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Le mécanisme de « Shadow Banking »

monétaire et bancaire

Chapitre 3 : Revue de la littérature et ses principales faiblesses

2.1 Le mécanisme de « Shadow Banking »

Ces dernières années, la littérature financière a largement utilisé le concept de « Shadow Bank » pour illustrer l’existence de « loophole » au sein du système bancaire. Les Shadow Banks sont des entités qui exercent des activités assimilables à des activités bancaires mais qui échappent aux réglementations prudentielles. Plus précisément, ces structures permettent de diminuer les fonds propres réglementaires imposés par les accords de Bâle tout en exerçant une activité bancaire qui bénéficie des mêmes garanties publiques octroyées aux banques et à leurs clients.

L’illustration la plus flagrante et la plus documentée de ces techniques de « Shadow Banking » est, sans conteste, la technique de titrisation. La titrisation est supposée permettre le transfert du risque des actifs des banques vers des agents non-bancaires. Les banques ont eu recours à cette technique de manière extensive en prêtant des fonds à leurs clientèles et en

19 Par « structure », l’auteur entend certainement la qualification juridique et réglementaire de son activité économique

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distribuant ces prêts sous forme de titres financiers (notamment des Asset-Backed Securities ou ABS) à d’autres investisseurs. Ce modèle fut notamment baptisé « originate to distribute », la banque se contentant de sélectionner les emprunteurs et de distribuer les dettes contractées à des investisseurs disposant d’un excès de liquidités. Cependant, une étude plus approfondie des mécanismes financiers et juridiques montre que l’intérêt économique des activités de titrisation résidait davantage dans la diminution des coûts provenant des règles prudentielles que dans la rémunération des services de sélection et d’intermédiation des emprunteurs. Cette conclusion fait notamment dire à Goodhart (2008) que le modèle « originate to distribute » était en réalité un modèle « originate and pretend to be distributed ». En effet, la crise de 2008 a révélé que la réglementation prudentielle de Bâle ne prenait pas en compte de manière satisfaisante les engagements de « hors bilan » des banques notamment les garanties (implicites ou non) et les instruments dérivés. Ces imperfections réglementaires (souvent qualifiées dans la littérature anglophone de « loophole ») créent une incitation à transférer les créances vers des véhicules ad-hoc (notamment des Special Purpose Vehicle « SPV »), à distribuer les instruments de dettes émis par ces véhicules (ces fameux ABS) tout en conservant le risque de crédit par des mécanismes de garanties et l’utilisation d’instruments dérivés. Les accords de Bâle ne prenant pas en compte de manière satisfaisante le risque provenant de ces engagements, cette technique aurait ainsi permis de réduire les besoins en fonds propres des banques sans que celles-ci aient diminué leur risque. Ce mécanisme aurait fragilisé le système bancaire entrainant la crise financière et bancaire de 2008.

Pour illustrer cette mécanique de manière précise, Acharya, Schnabl et Suarez (2011) montrent comment les banques ont pu, à travers l’émission d’ABCP (Asset-Backed Commercial Paper) et de garanties particulières (les « liquidity guarantees »), s’exposer à un risque de transformation des créances (synonyme d’une exposition à un risque de crédit) sans consommer de fonds propres.20 De la même manière, Kerr (2011) décrit à travers l’allégorie

d’un système économique virtuel (Ruritania) les principales faiblesses des réglementations prudentielles de Bâle et des règles comptables IFRS. Pour l’auteur, la prise en compte des risques venant des opérations de hors bilan telles que la titrisation et les instruments dérivés (particulièrement les « CDS ») est insuffisante et inadéquate au regard des risques pris.21 Ce

mécanisme avait pourtant fait l’objet de critiques dans certains papiers bien avant la crise de 2008. Calomiris et Mason (2003) avaient notamment souligné le mécanisme de garantie

20 Nous reviendrons sur ce mécanisme précis dans le chapitre 2 de la partie II ou nous étudierons en détail les conséquences de l’arbitrage réglementaire sur la stabilité du système financier et bancaire.

