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Le conflit religieux entre chrétiens et musulmans

L‘espace de la violence

3. Le conflit religieux entre chrétiens et musulmans

Chez Accad, chrétiens comme musulmans fonctionnent selon des principes patriarcaux, phallocratiques bien établis qui soumettent femmes et enfants à l’autorité du Père. Les militaires musulmans dans Coquelicot du

massacre volent et terrorisent Nour, jeune femme musulmane, comme si elle

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était la véritable ennemie plutôt que la puissance étrangère ou les militaires chrétiens. Il suffit qu’elle soit femme. Sa faiblesse fait d’elle une victime de choix, comme le compagnon de Hayat, lui aussi mutilé dans sa chair pour une religion qu’il ne pratiquait pas :

J’étais donc là, devant ces hommes qui m’en voulaient à cause d’une religion que je ne pratiquais pas, et qui me laissait indifférent … On m’a jeté à terre et torturé. On m’a mutilé sauvagement, et je me suis évanoui. Je me suis réveillé, apercevant comme dans un brouillard, les visages de mes bourreaux riant de mon humiliation. (C.M., p.84)

Le discours phallocratique et religieux relève du machisme et considère la femme comme un être inférieur à l’homme. Le phallus dans une société traditionnelle est considéré comme un passeport, il ouvre à celui qui le possède tous les horizons. L’homme n’est jamais la cause d’une tentation, c’est toujours la femme qui l’induit à l’erreur, au péché, à la transgression de la loi divine.

Si nous remontons aux origines de la création, la femme est à l’origine du péché originel.

La femme que tu as donnée pour être avec moi, elle m’a donné (du fruit) de l’arbre et ainsi j’ai mangé.36

C’est pour cela qu’elle est punie, châtiée par Jéhovah. Dieu.

A la femme il dit : j’augmenterai beaucoup la douleur de la grossesse ; c’est dans les souffrances que tu mettras au monde des enfants, et vers ton mari sera ton désir, et lui te dominera.37

36 Les Saintes écritures : Genèse 3,9-4,5 semence, chasser de l’eden : verset 16, p. 10.

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Dans la communauté chrétienne, l’homme exerce son pouvoir sur les membres de la famille, ils suivent un genre d’organisation un peu spéciale. La femme obéit à l’homme, l’homme obéit au Christ, le Christ obéit à Dieu. De cette manière, en obéissant à l’homme, la femme obéit à Dieu. Nous lisons dans

L’Excisée :

Christ a dit : Je suis la résurrection, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par Moi. (E., p.36)

Donc, la femme, dans une communauté chrétienne, est dominée par tous les « P », père tout puissant, père biologique, père de l’église. Dans la communauté musulmane, le verset coranique est clair :

Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordé sur elle et à cause des dépenses qu’ils font pour assurer leur entretien.38

L’homme utilise toujours son spectre pour remettre à leur place ceux qui s’écartent du droit chemin. Le Père lui-même est endoctriné, il n’a jamais essayé de remettre en cause sa religion, comme il ne s’est jamais posé la question : pourquoi tendre l’autre joue, pourquoi dresser une tente pour parler du Christ, de l’amour au sens du renoncement et du relâchement.

« Ils ont oublié qu'on ne donne pas l'amour à qui demande du pain. » (E., p.32)

Dans ce passage, l'auteure agit avec un contre-discours, dans l’autre face cachée du message, elle essaye de montrer la gravité de la situation : une guerre civile n’est pas une banalité ; ce n’est pas en prononçant un discours religieux sur l’au-delà que l’on va balayer toutes les peines ; c’est plutôt une époque d’action, de décision où tous les groupes religieux ou politiques doivent accentuer leurs

38 Essai d’interprétation du Coran inimitable, Traduction D Masson, revue par Dr Sobhi El Salah, Sourate « Les femmes », verset 34, p. 106.

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efforts sur le « comment sauver sa patrie » en oubliant les conflits et les différences. Pourquoi l’homme, au nom du masculin, s’approprie-t-il la religion et l’explique-t-il en sa faveur ?

Père et les dogmes. Père et les systèmes. Père qui connaît la Parole et qui sait l'expliquer. Père et la Parole. Père et le Prédicateur. Tous les P. unis pour expliquer, pour guider, pour analyser, pour montrer la Vérité. (E., p.35)

On dirait que la religion est faite pour soutenir, voire appuyer le pouvoir de l’homme et assurer la soumission de la femme. Dans la pratique quotidienne de la religion, il n’y a qu’un seul point qui revient constamment et sans cesse. La femme et toujours la femme, la femme et la soumission, la femme et le voile, la femme et le pliage à la volonté de l’homme. Aller jusqu’à croire que la religion donne son consentement à l’homme pour couper, mutiler et enlever le nerf vibreur du corps de la femme. C’est ce que nous lisons dans Coquelicot du

massacre où le personnage Najmé rétorque dans son discours :

Si l’Islam, d’après la théorie39 que nous venons d’entendre, promet la libération de la femme, et le Christianisme, son assujettissement, comment expliquer les mutilations génitales, la polygamie, les crimes d’honneur, la répudiation, le devoir de procréation ? (C.M., p.50)

En effet, dans la présentation d’une société désunie et diversifiée, le critère religieux apparaît comme la principale cause de l’incompatibilité des mentalités et l’inexistence de rapports continus et stables entre les collectivités, l’opposition relève ainsi d’entités profondément inconciliables et non de situations ou mésententes superficielles. Donc, Najmé, dans ce passage, touchée par la foi chrétienne, ne peut pas s’adapter.

