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CATHERINE ÉCUYER

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ce modèle est proche des concepts théoriques et cliniques de l’ergothé-rapie, en particulier dans sa manière de mettre les ressources et les com-pétences du patient au centre de la thérapie.

Cette approche se distingue des modèles traditionnels par l’accent mis sur ce qui est changeable, sur les solutions et les habiletés plutôt que sur la pathologie. Elle postule que la solution n’a souvent rien à voir avec le problème. Elle travaille sur l’ouverture de choix possibles et sur l’inci-tation par le thérapeute à ce que le patient « fasse quelque chose ».

Le thérapeute et le patient concentrent leurs efforts sur le présent et le futur. Enfin, elle favorise la co-construction d’un projet qui mettra en évidence ce qui est le plus utile et le plus aidant pour le patient en lien avec son système de valeur et ses besoins.

L’activité aide à remettre en mémoire et en actes des outils que le patient possède déjà. Elle renforce tout ce qui est déjà équilibré chez le patient et maintient ce qu’il a commencé à faire et s’avère efficace. Elle favorise de petits changements, qui, selon le principe de totalité (Watzlawick, 1972), entraînent un processus évolutif. Grâce aux diffi-cultés rencontrées dans l’activité, le patient, avec l’ergothérapeute, déve-loppe de nouvelles alternatives, de nouvelles lectures possibles et donc restaure la capacité de choix mise à mal dans les troubles psychiatriques (Cabié, Isebaert, 1997).

CADRE GÉNÉRAL

Avant d’aller plus loin, je citerai les résultats d’une recherche sur les différents facteurs de guérison en psychiatrie qui rappellent l’im-portance des décisions propres au patient mais aussi de la relation thérapeutique. Cette étude montre que 40 % des facteurs d’améliora-tion sont liés au patient, 30 % à la relad’améliora-tion, 15 % aux attentes et aux espoirs du patient, et enfin 15 % sont liés au modèle et au technique (Assay et Lamber, 1999, cité par Duncan, Miller, 2000). C’est une des raisons qui m’incitent à mettre rapidement en avant la relation thé-rapeutique et sa construction tout au long du processus de soin. En ergothérapie, la relation est médiatisée par l’activité. Cette dernière instaure un dialogue, une interaction constante entre le patient et l’er-gothérapeute.

197 Pour bien comprendre l’orientation thérapeutique générale de cette approche, je voudrais citer les trois prémisses de base qui guident l’action et la pensée du thérapeute. Prémisses qui ont apparemment l’air simple mais qui nous confrontent à nos schémas habituels de pensée. Nous ne faisons plus référence au processus médical traditionnel de type défini-tion du problème, évaluadéfini-tion par le thérapeute et plan de traitement éla-boré par le thérapeute. Ce modèle nous oblige à discuter avec le patient de sa propre théorie du changement, ses buts, et de le suivre même si sa route est un peu différente de celle que nous aurions prise.

Ces trois prémisses élaborées par De Shazer (1995, p. 560) sont : – « Si ce n’est pas cassé, ne réparez pas ! » Quand nous rencontrons

nos patients, ils amènent avec eux leur théorie sur la vie, leurs pro-blèmes, la façon de les résoudre et bien d’autres choses qui consti-tuent leur histoire et leur expérience. Nous ne partageons pas for-cément leur point de vue, et nous pouvons être en désaccord avec eux sur certains points qui nous paraissent un problème, mais qui ne l’est pas pour le patient. Devons-nous nous imposer ? Non, nous ne devons pas « réparer » ou résoudre un problème qui n’est pas défini comme tel par le patient. Inutile donc de perdre son temps et son énergie en risquant de le faire perdre aussi au patient et à son entourage !

– « Une fois que vous connaissez ce qui marche, faites davantage de ce qui marche!» Nous verrons plus loin comment le thérapeute tra-vaille à rechercher, avec le patient, les aspects de sa vie qui vont bien, les exceptions aux problèmes dont il se plaint. C’est sur cette base que nous allons amplifier les comportements, les actions et tout ce qui va dans le sens de ce que le patient considère comme efficace.

