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3.2 Les mécanismes en jeu et la question de la charge cognitive

3.2.2 La théorie des difficultés désirables

Selon la théorie des difficultés désirables, les conditions qui favorisent la performance ne soutiendraient pas forcément la rétention en mémoire à long terme et le transfert, alors que les conditions qui créent un défi et diminuent « à priori » l’apprentissage optimiseraient souvent la rétention et le transfert (Bjork & Bjork, 2011). L’idée principale est de différencier la performance, objet mesurable, de l’apprentissage indirectement observable. En effet, la performance ne serait pas un bon indicateur de l’apprentissage puisqu’un apprentissage peut se faire sans performance et une performance peut être bonne sans apprentissage (Soderstrom & Bjork, 2015). La performance serait liée à la force de rappel des connaissances (accessibilité des représentations en mémoire) alors que l’apprentissage en tant que modification de la structure de la mémoire à long terme serait davantage lié à la force de stockage (inter-association des représentations en mémoire). Ainsi, plusieurs conditions d’apprentissage pourraient être considérées comme des difficultés désirables. Faire en sorte de confronter les apprenants aux conditions d’apprentissage les plus faciles possible ne serait donc pas toujours enviable pour l’organisation des connaissances en mémoire à long terme (Bjork, 1994). Au contraire, plus les conditions matérielles sont difficiles, plus le traitement serait profond et moins les représentations associées seraient susceptibles d’être oubliées (Bjork, 2013). Les effets des difficultés désirables seraient particulièrement visibles lorsque la performance est testée après un certain délai (Roediger & Karpicke, 2006). Trois difficultés désirables sont fréquemment étudiées dans la littérature :

(i) Le fait de varier les conditions d’apprentissage plutôt que de les organiser de façon constante et prévisible pour les apprenants. Si les conditions sont invariantes, les apprentissages sont contextualisés et leur rappel est favorisé dans ce même contexte. Les performances ne sont cependant pas meilleures lors d’une tâche de transfert ou lors d’un rappel différé. Cet argument s’entend d’un point de vue évolutif puisque les conditions d’apprentissage au cours de l’évolution n’ont sans doute pas toujours été immuables. De la même façon, il semble délétère à long terme de présenter automatiquement un retour aux apprenants sur leur performance à des problèmes

64 mathématiques (Fyfe & Rittle-Johnson, 2017) : si le retour est automatique, les apprenants auraient tendance à moins s’investir dans la tâche.

(ii) Le fait d’espacer les sessions/instructions plutôt que de les regrouper sous un même thème. L’objectif est de donner le temps aux apprenants de créer des schémas et d’intégrer les informations entre elles. Effectivement, si l’enseignant présente un cours sur le théorème de Pythagore, les apprenants savent pertinemment que tous les exercices qu’ils auront à faire dans le cadre de ce cours feront appel à ce théorème (Rohrer, Dedrick & Stershic, 2015). Ainsi, mélanger les thèmes requiert des ressources cognitives pour que les apprenants identifient le problème et choisissent la stratégie de résolution adéquate, mais favorise aussi les capacités de compréhension et de rétention à long terme. L’apprentissage massé (par thématique) peut donner l’illusion d’apprendre de façon très efficace mais l’apprentissage espacé donne en réalité de meilleurs résultats (Kornell & Bjork, 2008). Lors d’un cours sur l’art, le regroupement par thématique (par artiste) mettrait l’accent sur les points communs des objets alors qu’intercaler les thèmes rendrait plus difficile l’identification des points communs (traitement plus profond) et favoriserait la distinction des différences. On peut aussi penser que lors d’un apprentissage espacé, les connaissances sur un thème sont réactivées plus fréquemment, rendant l’apprentissage plus efficace.

(iii) Le fait de faire passer des tests plutôt que présenter simplement les cours (effet de génération, Bjork & Kroll, 2015). L’approche des difficultés désirables considère que rechercher la solution par soi-même plutôt que de voir la solution est un moyen d’apprentissage efficace quand bien même la performance initiale est médiocre et les erreurs nombreuses. Faire des erreurs et avoir un feed-back juste après serait favorable à la rétention en mémoire du feed-back et de la bonne réponse (Potts & Shanks, 2014). Les tests présentent aussi des bénéfices métacognitifs puisqu’ils mettent l’accent sur les points à travailler. Il est donc important pour les apprenants de se tester et non pas de s’exposer de nouveau au matériel lors d’une révision par exemple. Le problème est que les tests à l’école sont perçus comme des moyens d’évaluation autant par les apprenants que par les enseignants et non comme des moyens d’apprentissage.

Ces difficultés désirables augmentent à priori la charge cognitive en mémoire de travail mais engendreraient également un traitement plus profond des informations. Elles sont désirables car elles favorisent l’encodage et le rappel et supportent ainsi les apprentissages, la compréhension et le souvenir. Cependant, si l’apprenant n’a pas les connaissances ou les compétences nécessaires

65 pour répondre à ces difficultés, elles deviennent des difficultés indésirables (Bjork & Bjork, 2011).

L’approche des difficultés désirables est particulièrement intéressante dans le domaine de l’apprentissage multimédia dans lequel plusieurs sources d’informations doivent être intégrées. Par exemple, les informations visuelles et auditives conjointes augmentent les performances directement après la tâche comme le prévoit la théorie de la charge cognitive. Néanmoins, lorsqu’un délai est ajouté à la tâche, le texte et les images (modalité visuelle unique) entraînent de meilleures performances (Schweppe & Rummer, 2016). Les présentations visuelles cumulées, alors qu’elles augmentent la charge cognitive, supporteraient donc l’apprentissage à long terme.

Que la charge cognitive ait des effets positifs ou négatifs, il est nécessaire de la prendre en considération lors de tâches d’apprentissage et de comprendre l’influence que les types de connaissances peuvent avoir sur elle. Par ailleurs, les connaissances primaires servant de base à l’élaboration des connaissances secondaires, il serait intéressant d’explorer la possibilité d’utiliser les connaissances ou mécanismes primaires pour favoriser l’apprentissage des connaissances secondaires.