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CHAPITRE 1 : RECENSION DES ÉCRITS ET PROBLÉMATIQUE

1.1 Revue de la littérature

1.1.2 État actuel des connaissances sur les SRT

1.1.2.4 Expériences

1.1.2.5.2 Problème d’éthique médicale

Les dilemmes éthico-juridiques ont entrainé une prise de conscience des implications des SRT au niveau de la pratique médicale. Conjointement à la réflexion sur la possibilité d’encadrer les SRT s’est développé un courant de pensée plus proche de l’éthique médicale qui a trouvé écho auprès des grandes organisations médicales liées à la reproduction et à la PA (Dickens, 2010; Ethics Committee of the American Society for Reproductive Medicine, 2013; Shenfield et coll., 2011). Cette littérature en éthique médicale tente de mettre en lumière les tensions éthiques causées par les SRT et les façons de trouver un équilibre entre les différents principes et devoirs sollicités par les SRT. Ces écrits se caractérisent par leur cryptonormativité, c’est-à-dire qu’ils font un usage implicite d’affirmations normatives comme fondement d’une argumentation éthique, sans les approfondir (Salloch et coll., 2012). Quatre éléments se dégagent de cette réflexion en éthique médicale qui seront résumés plus bas : (1) l’autonomie reproductive des personnes utilisatrices, (2) la prise en compte des risques entrainés par les SRT, (3) la responsabilité professionnelle, (4) ainsi que la justice sociale associée aux conséquences des SRT sur les populations locales et extérieures.

L’autonomie reproductive correspond à la possibilité d’une personne de réaliser ses propres choix en matière de procréation (Purdy, 2006; Zeiler, 2004). Ce principe est au centre de la réflexion éthique des SRT et l’autonomie reproductive apparait inaliénable (Dickens, 2010). Dans une perspective de SRT, celle-ci se combine à la liberté de circuler d’un pays à l’autre pour exercer cette autonomie reproductive, y compris la possibilité de quitter un pays et d’y revenir. Certains conçoivent les SRT comme la preuve de la réalisation effective de l’autonomie reproductive (Blyth et coll., 2005).

En contrepartie de cette autonomie, de nombreux textes mettent en lumière les risques que les SRT font peser sur les couples, leurs futurs enfants et les tiers. Ces risques peuvent être perçus comme la déterritorialisation des risques physiques, psychologiques, économiques et juridiques propres à la PA (Bergmann, 2011a; Hudson et coll., 2011b).

D’un point de vue physique, la FIV entraine des risques médicaux équivalents à toute chirurgie invasive. De plus, les effets secondaires inhérents à la prise de médicaments utilisés pour induire une hyperovulation peuvent s’avérer très douloureux et même fatals pour certaines femmes (National Health Service, 2015). Jusqu’à tout récemment, les taux élevés de grossesses multiples dans le contexte de la PA présentaient aussi des risques majeurs pour la santé et la vie de la mère ainsi que pour la suite de la grossesse (Hudson et coll., 2011b; McKelvey et coll., 2009). Les couples qui magasinent des services de FIV à rabais risquent aussi d’obtenir des services de moins bonne qualité et un counseling déficient pourtant nécessaire pour entreprendre ce genre de traitements (Soini, 2007). Puisque les services peuvent être réalisés à différents endroits, ce niveau de complexité augmente les possibilités de complications (Soini, 2007), auxquelles s’ajoute la variabilité des standards internationaux, de la qualité des cliniques et de leurs mécanismes d’accréditation (Smith et coll., 2009).

D’un point de vue psychologique, en plus du stress propre à la PA et à l’utilisation de traitements hormonaux, s’ajoute le stress du voyage et de se retrouver dans un nouvel environnement et loin de ses proches (Soini, 2007). De plus, les SRT peuvent amplifier les stigmates associés à l’infertilité et conduisent les couples à négocier avec leur entourage une « éthique du secret et de la divulgation » (Mutlu, 2015).

D’un point de vue économique, la PA est un service médical qui entraine des coûts élevés. Dans le cas des SRT, il faut y ajouter des frais de transport et d’hébergement (Hudson et coll., 2011b). Finalement, des services comme la FIV demandent un suivi médical régulier qui contraint les femmes à manquer, chaque mois de traitement, des semaines entières de travail.

