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La titrisation est utilisée pour transférer des risques vers des investisseurs non bancaires

perspective théorique autrichienne

3.2 La titrisation est utilisée pour transférer des risques vers des investisseurs non bancaires

Une des difficultés de l’exercice est de concevoir l’impact de la titrisation sur l’ensemble du système bancaire et non pas uniquement sur une banque individuelle. Pour cela, nous proposons d’analyser dans un premier temps l’impact de la titrisation au niveau d’une banque (que nous nommerons « Alpha ») puis, dans un second temps, au niveau de l’ensemble du système bancaire.

Impact de la titrisation au niveau d’une banque individuelle

La capacité des banques à créer de la monnaie scripturale est contrainte par deux types de règle. D’une part, la plupart des banques centrales imposent des niveaux de réserves obligatoires qui correspondent à un pourcentage des dépôts des agents non bancaires.117

116 Pour Friedman (2009), ces différentes mesures politiques semblent avoir eu comme objectif l’accession à la propriété pour les classes moyennes aux Etats-Unis. Pour l’auteur, ces politiques se sont accentuées sous le mandat présidentiel de Bill Clinton puis de Georges W.Bush.

117 Les niveaux de réserve réglementaire varient selon les pays. Certains pays n’en imposent pas. Cela est le cas notamment de l’Australie, du Canada et du Royaume Uni. D’autres imposent des niveaux de réserve très importants comme le Brésil qui impose 45% de réserves. La Banque Centrale Européenne impose 1% sur les dépôts à vue depuis 2012, alors que la Federal Reserve impose 10%. La création de monnaie scripturale est ainsi

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D’autre part, les banques sont également contraintes par le niveau de capital réglementaire qui dépend de la composition de l’actif des banques. Ainsi, la plupart des systèmes bancaires accepte de suivre les recommandations de Bâle qui instaurent l’immobilisation d’au moins 8% du risque pondéré en capital des différents engagements des banques.118 Ainsi, pour des

prêts commerciaux classiques, les banque doivent détenir au moins 8% de capitaux propres dont 4% doit être détenu en « core tier 1 » et les 4% restant en « tier 2 ». Le Tableau 4 nous montre un exemple de bilan bancaire simplifié de la banque Alpha à titre d’illustration :

Tableau 4 : Bilan initial de la banque Alpha (Millions de dollars)

En supposant que le niveau de réserve réglementaire est de 10%, nous pouvons observer que la banque Alpha détient des réserves excédentaires puisque ces dernières représentent environ 13% des dépôts (25/192). Bien que la banque Alpha détienne un excédent de réserves de 3% (13%-10%), elle ne peut toutefois les utiliser car sa quantité de fonds propres n’est pas suffisante pour supporter davantage de prêts commerciaux ou hypothécaires (les capitaux propres étant juste égaux à 8% du risque pondéré en capital).119

contrainte par le multiplicateur de crédit qui dépend du niveau de réserve obligatoire de la manière suivante : En notant rreq le ratio de réserve obligatoire, le multiplicateur dans sa forme la plus simplifiée s’écrit :

BCDE CEF DGB2 21

HIJ

Un banquier plus averse au risque pourra prendre en compte la possibilité d’une fuite de liquidité sous forme de billets. De plus, le banquier peut décider de garder un matelas de réserve en plus de son obligation réglementaire. 118 Le risque pondéré en capital est arbitrairement défini par les accords de Bâle comme suit :

0% cash, or, OECD governments’ debt instruments (of any rating) 20% claims on OECD government agencies and local public sector entities 50% mortgage loans

100% all claims on the private sector, non-OECD governments, real estate, ABS, and other investments and assets.

