• Aucun résultat trouvé

2.3 L’approche dual-system ou dual-process

2.3.1 Système 1 et système 2

De nombreuses théories ont tenté de décrire l’architecture cognitive humaine (Evans & Stanovich, 2013). La théorie dual-system vient initialement de la théorie heuristique-analytique développée par Evans (1989). Si ces systèmes ont endossé plusieurs noms (implicite/explicite, associatif/basé sur des règles, expérientiel/rationnel), leur conceptualisation se fait toujours à partir de deux systèmes (Stanovich & West, 2000). Le système 1 est un système modulaire ancien, inné, implicite (seule la production finale est consciente), automatique (génération d’actions sans réflexion consciente), pragmatique et dont le développement se fait par association. Le système 2 est un système évolutivement récent, spécifique aux humains, lent, séquentiel, nécessitant des ressources cognitives en mémoire de travail (lié aux capacités cognitives individuelles) et agissant par raisonnements abstraits (Evans, 2005) (Tableau 1). Une remarque d’Evans (2008) a permis de souligner que le système 1 n’est pas un système unique

31 mais est constitué d’un ensemble de systèmes autonomes (connaissances évolutives et compilées par expérience, ensemble des modules darwiniens et des connaissances/mécanismes de type 2 automatisées). Le système 2 comprend également deux entités que sont l’esprit réflexif (ensemble des croyances, buts et connaissances générales) et l’esprit algorithmique (stratégies) (Stanovich, West & Toplak, 2011). Les deux types de processus s’influencent mutuellement par échange d’informations. L’appellation de « type » plutôt que « système » serait alors plus adéquate. Ces deux appellations sont confondues dans la suite de ce travail pour plus de facilité langagière.

Le système 1 contiendrait des outils évolutifs universels soutenant la survie alors que le système 2 suivrait des règles normatives qui maximiseraient l’utilité personnelle (Stanovich & West, 2000). Par exemple, notre système 1 nous inclinerait à manger gras, salé et sucré pour maximiser nos chances de survie et de reproduction dans un environnement moins accueillant que celui de nos sociétés modernes alors que le système 2 nous permettrait de réfléchir à notre nutrition et de manger plus sain, ce comportement étant valorisé dans notre société. Les comportements qui servent l’intérêt des gènes ne servent donc pas forcement les intérêts de l’individu. La rationalité évolutive ne garantit en effet aucunement la rationalité normative. Pour revenir aux problèmes logiques, la tendance à contextualiser les problèmes (lorsqu’ils impliquent des connaissances antérieures) sert les gènes alors que procéder par raisonnement abstrait est quelque chose de valorisé et d’attendu dans nos sociétés et servirait l’individu (Stanovich & West, 2003). Les êtres humains auraient en effet acquis des habiletés cognitives et des stratégies comportementales afin de faire face à des conditions récurrentes dans l’environnement de nos ancêtres. Cependant, ces stratégies ou habiletés ne sont pas toujours adaptées aux conditions modernes (Cosmides & Tooby, 1992). Par exemple, l’éducation actuelle n’est pas « naturelle » car ce que les enfants apprennent aujourd’hui n’a jamais été rencontré par nos ancêtres. De la même façon, la logique formelle est une connaissance secondairement acquise car on n’apprend pas primairement à être logique de façon formelle, on apprend à être efficace la plupart du temps (Geary & Bjorklund, 2000).

Tableau 1 : Caractéristiques fréquemment attribuées aux deux systèmes (inspiré de Evans, 2008 ; Evans & Stanovich, 2013).

