• Aucun résultat trouvé

1.1 Illusion cosmique ?

1.1.2 Découverte des rayons cosmiques

Le contexte physique à cette période est particulièrement riche, la science est devenue science mo- derne, les disciplines se croisent, se nourrissent entre elles et les techniques de plus en plus élaborées, deviennent capitales pour confronter directement la nature et les idées.

Plein ciel ì ì ì ì ì ì ì ì ì ì 0 2 4 6 8 0 20 40 60 80 Altitude@kmD Rayonnement @x10 6ions m - 3D

FIGURE1.13 –Gauche : taux de ionisation de l’air en fonction de l’altitude. Ces données sont la synthèse des mesures de Hess et Kolhörster. Elle sont extraites de [11] (Hillas, 1972). Droite : timbre à l’effigie de Victor Franz Hess émis en Uruguay en 1977.

Les résultats proposés par Wulf en 1910 sur la décharge de son électroscope, contestés et refusés à la publication, ne le sont pas par tout le monde. Victor Franz Hess (1883-1964) est persuadé de la véracité de ces résultats et réalise en 1912 une série d’expérimentations audacieuses, à l’image de l’épopée des grands navigateurs de la renaissance, tant les risques sont grands et inconnus. Son idée est simple : portons le détecteur plus haut ! Il organise sept vols en ballon gonflé à l’hydrogène, dans l’idée de mesurer le taux d’ionisation de l’air jusqu’à 5000 m d’altitude, le tout sans masque à oxygène... Au fur et à mesure de l’ascension du ballon, les premières observations sont en accord avec les résultats initiaux de Wulf, le taux diminue moins vite que prévu jusqu’à même se stabiliser entre 700 m et 1500 m. Au-delà de ce seuil, le taux d’ionisation ne diminue plus, il augmente... pour atteindre à 5000 m d’altitude, trois fois le taux observé au niveau du sol. La preuve irréfutable d’un rayonnement ionisant l’atmosphère d’origine extraterrestre est établi. En 1913 et 1914, Werner Heinrich Gustav Kolhörster (1887-1946) réalise à nouveau cette expérience en s’élevant cette fois jusqu’à 9 km d’altitude, confirmant évidement les résultats de Hess. Les résultats de ces deux mesures sont synthétisés dans la figure 1.13. Avec ces mesures, le taux d’atténuation de ce rayonnement dans l’air est évalué à cinq fois plus faible que celui émis par le radium, il est donc très pénétrant car il est ressentit jusqu’au sol.

La seule manière d’interpréter mes résultats expérimentaux fut d’admettre l’existence d’un rayon- nement très pénétrant, d’une nature encore inconnue, venant principalement d’en haut, et étant très probablement d’origine extraterrestre. Victor Franz Hess. 1912.

Première interprétation

Dans les années 1920, Robert Andrews Millikan (1868-1953), propose une interprétation de type photonique et développe une théorie sur l’origine de sa provenance, l’atom-building hypothesis. Il est persuadé que ce rayonnement est une manifestation de ce qui se passe à l’intérieur de l’atome : Ces ra- diations pénétrantes ont vraisemblablement pour origine les changements nucléaires qui se passent au sein des atomes du soleil et des étoiles, et leur étude apparaît comme un élément tout à fait approprié pour attaquer le problème de la structure de la matière à partir des deux points de vues physique et astro- physique[12]. Pour Millikan, ce rayonnement est le lien entre les transformations nucléaires des éléments

