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Retour à la physique des particules : les gerbes atmosphériques et leurs princi-

1.2 Un siècle de recherche : interprétations

1.2.2 Retour à la physique des particules : les gerbes atmosphériques et leurs princi-

À partir de la seconde guerre mondiale nous avons vu que l’étude du rayonnement cosmique a connu un changement thématique rapide et que les recherches se sont plutôt réorientées sur des ques- tions d’ordres astrophysiques, laissant la physique des particules essentiellement au laboratoire, autour de collisionneurs et accélérateurs. Aujourd’hui nous pouvons clairement dire que nous assistons aux re- trouvailles de ces deux domaines de la physique. En effet la détection des RCHUE comme on à pu en esquisser quelques lignes avec Rossi et les gerbes, est basée sur la détection de la cascade de particules dans l’atmosphère. La compréhension du phénomène atmosphérique se produisant lors de la détection des rayons cosmiques est donc une des clés essentielle permettant de répondre à la question de la nature de la particule primaire. Ce sujet fait l’objet des paragraphes suivant.

Les ingrédients

Au-delà d’environ 1013à 1014eV, le flux du rayonnement cosmique devient très faible et sa détection

directe notamment par satellites (cf. Fig.1.21) devient rapidement impossible. Cependant, les particules arrivant dans l’atmosphère avec une énergie suffisante vont interagir avec les composants de l’atmosphère

Interaction nucléaire avec l’air Particule primaire Cascade hadronique Fragments nucléaires Composante

muonique Composante hadronique électromagnétiqueComposante

Rayonnement Cerenkov

FIGURE1.26 –Composition d’une gerbe initiée par un hadron [65].

et générer une cascade de particules qui sera détectable au sol si cette cascade est suffisamment impor- tante et les détecteurs suffisamment sensibles. On parle alors de détection indirecte. Plus l’énergie de la particule primaire sera grande plus le nombre de particules secondaires dans la gerbe sera important.

La cascade de particules est générée par une succession de collisions élastiques et inélastiques et les différents processus en jeu peuvent se décrire comme suit :

– L’interaction de la particule primaire (un noyau, un hadron) va générer principalement des pions (π+, π, π0), des kaons (K+, K, K0) ainsi que des fragments nucléaires. Ces fragments nucléaires

se retrouvent principalement le long de l’axe de la gerbe défini par la direction du primaire et forment la composante hadronique.

– Les pions π0 vont se désintégrer en paires de photons. Ces photons vont générer des paires

électron-positron (e−, e+) qui vont recréer eux-mêmes des photons par bremsstrahlung (rayon-

nement de freinage dans le milieu). Ces réactions successives, suggérées par Anderson vers la fin des années 30, engendrent la composante électromagnétique qui se résume selon le principe suivant :

γ −→ e++ e− e±−→ γ puis γ −→ e++ epuis e±−→ γ puis −→ ...etc

– Les pions chargés π+, πparticipent à deux processus. Tant qu’ils possèdent encore une énergie

suffisante, ils peuvent alimenter la composante hadronique en interagissant avec le milieu. Lorsque leur énergie diminue, ils finissent par se désintégrer en muons µ+ et µ. Ces muons forment la

composante muonique. Principalement, les muons se propagent en interagissant très peu avec l’atmosphère, cela dit, ils peuvent alimenter la composante électromagnétique en émettant eux aussi des photons ou en se désintégrant en électrons, mais c’est un processus qui n’est pas domi- nant.

– La variété des canaux de désintégration des kaons fait qu’ils alimentent les deux composantes électromagnétique et muonique.

– Des neutrinos sont aussi générés par le processus de désintégration des pions, des kaons et des muons, mais ils restent quasiment indétectables.

L’ensemble de ces processus est représenté Fig.1.26. La composante électromagnétique est la prin- cipale composante puisqu’elle répresente environ 90% de la cascade de particule. Les 10% restant cor- respondent essentiellement à la composante muonique, la composante hadronique étant très faible.