– «Si ça ne marche pas, cessez-le et faites quelque chose de différent!»

Les problèmes ont tendance à s’entretenir d’eux-mêmes, et les sché-mas connus, même inefficaces, reprennent rapidement le dessus. Il s’agit pour le thérapeute d’être très attentif au changement ou non au fil des séances. Si aucun changement n’apparaît au bout de 5 à 8 séances, il ne faut pas craindre de remettre en question le traite-ment dans son ensemble ou en partie.

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Ces trois prémisses nous aident à orienter notre action et à la limiter à ce qui est nécessaire pour le patient au moment de sa demande de soin.

En faire plus risque de vouer le traitement à l’échec soit par le départ prématuré du patient soit par un traitement sans fin, perdant de vue des objectifs réalistes et réalisables, communs aux soigné et soignant. En se positionnant du point de vue du patient, de ce qu’il connaît et peut tirer de ses propres expériences, nous facilitons le processus de changement et la coopération (Ausloos, 1995).

Nous avons, en commun avec les autres thérapeutes, l’obligation d’éta-blir une relation thérapeutique avec nos patients. Dans une approche d’orientation systémique, on parlera d’affiliation (tisser les liens entre le patient, sa famille, le thérapeute). Pour faciliter ce processus, je citerai au moins trois qualités essentielles. La première est le respect des croyances et valeurs du patient. Elle implique de notre part d’être capable d’au-thenticité, d’empathie envers le patient (Rogers, 1942). La seconde est la nécessité d’une écoute sérieuse, c’est-à-dire d’être capable de se libé-rer de toute idée préconçue, de ne pas construire des hypothèses qui empêchent d’entendre le patient. C’est enlever le filtre de notre cadre de référence qui n’est ni mieux ni moins bien que celui du patient. Écouter, c’est être capable de se mettre à la place du patient et c’est être capable de se taire, d’observer le silence pour permettre au patient de formuler ce qu’il a à dire. Et enfin, le « non-savoir » nous force à la curiosité et à l’humilité, le thérapeute n’est plus celui qui sait mais celui qui apprend du patient ce qui est bon pour lui, ce qui est important pour lui et ce qu’il veut changer en venant en thérapie. De là, le thérapeute apprend à sortir des évidences. Il fait un travail de détective, pose des questions très concrètes, cherche les détails, amplifie ce qui est utile.

L’affiliation et le respect sont les garants de la cohésion de tout le traitement puisque l’affiliation soutient le changement et le respect main-tient la continuité (Cabié, Isebaert, 1997, p. 72). La continuité est l’as-surance pour le patient qu’on ne le poussera pas plus qu’il ne le sou-haite dans les changements qu’il vient demander en suivant une thérapie.

C’est grâce à ces deux axes, continuité et changement, que l’hypothèse de De Shazer (1985) prend toute sa dimension thérapeutique quand il dit : « Une petite différence est suffisante pour amener un changement chez le client et faire boule-de-neige. » Ainsi, le patient évolue sans avoir

199 peur de perdre trop rapidement ce qui constitue, parfois, depuis des

années, son identité.

J’ajoute une remarque sur la notion de résistance du patient au chan-gement. Ce terme, tout comme certain diagnostic ou jugement sur le patient, est très néfaste pour l’évolution du patient. Si on considère le patient comme résistant, on lui renvoie sa responsabilité et on ne prend pas la nôtre. Dans cette approche, on part de l’idée que le patient veut réellement changer. S’il ne suit pas nos indications, c’est qu’il est en train de nous montrer comment il souhaite coopérer avec nous (O’Hanlon, Weiner-Davis, 1995, p. 26). C’est une manière d’exprimer ses craintes liées au processus de soin. Pour le thérapeute, orienter son regard sur ce qui se construit et qui marche permet de ne pas tomber dans une impasse qui nous ferait renoncer à être partenaire de nos patients dans ce travail évolutif (O’Hanlon, Weiner-Davis, 1995, p. 209).