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implicite provenant de la titrisation des créances liées aux cartes de crédit et la façon dont ce mécanisme permettait d’arbitrer les réglementations de Bâle. Encore plus tôt, Jones (2000) proposait une étude détaillée de la manière dont la titrisation pouvait être utilisée pour diminuer le coût en capital des banques et les incitations perverses qui en découlent.22 Ces

papiers, bien que précurseurs n’ont pu empêcher le développement de la titrisation et ses conséquences.

Le mécanisme de « shadow bank » ne se limite pas à la titrisation. L’instrument dérivé constitue également un outil décisif de ce mécanisme mais plus généralement il reste un moyen d’arbitrage redoutable par sa capacité à répliquer des actifs par des sous-composants. Knoll (2005) montre comment la parité « Put-Call » peut être appliquée à l’arbitrage réglementaire. Considérons un actif A ayant un traitement réglementaire précis. Si les flux de cet actif A sont répliquables par une combinaison d’actifs ayant un traitement réglementaire moins coûteux que celui de l’actif A, alors un arbitrage réglementaire est possible. La parité Put Call montre qu’il est possible par exemple de répliquer un actif risqué (une action par exemple) à l’aide d’un actif sans risque, de l’achat d’un call option et de la vente d’un put option (ces deux dernières composantes formant l’achat d’un « forward synthétique »). Une réglementation s’expose à l’arbitrage réglementaire lorsque différents substituts économiques ont des traitements réglementaires différents. L’auteur propose un certain nombre d’applications pratiques et historiques de ce mécanisme notamment concernant l’arbitrage fiscal et l’interdiction de l’usure au Moyen-âge.

Dans le domaine bancaire, une illustration concrète de ce mécanisme réside dans le différentiel de traitement prudentiel et comptable entre les instruments financiers du portefeuille de négociation et celui du portefeuille bancaire. S’il est possible de les transférer d’un portefeuille vers un autre sans modifier de manière significative les flux financiers qu’ils génèrent, alors un arbitrage réglementaire est possible. Le risque de marché dans un portefeuille de négociation est mesuré par la Value at Risk (« VaR »).23 Un prêt classique au

contraire, reçoit une charge en fonds propres de 8% de son risque pondéré en capital. Vendre à une contrepartie un prêt (qui appartient par défaut au portefeuille bancaire) tout en assurant cette contrepartie contre le risque de défaut via un CDS (qui appartient par défaut au

22 Nous référons le lecteur à l’Annexe I, étude de cas 5a pour davantage de précisions sur les incitations des banques à titriser des créances de mauvaises qualités et à ne pas titriser les créances de meilleures qualités. 23 Taleb (2010) est un fervent critique de la VaR notamment car cet indicateur serait pro-cyclique et tendrait à diminuer en période de croissance, là où les risques de bulles sont importants. De plus, l’auteur critique la VaR en affirmant que les événements extrêmes (les fameux black swans) ne sont pas des événements probabilisables en tant que tel. Nous partageons cette critique qui se rapproche de l’analyse de l’incertitude de Mises ou bien de Knight.

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portefeuille de négociation) permet ainsi de transférer le risque du portefeuille bancaire vers le portefeuille de négociation et donc d’appliquer une charge en fonds propre potentiellement plus faible pour un même niveau de risque.24 Le lecteur pourra se référer à Kerr (2010 ; 2011),

Caprio, Demigürç-Kunt et Kane (2008) pour une analyse détaillée de ce mécanisme.25

Cette critique peut être étendue aux règles comptables de valorisation des actifs en fonction de leur appartenance à un portefeuille de négociation (valorisation au prix de marché) ou à un portefeuille bancaire (valorisation au prix historique) (Kerr 2011). Bien plus qu’une manipulation de la présentation comptable et financière, ce type de techniques biaise le système de rémunération entre salariés et actionnaires.

Ainsi, les mécanismes d’arbitrage réglementaire sont bien souvent illustrés par les méthodes de « shadow banking » et plus spécifiquement par les techniques de titrisation qui exploitent les failles inhérentes aux réglementations de Bâle. Cependant, la titrisation, sans nécessairement recourir à l’utilisation de garanties implicites, permet de diminuer les coûts réglementaires à travers un mécanisme de niche que nous allons à présent décrire.

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