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L’arbitrage réglementaire, une action non frauduleuse de diminution des coûts réglementaires

PARTIE I : LES CAUSES DE L’ARBITRAGE REGLEMENTAIRE

Chapitre 1 : Nature et forme de l’arbitrage des réglementations

3.1 L’arbitrage réglementaire, une action non frauduleuse de diminution des coûts réglementaires

Nous excluons de notre définition de l’arbitrage réglementaire l’ensemble des actions explicitement frauduleuses. Il convient cependant d’apporter plusieurs précisions. L’arbitrage réglementaire a souvent été analysé à travers les réglementations fiscales qui constituent la catégorie de règles publiques la plus élémentaire et, d’une certaine manière, la plus transparente. Certains termes utilisés dans cette littérature nous seront particulièrement utiles

It is clear that the government has powers which might enable it to get some things done at a lower cost than could a private organisation (or at any rate one without special governmental powers). But the governmental administrative machine is not itself costless. It can, in fact, on occasion be extremely costly. Furthermore, there is no reason to suppose that the restrictive and zoning regulations, made by a fallible administration subject to political pressures and operating without any competitive check, will necessarily always be those which increase the efficiency with which the economic system operates. (Coase 1960, p.12)

L’arbitrage réglementaire est une forme d’aléa moral entre agents économiques et pouvoirs publics. Nous analyserons dans le chapitre 5 de la Partie I, les similitudes et différences entre règles contractuelles et réglementations ainsi que les différents types d’aléa moral qu’elles génèrent et les mécanismes économiques qui les limitent.

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dans l’analyse de l’arbitrage réglementaire. Ainsi, il convient de différencier la fraude fiscale, l’évasion fiscale, et l’optimisation fiscale. Les différences entre ces concepts sont toutefois confuses dans le droit fiscal français. Elles le sont d’autant plus au regard des réglementations des autres pays et de leurs traductions. La fraude fiscale est en effet proche du concept anglo- saxon de « Tax Evasion », alors que l’évasion fiscale se rapproche de celui de « Tax Avoidance », et l’optimisation fiscale de « Tax Planning ».

Evans (2008) définit le « Tax Planning » (optimisation fiscale) comme l’utilisation des options fiscales qui s’offrent au contribuable pour diminuer sa charge fiscale et cela en conformité avec les lois et les réglementations :

Tax planning or tax mitigation is “concerned with the organisation of a taxpayer’s affairs (or the structuring of transactions) so that they give rise to the minimum tax liability within the law without resort to…impermissible tax avoidance… (Evans 2008, p.5)

OCDE (Glossary for tax terms) définit « Tax Avoidance » (Evasion fiscale) au sens large comme:

A term that is difficult to define but which is generally used to describe the arrangement of a taxpayer's affairs that is intended to reduce his tax liability and that although the arrangement could be strictly legal it is usually in contradiction with the intent of the law it purports to follow. Cf. evasion (OCDE, Center for tax policy and admisnistration. Glossary of tax terms 2015).

L’optimisation fiscale et l’évasion fiscale sont dans les deux cas des actions conformes aux lois et réglementations, mais l’évasion fiscale se distingue par le fait qu’elle va à l’encontre de l’intention de la règle. Cependant, cette nuance est parfois ténue en pratique, l’esprit et l’intention de la loi étant une donnée non-observable et sujette à l’interprétation des juges. En droit français, l’évasion fiscale se caractérise le plus souvent par l’aspect intentionnel de l’évitement. Il est rapproché du concept d’habileté fiscale. Cependant, des critères d’ordres moraux et économiques (concernant l’importance de la minimisation de la charge fiscale) viennent influencer la doctrine des juges concernant la différenciation des deux concepts.48

48 Pour une discussion approfondie des critères de différenciation des concepts de fraude, d’évasion et d’optimisation fiscale, se référer à Bazard (2002).

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Dans les pays du Commonwealth, une frontière subtile existe entre l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale qui, elle, est largement tolérée par l’administration des pays anglo- saxons (Duff 2009). Cela peut être illustré par la position de la Chambre des Lords concernant l’opposition entre l’administration fiscale britannique et le Duke of Westminster, au sujet de laquelle la Cour déclara « [e]very man is entitled if he can to order his affairs so that the tax attaching under the appropriate Acts is less than it otherwise would be » (Duke of Westminster v. Commisioners of Inland Revenue High Court of Justice – King's bench division – ; 1936).

D’après Evans (2008), la différence entre « Tax Avoidance » (évasion fiscale) et « Tax Evasion » (fraude fiscale) « is the difference between working outside the law and working within the law (though against its spirit) » (Evans 2008, p.4). Ainsi, ces deux notions renverraient à des comportements de même nature économique mais qui diffèrent dans leur degré de conformité aux lois et réglementations. L’évasion est légale alors que la fraude, comme le terme le fait pressentir, ne l’est pas. Cependant, certains auteurs considèrent que cette nuance n’a que peu de conséquences dans l’analyse économique de ce phénomène en dehors du niveau de pénalité si la fraude est détectée par l’administration fiscale. Cela est notamment le cas de Allingham et Sandmo (1972) qui montrent que la décision de fraude est déterminée dans le cadre d’un programme d’optimisation des espérances d’utilités des individus dans un environnement incertain. Cette décision dépend du niveau d’aversion au risque de l’agent économique, de l’économie d’impôt entrainée par l’acte délictueux, la probabilité de détection du délit par l’administration fiscale et du niveau de pénalité en cas de détection. Dans la continuité des travaux d’Allingham et Sandmo (1972), Ilersic et Seldon (1979) proposent un concept de « Tax avoision », et Alm (1988) montre que les décisions d’allocation entre « revenus fraudés » (comportant un risque légal et donc soumis à pénalité en cas de contrôle par l’administration fiscale), « revenus évadés » et « revenus déclarés » dépendent également du niveau de ressources nécessaires dans la mise en place de la stratégie d’évitement en question.

Cette parenthèse, que nous empruntons à la littérature relative aux problématiques d’évitement et de fraude fiscale, nous permet d’enrichir et de préciser le concept d’arbitrage réglementaire. En effet, nous considérons l’arbitrage réglementaire comme une action légale même si elle peut parfois aller à l’encontre de l’objectif et de l’intention des lois et réglementations. L’arbitrage réglementaire est ainsi une généralisation des caractéristiques de l’optimisation fiscale et de l’évasion fiscale appliquée à tous types de réglementations (incluant les réglementations fiscales). Cependant, il se distingue de la fraude fiscale dans la mesure où celle-ci est clairement illégale. La difficulté consiste toutefois à identifier les zones

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grises entre ces différents concepts et notamment entre les concepts de fraude et d’évasion et en particulier les cas d’évasion abusive. Ces zones grises et ambigüités sont un des moteurs de l’arbitrage réglementaire. Dans ce cas, l’arbitragiste prend un risque réglementaire de voir son action être interprétée par la doctrine comme un cas d’évitement abusif et donc soumis à pénalité.

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