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L’école des « choix publics » et le concept de recherche de rente

développement du marché des instruments dérivés

Chapitre 3 : La production de réglementation comme cause de l’arbitrage des réglementations

1.1 L’école des « choix publics » et le concept de recherche de rente

Une remise en cause radicale de l’économie des biens publics (Pigou, Samuelson) émerge dans les années 60 autour de James Buchanan et Gordon Tullock. L’idée est d’utiliser l’individualisme méthodologique pour comprendre la formation des choix publics. L’interventionnisme étatique, à travers les réglementations, entrave le libre fonctionnement des marchés en créant des situations de monopole, en octroyant des rentes à tels ou tels groupes ou coalitions d’intérêt. Cette école de pensée trouve en partie ses sources dès le XIXème siècle avec Frédéric Bastiat lorsque celui-ci dénonçait les réglementations protectionnistes, les politiques de tarification, et leurs rôles dans l’octroi de privilèges vers certaines catégories d’individus (les producteurs) au dépend d’autres catégories (les consommateurs).62 Cent ans plus tard, une analyse rigoureuse et scientifique des

62 Se référer notamment à Bastiat (1863) : Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, chapitre VII : « Restriction » Extrait de l’édition originale en 7 volumes (1863) des œuvres complètes de Frédéric Bastiat, tome V, pp. 336-

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comportements individuels confrontés à la sphère du pouvoir politique permet d’approfondir cette critique toujours d’actualité.

La recherche de rente consiste pour un individu à utiliser ses ressources pour s’approprier d’autres ressources qui ont été « prélevées » par la sphère publique (l’Etat) sur la sphère privée. Ce phénomène peut être illustré par le « trapèze de Tullock ». Prenons ainsi l’exemple d’une transaction dont le jeu de la libre concurrence permet la rencontre de l’offre et de la demande à un niveau d’équilibre prix - quantité (P*, Q*). Survient ensuite une réglementation visant par exemple à imposer des barrières à l’entrée (license d’exploitation etc.…) ou à empêcher certains potentiels compétiteurs d’offrir la même transaction (loi protectionniste, droit de douanes, etc.…) sur le marché. Les producteurs existants peuvent ainsi bénéficier d’une situation de monopole (ou d’une concurrence limitée), ce qui leur permet de fixer des prix au-dessus du prix concurrentiel. Le comportement de maximisation du profit dans le cadre d’une situation de monopole implique une production telle que le coût marginal est égal au rendement marginal. Cette quantité est nécessairement plus faible que celle produite dans un cadre concurrentiel. Cela a pour effet la fixation du prix à un niveau supérieur au prix qui aurait prévalu dans une situation de marché libre. Le prix de la transaction dans notre exemple s’établit donc au niveau P**. A ce prix, uniquement la quantité Q** sera demandée (cf. Figure 1).

392, ou encore Bastiat (1854) : Deux pertes contre un profit, pp. 384-391, Extrait de l'édition originale en 6 volumes (1854) des œuvres complètes de Frédéric Bastiat, tome II, Libre-Échange, texte 58.

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Figure 1 : Illustration du « Trapèze de Tullock »

Harberger (1958) montre que cette situation implique une perte sèche (« deadweight loss ») représentée par le triangle B (la littérature parle alors du triangle d’Harberger). Tullock (1967), lui, se focalise sur le mécanisme de redistribution entre d’une part le producteur (dont le comportement est représenté par la fonction d’offre) et le consommateur (dont le comportement est représenté par la fonction de demande). L’augmentation du prix de P* à P** génère une rente de monopole pour le producteur. Il est donc tout à fait rationnel pour ces producteurs d’utiliser leurs ressources pour tenter d’influencer les pouvoirs publics afin que ces derniers puissent produire des réglementations en leur faveur. Ces derniers investiront dans un Etat de droit, dans la formation de lobbys et de groupes de pression, et dans un Etat de non droit, dans la corruption directe d’hommes politiques.

De plus, ce comportement est cohérent avec ce que la Théorie des Jeux appelle le « dilemme du prisonnier ». En effet, l’ensemble des candidats à cette rente de monopole est incité à dépenser une partie de ses ressources pour l’obtenir, même si cela génèrerait une perte sociale.63 En cas d’échec, celui qui ne bénéficie pas de cette rente subira les conséquences du

63 L’existence d’une perte sociale est discutable et sera analysée de manière précise dans le chapitre 1 de la partie II.