119 Le risque pondéré en capital se calcul comme suit :

Risque pondéré GU F ED C V WGXG2YGX & Z[CE\ DE]UX ^′éD DX ` 0a & Vb2GDX c0 ]D1éF E2GX ` 0.5a & Vb2GDX f]ggG2FE B ` 1a 50 gECCE]UX ` 0 & 100 gECCE]UX ` 0.5 & 50 gECCE]U ` 1 =100 millions

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La banque a donc deux solutions. Soit elle procède à une augmentation de capital, ce qui pourrait s’avérer coûteux en termes de coûts de financement, soit elle titrise et vend une partie de ses prêts commerciaux ou prêts hypothécaires pour diminuer le risque de son bilan (Jablecki et Machaj, 2009). Cette cessation de créance peut se faire via la constitution d’un « SPV » (« Special Purpose Vehicle »). Le SPV rachète les créances et émet des titres (sous forme d’Asset-Backed Securities ou « ABS »), qui seront ensuite distribués à des investisseurs. Comptons parmi ces ABS, les fameux MBS lorsque la titrisation porte sur des prêts hypothécaires. Les investisseurs peuvent ainsi acheter ces titres directement ou indirectement en achetant par exemple des Money-Market Mutual Funds (MMMFs) ou Hedge Funds qui détiendront à leur tour les ABS. La Figure 9 décrit l’opération de titrisation de la banque Alpha en partant de la situation bilancielle du Tableau 4. La banque reçoit ainsi des liquidités de la part de l’investisseur qui vient se substituer aux prêts hypothécaires libérant ainsi du capital pour la création de nouveaux prêts (hypothécaires ou non).

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La nouvelle composition du bilan de la banque Alpha montre que le niveau de réserve obligatoire passe de 13% à 52% (100/192) des dépôts (bien au-dessus de la limite de 10%). De plus, le ratio en capital passe à 12.8%120 libérant ainsi 4.8% de fonds propres

excédentaires. En supposant que la banque Alpha utilise ses 75 millions d’USD de réserves supplémentaires pour de nouveaux prêts hypothécaires, son bilan redevient identique à ce qu’il était avant titrisation c'est-à-dire à la situation bilancielle du Tableau 4. Entre temps, la quantité totale des prêts dans l’économie s’est accrue de 75 millions d’USD.

Ce point mène ainsi Gertchev à affirmer que la titrisation entraine une inflation monétaire et amplifie le cycle d’affaire au sens autrichien du terme :

Therefore, [securitization] hides the reverse side of bank credit—the increase in the money supply, i.e., inflation. It makes the economic environment appear less inflationary than it should be, given individuals’ growing indebtedness to banks. Securitization portrays a bank- credit driven boom as non-inflationary, savings driven growth. It contributes to the widespread illusion that more factors of production are available than in reality, and becomes thereby a factor in the generation of the error-induced boom-bust cycle. (Gertchev 2009, p. 297)

De plus, on peut conclure de l’analyse précédente que la politique monétaire devient moins efficace en présence de titrisation. En effet, les banques peuvent utiliser la titrisation comme une source alternative de financement rendant moins efficace les opérations de repo sur le marché monétaire ou les opérations d’open-market (OMO) des banques centrales. Nous allons à présent enrichir cette analyse en raisonnant au niveau consolidé du système bancaire.

Impact de la titrisation au niveau du système bancaire consolidé

Il semble au vu de l’analyse précédente que la titrisation permette de masquer un phénomène inflationniste. Pourtant, cette analyse est incomplète car elle ne tient pas compte de l’impact de la titrisation sur le système bancaire au niveau consolidé et les modifications concernant les préférences des agents économiques. Reprenons la Figure 10 qui montre une situation fictive d’un bilan bancaire consolidé ainsi que le bilan des agents non bancaires.

