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CHAPITRE 4 : RÉSULTATS SUR LES CONTEXTES JURIDIQUES ET CLINIQUES

4.1 Contextes juridiques canadiens

4.1.1 Canada

4.1.1.1 Loi sur la procréation assistée

Votée en 2004, la LPA (2004) fait partie du Code pénal (Norris et coll., 2011). Elle fait suite à un long processus débuté en 1989 avec la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction (1993). Elle devait être mise en application au courant des années suivantes, mais le projet de loi C-47 est mort au Feuilleton en 1997 (Norris et coll., 2011). Suite à une consultation publique en 2001, le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes a formulé 33 recommandations qui ont été en partie reprises dans le projet de loi C-56 qui a été déposé en chambre par le gouvernement en 2002. Ce projet de loi proposait un cadre législatif et réglementaire pour encadrer la PA. En 2004, la LPA obtenait sa sanction royale. En 2006 était créée l’Agence Procréation assistée Canada (PAC), chargée de mettre en œuvre et de veiller à l’application de la LPA (Norris et coll., 2011).

En 2008, la Cour d’appel du Québec a répondu à la question du procureur général du Québec que des articles de la loi n’étaient pas de la compétence du Parlement, c’est-à-dire que la LPA ne respectait pas la façon dont les pouvoirs fédéraux et provinciaux étaient répartis selon la Loi constitutionnelle de 1867 (Norris et coll., 2011). Par la suite, l’appel de la décision de la Cour d’appel du Québec devant la Cour suprême du Canada par le procureur

général du Canada a été entendu le 24 avril 2009. Par la majorité d’un juge, la Cour suprême du Canada a jugé certains articles de la loi ultra vires, c’est-à-dire, qu’ils excédaient les compétences législatives du Parlement fédéral et, par le fait même, s’immisçaient dans les compétences provinciales (Re: Assisted Human Reproduction Act, 2010). Suivant le Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, les articles 12, 14-19, 24a, 24e, 24g, 40-59 ont été abolis. Les articles en lien avec le Code criminel de responsabilité fédérale (qui qualifient les actes interdits – voir Tableau 3) ont été conservés, alors que ceux qui traitaient du fonctionnement des cliniques et de responsabilité provinciale ont été abrogés. Parmi les articles annulés, on note celui sur PAC et l’abandon du projet de registre de donneurs de gamètes, tel qu’expliqué plus en détail dans l’article que nous avons publié en 2014 (voir 4.1.2).

Tableau 3

Actes interdits par la Loi sur la procréation assistée ACTES INTERDITS (ARTICLES 5 À 9 DE LA LPA)

• le clonage humain ;

la création d'un embryon in vitro à des fins autres que la reproduction humaine, l’enseignement ou l'amélioration des techniques de PA ;

• le sexage ;

• l’utilisation de formes de vie non humaine pour la reproduction humaine ; • la création d'un hybride ;

• la création d'une chimère ;

l'utilisation de gamètes ou d’embryons in vitro sans le consentement du tiers ; • l'obtention de gamètes de personnes mineures sauf pour la préservation de la

fertilité ;

• la vente de gamètes ou d’embryon ;

• la publicité pour encourager ce type de commerce.

Quoique PAC ait rencontré plusieurs tensions internes (Baylis et coll., 2013), mais c’est principalement le Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée qui a mené à sa fermeture.

En réponse au Renvoi, le gouvernement a soumis le projet de loi C-38 ("Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable,") pour abroger les dispositions ultra vires de la loi et qui a mené à la dissolution officielle de PAC. Une partie des responsabilités de l’agence a été déplacée dans les mains de Santé Canada. Pour Elena, propriétaire d’une agence d’importation et de distribution de gamètes :

[…] when […] they took out that mandatory agency that was going to mandate that the clinics had to report their pregnancies and live births, I was so upset […] because we were so welcoming that change because it really would take the onus off of us. And we… it would allow us to do our jobs better. But when that was struck down they took out everything that was federal. So now we’re back to talking to the clients and trying to tell them to make sure they do that but I’m not sure how effective that is.

On peut ainsi affirmer qu’une des conséquences du Renvoi a été de ramener l’encadrement de la PA à la situation précédant la LPA, soit au niveau provincial. Considérant que la législation des provinces en matière de PA est assez limitée, ceci revenait à déplacer cet encadrement au niveau de la bonne volonté des individus et des organisations. Aujourd’hui, les champs d’application de la LPA et, par conséquent, le rôle du gouvernement fédéral, sont considérablement réduits, entre autres, pour ce qui concerne les obligations relatives à l’exécution administrative et réglementaire des pratiques de PA (Norris et coll., 2011). Dans son état actuel, la loi se limite à fixer certains interdits (voir Tableau 3) considérés non éthiques, c’est-à-dire ne correspondant pas aux valeurs canadiennes ou représentant des risques pour la santé.