1.2. UN SIÈCLE DE RECHERCHE : INTERPRÉTATIONS 47

FIGURE1.27 –Composition d’une gerbe initiée par un proton de 1020eV en fonction de la profondeur d’atmo-

sphère traversée [66].

Les ordres de grandeur

L’évolution de la cascade se décrit communément en fonction de la profondeur d’atmosphère tra- versée X qui s’exprime en g/cm2. Parmi les trois composantes mentionnées ci-dessus, la composante

hadronique aura tendance à "s’éteindre" en premier. La profondeur traversée par la gerbe au moment où la composante hadronique atteint son maximum est de quelques centaines de g/cm2alors que la compo-

sante électromagnétique qui est la principale composante peut s’étendre sur plus de 1000 g/cm2, ce qui

correspond environ à une atmosphère verticale. La Fig.1.27 montre l’évolution du nombre de particules en fonction de la profondeur traversée et de leur nature pour une gerbe verticale initiée par un proton de 1020eV.

Les réseaux de détecteurs au sol sont sensibles à la densité de particules par unité de surface déposées par la gerbe. L’espacement entre chaque détecteur doit par conséquent tenir compte du profil latéral de la gerbe. Comme le montre la Fig.1.28 à gauche pour un évènement simulé avec Aires, le nombre de particules au sol en fonction de la distance à l’axe (pour une gerbe initiée par un proton de 1019

FIGURE1.28 –Gauche : distribution latérale du nombre de particules en fonction de leur nature. Droite : distri- bution latéral en énergie des particules en fonction de leur nature. Ces deux figures correspondent au cas d’une gerbe initiée par un proton de 1019eV [66].

eV) décroît très rapidement ; environ 80% des particules sont situées à moins de 100 m de l’axe. La composante électromagnétique (gammas, électrons et positrons) est la plus importante en nombre et s’étale relativement loin en comparaison avec la très faible composante hadronique concentrée près de l’axe. Dans ce cas de figure (gerbe verticale), la composante muonique au sol qui est plus faible en nombre que la composante électromagnétique décroît plus doucement en fonction de la distance à l’axe. Il en résulte que le rapport muonique/électromagnétique augmente en fonction de la distance à l’axe, ce qui se vérifie expérimentalement.

Le spectre en énergie des particules au sol est aussi une observable importante à prendre en compte dans les analyses. La Fig.1.28 à droite montre la distribution en énergie au sol en fonction de la nature des particules pour le même évènement simulé avec Aires. Ce qu’on peut remarquer c’est que la majorité des particules de la composante électromagnétique se situe à bien plus basse énergie que les muons.

FIGURE1.29 –Temps d’arrivé des particules au sol en fonction de la distance à l’axe et de leur nature pour une gerbe verti- cale initiée par un proton de 1020eV

[66]. Le rapport muonique/électromagnétique concer-

nant l’énergie déposée au sol par les particules est par conséquent différent du rapport muo- nique/électromagnétique en ce qui concerne le nombre de particules.

Une autre observable qui se met aussi en évi- dence dans les détecteurs est le temps d’arrivée des particules au sol. La Fig.1.29 montre le temps d’arri- vée des particules en fonction de leur nature et de la distance à l’axe pour une gerbe verticale initiée par un proton de 1020 eV. Le temps de retard augmen-

tant avec la distance à l’axe nous laisse bien imaginer la courbure du front de particules. On note que les muons arrivent en premier, ensuite les électrons et pour finir les photons. Ceci s’explique par le fait que les muons sont beaucoup plus lourds et plus éner- gétiques que les électrons ; ils sont par conséquent beaucoup moins déviés lors de leur trajectoire dans l’atmosphère. La simulation montre que ce temps de retard moyen en fonction de la distance à l’axe est

plus grand qu’un simple front d’onde sphérique dont le centre serait le point de première interaction du primaire avec l’air, début de la cascade.