PROCESSUS THÉRAPEUTIQUE

Tout le processus thérapeutique s’articule sur le postulat suivant :

« l’objectif de la thérapie n’est pas la ‹ suppression du symptôme › mais bien plutôt l’aide qu’on apporte au client pour qu’il puisse mettre en place quelque chose qui lui permette d’atteindre le but fixé » (De Shazer, 1985, p. 14). Le thérapeute raisonne de manière inductive plutôt que déductive (Berg, De Jong, 1988, p. 17), afin de suivre ce que le patient dit de son problème et surtout de repérer les solutions essayées, ébau-chées, utiles ou pas. En se promenant avec lui, dans son cheminement de pensées, plutôt que de produire de nombreuses hypothèses, on va l’ai-der à se construire un contexte de choix possibles, d’alternatives qui lui permet de retrouver son autonomie et atteindre des objectifs qui lui sont personnels et essentiels pour lui. L’exploration commence par la des-cription brève du problème par le patient et s’oriente très rapidement sur les solutions, la manière de les construire. Le thérapeute aide ensuite à l’élaboration des objectifs, s’appuyant sur la recherche des exceptions.

En fin de séance ou au cours du traitement, il se positionne, donne des feed-back. Ce processus s’accompagne de moments d’évaluation.

La description brève du problème par le patient commence par les ques-tions: «Comment puis-je vous aider?», ou: «En quoi ce qui vous amène

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en thérapie est un problème pour vous?» Le patient décrit son problème, il parle de ce qui lui est familier, ce dont il souffre au quotidien et c’est essentiel d’entendre cette plainte. Par contre, il ne sert à rien d’insister et de poser mille questions sur le problème que le patient a déjà ressassé.

Nous lui demandons ce qui l’a aidé ou pas dans les différents essais qu’il a faits pour résoudre le problème. Ces questions ouvrent la porte aux réussites et aux améliorations que le patient a déjà pu expérimenter.

La construction de solutions est un ensemble de décisions et d’actes qui peuvent résoudre une difficulté. Cette phase du traitement vise à aider le patient à se représenter sa vie quand son problème ne sera plus là. Quand on lui pose la question «qu’est-ce qui sera différent quand votre problème sera résolu?», le patient commence à imaginer ce que sera sa vie. Il nous la décrit souvent très globalement au début, puis il clarifie, donne des détails; petit à petit, une image ou un film se précise comme si on tournait une vidéo. Les éléments de la description deviennent vivants et concrets.

Les objectifs se précisent pour que le tableau devienne réalité.

L’élaboration des objectifs vise à définir les buts que se propose l’ac-tion. La co-construction des objectifs est un moment clé de la thérapie.

Et c’est aussi le moment le plus difficile pour le patient et pour nous. Ce travail est très dur, exigeant, il demande du temps, de la patience et de la persévérance de la part du thérapeute. C’est un moment central du premier entretien et de la suite du traitement. C’est notre fil rouge, une référence utile dans les bilans et au cours des séances ultérieures. C’est ce qui permet de déjà définir la fin du traitement, ce qui du point de vue de la perception du temps est essentiel.

La recherche des exceptions repère les moments où le problème ne se produit pas, partant de l’idée qu’un problème même le plus grave se pro-duit rarement 24 heures sur 24 heures. Il existe des moments de répit.

Les exceptions donnent des informations capitales sur les ressources du patient, sur les solutions déjà mises en œuvre. Elles aident à augmenter la confiance dans l’espoir qu’un changement est possible. Évoquer les exceptions permet au patient de voir qu’il en est lui-même à l’origine.

Par ce moyen, nous lui donnons le message que le changement ne vien-dra pas de nous mais de la mise en œuvre de ses compétences, qu’il est l’acteur et le décideur de sa propre thérapie. Cette étape du processus renforce la relation de coopération.