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Arbitrage réglementaire et modes de production des règles

développement du marché des instruments dérivés

Chapitre 5 Arbitrage réglementaire et modes de production des règles

1.

Introduction

La recherche des causes de l’arbitrage réglementaire nous mène à présent à discuter de l’organisation institutionnelle et notamment du mode de production des règles. Cette approche complète les précédentes qui se focalisent davantage sur les comportements de l’arbitragiste et du régulateur. Une étude du rôle de l’environnement institutionnel sur le phénomène de l’arbitrage réglementaire a été esquissée par Partnoy (1997) mais n’a pas été suffisamment approfondie. Celui-ci distingue trois types de réglementation : les règles « bottom-up » comme par exemple le « common law » des pays anglo-saxons, les règles « top-down » (notamment celles issues du processus législatif et gouvernemental), et l’autorégulation. L’auteur conclut que les règles « bottom-up » sont les moins exposées au phénomène d’arbitrage réglementaire car elles seraient moins coûteuses. Nous verrons que cette analyse est proche de celle d’Hayek concernant la supériorité de l’ordre spontané sur l’ordre construit. Nous reprendrons ses principaux arguments et montrerons que les caractéristiques des ordres spontanés pourraient nous permettre de conclure que ces derniers sont moins exposés au phénomène d’arbitrage réglementaire (section 1).

Cependant, nous critiquerons cette conclusion dans la section 2 puis montrerons dans la section 3 que la distinction pertinente pour analyser les causes de l’arbitrage est celle entre règles consenties et règles non consenties.82 L’arbitrage des réglementations est rendu

possible par l’existence d’une incohérence entre les différentes règles entre-elles. Cette incohérence est le résultat de l’arbitraire des qualifications juridiques proposées. Nous nous inspirerons des travaux de Rothbard et Hoppe pour émettre la proposition suivante : si l’arbitrage réglementaire est en effet le résultat d’incohérences entre différentes règles, alors une structure de règles imperméable à ces incohérences impliquerait que le Droit (et donc la production de règles) soit un processus de déduction logique d’un axiome unique qui se conforme au test de cohérence qu’est le critère de l’argumentation tel qu’énoncé par Hoppe (1993). La contribution fondamentale de Hoppe est de montrer que seul l’axiome de propriété

82 Cette position est défendue par Rothbard (1962, chapitre 10 section 2) concernant la théorie du monopole et des cartels. Cet argument a été ensuite repris et enrichi par Salin (1996) en montrant que les cartels, si constitués de manière volontaire et spontanée, sans interférence des pouvoirs publics, constituent une structure productive efficiente.

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de soi et de non-invasion de la propriété légitime d’autrui est conforme à ce critère.83

L’existence des réglementations serait alors en contradiction avec cet axiome et la conséquence directe serait que ces dernières fassent émerger nécessairement une discontinuité dans le Droit entrainant des opportunités de profits. L’arbitrage réglementaire serait donc inaliénable aux réglementations et aux incohérences qu’elles génèrent.

De plus, nous nous proposons de montrer les implications économiques d’un système juridique qui se conforme à ces principes. Les règles contractuelles qui sont par définition des règles consenties ont en effet des caractéristiques économiques objectives qui les rendent préférables aux réglementations (qu’elles soient « top-down » ou « bottom-up »).

Enfin, dans la section 4, nous décrirons les interactions entre les différents modes de production de règles en montrant que les réglementations (qui sont par nature des règles coercitives) ne se contentent pas de se substituer aux règles consenties, mais détériorent également toute une structure de production qui vise à l’amélioration de la qualité des règles contractuelles. Enfin, la structure de production des règles contractuelles, en disparaissant, laisse place à une structure de production des réglementations faisant apparaitre des phénomènes de recherche de rente et d’arbitrage réglementaire.

2.

Caractéristiques de l’ordre spontané et arbitrage réglementaire

Partnoy (1997) compare différents types de réglementation en fonction de leur prédisposition à l’arbitrage réglementaire. Parmi elles, il distingue les réglementations dites « top-down » (les lois, les réglementations aussi bien communautaires que nationales), les réglementations dites « bottom-up » (qui sont le plus souvent issues du droit commun tel que le « common law ») et l’autorégulation. L’auteur disqualifie les règles « top-down » peu adaptées à résoudre des problématiques particulières car trop rigides et produites de manière trop centralisée. Leur rigidité et le coût qu’elles génèrent pour les parties encouragent selon l’auteur la mise en place des stratégies d’arbitrage réglementaire. Il disqualifie également l’autorégulation car soumise à des conflits d’intérêt entre le producteur de la règle et ceux qui y sont soumis. Enfin, les réglementations « bottom-up » sont selon l’auteur les types de réglementation les plus adéquats et les moins perméables au phénomène d’arbitrage réglementaire. Partnoy (2002) réitère cet argument en comparant les différents types de

83 Nous ne débattrons cependant pas du bien-fondé des théories du droit naturel et notamment sur la validité du concept de « propriété de soi » et de ses implications sur les règles à poursuivre. Cette discussion nous mènerait à une analyse métaphysique qui dépasse les objectifs de cette dissertation.