D’un point de vue juridique, plusieurs problèmes peuvent être rencontrés par les personnes utilisatrices, les gestatrices et les enfants. Il se peut que les couples puissent difficilement intenter des recours en cas de préjudices causés par de mauvais traitements reçus à l'étranger (Hudson et coll., 2011b). Pour la GPA, selon les lois en vigueur dans un pays, les parents

intentionnels pourraient ne pas être reconnus. De même, les parents intentionnels pourraient refuser d’adopter l’enfant. Il se peut aussi que la citoyenneté de l'enfant ne soit pas reconnue et que celui-ci soit considéré comme apatride (Hudson et coll., 2011b).

Pour atténuer ces risques, tout en respectant l’autonomie reproductive, en accord avec le principe bioéthique de bienfaisance, plusieurs suggèrent que la tâche du personnel médical implique d’informer les personnes utilisatrices quant aux risques de la PA et des SRT tout en leur accordant un accompagnement minimal (Dickens, 2010; Soini, 2007). Cependant, il n’y a pas d’obligation pour les médecins de référer pour des traitements dont ils n’ont pas une connaissance suffisante (Ethics Committee of the American Society for Reproductive Medicine, 2013). Cette relation reste volontaire et il apparaît que les médecins n’ont pas d’obligation de suivre cette patientèle (Ethics Committee of the American Society for Reproductive Medicine, 2013). De plus, certains analystes soutiennent de manière spéculative que l’obligation d’accompagnement atteint une limite lorsque les individus cherchent à obtenir des services considérés illégaux localement (Forman, 2011; Heng, 2007b). Certains allant jusqu’à suggérer que les médecins devraient décourager leurs patientes et patients de réaliser ces voyages à l’étranger, voire de refuser leur prise en charge (Fenton, 2006). À l’inverse, les médecins peuvent aussi décider de faire primer la responsabilité médicale et de pratiquer la désobéissance civile en référant pour des services localement interdits (Ferraretti et coll., 2010). Dans une telle situation, une incertitude plane quant à la nature des pénalités que pourraient subir ces médecins. Finalement, cette même responsabilité médicale peut être difficile à appliquer si le traitement se réalise à plusieurs endroits (Fletcher, 2013; Lawford, 2007).

Un dernier principe sollicité par les SRT est celui de justice sociale, duquel quatre dimensions ressortent. La première concerne la tension entre la solidarité sociale et le fait de soigner les complications dues aux traitements reçus à l’étranger et considérés comme illégaux ou dangereux selon les standards locaux (Soini, 2007). Un exemple cité régulièrement est la prise en charge, par les assurances des systèmes publics de santé, des complications découlant de grossesses multiples induites par l’implantation de plusieurs embryons réalisée dans des juridictions avec des standards médicaux inférieurs (Hudson et

coll., 2011b). La seconde dimension aborde l’iniquité intrinsèque aux SRT en tant que services uniquement accessibles aux personnes mieux nanties (Blyth et coll., 2005; Robertson, 2004). La troisième dimension touche au risque que les SRT détournent l’offre nationale des services médicaux limitée vers un marché de niche développé pour une clientèle internationale (Ferraretti et coll., 2010; Hudson et coll., 2011b) ou, au contraire, représentent un levier économique pour des économies en développement (Bookman et coll., 2007). La quatrième dimension met en lumière le risque d’exploitation des populations vulnérables en tant que fournisseuses de matériel ou de services reproductifs au profit d’un marché international fondé sur les écarts économiques et juridiques (Hudson et coll., 2011b; Pennings, 2007; Whittaker et coll., 2010). Ce dernier point (sur lequel nous reviendrons dans la prochaine section) a d’ailleurs été analysé de façon beaucoup plus substantielle par le courant de l’éthique féministe.

Comme nous venons de le voir, le difficile équilibre entre la protection de l’autonomie reproductive, la bienfaisance, la responsabilité professionnelle et la justice sociale a mené de nombreux analystes à en appeler au développement : de mécanismes de protection des personnes utilisatrices, de lignes directrices éthiques, de règles internationales pour limiter les effets délétères des SRT et de mécanismes de supervision des cliniques (Baylis et coll., 2014; Hudson et coll., 2011b; Smith et coll., 2009; Soini, 2007).