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Premiers résultats CODALEMA-II, premières interprétations

2.3 CODALEMA-II : Vous avez dit pôle ?

2.3.5 Premiers résultats CODALEMA-II, premières interprétations

Dans cette partie nous allons passer en revue les premiers résultats physiques obtenus avec le dé- tecteur radio CODALEMA-II. La chaîne d’analyse complète et toutes les corrections appliquées aux si- gnaux avant interprétation ne seront pas discutés ici. Le lecteur désireux d’approfondir ces sujets pourra consulter la thèse de Thibault Garçon [142] ainsi que la thèse de Thomas Saugrin [134]. Une partie des résultats présentés ci-dessous ont également fait l’objet d’une publication en 2009 [143].

Efficacité de la détection radio

La période sur laquelle nous allons nous focaliser dans cette section ainsi que la suivante, correspond à 355 jours effectifs d’observation allant du 27 novembre 2006 au 20 mars 2008. Pour cette analyse, les 14 antennes composant le bras est-ouest et nord-sud et les 17 scintillateurs présentés sur la Fig.2.14 sont utilisés. L’ensemble des évènements observés par les deux réseaux durant cette période est résumés dans le tableau Tab.2.1. Sur le même principe que pour les scintillateurs, les temps d’arrivée des transitoires sur les antennes radio permettent la reconstruction des directions d’arrivée des gerbes. Le rayon de cour- bure de l’onde radio étant là aussi considéré comme grand au premier ordre devant la taille du réseau d’antenne, les différences temporelles des impulsions observées sont ajustées avec une équation de plan en minimisant une équation du type Eq.2.2. Un évènement en coïncidence est alors considéré comme un évènement radio issu d’une gerbe s’il vérifie deux conditions : la fenêtre temporelle entre l’observation scintillateurs et antennes doit être inférieure à 100 ns et la différence angulaire entre les directions d’arri- vée reconstruites indépendamment par les deux types de détecteurs doit être inférieure à 20◦(à noter que

68% des évènements ont une différence angulaire inférieure à 3.5◦). Cette dernière condition implique

indirectement qu’au minimum trois antennes non-alignées aient vu l’évènement (multiplicité > 3) pour assurer la reconstruction angulaire.

On peut constater en regardant le tableau Tab.2.1 qu’il existe deux ordres de grandeur entre le nombre d’évènement reconstruits par les deux détecteurs. Ceci s’explique par le fait que les deux détecteurs possèdent un seuil de détection en énergie différent. Les distributions en énergie des évènements obtenues par les deux réseaux sont comparées Fig.2.20 à gauche. Il est à noter que le critère de sélection "interne" réduit le taux de 1.8 évènements par jour détectés par la radio à 0.5. La figure montre que le seuil de détection pour le détecteur CODALEMA se situe aux alentours de 1.5 × 1016eV. Le seuil en énergie du

détecteur de particules n’est pas visible sur cette figure car il se situe plus bas, aux alentours de 1015eV.

Au-delà de 1017eV, les deux distributions convergent suggérant ainsi que l’efficacité de détection radio

augmente avec l’énergie des cosmiques. La Fig.2.20 à droite montre que l’efficacité de détection radio tend vers 1 lorsque E tend vers les plus hautes énergies.

Les directions d’arrivée en radio

Les directions d’arrivée des évènements radio en coïncidence avec le détecteur de particules sont présentées sur une carte du ciel en coordonnées polaires Fig.2.21 à gauche. Sur cette figure l’Est est à droite et le Nord en haut. Clairement, on constate une asymétrie nord-sud qui se dégage. Cette asymétrie

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FIGURE2.20 –Gauche : distributions en énergie des évènements détectés par les deux réseaux (en noir par les scintillateurs, en bleu par la radio). Droite : efficacité de détecteur radio par rapport au ré- seau scintillateurs pour l’expérience CODALEMA-II en fonction de l’énergie E (en noir), et en fonction de l’énergie E′ (en bleu), définit comme l’énergie E multipliée par |n ∧ B|/(nB). La

correction appliquée à E pour obtenir la courbe bleue permet de tenir compte de la dépendance du champ électrique au mécanisme de Lorentz, discutée dans le paragraphe suivant. Données 2009 [143].

FIGURE2.21 –Gauche : directions d’arrivée des évènements radio en coïncidence avec le détecteur de parti- cules. Droite : carte de densité de ces mêmes événements. À chaque évènement a été associée une densité de probabilité de type gaussien centrée sur le point et d’écart type 10◦. Cette carte est ob-

tenue en superposant la densité de probabilité de tous les évènements. Le point rouge correspond à l’orientation du champ géomagnétique à Nançay. Données 2009 [143].

est encore plus visible sur la Fig.2.21 à droite où une carte de densité des événements est réalisée en superposant les densités de probabilité de chaque évènement. Pour ce faire, à chaque évènement est associée une densité de probabilité de type gaussien centrée sur le point et d’écart type 10◦.

