être a fait des recommandations. Que, il y aurait des balises qu’on devrait prendre comme ça se fait dans les autres pays, et cetera… [Victor, obstétricien- gynécologue québécois]

Une des possibilités qui se discutait sur le terrain était de baliser certains usages. Par exemple, de fixer une limite pour les femmes de plus de 43 ans, considérant que leurs taux de grossesse étaient presque nuls. Ou encore, ne pas couvrir les demandes de familles recomposées complexes comme celles d’hommes qui, ayant trois enfants d’une première relation et trois d’une seconde, souhaiteraient avoir un 7e avec une 3e femme. Le ministre a même suggéré

de faire une distinction très controversée entre l’infertilité médicale et sociale, ciblant spécifiquement les personnes homosexuelles ou monoparentales. À travers les différentes versions du projet de loi et des déclarations officielles, personne ne savait si le Programme allait survivre et, si oui, à quelles conditions.

Je ne sais pas du tout ce qui va nous tomber dessus. Ils ont dit qu’ils allaient l’annoncer à l’automne. À l’automne, on y est presque enfin bon, ça va être septembre, octobre, peut-être début d’année prochaine, on ne sait pas. Il est clair qu’il n’y a pas de sous, donc ils vont essayer de résoudre, de diminuer l’accès au programme. Est-ce que c’est par le biais du nombre de cycles remboursés ? Est- ce que c’est par le biais des patients qui vont accéder ? Moi, je pense qu’ils ne pourront être trop restrictifs du fait du maître mot de la non-discrimination. Donc je ne sais pas… [Florence, fertologue québécoise]

Dans ces conditions, Xavier, fertologue ontarien, anticipait que, si certaines catégories de gens (âge, orientation sexuelle, etc.) ne pouvaient obtenir des services de PA, ces gens se déplaceraient vers l’étranger. Selon Rose, psychologue québécoise, le problème était beaucoup plus complexe. Une diminution de l’accessibilité à la PA était un facteur beaucoup moins important de SRT que la règle d’altruisme de la LPA toujours en place :

So obviously it won’t be as available to as diverse the number of people of different status, economic status if there isn’t enough coverage. So I think there probably be, I don’t think it would change cross-border that much. I mean they’re not changing the Canadian laws of altruistic donation, the consents are still the same. I don’t know how much it will change, it will just make less likely for

people to have access to treatment here. It’s not cheaper anywhere else, I don’t see them going anywhere else.

En limitant le Programme, l’effet sur les SRT était perçu, par certaines personnes interviewées, comme étant d’ordre économique. C’est-à-dire, qu’en restreignant l’accès à la couverture publique, certaines personnes choisiraient d’avoir ces services meilleurs marché à l’étranger. Pour paraphraser Ariane, obstétricienne-gynécologue québécoise, « on va se faire transférer 2, 3, 4 embryons » dans des endroits plus risqués pour diminuer les coûts ».

Dans tous les cas, comme le mentionne Thomas, usager québécois, « [ç]a crée une incertitude ». Ne sachant pas vraiment de quoi l’avenir sera fait, les cliniques ont rempli leurs listes de patients et patientes pour s’assurer que tout le monde serait pris.