Xmax, vers la nature du primaire ?

Outre le fait de connaître la direction d’arrivée et l’énergie du primaire, un des enjeux de la détec- tion de la gerbe est de pouvoir estimer sa nature. La simulation (nous y reviendrons plus tard) permet d’estimer l’influence de la nature du primaire sur les caractéristiques de la gerbe. Selon la profondeur de première interaction de la particule primaire, qui est directement reliée à sa section efficace avec l’air, le développement de la gerbe se fera à une profondeur variable. À titre d’exemple la Fig.1.30 montre les profils longitudinaux de 100 gerbes inititées par des protons et de 100 gerbes initiées par des noyaux de fer. On constate avec cette figure que la profondeur à laquelle le nombre maximum de particules est atteint par la gerbe varie non seulement avec la nature du primaire mais aussi statistiquement car les fluc- tuations sont grandes, notamment pour les gerbes initiées par des protons. Cette grandeur appelée Xmax,

qui se mesure en g/cm2, dépend de la longueur de première interaction X

1(reliée à la section efficace du

primaire) et de la nature du primaire. Il a été démontré dans [67] que ce sont principalement les π0de la

première interaction qui façonnent le profil longitudinal de la gerbe. Cela s’appelle l’effet Matriochka. La valeur de Xmaxpeut alors s’écrire suivant la relation :

Xmax≃ X1+ X0ln( E

m(E)Ec) (1.8)

où X0 = 36.2 g/cm2 est le libre parcours moyen d’un électron dans l’air, Ec = 84 MeV est l’énergie

1.2. UN SIÈCLE DE RECHERCHE : INTERPRÉTATIONS 49

FIGURE1.30 –Profil longitudinal de 100 gerbes at- mospheriques initiées par des pro- tons (courbes bleues) et des noyaux de fer (courbes rouges) à 1019 eV

avec CORSIKA [68]. bremsstrahlung que par ionisation et m(E) est la

multiplicité de la première interaction, c’est-à-dire le nombre de particules issues de la première collision inélastique du primaire avec l’air. Cette équation per- met d’extraire deux observables directement reliées à la nature du primaire.

Comme la longueur de première interaction d’un proton avec l’air est plus grande que celle d’un noyau de fer avec l’air, et que la multiplicité m(E) est plus grande pour un noyau de fer, on déduit aisément que en moyenne, Xmaxf er< Xmaxproton. La mesure de Xmaxlors

du développement des gerbes sera une observable porteuse d’information sur la nature du primaire. Se- lon l’effet Matriochka, la composante électromagné- tique de la gerbe est une superposition de cascades initiées par les π0 issus de la première interaction.

Plus la multiplicité sera grande lors de cette première interaction, plus le nombre de cascades superposées

sera grand. Il découle de cela que les fluctuations pour le même type de gerbes seront plus faibles si elles sont initiées par des noyaux de fer que si elle sont initiées par des protons. En d’autres termes, cela signifie que les fluctuations sur la mesure de Xmaxf er seront plus faibles que sur la mesure de Xmaxproton. Ce

comportement explique la raison pour laquelle les courbes bleues sont plus dispersées sur la Fig.1.30. Là aussi, la mesure de l’écart type (ou rms, root mean square) autour de la valeur moyenne du Xmax de la

gerbe doit refléter la nature du primaire.

Les observations expérimentales sur les mesures de Xmaxont tendance à montrer que juste après le

genou, les gerbes sont principalement initiées par des noyaux légers. Une légère transition s’opère vers les noyaux les plus lourds lorsque l’on approche des énergies de l’ordre de 1017eV [71]. Juste avant la

cheville, la tendance semble s’inverser et une dominance de noyaux légers est observée comme en atteste le début de la Fig.1.31 à gauche avec les données Auger. Cette figure montre les valeurs mesurées de Xmax

et de son rms en fonction de l’énergie du primaire, à partir de 1 EeV. Les mesures sont superposées aux valeurs attendues pour du proton et du fer [69]. La dominance des noyaux légers mise en évidence par