120 Le risque pondéré en capital se calcul comme suit :

Risque pondéré GU F ED C V WGXG2YGX & Z[CE\ DE]UX ^′éD DX ` 0a & Vb2GDX c0 ]D1éF E2GX ` 0.5a & Vb2GDX f]ggG2FE B ` 1a 125 gECCE]UX ` 0 & 25 gECCE]UX ` 0.5 & 50 gECCE]U ` 1 =62.5 millions

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Figure 10 : Impact de la titrisation sur les bilans consolidés – Etapes 1 et 2 (Milliards d’USD)

Dans cet exemple, les banques ont des niveaux de fonds propres qui couvrent exactement leur risque pondéré en capital (le risque pondéré en capital est de 1000 Milliards d’USD121 alors que les fonds propres sont de 80 Milliards d’USD, ce qui représente

exactement 8%). De plus, les banques détiennent un léger excès de réserves (10.3% au lieu de 10%).

Les banques décident alors de titriser massivement la moitié de leurs prêts hypothécaires (soit 500 Milliards d’USD) et de les distribuer à des investisseurs non bancaires. L’étape 2 montre les bilans après titrisation. Le bilan bancaire consolidé s’est rétracté de 500 Milliards d’USD. En effet, la masse de prêts à l’actif a baissé de ce même montant, ces derniers ayant été transférés dans le SPV. En revanche, l’opération au niveau consolidé n’a pas fait apparaitre de nouvelles réserves. Ce résultat parait surprenant et masque deux opérations de même taille venant se compenser. Admettons par simplification qu’une seule banque titrise ses prêts et distribue les ABS à ses propres clients détenant des dépôts à vue dans son établissement. Les investisseurs vont alors utiliser 500 Milliards d’USD de liquidité qu’ils détiennent sur leur compte à vue pour pouvoir acheter les ABS. La banque n’a

121WEXiBG b]U^é2é GU F ED C V WéXG2YGX & Z[CE\ DE]U ^′éD DX ` 0a & Vb2GDX c0 ]D1éF E2GX ` 0.5a & Vb2GDX f]ggG2FE B ` 1a 610 gECCE]UX ` 0 & 1000 ECCE 2^X ` 0.5 & 500 ECCE 2^X ` 1 =1000 Milliards

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pas à ce stade de réserves suffisantes pour honorer un tel transfert de fonds. Cependant, la banque sait qu’elle va recevoir des réserves de son client au titre de la distribution des ABS. Les deux opérations (la distribution des ABS et la demande de fonds de la part des investisseurs) ayant lieu en même date de valeur, la banque n’a pas besoin de libérer de réserves. Les dépôts à vue des clients viennent directement compenser le besoin de liquidités des banques. En revanche, on remarque que les investisseurs non bancaires ont renoncé à leur dépôt à vue pour acheter des ABS.

Ce mécanisme reste identique si nous supposons maintenant que les investisseurs d’ABS n’ont pas de dépôts à vue dans la banque qui titrise et distribue les ABS. Dans ce cas, une étape supplémentaire est requise. La banque émettrice d’ABS (la banque A par exemple) va en effet recevoir des fonds sans diminuer de manière simultanée la masse de ses dépôts à vue. Dans ce cas, la banque A constitue des réserves excédentaires. En revanche, la banque qui détient les dépôts bancaires qui seront utilisés pour l’achat des ABS (la banque B par exemple) sera en déficit de réserves. Les deux banques pourront éventuellement se refinancer sur le marché interbancaire, la banque A prêtant à la banque B. Le prêt interbancaire se compense dans un bilan consolidé du système bancaire.122

Concernant le bilan des agents non-bancaires, apparaissent les ABS qui viennent se substituer aux dépôts bancaires. La quantité de prêts n’a pas changé mais le taux d’intermédiation bancaire a diminué, le financement ayant lieu à présent directement entre agents non bancaires à travers les ABS. Notre hypothèse est que cette modification du bilan des agents non bancaires révèle une modification dans leur préférence qui doit être prise en compte dans l’analyse du cycle. L’ABS peut être un titre de court comme de long terme. Les ABCPs par exemple sont des titres de maturité très courte. D’autres ABS sont des titres de maturité plus longue. Admettons par simplification que l’ABS a une maturité s’alignant sur la maturité moyenne des prêts hypothécaires sous-jacents. La substitution des dépôts à vue pour ces ABS traduit une diminution de la préférence pour le présent des agents non bancaires. D’où vient ce changement de préférence ? L’introduction d’un nouveau produit d’épargne long terme (l’ABS) n’est pas neutre et permet une offre de produits d’épargne disponibles plus complète. Il permet une meilleure diversification du portefeuille, de nouvelles sources de risque et de rendement qui pourront être plus adaptées au profil de risque des agents économiques. Il est vrai que d’autres facteurs peuvent être pris en compte mais il est

122 Il est important de noter que les réserves ne s’appliquent pas aux transactions interbancaires et ne consomment pas de fonds propres.