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réglementations s’appliquant aux instruments dérivés et conclut que « To the extent public legal rules impose substantial costs on market participants, those rules will create incentives for regulatory arbitrage transactions » (Partnoy 2002, p.215). Peut-être sans le savoir, Partnoy s’aligne sur l’argument d’Hayek (qu’il ne cite pas dans son article) concernant la supériorité des ordres spontanés aux ordres construits, ce qui nous mène à l’approche de cet auteur bien plus élaborée lorsqu’il est question de comparer les ordres construits avec les ordres spontanés.

Tout d’abord, il convient de préciser que l’approche d’Hayek en faveur des ordres spontanés (ou des règles « bottom-up ») est complexe et semble avoir évolué dans le temps. Le premier argument d’Hayek qui transparait clairement dans « the Constitution of liberty » consiste à légitimer les législations si elles se conforment aux règles de Droit (« rule of law »). Cet argument a été largement critiqué par Leoni (1961) pour qui les législations créeraient une incertitude juridique inhérente à la nature instable du système politique. Cette critique semble avoir enrichi l’approche d’Hayek. Dans « Law legislation and liberty » publié en 1973, les ordres juridiques spontanés comme le « common law » sont présentés comme étant supérieurs aux ordres « construits » par la seule force de la raison cartésienne. La nature jurisprudentielle du « common law » permettrait une certaine stabilité juridique mais aussi la conservation des règles qui résultent des expériences et des erreurs passées. De plus, les juges qui ont la charge de l’interprétation du Droit sélectionneraient les règles les plus appropriées. Cet argument est alors très proche de la théorie du droit de Leoni (1961) pour qui les juges ont la charge de la découverte du Droit comme cela était le cas dans le Droit Romain.

Pour Hayek, l’ordre spontané (tel que le marché, le langage, la monnaie mais aussi les systèmes juridiques) est « the result of human action but not of human design » (Hayek 1973, p.20).84 Se pose malgré tout la question de la délimitation rigoureuse entre ce qu’est un ordre

« construit » et ce qu’est un ordre qui « émerge sans intentionnalité », la plupart des institutions étant le résultat de ces différentes forces. Nous avons tenté de structurer clairement

84 La théorie d’Hayek est héritée de l’approche de Carl Menger et avant lui de l’école écossaise de philosophie morale représentée notamment par David Hume, Adam Ferguson et Adam Smith. Les termes « the result of human action but not of human design » proviennent d’Adam Ferguson. L’ordre spontané peut aussi être rapproché du concept de « main invisible » d’Adam Smith selon lequel les intérêts particuliers mènent de manière non intentionnelle vers l’intérêt commun. Cependant, l’expression « the result of human action but not of human design » nécessite certaines qualifications. En effet, le droit, même lorsqu’il est produit de manière décentralisée, est une construction humaine. De plus, les règles poursuivent des objectifs précis. Cependant, la différence clef réside dans le fait qu’elles proviennent avant tout de la pratique et ne sont pas le produit d’une délibération en dehors de cette pratique.

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les arguments d’Hayek en faveur de ces ordres spontanés et d’étendre ses conclusions au cas de l’arbitrage réglementaire.

Argument 1 : Les ordres juridiques « spontanés » sont par nature décentralisés et permettent une meilleure utilisation de l’information que les ordres juridiques « construits ».

Hayek considère que l’ambition de substituer un ordre construit à un ordre spontané est vouée à l’échec. La limitation de la connaissance (l’ignorance) dans une société complexe implique d’une part, une impossibilité à concevoir l’ensemble des règles nécessaires au fonctionnement libre et harmonieux d’une société et d’autre part, une impossibilité à déterminer un intérêt public partagé par l’ensemble des individus.

Pour Hayek, l’ordre spontané est par définition un ordre décentralisé. Les juges fondent la plupart du temps leurs décisions sur la jurisprudence, mais peuvent également s’en éloigner au cas par cas. Cette caractéristique permet ainsi aux règles d’être plus adaptées aux situations particulières et de prendre en compte une information plus complète. L’ordre construit, au contraire, est par définition un ordre centralisé et rigide où le juge est le représentant des pouvoirs publics et le garant du respect des lois et codes. Son rôle n’est pas d’interpréter ou de produire du droit, mais de faire respecter les règles produites par les pouvoirs publics.85 Les ordres spontanés et décentralisés, en utilisant de manière plus

efficiente l’information disponible, permettent d’établir des règles qui tiennent davantage compte des spécificités des cas en question.

Argument 2 : Les ordres juridiques spontanés sont supérieurs aux ordres construits car

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