Compte tenu du caractère isotrope des directions d’arrivée observées par le détecteur de particules comme le montrent les figures Fig.2.22, l’asymétrie nord-sud ne peut s’expliquer que par une différence de signal radio produit entre les gerbes provenant du nord et celles provenant du sud. En effet, les figures Fig.2.22 présentent les distributions zénithale et azimutale des évènements scintillateurs internes supé- rieurs à 1017eV et on ne constate aucun biais expérimental significatif dans la distribution azimutal qui

est comparée à une ligne rouge constante symbolisant un comportement isotrope. La distribution zénithal est ajustée avec une fonction du type :

dNsci(θ)

dθ = (a + bθ)

cos(θ)sin(θ)

FIGURE2.22 –Distributions zénithale et azimutale des évènements scintillateurs internes dont l’énergie est supérieure à 1017 eV. La courbe rouge de la figure de gauche correspond à un ajustement. La

courbe en rouge sur la figure de droite est une simple ligne constante, symbolisant un comporte- ment isotrope de la distribution azimutale.

avec a = 44.96, b = 0.57, θ0 = 49.18° et θ1= 5.14°. Cette équation se décompose en une fonction

de Fermi-Dirac qui permet de prendre en compte l’atténuation dans l’atmosphère ainsi que la surface apparente des scintillateurs en fonction de l’inclinaison de la gerbe et en un terme cos(θ)sin(θ) qui permet de décrire le flux des rayons cosmiques et un terme linéaire qui correspond à un ajustement du second ordre de l’ordre de quelques pourcents.

Interprétation de l’asymétrie nord-sud

L’asymétrie nord-sud suggère une cause à ce phénomène déjà proposée par Khan et Lerche en 1966 (cf chapitre 1 section 1.4.4), l’effet géomagnétique. En effet le seul paramètre apparent qui semble rompre la symétrie du "système CODALEMA" global est l’orientation du champ magnétique terrestre local. À

FIGURE2.23 –Distribution attendue des évè- nements en fonction de la di- rection d’arrivée selon le méca- nisme de Lorentz.

Nançay, le champ magnétique est orienté vers le sud avec un angle zénithal de 27˚, pointant vers le sol, comme l’indique le point rouge sur les Fig.2.21. L’interpréta- tion est que la force de Lorentz provoquée par le champ magnétique terrestre local agit sur la trajectoire des par- ticules chargées et que le champ électrique devrait être proportionnel à l’intensité de cette force. Si on considère que la vitesse globale de la gerbe est égale à la vitesse de la lumière c, le champ E généré par la gerbe peut donc être proportionnel à n ∧ B où n représente la direction de la gerbe et B celle du champ magnétique terrestre à Nan- çay. De plus, il est important de rappeler à cet instant que seule la polarisation E-O du champ électrique est mesu- rée par les antennes du réseau utilisé pour cette étude. On peut donc attendre que le champ électrique mesuré soit proportionnel à la projection E-O du produit vectoriel n ∧ B où n est un vecteur unitaire. On peut décomposer sur les trois axes N-S, E-O et vertical le produit vectoriel n ∧ B de la manière suivante :

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FIGURE2.24 –Distribution zénithale et azimutale des évènements radio. Lignes rouges : Distribution zénithale et azimutale d’un lot de directions d’arrivée de même taille, tirées aléatoirement suivant la densité de probabilité prédite par la Fig.2.23. Lignes pointillées : écart à ±1σ de la prédiction.

    nx ny nz     ∧     0 By Bz     =     sin θcosφ sin θsinφ cos θ     ∧     0 sin θB − cos θB     =    

− sin θ sin φ cos θB− cos θ sin θB

sin θcosφcosθB sin θcosφsinθB    

avec la convention suivante : expositif vers l’est, eypositif vers le nord, ezpositif vers le zénith et φ = 90