1.1. ILLUSION COSMIQUE ? 31

FIGURE1.14 –Une du journal Time. Robert Andrews Milli- kan. ... discovered the pulse of the universe. dans l’univers et celles qui se produisent sur terre. Ce nouveau

sujet de recherche illustre la beauté et la cohérence de notre vi- sion sur la structure de la matière, acquise ces deux dernières décennies.Millikan va même jusqu’à suggérer ce rayonnement pénétrant pour expliquer le rayonnement bêta ; comment un électron peut-il s’extirper de l’attraction du noyau dans lequel il se trouve certainement, si ce n’est par apport d’énergie ex- térieure ? Avec l’ensemble des mesures réalisées durant cette période, aussi bien dans les airs que sous l’eau, Millikan sou- ligne que la fréquence de ces rayonnements les plus pénétrants connus jusqu’ici, correspond à l’énergie de formation de l’hé- lium depuis l’hydrogène ainsi qu’à l’énergie de capture d’un électron par un noyau. Ces captures nucléaires, sont pour Milli- kan la meilleure interprétation de l’origine de ce rayonnement. Il le nomme rayonnement cosmique à l’image de l’interpréta- tion qu’il en fait, les rayons gamma, premiers cris émis par les atomes naissants. Avec cette interprétation Millikan devient un personnage très médiatique, ce phénomène qu’il qualifie de music of the spheressuscite l’intérêt d’un large public par son coté sensationnel. Le Time écrit : Dr. Robert Andrews Millikan a présenté à l’Academie, la découverte d’un nouveau rayon- nement - un rayonnement qui commence dans l’éternité. Né en dehors de l’espace, dans certains recoins sombres, derrière les

portes de l’univers découvrable, dans un ventre encore gonflé de gaz et d’étoiles en gestation, le rayon- nement de Millikan jaillit en direction de la terre, traverse des débris semés en pagaille par les systèmes solaires en mutation, plane là où les lignes parallèles peuvent se réunir, et dans les vides où le temps, détraqué, tourne comme une girouette dans un petit tourbillon éternel.Moins d’un an et demi plus tard, Millikan fait la couverture du Time avec en une ... discovered the pulse of the universe (voir Fig.1.14). Le succès médiatique de Millikan et son association au rayonnement cosmique via l’appellation de Rayons de Millikanprovoque la consternation chez Hess. Millikan exprimera son regret auprès de Hess en lui écrivant ceci : La chose vraiment importante est qu’entre nous tous, nous avons été capables d’être à peu près certain de l’existence d’une radiation qui arrive sur terre depuis l’extérieur. La preuve de son origine [..] n’était pas convaincante pour une grande partie des physiciens [...] dont moi-même. Mainte- nant cette preuve me paraît non-ambigüe. De tels rayons cosmiques, s’ils existent, doivent être d’origine nucléaire, c’est évident. Cela a été suggéré de nombreuses fois[13].

Grâce aux travaux de Francis William Aston (1877-1945) sur les masses atomiques, d’Einstein avec l’équivalence masse/énergie et de Paul Dirac (1902-1984) qui vient de publier les formules d’absorption par diffusion Compton, Millikan tente d’interpréter les mesures du taux d’ionisation de l’atmosphère en fonction de l’altitude (issues des expéditions en ballon de 1922 et de ses propres mesures terrestres). En supposant, selon son idée, que les rayons cosmiques à l’origine de cette ionisation de l’atmosphère sont des photons, il démontre qu’aucun coefficient d’absorption unique est en mesure d’expliquer la courbe d’ionisation, mais qu’elle peut s’expliquer par la combinaison de trois courbes différentes, cor- respondant à trois coefficients d’absorption différents. En calculant les énergies correspondants à ces trois coefficients d’absorption par diffusion compton, Millikan obtient trois valeurs : 26, 110 et 220 millions d’électron-Volt (MeV), connues pour être les défauts de masse dans le processus de création de l’hélium (fusion de quatre atomes d’hydrogènes), l’oxygène (16 hydrogènes) et le silicium (28 hydrogènes), élé- ments présents en grande majorité dans les étoiles, les météorites et la terre d’après ce qui est connu à l’époque.

Dans une publication de Science, Millikan déclare que les photons-rayons-cosmiques sont les an- nonces envoyées à travers l’éther de la naissance des éléments[14]. Encore une fois ce résultat suscite un emballement médiatique, le Time titre : Super X-Rays Reveal the Secrets of Creation [15].