Prix

Quantité

P*

Q*

O1

D1

P**

Q**

A

B

C

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privilège qui a été octroyé à son compétiteur politique. La rivalité des prétendants à la rente crée donc une incitation à utiliser une partie de ses ressources pour la capturer.

La question que Tullock se pose est la détermination du niveau de ressources optimales qu’il est rationnel d’engager pour obtenir cette rente. Tullock démontre que ce montant doit être proportionnel à la valeur de la rente de monopole et donc proportionnel à l’espace « A » sur le diagramme. Cet espace constitue ce que la littérature appelle le « trapèze de Tullock ». En effet, pour un prix P**, le chiffre d’affaires des producteurs sera le produit entre P** et Q** alors que le coût total de la production sera l’espace « C » qui constitue l’intégrale de la fonction d’offre (qui n’est rien d’autre que le coût marginal de la production de la transaction). La différence entre le chiffre d’affaires (P** x Q**) et l’espace C forme graphiquement un trapèze qui sera baptisé « trapèze de Tullock » (soit l’espace A sur le graphique). Il est donc rationnel d’engager des ressources à hauteur de ce montant pour tenter de capturer cette rente. L’ensemble des ressources utilisées pour capturer cette rente constitue un coût d’opportunité. Cette utilisation de ressources constitue donc un coût social.

Cependant, l’auteur précise bien que le montant à engager n’est que proportionnel à cet espace, car il convient de considérer les actions individuelles et non collectives. En effet, chaque concurrent est un candidat à cette situation de monopole, et on pourrait imaginer que chaque candidat utilise la même quantité de ressources égale au trapèze de Tullock pour obtenir cette rente de monopole. Ainsi, dans ce cas, la perte sociale serait égale à « n » fois cet espace (n représentant le nombre de candidats à l’obtention d’une rente de monopole). Cette situation parait cependant peu probable. Pour reprendre l’image utilisée par l’auteur dans son article, il est peu réaliste d’imaginer que l’ensemble des joueurs du loto puissent investir un montant égal à la somme du gros lot pour tenter de le capturer. On pourrait imaginer que chacun investi un montant égal à l’espérance de gain que peut procurer cette rente. Dans le cas où chacun dispose d’une même distribution de probabilité, le montant total pourrait en effet correspondre au trapèze. Cependant, chaque individu applique une probabilité de réussite subjective. La perte sociale est donc difficilement quantifiable et le trapèze de Tullock n’est qu’une représentation du phénomène et non la description d’une mesure scientifique du coût social induit par les réglementations.

Stigler (1971) dans la continuité de l’école des choix publics, décrit les déterminants de la demande et de l’offre de réglementation comme facteurs principaux de l’émergence des réglementations. La demande de réglementation est déterminée par les agents économiques qui bénéficient des réglementations par la capture de rente de monopoles et de privilèges. Cette demande peut prendre plusieurs formes :

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(1) Des réglementations impliquant des coûts à l’entrée au niveau national (frais de douanes, licences) et au niveau local (licences d’exploitation),

(2) La fixation des prix empêchant de nouveaux entrants de concurrencer les producteurs établis (par exemple la « Regulation Q » aux Etats-Unis),

(3) La subvention de secteurs connexes et complémentaires

L’hypothèse principale de l’auteur est que toute entreprise disposant d’un pouvoir politique pourra l’utiliser pour tenter de contrôler l’entrée de nouveaux concurrents sur son marché.

Stigler, dans ce même papier, développe les caractéristiques du coût d’obtention de cette réglementation (l’offre de réglementation). A la différence d’une élection politique, un choix économique se prend par chaque individu concerné. Le système politique implique le vote de l’ensemble des électeurs. Un demandeur de réglementations devra donc s’adresser aux parties politiques en leurs procurant des financements et des votes. Il devra fournir à l’homme politique une coalition électorale suffisamment puissante et homogène pour assurer sa réélection.

Nous allons à présent voir comment le phénomène de recherche de rente pourrait s’appliquer à l’analyse des causes de l’arbitrage réglementaire.

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