pour un vecteur orienté plein nord. La composante E-O du champ magnétique est considérée nulle à Nan- çay. Pour prédire une carte de densité donnant le taux d’évènements attendus avec cette interprétation, l’introduction d’une hypothèse supplémentaire est nécessaire pour lier l’amplitude du signal radio et sa détection. Il est supposé que l’efficacité de détection est proportionnelle à l’amplitude du signal radio. La carte de densité donnant le taux d’évènements attendus en polarisation E-O s’obtient finalement en mul- tipliant la composante E-O de n ∧ B par la distribution zénithale des évènements scintillateurs internes Eq.2.9 correspondant à la zone du ciel couverte par le détecteur particules et en divisant par sinθ pour prendre en compte l’effet d’angle solide et comparer le résultat avec les données. Le résultat présenté Fig.2.23 peut être comparée directement avec la Fig.2.21 à droite. L’accord visuel entre les deux figures apparait très bon, les formes caractéristiques générales sont bien reproduites. Pour mieux apprécier le niveau de similitude, les Fig.2.24 comparent les distributions zénithales et azimutales des évènements radio avec celles d’un lot de directions d’arrivée de même taille, tirées aléatoirement suivant la densité de probabilité prédite par la Fig.2.23. Là aussi l’accord est particulièrement bon, les formes caractéris- tiques sont bien reproduites, même les maxima locaux visibles sur la distribution azimutale sont bien reproduits.

Avec cette observation, CODALEMA confirme avec une statistique incontestable les conclusions suggérées par les observations réalisées par Allan à Haverah Park (cf chapitre 1 section 1.4.4). Il est démontré sans ambiguité que le signal radio émis par les gerbes atmosphériques est principalement créé par un mécanisme dépendant du champ géomagnétique.

Signature du champ géomagnétique depuis la publication de 2009

Depuis les résultats publiés par CODALEMA en 2009 [143], le nombre de données expérimentales s’est accru ainsi que le nombre d’antennes. Les analyses radio les plus récentes sont basées sur un réseau de 21 antennes mesurant la polarisation E-O du champ électrique comme le montre la Fig.2.14. La période d’observation du lot de données en polarisation E-O utilisé dans la suite a débuté le 21 novembre 2006 et se termine le 3 janvier 2010. Durant cette période l’expérience a fonctionné durant 1031 jours effectifs. La statistique disponible est résumée dans le tableau suivant :

FIGURE2.25 –Cartes de densité attendues et expérimentales du taux d’évènements en fonction de la direction d’arrivée ainsi que les distributions zénithales et azimutales des évènements radio, attendues et expérimentales (cf Fig.2.24 pour plus de détails). Les quatre premières figures concernent les résultats obtenus en polarisation E-O et les quatre suivantes en polarisation N-S.

2.3. CODALEMA-II : VOUS AVEZ DIT PÔLE ? 89 Période d’observation 27/11/06 - 03/01/2010

Évènements scintillateurs 168726

Coïncidences radio 2029

Coïncidences radio internes 604

tion de la direction d’arrivée, mesurés avec les 21 antennes en polarisation E-O. Le lot de données retenues est cette fois beaucoup plus grand puisqu’il compte 2029 évènements mesurés en polarisation E-O. Cette carte de densité expérimentale est comparée à la prédiction du taux d’évènements attendus dans cette polarisation, calculé comme dans la section précédente. Les deux figures suivantes comparent les distributions zénithales et azimutales des évènements radio avec celles d’un lot de directions d’arrivée de même taille, tirées aléatoirement suivant la densité de probabilité prédite en polarisation E-O selon le modèle E ∝ n ∧ B.

La signature observée en polarisation E-O suggère que l’effet géomagnétique soit aussi visible en mesurant la polarisation N-S du signal. Sur le même principe évoqué précédemment, l’idée est de faire le même travail en polarisation N-S grâce aux trois antennes du réseau mesurant la polarisation N-S du champ (voir Fig.2.14). Le nombre de coïncidences recueillies avec ces trois antennes est de 192 sur une période allant d’octobre 2007 à janvier 2010. La procédure d’analyse est la même que pour la polarisation E-O, excepté la convolution du lobe d’antenne qui doit être pivotée de 90˚pour prendre en compte la nouvelle orientation des 3 antennes de ce lot de données. L’ensemble des résultats obtenus pour cette polarisation du signal est présenté sur les quatre dernières Fig.2.25. Bien que la statistique soit plus faible, le comportement général de la prédiction du modèle géomagnétique simple est en accord satisfaisant avec les résultats expérimentaux.

La conclusion de ces observations démontre que le mécanisme de l’émission radio des gerbes atmosphériques est principalement dû au champ magnétique terrestre comme ce qu’avait prévu Khan et Lerche en 1966.

Profil latéral et corrélation en énergie.