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vraisemblable qu’en substituant un dépôt à vue pour un ABS, l’agent économique décide de restreindre sa consommation présente pour une consommation future. Ce changement de préférence a un impact sur le cycle. En restreignant sa consommation, l’agent économique fait apparaitre un différentiel de profit entre le secteur des biens de production et le secteur des biens de consommation, ce qui oriente les facteurs de production et les ressources des entrepreneurs vers le secteur des biens de production. Cela a pour effet de limiter la hausse de la rémunération des facteurs de production dans ce secteur. De plus, les modifications de préférences vont également entrainer une baisse des prix des biens de consommation ce qui aura pour effet de limiter la hausse des taux d’intérêt (à noter que dans l’ABCT standard, la hausse des taux d’intérêt constitue une des sources du « bust »). Il est difficile de mesurer les effets décrits précédemment et de conclure ou non à la neutralisation du phénomène inflationniste initiale sur le cycle d’affaire, mais il semble que la titrisation en complétant l’offre de produit d’épargne tend à limiter la phase de bulle du moins jusqu’à l’étape 2 que nous venons de décrire.123

Cependant, la démonstration ne se termine pas là. En effet, les banques se retrouvent à présent avec des excès de fonds propres et des excès de réserves. De nouveaux crédits peuvent être émis par les banques comme le montre le passage de l’étape 2 à l’étape 3 de la Figure 11.

123 Ce point nous parait intéressant à développer dans des travaux ultérieurs. Il apparait en effet que l’offre de produit d’épargne n’est pas neutre dans la théorie autrichienne du cycle d’affaires. En effet, en créant des produits adaptés au profil de risque des investisseurs, les banques mais aussi les sociétés de gestion contribuent à orienter les ressources vers les biens de production ce qui permet d’atténuer les effets du cycle d’affaires. Ce point ne sera pas détaillé davantage car il s’éloigne de l’objectif principal de cette dissertation.

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Figure 11 : Impact de la titrisation sur les bilans consolidés – Etapes 2 et 3 (Milliards d’USD)

La troisième étape montre que la banque pourrait donc prêter de nouveau ses excédents de réserves, ce qui lui permettrait par le biais du multiplicateur de crédit, de recréer de nouveaux dépôts à vue et ainsi de reconstituer son bilan initial avant titrisation. Le bilan de la banque revient à ce qu’il était avant titrisation, c'est-à-dire l’étape 1. Cependant, le bilan des agents non bancaires est modifié. En effet, le nominal des prêts hypothécaires et commerciaux est maintenant de 2000 Milliards d’USD au lieu de 1500 Milliards USD dans notre exemple. Certes, en consolidant les étapes 1, 2 et 3, la titrisation a permis de créer de nouveaux crédits, ce qui fait dire à Gertchev (2009, p.297) que :

Securitization leads to excess liquidity and to improved compliance with capital provision regulations despite the fact that the central bank has not increased its total liabilities and additional savings have not been channelled into the banking industry. (Gertchev 2009, p.297)

Cependant, cette augmentation des crédits est à mettre en parallèle avec une modification des préférences pour le présent des agents non bancaires. Cet aspect ne nous parait pas pris en compte à sa juste mesure dans la conclusion suivante de l’auteur :

Securitization portrays a bank-credit driven boom as noninflationary, savings driven growth. It contributes to the widespread illusion that more factors of production are available than in

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