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Titrologie : la violence, la souffrance et la mort

Le corps romanesque

1. La paratextualité : un espace textuel tragique

1.1. Titrologie : la violence, la souffrance et la mort

Le paratexte est la relation qu’entretient le texte avec son environnement textuel. Selon Genette :

Le titre, sous-titre … qui procurent au texte un entourage variable et parfois un commentaire, officiel ou officieux, dont le lecteur le plus puriste et le moins porté à l’érudition externe, ne peut pas toujours exposer aussi facilement qu’il le voudrait et le prétend.60

Il va sans dire que le paratexte conditionne à la fois, la réception et la lisibilité du texte car il permet d’évoquer un questionnement approprié relatif au sens visé par le titre, celui qui est exprimé par l’image de la première de couverture. Celle-ci est aussi un écran très surveillé où se déploie le titre.

L’Excisée, Coquelicot du massacre et Voyages en cancer, titres constituant notre

corpus, sont révélateurs et porteurs de sens à la fois symbolique, psychologique et social. Nous verrons, en un bref synopsis, les significations que l’on peut attribuer à ces titres et ce qu’ils connotent dans le corpus.

1.1. Titrologie : la violence, la souffrance et la mort

Le titre est à la fois stimulation et début d’assouvissement de la curiosité du lecteur. Il est toujours plus ou moins énigmatique, ne se détachant pas du contexte social. Selon Claude Duchet :

Le titre du roman est un message codé en situation de marché ; il résulte de la rencontre d’un énoncé romanesque et d’un énoncé publicitaire, en lui se croisent nécessairement littérarité et socialité : il parle de l’œuvre en termes de discours social mais le discours social en termes de roman.61

60 Gérard Gentte., Palimpseste, la littérature au second degré, Paris, le Seuil, 1982, p. 10.

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Le titre et texte sont étroitement liés et complémentaires, le premier annonce le roman, le second l’explique, le titre donc annonce le roman et le cache. Le titre, comme le message publicitaire, doit remplir trois fonctions essentielles :

- Il doit informer le lecteur  fonction référentielle. - Il doit impliquer ou interpeller  fonction conative.

- Il doit susciter l’intérêt ou l’admiration et créer un plaisir esthétique  fonction poétique.

Ainsi avec Coquelicot du massacre, il s’agit d’un titre énigmatique qui ne dévoile pas le contenu du roman. Ce qui nous amène à penser que l’auteure veut certainement provoquer chez le lecteur une certaine curiosité ou créer chez lui un sentiment de mystère, voire attiser sa curiosité.

Le message véhiculé par le texte prend forme dans le titre même, cela nous permettra de voir si le texte et le titre convergent vers une même optique. Nous sommes en présence d’un énoncé connotatif : le coquelicot est une jolie petite fleur qui est à la fois fragile et puissante, c’est une fleur délicate, rouge, qui pousse dans les champs sauvages au Liban, choisissant comme espace les ruines de la guerre. C’est aussi le pavot de la drogue et le symbole du sang par-dessus tout. C’est une fleur belle et délicate qui peut survivre dans des conditions difficiles. Il y a cette jeune droguée dans le roman, et c’est le massacre de l’espérance, de la beauté et de la fragilité de cette fleur rouge qu’elle représente. Puis, il y a aussi le mot massacre dans lequel nous trouvons les sentiments de peur, de peine, de mort et d’angoisse, qui représentent la vie quotidienne des trois héroïnes.

Cependant, le cercle de violence continue car, au sein de ce Liban meurtri, le coquelicot continue à pousser comme symbole de l'espoir. Dans ce titre ambigu, nous retrouvons donc les juxtapositions lexicales bien/mal,

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beauté/laideur, paix/violence. Des contradictions qui nous aident à comprendre la chute du Liban.

L’importance des paratextes et leurs contributions dans la précision du sens du récit se confirme déjà à travers la lecture de L’Excisée. Le titre selon Mitterrand, est souvent choisi en fonction d’« une attente supposée du public pour les raisons de marketing … il se produit un feedback idéologique entre le titre et le public »62. Cependant, vue son caractère esthétique, le rôle du titre ne peut se limiter aux critères demandées à une publicité. Il est aussi une équation équilibrée entre « les lois du marché et le vouloir dire de l’écrivain »63. L’Excisée comme titre est un adjectif nominalisé au féminin qui fait référence à une catégorie générale d’acte relevant d’une pratique sociale condamnable. L’excision est l’événement-clé du roman, chargé d’une dimension psychique et psychologique. L’auteure veut dévoiler dans ce titre la contrainte que subit la fillette au cours de son enfance avant d’atteindre sa maturité. L’excision est aussi synonyme de mutilation et de massacre, le sang qui va couler est non celui de la vengeance et de la mort tel qu’il est peint dans Coquelicot du massacre, mais il est considéré comme le véhicule de la vie. Par ce titre, nous entendons aussi l’acte collectif et non individuel, car, si elles ne sont pas excisées, les fillettes affrontent la mort ou la répudiation.

Pour ce qui est de Voyages en cancer, nous divisons ce titre en deux parties : le voyage qui traduit l’expérience du malade ainsi que le traitement rythmé par des dates, comme il peut être considéré comme une enquête reprenant des informations, des documents et des témoignages. Ce mot peut aussi avoir une connotation heureuse, où le titre devient en ce sens un oxymore. La deuxième partie est le cancer qui traduit la souffrance subie et la maladie. Ce titre suscite un horizon d’attente : une chronologie au cours des années d’une maladie et de sa

62 Henri Mitterand, Les titres des romans de Guy des Cars, in Duchet Claude, Sociocritique, Paris, Nathan, 1979, p. 92.

63 Christiane Achour, Amina Bekkat, Clefs pour la lecture des récits, convergences critiques II, Alger, Tell, 2002, p. 71.

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cure. Voyages en cancer est, en fait, le voyage du cancer dans la vie quotidienne du malade, il peut être aussi le constant va et vient culturel et spatial entre plusieurs sociétés et plusieurs cultures où se découvrent ressemblances et différences. Si le cancer connote la souffrance et le voyage, l’expérience,

Voyages en cancer peut être l’exploration de la souffrance à travers les

expériences personnelles du cancer.

La violence qui émane des titres étudiés, L’Excisée, Coquelicot du

massacre et Voyages en cancer, est une violence subie par les femmes qui

expriment leur position de dominées. En effet, Les trois titres portent en eux l’idée de la mort ou de la destruction physique. Ils présentent le personnage féminin comme victime de la brutalité de l’homme. Elle, sans nom et sans corps, est un objet de curiosité, espionnée et interrogée dans les différents romans. Des victimes qui font les frais d’une situation politique difficile. Accad communique la voix des femmes qui ont vécu le conflit libanais sous forme de pertes d’êtres chers ou de tout ce qu’elles avaient au monde, des femmes qui ne se plaignent pas mais qui cherchent à comprendre plutôt. L’objectif de l’auteure à travers ces titres est de lever le voile sur cette violence envers les femmes qui est demeurée un sujet si tabou ; elle montre que, paradoxalement, la violence rend le corps plus présent.