Avec les 21 antennes polarisées E-O composant le réseau CODALEMA il est possible d’étudier le comportement évènement par évènement comme ce qui a été proposé avec les résultats de CODALEMA- I dans [130]. Sur les 2029 évènements mesurés en coïncidence, 604 évènements internes ont été observés avec une multiplicité supérieure ou égale à 3 (on rappelle que pour qu’un évènement soit considéré comme interne, le scintillateur ayant reçu le plus grand signal ne doit pas être en bordure de réseau ; un évènement est considéré comme une coïncidence s’il vérifie deux conditions : la fenêtre temporelle entre l’observation scintillateurs et antennes doit être inférieure à 100 ns et la différence angulaire entre les directions d’arrivée reconstruites indépendamment par les deux types de détecteurs doit être inférieure à 20˚ ; une coïncidence interne vérifie ces deux conditions). L’étude du profil latéral avec une fonction proposée par Allan du type :

f (R) = ε0exp(−R/R0) (2.10)

où ε0est le champ sur l’axe de la gerbe, R la distance à l’axe et R0la pente du profil latéral (ou longueur

d’atténuation), nécessite cependant une multiplicité minimum de 4 antennes pour réaliser correctement l’ajustement. Cette multiplicité étant plus restrictive, le nombre d’évènements radio tombe à 310. Les quatre paramètres sont laissés libres lors de l’ajustement : ε0, R0 et la position du cœur radio au sol

représentée par les deux coordonnées xr

cet yrccontenu dans R, la distance à l’axe de la gerbe :

R = q

(x − xrc)2+ (y − yrc)2− [(x − xrc) sin θ cos φ + (y − yrc) sin θ sin φ]2 (2.11) où x et y sont la position au sol de l’antenne et θ et φ la direction de l’axe de la gerbe (obtenue par triangulation avec les instants des signaux radio sur chaque antenne) définie dans la convention décrite

��� � � �� � � 0 100 200 300 400 0 1 2 3 4 R �m� Ε �Μ V m 1 M H z 1 xc r �28 m yc r �81 m Ε0�3.7 ΜV m�1MHz�1 R0�127 m Fond galactique 0 10 20 30 40 50 60 0 200 400 600 800 1000 Θ�Deg� R0 �m

FIGURE2.26 –Gauche : exemple de profil latéral et de son ajustement avec la fonction données dans l’Eq.2.10 pour un évènement de multiplicité 16. Droite : évolution de R0en fonction de l’angle zénithal.

plus haut. La Fig.2.26 à gauche, montre le profil latéral d’un évènement de multiplicité 16 ainsi que son ajustement avec la fonction Eq.2.10. Sur cette figure, l’amplitude des 21 antennes est représentée par des points bleus et rouges. Les points bleus correspondent aux antennes taggées, c’est-à-dire considérées comme ayant vu l’évènement, les points rouges aux antennes non taggées, exclues de l’analyse car présentant un signal insuffisamment supérieure au bruit de fond représenté par la ligne noire (la ligne noire est contenue dans la barre d’erreur des antennes exclues).

L’étude approfondie des profils latéraux [144] montre que la valeur la plus probable de R0se trouve

autour de 160 m et que 80% des évènements possèdent un R0inférieur à 400 m (les 20% restants corres-

pondent à des profils plats qui restent encore non interprétés). Pour expliquer cette large gamme de R0,

il est intéressant de se pencher sur sa dépendance à l’angle d’arrivée. C’est ce que montre la Fig.2.26 à droite où les R0reconstruits sont tracés en fonction de θ. Une corrélation nette apparaît. Une première in-

terprétation de ce phénomène donnée dans la thèse de Thibault Garçon [142] suggère un effet en "cos θ" lié à la déformation du profil latéral des gerbes inclinées par projection au sol. La correction des R0de

cet effet "cos θ" diminue effectivement la largeur de la distribution des R0 mais elle demeure toujours

large et ne corrige pas complètement la dépendance.

Remarque : Dans le dernier chapitre de cette thèse, nous aurons l’occasion de revenir sur cette caracté-

ristique. Nous proposerons une interprétation complémentaire permettant de "redresser" complètement la courbe présentée Fig.2.26 à droite et d’universaliser les gerbes par rapport à leur direction d’arrivée.

FIGURE2.27 –Champ normalisé ε0

|n∧B|E−O

en fonction de l’énergie esti- mée par le réseau scintillateurs [145].

Une des principales questions est de savoir si la ra- dio détection des gerbes cosmiques est un bon moyen pour estimer l’énergie de la gerbe, autrement dit, si la radio est une mesure calorimétrique de la gerbe. Pour ré- pondre à cette question, la démarche proposée par CO- DALEMA est de rechercher une corrélation entre l’éner- gie estimée par le détecteur de particules et une obser- vable radio. L’observable radio la plus adaptée semble a priori la valeur du champ électrique. Par souci de simpli- cité et d’universalité entre toutes les gerbes, c’est la va- leur du champ électrique sur l’axe ε0dans Eq.2.10 qui est

utilisée pour ce type d’étude. La dépendance du champ électrique au champ géomagnétique impose une norma- lisation préalable de ε0en fonction de la direction d’ar-

rivée. Le profil latéral est ici étudié avec des antennes polarisée E-O, par conséquent c’est la variable :

εr= ε0