Parmi les pratiques interdites, certaines ont une incidence par rapport aux SRT. D’abord, l’interdit de vente des services de tiers est celui qui a le plus d’impact pour les SRT. Selon les articles 6 et 7, on ne peut ni acheter ni d’offrir d’acheter des gamètes ou des embryons, ou encore louer des services de gestatrice. De plus, « […] des sanctions criminelles s’appliqueront aux activités telles que l’achat et la vente de gamètes et d’embryons provenant de donneurs canadiens […] » (McTeer, 2011). Ainsi, pour Santé Canada, « [l]'exploitation des fonctions reproductives des enfants, des femmes et des hommes à des fins commerciales est strictement interdite pour des raisons de santé et d'éthique » (Health Canada, 2013).

Sur le terrain, il a été possible de constater les limites géographiques de l’application de cette loi. Selon des données que nous décrirons plus en détail dans le prochain chapitre, une part importante des gamètes, provenant de tiers et utilisés dans les cliniques canadiennes, a été achetée commercialement à l’étranger. Elena, propriétaire d’une agence d’importation et de distribution de semence, se rappelle la réponse d’un officiel de Santé Canada interrogé sur cette apparente contradiction lors d’un congrès de la Société canadienne de fertilité et d’andrologie (ou, selon l’acronyme anglophone usuel, CFAS) : « What about egg donors ? Are we allowed to compensate, are we not allowed to compensate, what? » Ce à quoi l’officiel aurait répondu « As long as the donor is not compensated in Canada we, basically, don’t care what happens ». Dans les prochains chapitres, nous verrons que cet article de loi et son interprétation jouent un rôle de premier plan dans la structuration du reproscape canadien.

Un autre aspect important de la loi pour les SRT concerne le remboursement des dépenses. La loi de 2004 prévoyait de clarifier le remboursement des dépenses encourues par les tiers, tel leur déplacement jusqu’à la clinique. Ces dispositions n’ont jamais été précisées. Sans le détail de ce qui constitue un remboursement, il est difficile de tracer une limite claire entre ce qui est permis, toléré ou interdit en matière de remboursement. D’ailleurs, en 2013, lorsque Leia Picard, fondatrice de l’entreprise Canadian Fertility Consultants, a été poursuivie pour avoir accepté de l’argent pour établir un contrat de mère porteuse, plusieurs juristes et membres du personnel médical de santé ont reproché à la loi de manquer de clarté pour ce qui touche aux dépenses remboursables (Motluk, 2014). Dans ces conditions, ces spécialistes pressent Santé Canada à établir un règlement clair dans le cadre de la LPA (Health Canada, 2013), ce qui n’a pas encore été fait. Au niveau des SRT, cette imprécision peut mener certaines personnes utilisatrices à vouloir rechercher des services de PA avec tiers à l’étranger, afin de réaliser cette transaction dans un contexte juridique transparent.

Un dernier article important de la loi touchant aux SRT concerne l’interdit de sexage pour des raisons non médicales. Avec les techniques de DGP ou de cytométrie, il est possible de connaître le sexe de l’embryon produit par FIV. Selon la loi, il est permis d’utiliser ces

techniques pour prévenir la venue au monde d’un enfant atteint d’une maladie génétique située sur un des chromosomes sexuels. Cependant, il est interdit d’y recourir pour le sexage d’embryon pour des raisons sociales ou personnelles comme le « family balancing ». Ces mêmes services sont offerts au sud de la frontière canadienne et les SRT représentent une façon de contourner cette loi (voir 5.5).

Dans une perspective internationale, la position du Canada contraste avec celle des États- Unis, où l’encadrement de la PA est beaucoup plus tolérant. Par exemple, l’American Society for Reproductive Medicine (ASRM) n’a pas de position claire sur le sexage et le « family balancing » (Ethics Committee of the American Society for Reproductive Medicine, 2015). Comme le rapportait Florence, fertologue québécoise, cette permissivité peut devenir une forme d’attrait pour les patientes et patients étrangers : « [A]ux États-Unis tout est possible, enfin purement que vous payez tout est possible pratiquement. Donc ça peut être une raison de tourisme médical ». Les États-Unis ne sont qu’un exemple. D’autres destinations sont aussi prisées des Canadiens et Canadiennes, en raison de la souplesse des lois et des règlements qui y sont appliqués. Comme nous le verrons dans les sections qui suivent, elles traceront la géographie du reproscape canadien.