L’interprétation très bien étayée par Millikan, ne reçoit que peu d’attention de la part de ses pairs. Pour certains, les efforts menés par Millikan semblent même très artificiels. Selon Edmund Clifton Stoner

FIGURE1.16 –Planisphère montrant les zones d’ionisation d’atmosphère équivalentes représentées par des lignes d’isocontours (isocomes). Ces lignes de contours suivent les lignes d’isocontours décrivant l’intensité du champ géomagnétique (figure extraite de [17])

(1899-1968), la probabilité que les atomes d’hydrogène se retrouvent pour s’unir est infinitésimale.

La controverse

Le succès médiatique remporté par Millikan pour l’interprétation des rayons cosmiques n’est pas représentatif de la communauté scientifique. De nombreux scientifiques de cette période interprètent dif- féremment ce rayonnement et remettent en cause la thèse avancée par Millikan. La raison extraterrestre de ce rayonnement ne semble plus susciter de doute mais sa nature en revanche, est au coeur des interro- gations de l’époque. Le principal opposant de Millikan est Arthur Compton (1892-1962) qui est persuadé que ce rayonnement est de nature corpusculaire et qu’il est chargé, contrairement aux photons gamma.

FIGURE1.15 –Taux de ionisation de l’atmosphère en fonction de la latitude, mesuré par James Clay lors de différentes expéditions réalisées à partir de 1927 (données extraites de [16]).

Pour vérifier cette hypothèse, une expérience est réa- lisée afin de mettre en évidence un effet de latitude créé par l’influence du champ magnétique terrestre sur les rayons cosmiques. Si les rayons cosmiques sont composés de particules chargées, ils devraient être déviés par le champ magnétique terrestre de ma- nière maximale à l’équateur générant ainsi une baisse du flux à cette latitude. En 1927, James Clay orga- nise un voyage en bateau entre Amsterdam et Bata- ria (Java) afin de mesurer le taux d’ionisation pour différentes latitudes. L’ensemble de ces données ras- semblées Fig.1.15 montre une baisse notable entre 52◦ Nord (Amsterdam) et l’équateur [16]. Ce résul-

tat est confirmé par d’autres expériences réalisées notamment par Pierre Auger (1899-1993) et Louis Leprince-Ringuet (1901-2000), entre 1930 et 1933. Malgré ce résultat confirmant l’hypothèse de Comp- ton, Millikan n’admet pas cette interprétation en s’ap- puyant sur d’autres expériences ne mesurant aucune variation en fonction de la latitude. Le doute subsiste, un débat virulent entre Compton et Millikan s’engage, notamment lors de la reunion de l’Association Americaine pour l’Avancement des Sciences en décembre 1932.

En 1930, Bruno Rossi (1905-1993) partisan lui aussi des particules chargées, suggère cette fois que si la particule est chargée positivement, une asymétrie est-ouest devrait se vérifier dans le taux de comptage en fonction cette fois de la longitude. Cette hypothèse sera vérifiée en 1933 par deux groupes améri-

1.1. ILLUSION COSMIQUE ? 33

cains, menés notamment par Johnson, Alvarez et Compton. Ils placent 69 stations de mesures entre les latitudes 78◦ nord et 45sud de manière à couvrir une grande partie du globe. Le résultat est montré

Fig.1.16 où des lignes de niveau, appelées isocomes, représentent les zones de taux d’ionisation d’at- mosphère équivalent. Ces isocomes suivent les mêmes lignes que celles décrivant l’intensité du champ géomagnétique, confirmant ainsi la nature chargée du rayonnement cosmique. Rossi prédit même que si le signe de la charge est positif, un taux d’ionisation supérieur doit être mesuré vers l’est. Cette prédic- tion sera aussi vérifiée mettant ainsi un terme à l’atom-building hypothesis de Millikan et suggérant des noyaux d’hydrogène (protons) comme nature des rayons cosmiques.

1.1.3 Physique des particules : rayons cosmiques sources d’avancées