39 Mernissi prétend que la femme musulmane devrait, en principe, être sexuellement plus libérée que la chrétienne. Elle compare les idées de Ghazali – l’Islam ordonne à l’homme d’apaiser l’appétit sexuel de la femme- à celle de Freud – la morale judéo-chrétienne, basée sur la notion de culpabilité, dénonce l’acte sexuel comme quelque chose de sale et de dépravé. cf. Coquelicot du massacre, p. 50.

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Le père de « E » est une puissance, un pouvoir, une phallocratie, une connaissance d’un seul livre, une vision d’un seul angle, une dominance acquise grâce à la religion et renforcée par une tradition. Une tradition à laquelle la femme, souvent par ignorance, permet de se perpétuer. « P » exerce son pouvoir dans son église, il est l’homme qui transmet la parole divine à ses paroissiens, il jouit d’un pouvoir dicté par le livre sacré.

« P » n’arrive pas à se détacher du pouvoir, il l’achemine même au sein de son foyer. Le « P » du prêtre a effacé le « P » de papa, la fonction l’emporte sur le sentiment. Quand il y a exercice d’un pouvoir, l’amour a intérêt à s’éclipser. Le regard du dominant évoque beaucoup de notions (pouvoir, puissance, position sociale, …), ces notions n’ont aucun lien ni de près ni de loin avec l’amour. L’entente, la compréhension, la complicité :

Ton de commande, ton du Maître à l'esclave, ton qui fait vibrer les murs de la maison, ton qu'il ne faut pas contester, ton sous lequel il faut se plier si l'on ne veut pas voir la maison s'écrouler et les vitres voler en éclats, ton qui désespère parce qu'il croit protéger, sanctifier, faire fructifier. (E., p.48)

« E » quitte enfin à jamais ce « P » qui l’étouffe. Elle le quitte en même temps qu’elle quitte le dogme et le système qui lui donne tant de pouvoir sur elle. Elle quitte cet homme qui a écrasé ses rêves et a freiné ses ambitions au nom de la religion. Dans Coquelicot du massacre, le personnage Najmé exprime son rejet d’une religion qui condamne la femme à l’état dans lequel elle se trouve :

Je ne peux pas accepter une religion pareille, je trouve la religion hypocrite … La religion me révolte, tout comme la politique. La religion et la politique ont détruit ce pays. Moi, je n’en veux pas. Et je ne veux surtout pas d’une religion qui dit que je dois obéir, être mariée de force, battue, répudiée, violée comme un agneau qu’on égorge … (C.M., p.51)

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En voulant réaliser son rêve, « E » se jette naïvement dans les bras d’un autre « P ». Un « P » très ambitieux, plein de rêves qui ne supportent pas le partage et n’acceptent pas une intruse. Un « P » qui a son mot à dire au sein de sa communauté, qui a aussi son pouvoir, ses privilèges :

On nomme « P ». C’est un passe partout. (E., p.45)

Le mot liberté ne supporte pas d’intermédiaire, ne supporte pas le mot fuir. La liberté est synonyme d’affrontement plutôt. « E » a subi donc un transfert d’un lieu à un autre, d’un pouvoir phallocratique exercé sur elle au nom de la paternité à un autre pouvoir phallocratique au nom de l’amour.

Les « P » qui dominent la femme sont multiples : du père tout puissant, au père de l’église, ils exécutent les règles et les commandements de la divinité transmis par une simple tradition ancrée dans l’inconscient collectif de l’humanité et perpétuée notamment dans les sociétés traditionnelles.

L’œuvre a pour but de pousser les protagonistes à se servir de la destruction afin de mettre fin aux traditions et au silence de la femme et afin de détruire les frontières qui limitent la femme et donc l’ensemble de la société. Dans L’Excisée et Coquelicot du massacre, L’acceptation de la supériorité masculine apparaît comme le postulat sur lequel est basée toute l’existence de la femme libanaise, l’influence de l’homme sur son destin est la règle du groupe. L’objectif principal d’Accad est de mettre l’accent sur la structure patriarcale de la communauté dans laquelle la femme n’a d’existence que par son appartenance à un homme : père, frère, mari ou tuteur. Cette soumission de la femme la pose ainsi comme la mineure éternelle d’une société patriarcale, étriquée, l’enserrant dans un étau de prohibitions et de contraintes entièrement dépendante de la volonté masculine. Maintenue enfermée dans les limites morales et matérielles de la maison, elle appartient à leur monde et n’a aucune prise sur le leur, assujettie

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aux lois socioreligieuses et économiques, entraves pour sa réalisation individuelle, elle est présentée comme une vassale.

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CHAPITRE II