Système 1 (intuitif) Système 2 (réfléchi) Conscience Inconscient, implicite, rapide, automatique Conscient, explicite, lent, contrôlé

32

Evolution Evolutivement ancien, rationalité évolutive, partagé par le règne animal Evolutivement récent, rationalité individuelle, spécifique à l’espèce humaine Caractéristiques

fonctionnelles Contextualisé, spécifique au domaine, associatif, pragmatique, parallèle, grande capacité Abstrait, général au domaine, basé sur des règles, logique, sériel, faible capacité Mémoire de travail Ne requiert pas de ressources en mémoire de travail, indépendant des capacités cognitives Requiert des ressources en mémoire de travail, dépendant des capacités cognitives

Une même information peut être traitée par des processus de type 1 ou de type 2. Ces deux types de processus peuvent mener à une même réponse ou à des réponses conflictuelles. L’individu doit alors trancher entre ces deux réponses. Les réponses de type 1 ne sont pas influencées par la pression temporelle (Evans et al., 2009) ou les capacités cognitives (Newstead et al., 2004). Alors que les réponses de type 2 sont préférentiellement données si les individus ont des capacités cognitives élevées, ne sont pas soumis à une autre tâche les empêchant d’utiliser leur mémoire de travail (De Neys, 2006) et ont réfléchi plus longtemps (processus plus lent, pas de pression temporelle ; Evans & CurtisHolmes, 2005 ; Stupple, Ball, Evans & Kamal-Smith, 2011 ; Bonnefon, 2011). L’activation de traitements de type 2 est facilitée si les instructions stipulent de faire un effort de réflexion (Evans, 2005 ; Evans et al., 2010). Elle augmente avec l’âge, l’intelligence générale et le contrôle exécutif (Evans, 2005). Cependant, les réponses de type 1 ou 2 ne renseignent en aucun cas sur leur caractère correct ou non. Une réponse normative n’est pas forcément liée à un type 2 comme une réponse non normative ne découle pas obligatoirement d’un type 1 (Stanovich et al., 2011). Chaque individu est doté de ce double système de traitement. Les différences interindividuelles influencent la probabilité qu’un individu active son système 2 et mène à bien son raisonnement.

L’évolution du système 2 est clairement lié au développement des capacités cognitives et entre en compétition avec les processus de type 1 qui persistent tout au long de la vie sans jamais être remplacés par ceux du système 2 (Evans, 2011; Stanovich et al., 2011). Les réponses de type 2 sont en effet plus influencées par l’âge que celles du système 1 (Markovits & Barouillet, 2002). Le système 2 serait apparu avec le langage et serait donc évolutivement plus récent que le système 1 plus ou moins partagé par l’ensemble des espèces animales (par exemple, le module de la théorie de l’esprit serait un type 1 mais spécifique aux êtres humains et certaines stratégie d’apprentissage de type 2 seraient partagées par les autres animaux) (Evans, 2008). Le raisonnement se développerait selon de trois étapes : (i) non-contextualisé, (ii) contextualisé sans inhibition et (iii) contextualisé avec inhibition (Evans, 2011). Les différences individuelles en

33 fonction de l’âge précédemment abordées peuvent être alors expliquées par l’approche des dual- system. Particulièrement, les recherches ont observé que les réponses normatives sont données plus fréquemment par les jeunes enfants et les jeunes adultes alors que les réponses heuristiques augmentent pendant l’enfance tardive, donnant des courbes de performances de logique formelle en forme de U au cours du temps (Morsyani & Handley, 2008 ; Stanovich et al., 2011). Ce pattern de résultat est lié au développement des systèmes 1 et 2 ainsi qu’à l’acquisition des ressources utilisables par les deux systèmes. En effet, les enfants âgés auraient une moins bonne performance de logique formelle parce qu’ils sont particulièrement tentés d’utiliser les heuristiques qu’ils viennent d’acquérir. Cette baisse de performance n’aurait pas de lien avec une perte de raisonnement analytique (De Neys & Vanderputte, 2011). De plus, les capacités d’inhibition augmentent du début de l’adolescence à l’âge adulte puis déclinent. Ainsi, face à des problèmes conflictuels (où l’inhibition est nécessaire pour produire la réponse correcte), les performances suivent une courbe en U inversé : les adolescents de 12 ans réussissent moins bien que les jeunes adultes de 20 ans qui performent mieux que les adultes de 65 ans et plus, alors que les problèmes non conflictuels n’entraînent pas de différence de performance (De Neys & Van Gelder, 2008).