FIGURE1.31 –Gauche : Xmaxet rms(Xmax) en fonction de l’énergie du primaire, mesurés par les télescopes de

fluorescence de l’observatoire Auger [69]. Les résultats issus de simulations Monte Carlo réali- sés en utilisant différents modèles d’interactions sont superposés aux résultats expérimentaux. En bleue pour des gerbes initiées par des protons, en rouge pour des gerbes initiées par des noyaux de fer. Droite : Xmax en fonction de l’énergie du primaire, mesurés par l’expérience TA/HiRes

[70]. Les résultats issus de simulations Monte Carlo réalisés en utilisant différents modèles d’in- teractions sont superposés aux résultats expérimentaux. En rouge pour des gerbes initiées par des protons, en bleu pour des gerbes initiées par des noyaux de fer.

Auger autour de 1 EeV est aussi observée par l’expérience HiRes [72].

Au-delà de 10 EeV, une autre inversion semble se dessiner avec les résultats d’Auger (Fig.1.31 à gauche), laissant présager que des noyaux lourds seraient dominants au delà de 1019eV. Ceci est visible

sur les mesures de Xmaxainsi que sur les mesures de rms(Xmax). Ce résultat surprenant n’est cette fois

pas confirmé par l’expérience HiRes qui suggère un résultat plutôt en faveur de noyaux légers au dessus de 1019eV comme on peut le voir sur la Fig.1.31 à droite. Les deux résultats proposés semblent malgré

tout compatibles en tenant compte des barres d’erreurs, donc pour l’instant il est difficile de statuer sur ce qui se passe au-delà de 1019eV.

Comme nous l’avons dit, la mesure du rayonnement cosmique est indirecte à haute énergie et l’atmo- sphère est ici considérée comme un gigantesque calorimètre. Le problème de ce calorimètre est qu’il est difficilement maîtrisable dans son ensemble, à l’opposé des détecteurs de particules des grands accélé- rateurs où les trajectoires des particules issues des collisions peuvent être reconstruites. L’interprétation des données expérimentales reçues dans les détecteurs est donc basée sur l’utilisation de la simulation, sorte de passerelle entre la détection (les particules au sol, ou la lumière de fluorescence par exemple) et la particule incidente. Cela étant, les outils de simulations utilisés sont basés sur des modèles régissant les interactions de particules entre elles et sont utilisés dans des gammes d’énergies qui dépassent celles atteintes par les grands accélérateurs (le CERN atteindra 14 TeV/nucléon dans le centre de masse, ce qui correspond environ un proton de 1017eV sur cible fixe). Les outils de simulation sont donc basés sur des

extrapolations ou des prédictions théoriques de ce qui se passe au-delà et n’ont pas été validée en labo- ratoire. L’interprétation du spectre à ces énergies doit par conséquent se réaliser en ayant conscience des hypothèses faites. Nous ne sommes peut-être pas à l’abri d’un processus encore inconnu qui pourrait de- venir sensible au dessus de 14 TeV dans le centre de masse et modifier la section efficace du proton avec l’air, expliquant pourquoi pas la brisure de pente observée par Auger Fig.1.31. La composition détaillée des RCUHE reste donc à comprendre, mais de récentes études montrent qu’elle n’est pas dominée par des photons [73] ni par des neutrinos [74, 75]. Ces candidats, sont générés par l’interaction des RCUHE avec la matière baryonique et les radiations émises par les sources ou par d’autres types d’objets entre la source et la terre. De récentes analyses des données Auger [76] fixent les limites supérieures pour la fraction de photons à 2%, 5.1% et 31% pour les énergies au dessus, respectivement, de 10 EeV, 20 EeV et 40 EeV. Pour les neutrinos, seulement des prédictions de flux sont avancées : de 0.03 à 0.06 neutrino par an pour l’observatoire Auger.