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1.2 Un siècle de recherche : interprétations

1.2.3 Théorie et simulation des gerbes

Pour simuler les gerbes atmosphériques, il existe aujourd’hui deux codes fonctionnant quasiment sur le même principe : AirES (AIR shower Extended Simulation) et CoRSiKa (COsmic Ray SImulations for KAscade). Ces deux outils de simulation seront évoqués à différentes reprises dans ce manuscrit. Le principe commun à ces deux codes est de suivre pas à pas les particules tout au long du développement de la gerbe depuis le point de première interaction. C’est le rôle du programme principal. Selon la nature et l’énergie de chaque particule qui est générée dans le code, différents modèles d’interaction sont appliqués pour décrire leur destin. Le code principal dispose d’un modèle d’interaction hadronique à basse énergie (en dessous de quelques dizaines de GeV), d’un modèle d’interactions hadroniques à haute énergie et d’un modèle d’interaction électromagnétique. Ces trois modèles couvrent l’ensemble des interactions qui peuvent être rencontrées lors de la simulation. Basé sur un principe commun, Aires et CORSIKA ont toutefois quelques diférences, CORSIKA étant plus fréquement actualisé.

– Aires [66] est une version améliorée du programme MOCCA [77] initialement développée par Hillas et dédié à l’expérience Haverah Park [78]. En raison de la structure initiale du programme MOCCA, Aires a gardé une structure équivalente et une majorité des processus décrivant les in- teractions des particules fait partie intégrante du programme principal, c’est l’algorithme de Hillas (EHSA pour extended Hillas splitting algorithm). Les interactions hadroniques à haute énergie sont quant à elles, gérées par les modèles SIBYLL [79] et QGSJET [80] (nous y reviendrons) selon le choix de l’utilisateur.

– CORSIKA [81], initialement créé pour l’experience KASCADE [82, 83], est un programme conçu pour adapter n’importe quel modèle d’interaction au programme principal. Il fait donc ap-

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pel à des routines selon le type et l’énergie de la particule en cours de propagation. Comme ce qui est réalisé dans Aires, CORSIKA permet de laisser le choix du modèle d’interaction désiré à l’utilisateur. Le choix proposé dans CORSIKA est cependant plus large et plus souvent actualisé. Les paragraphes suivants présentent les modèles utilisés dans CORSIKA.

Les modèles d’interactions

• Interactions hadroniques à basse énergie (en dessous de quelques dizaines de GeV dans le centre de masse).

Deux modèles sont couramment utilisés : GHEISHA [84] et FLUKA [85]. Ces programmes basés sur de nombreuses mesures réalisées sur accélérateurs prédisent les sections efficaces d’interactions ha- droniques inélastiques. GHEISHA est un programme Monte Carlo basé sur le programme GEANT3 [86] qui décrit les interactions hadroniques dans la matière jusqu’à 100 GeV. FLUKA, est un programme Monte Carlo très détaillé pour la propagation, la désintégration et l’interaction des hadrons. C’est le pro- gramme qui est le plus couramment utilisé car c’est celui qui montre le meilleur accord avec les données expérimentales [87].

• Interactions hadroniques à haute énergie (au-delà de quelques dizaines de GeV dans le centre de masse).

Les modèles d’interaction hadronique à haute énergie prédisent le comportement des sections effi- caces au-delà des énergies testées en laboratoire. Les principes de base diffèrent selon les trois modèles les plus souvent utilisés :

– Sibyll [79]. Les sections efficaces sont prédites en extrapolant aux ultra-hautes énergies les sec- tions efficaces obtenues expérimentalement avec les accélérateurs. Les sections efficaces noyaux- noyaux sont estimées dans l’hypothèse où les noyaux sont la superposition de nucléons libres. – QGSJET [80] (Quark Gluon String model with Jet). Ce code basé sur la théorie de Gribov-Regge

décrit les interactions élastiques par échanges d’un ou plusieurs pomerons et les interactions in- élastiques correspondent à la division d’un pomeron formant deux cordes qui se désintègrent en deux hadrons. Le pomeron est une particule hypothétique appelée ainsi en 1961 en hommage au phisicien russe Isaak Pomeranchuk utilisée pour décrire des phénomènes liés à la chromodyna- mique quantique. On parle plus de comportement pomeron que de réelle particule.

– EPOS [88]. EPOS est un modèle relativement récent d’interactions à haute énergie qui, entre autre, prend en considération les états excités consécutifs aux collisions des particules et qui est basé sur une meilleure description des projectiles et des restes de la collision. Les sections efficaces et la production de particules sont calculées en tenant compte de la conservation de l’énergie ce qui n’est pas le cas dans les autres modèles. Ce modèle prédit une production de muons plus importante (40% supérieure à QGSJETII) et une distribution latérale des muons plus raide (EPOS = Energy conserving quantum mechanical multiple scattering approach based on Partons, parton ladders, strings, Off-shell remnants and Splitting of parton ladder).

Les modèles d’interaction à basse énergie ne proposent pas de résultats vraiment différents puisqu’ils ont été testés expérimentalement avec les accélérateurs. En revanche les prédictions à ultra-haute énergie montrent de vrais écarts comme on peut le voir sur la Fig.1.32 [89] qui compare la section efficace proton-air prédite et mesurée en fonction de l’énergie du proton. À 1019 eV, il existe des différences de

l’ordre de 20% entre les modèles. Ces différences interviennent notamment au tout début de la gerbe, ce qui laisse présager des différences notables sur le comportement de la cascade de particules simulée qui suit (voir aussi les Fig.1.31).

• Interactions électromagnétiques, ou sous-gerbes électromagnétiques.

Dès qu’un photon ou un électron est généré dans CORSIKA, c’est le programme EGS4 [90] (Electron Gamma Shower) qui est utilisé pour gérer leur destin. Les cascades électromagnétiques sont complète- ment développées dans EGS4. Les processus pris en compte pour les électrons et positrons sont : l’an- nihilation, le Bhabha scattering, le bremsstrahlung, le Møller scattering et le multiple scattering selon la théorie de Molière. Les photons subissent quant à eux d’autres processus : le Compton scattering, la

FIGURE1.32 –Compilation de mesures de la section efficace proton-air réalisées grâce aux observations de gerbes initiées par des rayons cosmiques. Le point rouge correspond au résultat déduit des der- nières données expérimentales obtenues à Auger : σp-air= 505 ± 22stat(+28−36)sys mb à 2 × 1018

eV. Les données expérimentales sont comparées avec les prédictions théoriques de différents modèles [89].

production de paires e+eet l’effet photoélectrique. Le programme EGS4 a également été modifié pour

prendre en considération la photoproduction de paires de muons µ+µ.

Ces outils de simulation sont cruciaux pour interpréter ce que nous observons avec les détecteurs. De plus la faible statistique des évènements d’ultra-haute énergie pousse à l’extension des détecteurs sur des surfaces de plus en plus grandes comme nous allons voir avec l’expérience Auger. La simulation permet là aussi un appui solide pour estimer les coûts en fonction de l’efficacité de détection désirée. Ces deux dernières décennies ont connu des développements techniques majeurs en terme de détection des rayons cosmiques. Diverses méthodes voient le jour, c’est ce que nous allons discuter dans le reste de ce chapitre 1.